Robin du néolibéralisme détrousse les travailleur-e-s pour redistribuer les richesses aux possédants au nom de la liberté d’entreprendre…

2Une des dimensions du néo-libéralisme est la fabrique d’un « sens commun » recouvrant les réalités de figures parfois très inquiétantes sous des masques « libertariens ». Royaume fantasmatique du « libre-faire », du marché naturalisé, de la « concurrence libre et non faussée », de la marchandisation de sphères et d’espaces élargis… L’analyse du néolibéralisme ne peut, me semble-t-il contourner les analyses du fétichisme de la marchandise. (Voir sur ce sujet, Antoine Artous : Le fétichisme chez Marx – Le marxisme comme théorie critique, Syllepse 2006, Marchandise, objectivité, rapports sociaux et fétichisme)

« Le néolibéralisme est d’abord une théorie des pratiques économiques, qui soutiennent que le meilleur moyen d’œuvrer au bien-être des hommes et de désentraver la liberté d’entreprendre et les talents individuels au sein d’un cadre institutionnel caractérisé par le libre-échange, le marché libre, et de solides droits de propriété privée ». David Harvey souligne, entre autres, l’importance des « relations contractuelles dans l’espace du marché », la densification des transactions marchandes grâce aux nouvelles technologies. Il parle de « compression spatio-temporelle ».

Le livre et divisé en sept parties :

  • La liberté n’est jamais qu’un mot
  • La construction du consentement
  • L’État néolibéral
  • Un développement géographique inégal
  • Un néolibéralisme « à caractéristiques chinoises »
  • Le libéralisme en procès
  • Perspectives de liberté

David Harvey rappelle que la première expérience du néolibéralisme a eu lieu au Chili après le coup d’État de Pinochet, une « naissance » qui en dit long sur les réalités, dont l’anti-démocratisme radical des économistes de l’université de Chicago et de Milton Friedman. L’auteur analyse ce tournant néolibéral, ses causes. Il parle, entre autres, de la redistribution des richesses et de l’accroissement des inégalités. Robin des bois, aux actions concurrentielles non faussées, pille les pauvres pour redistribuer aux riches !

L’auteur propose deux interprétations à la néo-libéralisation, « soit comme un projet utopique visant à mettre en pratique un plan théorique de réorganisation du capital international, soit comme un projet politique conçu pour rétablir les conditions d’accumulation du capital et restaurer le pouvoir des élites économiques ». Ses analyses montrent que c’est la seconde proposition qui domine.

Il analyse « l’essor de la théorie néolibérale » en remontant à Friedrich von Hayek, l’astuce juridique consistant à définir les firmes comme des personnes devant la loi, l’élection de Margaret Thatcher, la politique de taux d’intérêt de Paul Volker, le choc monétariste et le « déploiement simultané de politiques gouvernementales touchant bien d’autres domaines », les incitation à emprunter pour les pays dits émergents, le fondamentalisme libre-échangiste, le rôle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). L’auteur insiste sur la nouvelle place des valeurs financières, véritable boussole de la vie économique, sur le « pouvoir de classe ».

David Harvey analyse comment la néo-libéralisation a été accomplie et par qui. Il propose d’apprendre « à extraire les réalités politiques de leur gangue culturelle ». Réalités politiques en effet et non constructions culturelles. Je ne discuterai pas ici de la notion de « consentement », utilisé par l’auteur, qui me semble inadéquat (voir dans les critiques radicales des féministes de la notion de consentement, Nicole-Claude Mathieu : L’anatomie politique. catégorisations et idéologies du sexe, réédition iXe 2013, La définition du sexe comporte toujours un aspect stratégique, c’est-à-dire politique, dans la gestion des relations entre les sexes et Geneviève Fraisse : Du consentement, Seuil 2007, Car dire « oui », c’est aussi pouvoir dire « non »). L’auteur déconstruit, pas à pas, la « rhétorique néolibérale », la « très peu sainte alliance » entre le « big business », les néoconservateurs, dont les chrétien-ne-s évangélistes.

