Respect des paysan-ne-s, des alimentations et des écosystèmes

3« à l’heure de la mondialisation ultra-libérale et des défis écologiques et climatiques, l’agriculture concentre bon nombre de symptômes mais sans doute aussi des perspectives de transition et d’émancipation en germes »

En introduction et partant d’événements récents, Laurent Garrouste, Laurence Lyonnais et Roxanne Mitralias soulignent les licenciements dans l’industrie agro-alimentaire et son organisation de la maltraitance des animaux, du développement de la circulation des camions, de la pollution des eaux, etc.

Elles et il indiquent aussi que la (les) paysannerie(s) joue(nt) essentiel dans l’alimentation humaine, l’aménagement des territoires, la conservation des espèces. Aucun projet d’émancipation ne peut se construire en contournant les paysanneries.

Les auteur-e-s évoquent, entre autres, les contradictions liées à la temporalité et à la spatialité, les échelles de production, l’épuisement des sols, les fermes « familiales »… Elles et il insistent sur « la généralisation du droit d’usage des sols et des outils », la coopération, et nous invitent « A abandonner peut-être certaines facilités productivistes ou certaines croyances progressistes qui voudraient plaquer sur le vivant le fonctionnement de l’inerte ».

Je ne souligne que certaines analyses comme invitation à lire ce recueil sur des sujets trop rarement abordés par les forces d’émancipation radicales.

Pierre Rousset revient sur les regards portés par les forces révolutionnaires sur les paysanneries, cette « classe en trop » pour certains. Il souligne que « les grandes guerres paysannes sont rarement prises en compte dans toutes leurs dimensions ». L’auteur présente notamment les expériences vietnamiennes, « le contenu social de la question nationale est bien la question agraire », chinoises, ou les luttes sur le plateau du Larzac, « résistance paysanne à l’expropriation, en défense d’un espace de vie et de petites exploitations agricoles productives ».

Des alternatives à l’agro-industrie se construisent, la Via Campesina y joue un grand rôle.

Pierre Rousset insiste sur la place des industries agroalimentaires dans la mondialisation capitaliste, « L’agroalimentaire est l’un des principaux domaines où l’offensive pour la marchandisation complète de la planète et des rapports sociaux est engagée, où l’artificialisation du monde se poursuit, où la subordination ultime des individus au capital se joue à coup de nouvelles technologies comme les OGM. Ce n’est en rien un secteur périphérique du capitalisme ni un front de lutte secondaire ». Il parle aussi du statut officiel et de la condition réelle des paysan-ne-s, des migrations forcées et lie l’avenir de l’écosocialisme à la paysannerie et celle-ci à la construction de cette alternative.

Les luttes paysannes ou l’agriculture familiale sont souvent présentées sans prendre en compte les rapports sociaux de sexe. Clémentine Come souligne, entre autres, la faible représentation des agricultrices dans les organisations professionnelles en France, la non reconnaissance des compétences des femmes. La conception familialiste dominante contourne à la fois les réelles capacités des femmes, la gratuité du travail féminin, notamment domestique, et plus généralement leur situation précaire.

De plus, les seules thématiques de l’égalité et de la parité, hors prise en compte des rapports sociaux de classe peuvent faire résonance aux arguments capitalistes de la diversité ne remettant pas en cause les rapports de domination. Une invitation à ne pas en rester aux seules formules désincarnées et à interroger la famille comme construction sociale, comme lieu de reproduction des dominations.

D’autant que cette question est fortement prise en compte par Via Campesina, dont les grands axes revendicatifs sont présentés par Josie Riffaud (dont la question de la visibilité des femmes, leur participation aux prises de décisions et la campagne menée contre les violences envers les femmes paysannes). Elle parle aussi de souveraineté alimentaire, de droit d’usage, de systèmes semenciers paysans, etc.

Laurent Garrouste traite de la surexploitation du travail agricole et fournit de multiples données chiffrées sur la situation des paysans et des ouvrier agricoles, peu de données cependant sur les paysannes et ouvrières agricoles. Il souligne les conséquences de « la transformation du travail d’élevage en production animale ».

Esther Vivas analyse les impacts, les résistances et les alternatives à la grande distribution. Elle souligne, entre autres, l’allongement de la chaîne reliant les paysan-ne-s aux consommatrices/consommateurs, les voyages des aliments, l’abandon de cultures de variétés autochtones, les faibles droits des salarié-e-s de la distribution, les problèmes d’accessibilité aux produits, la disparition des commerces locaux, le packaging, la publicité, la consommation irrationnelle et insoutenable, « L’utilité, la nécessité ou l’usage réel du produit passe au second plan », l’obsolescence programmée, etc.

