L’omniprésence de modèles inatteignables enferme nombre de femmes dans la haine d’elles-mêmes


Ce livre comble un vide. Peu d’analyses récentes travaillent sur la presse dite féminine, les groupes industriels de produits de beauté et les relations entre image et construction/destruction de soit.

« Autant l’admettre : dans une société où compte avant tout l’écoulement des produits, où la logique consumériste s’étend à tous les domaines de la vie, où l’évanouissement des idéaux laisse le champ libre à toutes les névroses, où règnent à la fois les fantasmes de toute-puissance et une très vieille haine du corps, surtout lorsqu’il est féminin, nous n’avons quasiment aucune chance de vivre les soins de beauté dans le climat de sérénité idyllique que nous vend l’illusion publicitaire. »

En attirant particulièrement l’attention sur « les pouvoirs de la fiction et de l’imaginaire », tout en ne négligeant pas que « la mondialisation des industries cosmétiques et des groupes de médias aboutit à répandre sur toute la planète le modèle unique de blancheur, réactivant parfois de hiérarchies locales délétères », Mona Chollet, analyse, entre autres, les « normes tyranniques », une vision de la « féminité » réduite à « une poignée de clichés mièvres et conformistes », l’obsession de la minceur, l’insécurité psychique, l’auto-dévalorisation, etc.

En revenant sur les affaires Polanski et Strauss-Kahn, elle insiste à juste titre sur « le désir de maintenir les femmes dans une position sociale et intellectuelle subalterne », sur les banales réactions antiféministes et termine son introduction par le vœux de beaucoup d’hommes « Elles (les femmes) pourraient commencer à raisonner, à contester ; elles pourraient se mettre en tête de devenir des personnes, des insolentes. Puisse le ciel nous épargner encore longtemps une pareille catastrophe ».

L’ouvrage se compose de six chapitres :

  1. « Et les vaches seront bien gardées. L’injonction à la féminité »

  2. « Un héritage embarrassant. Interlude sur l’ambivalence »

  3. « Le triomphe des otaries. Les prétentions culturelles du complexe mode-beauté »

  4. « Une femme disparaît. L’obsession de la minceur, un ‘désordre culturel’ »

  5. « La fiancé de Frankenstein. Culte du corps ou haine du corps ? »

  6. « Comment peut-on ne pas être blanche ? Derrière les odes à la ‘diversité’ »

  7. « Le soliloque du dominant. La féminité comme subordination »

Pour celles et ceux qui ne seraient pas encore convaincu-e-s de se plonger dans cet ouvrage, quelques citations, comme autant d’invitations à lire les analyses de Mona Chollet :

  • « l’horizon sur lequel chacun s’autorise à projeter ses rêves s’est rétréci jusqu’à coïncider avec les dimension de son chez-lui et, plus étroitement encore, avec celles de sa personne »

  • « L’absence d’idéal concurrent et les sollicitations permanentes de la consommation viennent réactiver les représentations immémoriales qui vouent les femmes à être des créatures avant tout décoratives »

  • « un idéal féminin associé toujours plus étroitement à la jeunesse et à la fraîcheur »

  • « Notre apparence, loin d’être un simple ajout inerte sur une identité qui resterait stable, intervient sur nôtre être, le modifie »

  • « Dans une société où l’égalité serait effective, elles auraient droit à un autre rôle que celui de vaches à lait ou de perroquets – ou d’otaries – du complexe mode-beauté »

  • « Le corps est le dernier lieu où peuvent s’exprimer la phobie et la négation de la puissance des femmes, le refus de leur accession au statut de sujets à part entière »

  • « Nous ne sommes que de la matière ; mais cette matière n’est pas la camelote désenchantée que nous nous figurons »

  • « Il y a une différence essentielle entre la démarche qui consiste, pour une femme, à user de divers procédés pour se faire belle et séduisante, sans pour autant résumer son identité à cela, et l’imposition systématique d’attributs destinés à marquer le féminin comme une catégorie particulière, cantonnée à une série limitées de rôles sociaux. »

Pourtant, dans ce cadre qui ne saurait gommer ou annihiler les contradictions, les femmes luttent et pour une part d’entre elles, si elles cèdent, elles ne consentent pas…

Nous devons nous réjouir de l’ensemble des travaux qui interrogent les asymétries entre femmes et hommes, qui déconstruisent les « rôles », qui soulignent ces « petites choses quotidiennes mais répétitives » qui entravent les « avancées » émancipatrices, d’autant plus qu’elles sont souvent reléguées, par certains, à un rang secondaire, comme d’ailleurs souvent le combat global pour l’émancipation des femmes. A l’inverse, il faut (re)affirmer que l’émancipation n’a de sens et de réalité que si elle est celle de toutes et tous.