David Harvey consacre un chapitre à « L’État néolibéral ». Cet État qui construit, entre autres, le cadre légal des obligations contractuelles et du fonctionnement du marché. Il montre que la frontière entre État et entreprise est devenue poreuse, que les institutions étatiques et leurs pratiques elles-même ont été reconfigurées, que le caractère autoritaire de l’État est renforcé au moment même où les choix démocratiques tendent à être repoussés hors des domaines des traités et des contrats. Il explique aussi le « fanatisme missionnaire » de certains. J’ai notamment été intéressé par l’analyse des convergences entre les évangélistes, les néoconservateurs et les néolibéraux.

Le chapitre sur le développent géographique inégal est précieux car il met en relation diverses « expériences » et souligne les confluences au delà des spécificités, en insistant sur le rôle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : Mexique, Argentine, Corée du Sud, Suède, etc… Un chapitre est consacré à l’analyse des « caractéristiques chinoises ».

L’auteur poursuit par le « procès » du néolibéralisme. Il rappelle que la néo-libéralisation « a largement échouée à stimuler la croissance mondiale », a favorisé la redistribution – et non la création – des richesses et la croissance des inégalités, permis la restauration du pouvoir de la classe dominante. Il souligne quatre traits de ce qu’il nomme « accumulation par dépossession » : la privatisation et la marchandisation de biens jusque-là publics, la financiarisation et la spéculation ou la prédation, la gestion et la manipulation des crises, les redistributions étatiques. Il s’agit de repousser les limites de la marchandisation, d’élargir le champs des contrats, de construire des marchés cohérents pour la terre, la main d’œuvre… L’auteur parle de la figure du « travailleur jetable », de la dégradation de l’environnement, de l’extension du champ judiciaire et des pouvoirs exécutifs au détriment des pouvoirs législatifs parlementaires, du rôle des ONG et en particulier de leur caractère privé.

David Harvey termine sur des « perspectives de liberté », de construction d’alternatives, « la gauche doit opposer une politique d’alliances, susceptibles de réappropriations locales, dans une logique d’autodétermination »…

L’ouvrage publié en 2005 nécessiterait d’être complété par l’analyse des évolutions du néolibéralisme durant les dix dernières années.

Certaines appréciations sont fort discutables, le cas de la Chine mériterait des approfondissements, des contradictions sont négligées dont celles liées à l’individualisme, des apports analytiques sont contournés comme ceux des féministes, le concept d’accumulation par dépossession me semble trop étiré…

Quoiqu’il en soit, un livre pédagogique, intégrant de multiples analyses géographiques, remarquablement écrit, qui invite à réfléchir sur les réalités du néolibéralisme et aux « perspectives de liberté » pour utiliser une formule de l’auteur.

En compléments possibles :

Sur le Chili : Yves Dezalay et Bryant G. Garth : La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique Latine, entre notables du droit et « Chicago boys », Seuil 2002.

Sur la Chine : Au Loong Yu : La Chine. Un capitalisme bureaucratique. Forces et faiblesses, Syllepse 2013, La main invisible du marché est toujours soutenue par la botte visible de l’État

Claude Vaillancourt : L’empire du libre échange, M éditeur 2014, Les accords de libre-échange constitutionalisent, en quelque sorte, le capitalisme

Du même auteur :

Géographie et capital. Vers un matérialisme historico-géographique, Syllepse 2010), De quels processus sociaux le lieu est-il le produit ?
Géographie de la domination, Les prairies ordinaires, Paris 2008) Production de l’espace
Le nouvel impérialisme (Les Prairies Ordinaires 2010, Accélération dans le temps et expansion dans l’espace
Le capitalisme contre le droit à la ville. Néolibéralisme, urbanisation, résistances, Editions Amsterdam 2011, Domination et relations hiérarchiques de classe inscrites au sein même du paysage de la ville
Paris capitale de la modernité, Les Prairies Ordinaires 2012, Accélération du temps, élargissement de l’espace et reconfiguration sociale
Pour lire le Capital, La Ville Brûle 2012, Quand un géographe se penche sur le Capital… Marx, un mode d’emploi

David Harvey : Brève histoire du néo-libéralisme
Traduit de l’anglais par Antony Burlaud, Alexandre Feron, Victor Gysembergh, Marion Leclair et Gildas Tiliette
Préface de François Denord
Les Prairies Ordinaires, Paris 2014, 317 pages, 20 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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