Le destinataire de la banane d’Angers n’est pas n’importe qui. Il est tout d’abord, dans la compréhension commune, la femelle du singe. Une guenon. L’étymologie du mot guenon, « kona », est la même que celle des substantifs « quenouille », qui symbolise le sexe féminin, ou « gouine », qui signifiait prostituée, et est aujourd’hui utilisé pour qualifier les lesbiennes. Il me plaît de le rappeler.
J’ai lu. J’avais envie de creuser. D’après un écrit de 1775 d’un certain Antoine Court de Gébelin, intitulé « Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne considéré dans son génie allégorique et dans les allégories auxquelles conduisit ce génie », j’apprends que du grec « gaô » – naître, exister – sont nés « geneo » – mettre au monde –, « genos » – famille, race, genre – tiens, tiens…, « guna » – femme. Et en latin, « genus » – genre –, « genero & gigno » – produire –, « gens » – nation, famille. Nous y sommes. Dans les dialectes du Nord (Suédois, Danois, Teutons, Irlandais…), on a créé le mot « kona » qui signifie femme et sexe féminin. Nos promoteurs de bananes ne s’y trompent guère.
Dans un second ouvrage de 1860, intitulé « Études de théologie, de philosophie et d’histoire/Études religieuses, historiques et littéraires : 1857-1869 » publiés par les pères CharlesDaniel et Jean Gagarin, je lis que « Chez les Francs, « quena » signifiait femme. Tandis que les Anglais ont, tiré de ce primitif le nom de leur reine, queen, nos pères y ont trouvé celui d’une prostituée, gouine ; nous lui empruntons celui de la femelle d’un singe, guenon, qu’on applique aussi familièrement à une femme de mauvaise vie ou très-laide ». L’affaire se confirme.
Dans un troisième ouvrage de 2000, écrit par Jennifer Yee et intitulé « Clichés de la femme exotique : Un regard sur la littérature coloniale française entre 1871 et 1914 », j’apprends que dans la littérature coloniale, la guenon symbolise des personnages féminins qui « cumulent […] deux tares : elles sont non seulement noires, mais âgées ». De plus, si la référence au singe signifie la laideur, celle aux « vieilles guenons » fait surenchère. L’auteure précise : « l’odeur […] rappelle l’étrangeté : “une fétidité de fauve” ». Par ailleurs, en tant que femelle du singe, par définition elle singe, « c’est-à-dire qu’elle imite l’humain ». En comparant une personne à une guenon, non seulement on l’éloigne de l’espèce humaine mais on réduit son savoir au savoir imiter.
Le 25 octobre 2013 à Angers, les manifestants catholiques anti-mariage homosexuel savaient bien à qui ils parlaient quand ils on scandé : « Taubira dégage, Taubira tu sens mauvais, tes jours sont comptés ». La ministre de la Justice est une femme, noire, de l’âge de la laideur qu’ils associent à ses actes. Elle n’est pas simplement un singe. Et c’est là où leurs détracteurs se trompent encore. Je m’accorde bien évidemment avec les humeurs de Harry Roselmack du 4 novembre et de Christine Angot du 7 novembre. Mais malheureusement, je dis bien malheureusement, le racisme n’est pas la seule vertèbre nationale française à faire sauter. Le sexisme, l’homophobie se font, eux aussi, la part belle et au même niveau. Car ces emportements ostentatoires, nommons-les comme ça, font système. Celui de la domination. Entendue comme rapport de commandement et obéissance, basée sur la violence, comme le soulignait Hannah Arendt en 1972.
Les « médiocres » dont Christine Angot parle ont peur. Sont en concurrence. Entre eux, avec les autres. Ici et ailleurs. Le phénomène n’est pas national. Hexagonal. Il est global. La concurrence est épistémique. Elle se produit au niveau des savoirs. La crainte de la refonte des savoirs, de la critique des apparences comme des idées reçues, est grande. Elle augmente, elle s’accélère. Aussi, les concurrents manifestent… avec l’ambition de transformer l’autre, tous les autres, les noirs, les arabes, les roms, les pauvres, les pédés, les lesbos, les bonnes femmes, en objets et en marchandises. Tout sauf des sujets. Comme l’esclavage en son temps. Achille Mmembe l’écrit dans son livre paru cette année, « Critique de la raison nègre » : « En bien des pays désormais, sévit un racisme sans race ». L’important est de diviser. De dissoudre. D’éparpiller. De disloquer. Le racisme est une invention des Blancs pour créer des catégories. Ne l’oublions pas. Alors n’alimentons pas cet effet d’optique. Gardons le sens de la nuance, de la clairvoyance. Ne marchons pas dans la combine des amalgames. Situons notre point de vue. De femme ou d’homme, de riche ou de pauvre, de noir ou de blanc, de jeune ou de vieux, d’hétéro ou d’homo, … Sinon nous allons perdre notre humanisme.
Joelle Palmieri, 12 novembre 2013