Éloge d’une lecture

Certaines lectures rendent heureux ou frappent par leur intelligence. La présente lecture de l’œuvre Walter Benjamin par Jean Michel Palmier, malgré son caractère inachevée suite au décès de l’auteur, est de ce point de vue un livre rare.

Les connaissances de Jean Michel Palmier sont encyclopédiques, aussi bien sur les textes de Benjamin que de ses amis et correspondants (entre autres T. Adorno, E. Bloch, B. Brecht, A. Lacis, G. Scholem), que sur l’environnement intellectuel allemand de l’époque. Elles permettent la combinaison de riches réflexions sur l’esthétique, la culture et la politique.

Le livre est divisé en quatre grandes parties :

* « Entre deux apocalypses : la tragédie d’un intellectuel juif allemand » outre les aspects strictement biographiques, ce chapitre évoque le «premier rêve messianique» de W. Benjamin, l’amitié avec G. Scholem et leurs débats sur le judaïsme, le sionisme et la philosophie, les « flâneries » à Paris et les terribles difficultés matérielles des années d’exil jusqu’au suicide.

* « Langage, philosophie et magie » avec, entre autres, un long développement sur le Trauerspeil (le drame baroque allemand)

* « Esthétique et politique : le projet d’une esthétique matérialiste » ce chapitre traite de la critique littéraire, de la conscience de classe, de la culture de Weimar et des théories de l’œuvre d’art moderne, de la reproduction technique et de la perte de l’aura (un des textes de W. Benjamin le plus célèbre avec les Thèses sur l’histoire)

* « Matérialisme et messianisme » dont malheureusement seul le premier chapitre fut rédigé.

Ces chapitres sont complétés de plans et fragments des parties IV et V et d’une magnifique lettre envoyée lors de l’ultime séjour de l’auteur à Garches.

Loin d’être unilatérale, la lecture de J.M. Palmier discute les critiques des textes et particulièrement celles d’Adorno et de Scholem et souligne les difficultés liés au style, à l’écriture et à une pensée mêlant profondément messianisme et matérialisme. Les relations de W. Benjamin aux autres, les influences de A. Lacis et de B. Brecht, fortement critiquées par d’autres, sont rediscutées pour faire ressortir l’originalité d’une élaboration propre.

Dans les années de militantisme quotidien, la découverte de Walter Benjamin, de son Ange de l’Histoire fut pour moi un véritable séisme, ouvrant les fenêtres fermées d’un passé révolu sur de possibles chemins non parcourus, sur des croisements inexplorés. L’ouvrage de Jean Michel Palmier m’a permis de compléter mes souvenirs de nuances et de teintes plus variées et d’actualiser des réflexions toujours en cours. Il en sera probablement de même pour celles et ceux qui prendront le temps de se plonger dans ce gros et grand livre.

Comme l’écrit le préfacier de l’ouvrage Florent Perrier « Jean Michel Palmier nous adresse et nous propose : une résistance et une vigilance qui, pour ceux qui voudront bien s’y adosser, au risque d’en supporter le poids, n’en portent pas moins ailleurs, là où, partout, des chemins s’entrouvrent. »

Il ne s’agit donc pas ici d’une introduction, d’un livre pour s’initier à la pensée de Walter Benjamin. Mais pour celles et ceux qui ont déjà visité son œuvre, de nouvelles promenades ou haltes sur les chemins jamais assez explorés d’une pensée tournée vers l’émancipation.

 

 

Pour les plus « novices », je ne peux que conseiller les trois tomes des écrits de W. Benjamin en Folio Essais, les livres de Gershom Scholem (Walter Benjamin, histoire d’une amitié, Presses Pocket ; Benjamin et son ange, Rivages poche) et les ouvrages de Daniel Bensaid (Walter Benjamin, sentinelle messianique, Plon 1990), de Michael Lowy (Rédemption et Utopie, le judaïsme libertaire en Europe centrale, PUF 1988 ; Walter Benjamin : Avertissement d’incendie, PUF 2001) et de Stéphane Mosès (L’ange de l’histoire : Rosenzweig, Benjamin, Scholem, Seuil 1992).

Et bien sur les ouvrages de Jean Michel Palmier (L’expressionnisme comme révolte, Weimar en exil, L’expressionnisme et les arts, ou Retour à Berlin, tous édités chez Payot).

 

Jean-Michel Palmier : Walter Benjamin

Le chiffonnier, l’Ange et le petit Bossu

Esthétique et politique chez Walter benjamin

KLINCKSIECK, Paris 2006, 866 pages, 39 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

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