Puisqu’il est cité, je rappelle le texte de la couverture de Voir le voir de John Berger :« Le miroir a souvent été utilisé comme symbole de la vanité féminine. Toutefois ce genre de moralisme est des plus hypocrites. Vous peignez une femme nue parce que vous aimez la regarder, vous lui mettez un miroir dans la main puis vous intitulez le tableau VANITÉ, et ce faisant vous condamnez moralement la femme dont vous avez dépeint la nudité pour votre propre plaisir. »

L’humour de l’auteure rend la lecture réjouissante derrière la banalité de « l’horreur quotidienne ». Ses analyses rendent palpable que « l’émancipation n’est pas déjà là », quoiqu’en disent certain-e-s. « Non, décidément, ‘il n’y a de mal à vouloir être belle’. Mais il serait peut-être temps de reconnaître qu’il n’y a aucun mal non plus à vouloir être»

En complément possible :

Sur la chapitre 6, citée par l’auteure, le livre de Rokhaya Diallo : Racisme mode d’emploi (Editions Larousse, Paris 2011) Le sens que nous donnons à l’ordre que nous créons n’est que pure invention

Ilana Löwy : L’emprise du genre – Masculinité, féminité, inégalité (La Dispute, Paris 2006)

L’évident et l’invisible et deux livres plus anciens d’Anne-Marie Dardigna : Femmes, femmes sur papier glacé (François Maspero, Paris 1974) et La presse ‘féminine’, fonctions idéologique (Petite collection Maspero, Paris 1978)

Mona Chollet : Beauté fatale

Les nouveaux visages d’une aliénation féminine

Zones, Paris 2012, 238 pages, 18 euros

Didier Epsztajn

 

En complément (décembre 2012) entretien sur le site ContreTemps Autour de « Beauté fatale ». Entretien avec Mona Chollet | Contretemps

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

2 réflexions sur « L’omniprésence de modèles inatteignables enferme nombre de femmes dans la haine d’elles-mêmes »

  1. Bonjour,
    Je me permets de vous laisser ce commentaire avec l’idée d’avoir une réponse à mes questions.
    En effet, qu’est ce qui fait que le livre de Mona Chollet ne porte pas des propos anti-féministe en combattant les injonctions à la beauté ? Je suis venu à me poser cette question suite à la lecture des réponses à l’interview de Lou Doillon dans El Pais. Si l’on met de côté la question raciale, Lou Doillon ne critique t-elle pas elle aussi celles qui portent (même si cela se fait en renversant le stigmate), les symboles de la domination masculine ? Pourtant, en faisant cela elle est accusée de slut-shamiing.
    En toute sincérité, je ne pense pas que M. Chollet soit antiféministe. Si j’ai écris cela, c’est dans l’espoir d’avoir des explications pour comprendre ce qui fait que la critique des symboles (matériels et symboliques) de la domination est dans un cas pertinent, dans l’autre non (voire pire, contribue à la domination). La seule explication, me semble t-il, est que M. Chollet critique le système de domination qui cherche à rendre les filles belles, et non les filles qui se font belles, à la différence de L. Doillon qui critique non les injonctions à la nudité des corps féminins, mais les femmes elle mêmes, en considérant donc d’une certaine manière, ces dernières comme les « idiotes utiles de la domination ». Un peu comme la question politique du voile…
    Si tel est le cas, c’est qu’il est possible de trouver du subversif dans le champ matériel et symbolique du « féminisme main-stream ». Je m’étais fait cette réflexion en entendant parler du livre de C. Froidevaux-metterie (que je n’ai pas lu). Je trouve intéressant l’idée par exemple, que souhaiter être enceinte n’est forcément synonyme d’aliénation, tout comme vouloir porter un voile, ou vouloir se faire belle.
    Il me semble en effet que notre assujettissement est aussi le processus qui nous fait exister en tant que sujet et donc aussi par lequel il est possible de résister.
    Par conséquent, il me semble que vouloir se faire belle, se couvrir, se dénuder, ou encore vouloir être mère, même si cela se fait dans le cadre d’une domination, ne peut être réduit à de l’aliénation, voire de permettre de gagner en autonomie en obtenant davantage de puissance d’agir.
    Qu’en pensez-vous ?
    Cordialement.

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