Domination et relations hiérarchiques de classe inscrites au sein même du paysage de la ville

Le livre est composé de trois textes : « Le droit à la ville » publié en novembre 2008 dans la Revue internationale des livres et des idées (RILI), « Le droit à la ville d’Henri Lefebvre » et « Crises, urbanisation et luttes anticapitalistes pour le droit à la ville ».

L’auteur nous montre l’intérêt de combiner la géographie, ici l’urbanisation, et l’histoire du capitalisme « un lien interne apparaît entre le développement du capitalisme et l’urbanisation ». Il insiste particulièrement sur l’absorption du sur-produit par la construction, le développement des villes (voir le chapitre La ville lumière et New-York : les avaleuses de surproduit). Même en évoquant le secteur du bâtiment, l’auteur contourne, à mes yeux, les mécanismes d’allocation des capitaux, la recherche de taux de profit, qui ne saurait être simplement rabattu sur la ville comme construction sociale ou lieu de vie, ni par ailleurs sur la recherche et la captation de la rente foncière. « Mais à New-York comme à Paris, l’endiguement des expropriations brutales menées sous la houlette de l’État a entraîné un processus de transformation infiniment plus sournois, passant par la disciplinarisation financière des gouvernements urbains démocratiques, des marchés fonciers, de la spéculation immobilière, et par une exploitation permettant de générer le taux de retour le plus élevé possible sur l’usage supérieur et optimal des terrains. » C’est un débat qu’il serait nécessaire de prolonger.

Quoiqu’il en soit, son appréhension des processus urbains enrichit notre compréhension et permet de préciser les nouveaux droits à la ville, de mettre l’accent sur la place des mouvements sociaux urbains « La révolution sera urbaine ou ne sera pas ». Mais la place de la ville, des concentrations de population ne saurait dispenser de l’analyse des organisations socio-économiques, dont les entreprises au sens le plus large, dans ces espaces géographiques. L’auteur tord le bâton, en en faisant un potentiel de résistance, de révolte, détaché des luttes contre l’exploitation et les dominations, même s’il fait référence aux relations hiérarchiques de classe.

David Harvey considère que si le rôle de l’immobilier a été incompris dans les analyses de la crise de 2007/2009 « c’est parce qu’aucune tentative sérieuse n’a été entreprise pour intégrer l’étude des processus d’urbanisation et de formation de l’environnement bâti dans la théorie générale sur les lois de circulation du capital. » Il souligne aussi que « le système de crédit devient absolument nécessaire pour la circulation du capital et qu’il doit être pris en compte et incorporé dans les lois générales du mouvement du capital. » Si les processus d’urbanisation sont en effet négligés dans les analyses de la crise, ce n’est ni le cas pour l’immobilier ni pour le crédit (cf les livres sur la crise chroniqués ou les textes (re)publiés sur le blog, dont beaucoup d’auteurs partagent avec lui que « le capital fictif n’est pas un produit de l’imagination »).

L’apport de David Harvey est plus décisif dans l’intégration de la géographie, y compris l’urbaine, dans la saisie du monde « Il existe une spécificité géographique dans le fait que la production d’espace et les monopoles spatiaux font intégralement partie de la dynamique de l’accumulation, non seulement à cause de l’évolution des diagrammes de flux de marchandises dans l’espace, mais également en vertu de la nature même des espaces et des lieux créés et produits sur lesquels s’opèrent ces mouvements. »

Je partage les insistances de l’auteur à la fin de l’ouvrage sur les lieux de la politique, des luttes, de l’émancipation, sur les actrices et acteurs plus divers que les ouvriers d’usine, sur les lieux de l’agir, qui ne sauraient être rabattus sur les lieux de travail.

« Le droit à la ville ne se réduit donc pas à un droit d’accès individuel aux ressources incarnées par la ville : c’est le droit à nous changer nous-mêmes en changeant la ville de façon à la rendre plus conforme à notre désir le plus cher. Mais c’est en outre un droit collectif plus qu’individuel, puisque, pour changer la ville, il faut nécessairement exercer un pouvoir collectif sur les processus d’urbanisation. »

Du même auteur :

Géographie et capital. Vers un matérialisme historico-géographique (Editions Syllepse, Paris 2010) De quels processus sociaux le lieu est-il le produit ?

Géographie de la domination (Les prairies ordinaires, Paris 2008) Production de l’espace

Le nouvel impérialisme (Les prairies ordinaires, Paris 2010) Accélération dans le temps et expansion dans l’espace

David Harvey : Le capitalisme contre le droit à la ville

Néolibéralisme, urbanisation, résistances

Editions Amsterdam, Paris 2011, 93 pages, 7,50 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

2 réflexions sur « Domination et relations hiérarchiques de classe inscrites au sein même du paysage de la ville »

  1. Bonjour Antonio
    En effet les concrets du « droit à la ville » sont peu développés par l’auteur.

    Je ne suis pas non plus économiste !

    David Harvey semble indiquer que les constructions des villes sont induites par les mécanismes d’allocation des ressources (capitaux) ou la recherche d’un meilleur taux de profit. Hors ces deux éléments expliquent plus les investissements dans certains secteurs économiques (entreprises), qui peuvent être particulièrement présents en ville.
    Les mécanismes objectifs/abstraits du capitalisme sont à rechercher prioritairement dans la production. La focalisation sur les lieux (villes) apporte des éclairages complémentaires, mais ne saurait se substituer à la l’analyse de la production de valeur (exploitation de la force de travail).
    De plus, je ne pense pas que la recherche et la captation de la rente foncière soient au centre de la construction des concentrations urbaines.

    Mais peut-être qu’une lectrice ou un lecteur pourrait développer de manière plus compétente ces points
    cordialement
    didier .

  2. Bonjour,
    J’avoue ne pas trop comprendre votre critique en début de texte, n’étant pas économiste… Serait-il possible que vous développiez un peu le sujet ?
    Par contre j’ai trouvé ces trois textes (dont un était initialement paru dans La revue internationale des livres et des idées (RILI)) très intéressants pour l’analyse du processus d’urbanisation actuel. En donnant un cadre politique et théorique large, l’analyse de Harvey permet d’entrevoir des possibilités de recherches plus empiriques dans sa veine néo-marxiste. Ce qui ferait un bien fou à la recherche urbaine française… Et avec certains autres (J-P Garnier, R Hess, etc.) il participe au renouveau de la pensée d’Henri Lefebvre complètement éludée depuis quelques décennies dans l’enseignement universitaire.
    Par contre, pour émettre à mon tour une petite critique, je le trouve assez énigmatique sur les perspectives politiques permettant de faire advenir ce « droit à la ville ». Dans la plupart de ces écrits traduits en français cette question reste floue.

    Antonio D.

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