L’auteure met l’accent sur les résistances, les campagnes contre les ouvertures de nouveaux supermarchés, les luttes menées par les syndicats dans les chaînes de grande distribution (Elle souligne la féroce politique anti-syndicale de Wal-Mart), les dénonciations des pratiques commerciales… Esther Vivas montre les insuffisances des actions individuelles sur la consommation et prône leur nécessaire dépassement dans des actions politiques collectives. Elle indique aussi les alliances à créer entre mouvements sociaux (paysan-ne-s, syndicalistes, consommateurs/consommatrices, migrant-e-s, féministes, etc.).

Et comme l’écrit Laurence Lyonnais : « Face aux défis environnementaux et nutritionnels qui sont désormais les nôtres, le changement radical des méthodes de production dans une perspective agro-écologique est pourtant incontournable : réduction des intrants et pesticides, alimentation locale et « naturelle » des animaux, recours aux techniques culturales douces, rotation des cultures, utilisation d’espèces adaptées aux conditions pédoclimatiques locales, préservation des paysages et de la biodiversité, généralisation des pratiques biologiques et faiblement consommatrices en énergie… »

Des pistes d’alternatives essentielles pour débattre de questions décisives pour nos avenirs individuels et collectifs. Un très intéressant « cahier de l’émancipation ».

Table des matières

Introduction (Laurent Garrouste, Roxanne Mitralias, Laurence Lyonnais)

Il était une fois le productivisme agricole… sortir de la fatalité (Matthieu Cassez)

Paysanneries d’hier et d’aujourd’hui : résistances et convergences

Paysanneries : quels regards portés à gauche ? (Pierre Rousset)

Femmes en lutte et lutte des femmes : enjeux pour l’agriculture (Clémentine Come)

Via campesina : l’internationale paysanne(entretien avec Josie Riffaud)

La surexploitation du travail agricole (Laurent Garrouste)

Enjeux sur le foncier et l’usage des terres (entretien avec Bernard Breton)

Produire autrement pour se nourrir durablement ?

Supermarchés à l’attaque. impacts, résistances et alternatives (Esther Vivas)

Conséquences sanitaires de la dynamique capitaliste dans l’agroalimentaire (Pierre Meneton)

Politique agricole commune : éléments de diagnostic et d’alternatives (Laurence Lyonnais)

Les enjeux de l’agroécologie et de l’agriculture paysanne (Marc Dufumier)

Défendre l’élevage, un choix politique (Jocelyne Porcher)

Systèmes industriels et risques sanitaires ( entretien avec Denis Fric)

Quelle recherche pour quelle agriculture ? (Isabelle Goldringer, Claudia Neubauer, Bérangère Storup)

En complément possible :

Laurent Garrouste et Roxanne Mitralias : Défis pour une émancipation agroécologique dans le livre Penser l’émancipation. Offensives capitalistes et résistances internationales, La Dispute, Amener au présent le rêve du futur

Alternatives Sud : État des résistances dans le Sud – Les mouvements paysans, Centre Tricontinental et Editions Syllepse 2013, Agrobusiness, accaparement des terres contre souveraineté alimentaire et droits démocratiques

Alternatives Sud : Pressions sur les terres. Devenir des agricultures paysannes (2010), Terres non privées d’habitant-e-s

Alternatives Sud : Emprise et empreinte de l’agrobusiness (2012) Un modèle de développement socialement excluant et écologiquement destructeur

CETIM : Terre et Liberté. A la conquête de la souveraineté alimentaire (2012), La souveraineté alimentaire, un axe transformateur du modèle économique et social dominant

Appel : (Jakarta, le 2 mars 2012) Le 17 avril a été déclaré “Journée internationale des luttes paysannes, Stop aux accaparements de terres : La terre est à celles et ceux qui la travaillent !

Via Campesina: Une alternative paysanne à la mondialisation néolibéraleCETIM 2002) Quiconque meurt de faim, meurt d’un assassinat

Laurent Garrouste, Laurence Lyonnais, Roxanne Mitralias (coord.) : Pistes pour une agriculture écologique et sociale

Les cahiers de l’émancipation – Editions Syllepse, http://www.syllepse.net/ Paris 2014, 142 pages, 8 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « Respect des paysan-ne-s, des alimentations et des écosystèmes »

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