Je rappelle le projet éditorial de cette revue : « Dans un mode en plein bouleversement, la centralité du travail est à la fois incontestable et bien souvent, hautement problématique. S’il est toujours à dominante salarié, le travail se pluralise au travers des processus d’éclatement du statut de l’emploi, de l’émergence de figures se situant à la lisière du salariat tout comme par effet d’extension du chômage et de la précarité. La division sociale du travail s’entrecroise avec une division sexuelle du travail dont l’écho résonne autant dans l’espace privé que public. Polarisées socialement, les relations de travail ne sauraient être abordées sans prendre en compte l’action collective et les relations professionnelles tout comme l’action publique ou celle des entreprises. C’est pourquoi « Les Mondes du Travail » souhaitent contribuer au décloisonnement des problématiques de recherche sur le travail, l’emploi et les relations professionnelles. »
Dans son éditorial « Le retour des pauvres », Stephen Bouquin souligne que « L’étude de la paupérisation conduit à questionner les causes de celle-ci et amène à interroger la responsabilité de l’État. A l’inverse, l’étude des pauvres focalise sur les privations, les handicap sociaux, le manque de qualifications, les roubles psychologiques et parfois aussi, les modes d’agir, la débrouille, la »reprise » et autres stratégies de survie. Il est important de connaître tout cela, mais il est tout aussi important de comprendre combien la réduction de l’échelle à l’individu est non seulement congruente avec les mesures d’aide et de réparation individuelles, mais participe aussi au transfert de la responsabilité en matière de bien-être social de l’État vers l’individu. » Le renvoi permanent à l’individu (équitablement concurrent sur un marché libre et non faussé), à sa responsabilité aujourd’hui et demain, est un mode opératoire récurrent du (néo)libéralisme. La négation des rapports sociaux, de leur historicité, transforme la marche du monde en un objet sans profondeur et sans substance, mais pas sans impact sur la collectivité et les individu-e-s qui la composent.
Le dossier central de ce numéro est consacré à « Travailler le social » avec des analyses sur les modifications du travail social, sa »chalandisation » et des études sur différents groupes de travailleurs sociaux (travailleuses sociales dans la majorité des cas).
Les études portent, entre autres, sur la modification du rôle de l’État et non son désengagement, les nouvelles politiques sociales, sous l’angle des individualisations, de la rationalisation, de la gestion administrative ou managériale, etc. Dans ce secteur aussi et surtout, il convient de prendre la mesure des enjeux politiques qui résident dans la conversion des biens collectifs en biens marchands. Il est dommage que certains articles soient bien jargonnant (défaut majeur de bien des sociologues). J’ai particulièrement été intéressé par « Les conseillers à l’emploi. Entre relation d’aides et normes gestionnaires » de Lynda Lavitry, sur le Pôle emploi et par « Individualisation de la dette sociale et travail avec autrui » d’Isabelle Astier.
Le dossier est complété par une riche étude de José Angel Calderon et Pablo Lopez Calle « Travail et relations professionnelles en Espagne : vers une segmentation et une transformation des luttes » et un texte qui ouvre bien des débats de Jean Copans « Mondialisation et salariat : une dynamique historique ou un ethnocentrisme analytique ».
Les Mondes du Travail : N°8
Amiens, 2010, 138 pages, 10 euros
Didier Epsztajn