N’en faisons pas un fromage, nous a confié Denis Kastner

(Siège du Medef – 55, Avenue Bosquet – Paris 7°, 25 Juin 2016)

Passée la première réflexion, celle que vous n’avez pas manquée d’entendre, émue, apitoyée, moqueuse ou goguenarde « Ils sont fous ces Anglais ! », il serait temps d’examiner la chose d’un peu plus près et de façon plus sérieuse. À la fois quant à ses tenants, mais aussi ses aboutissants.

Nous pouvons faire confiance à la vacuité cauteleuse et toujours forte en formules qui ne mangent pas de pain de nos autorités politiques et médiatiques pour nous dissimuler le sens de ce qui s’est réellement passé et nous expliquer ce qu’il conviendrait désormais de faire.

Discours filandreux, incantations angoissées, agitations de moulins à prières et de chasse-démons, rien ne va manquer.

Pour notre part, fidèles à notre ligne directrice, toujours tenter d’élucider, et porteur de la question « Brexit : quelles conséquences ? », nous sommes allés consulter une autorité trop peu connue. C’est bien dommage ! Nous allons vous la présenter. M. Denis Kastner.

Inconnu du grand public, Denis Kastner est pourtant un économiste de grand renom. Professeur de Sciences Sociales, docteur en Philosophie et Sciences Économiques, longtemps chargé de recherche au CNRS, il fut également directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Ajoutons-y ses distinctions universitaires : docteur d’État de l’Université de Paris et docteur honoris causa de l’Académie des Finances de Moscou. Cette dernière distinction décernée, non pas à l’époque de Léonid Brejnev, mais à celle du toujours regretté Boris Eltsine. Cela a son importance.

L’épaisseur et les compétences de Denis Kastner énumérées, passons maintenant, pour mieux vous le faire connaître, à son engagement dans le domaine des idées. Au tournant des années 68, fugacement membre de l’UEC (Union des Étudiants Communistes), qu’il abandonnait pour, dit-on, mais cela n’est pas confirmé, rejoindre la mouvance maoïste, il finissait par progressivement se ranger : militant CFDT d’abord, puis assistant de DSK à la Faculté de Sciences Économiques de Paris X. Rien que de plus classique.

Ces trois maîtrises, Sciences Politiques, Économie appliquée et Philosophie, ainsi que cet original parcours politique, le conduisait tout naturellement à la présidence de la FFSA (Fédération Française des Sociétés d’Assurances) ainsi qu’à celle de la Commission Économique du MEDEF, dont il fut vice-président exécutif durant plusieurs années.

En politique, notre interlocuteur d’aujourd’hui a marqué son époque par deux formules :

– en 2007, la demande, pour ne pas dire l’injonction, faite à Nicolas Sarkozy fraîchement élu : « Il faut défaire méthodiquement le Programme du CNR (Conseil National de la Résistance), son État Social, son système de protection sociale, ses régimes de retraite et ses services publics. Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ».

– en 1990, véritable visionnaire : « Je veux une rénovation politico-idéologique. Le risque ne doit plus être une prérogative de l’entrepreneur, celle qui justifie le profit ; il faut l’étendre à la société tout entière. Je suis un risquophile ».

La grande poétesse tragique Laurence Parisot reprenait la formule quelques années plus tard dans une de ses stances bien connue : « La vie est précaire, l’amour est précaire. Pourquoi le travail ne le serait-il pas ? »

Nous en terminerons avec ce panégyrique, en vous indiquant la confiance dont il jouit auprès de ses pairs : administrateur de l’Union des Banques de Paris, de BNP Paribas et de Dassault Aviation ; président du Global Reinsurance Forum…

En 2013, Denis Kastner a perçu 5,13 millions d’euros dans le cadre de ses fonctions de PDG à la tête d’un grand groupe français de réassurance.

Voilà l’homme, l’autorité, le monument que nous voulons confronter à la réponse qui vient d’être donnée à That is not the question.

Nous vous devinons perplexes, chers amis, quant à cette formule pour désigner la consultation référendaire qui vient de se dérouler au Royaume- Uni : That is not the question.

Abattons tout de suite nos cartes : la question posée, voulez-vous rester ou quitter l’UE (remain or leave), n’avait en réalité que deux réponses : rester dans l’UE néo-libérale, ou sortir de l’UE pour une politique néo-libérale dans votre pays.

Voilà résumée très brièvement TINTQ, et annoncée à l’avance la question que vont réclamer qu’on leur pose tous les souverainistes et autres identitaires. En somme, et pour faire simple : Néolibéralisme ou Néolibéralisme panaché d’identitaire.

Passons brièvement sur la gentillesse et la sobriété de l’accueil de notre interlocuteur. Il tient même à nous présenter sa boîte à cigares, une habitude gardée de sa jeunesse barbue et admiratrice du Che. Dictaphone enclenché, nous rentrons immédiatement dans le vif du sujet.

M. Kastner, bonjour, nous vous savons ayant fort à faire et réputé pour ne pas vous perdre en vaines circonlocutions. Votre réaction ?

Le choc est immense, brutal, peut-être mondial. Rendez-vous compte ! La livre baisse, les bourses chutent. C’est un jour à marquer d’une pierre noire. La boîte de Pandore est grande ouverte.

Enfin, n’exagérons rien. N’en faisons pas un fromage. La vie, je veux dire le Marché, continue. La City va tanguer, quelques traders au chômage, probablement pour une courte durée. Un joueur sort du terrain mais la règle du jeu demeure. Rugby à XV ou rugby à XIII, il y a toujours un ballon ovale. Cependant, attention à la contagion. Le rugby à III ou à IV, là, je ne sais plus.

Mais, M. Kastner, d’autres référendums, nous pensons à celui de 2005, en France, rejetant le TCE (Traité Constitutionnel Européen), d’autres élections, en Grèce en 2015, demandant la renégociation de la dette grecque, tous résultats fortement défavorables à la bonne marche des affaires ! Et pourtant, il fut relativement aisé de les ignorer.

Soyons sérieux ! Je ne pense pas que cela soit possible. Le Royaume-Uni est une place forte financière. Non, ni possible, ni même souhaitable. Plus pédagogique serait d’utiliser les difficultés que ne va pas manquer d’engendrer ce vote négatif, au Royaume-Uni même. Difficultés économiques, sûrement. Désunion ? Sécession ? Royaume désuni, peut-être. Ce serait là, à condition de bien manœuvrer, une véritable dissuasion à l’égard de ceux qui chercheraient l’aventure.

En tous les cas, la ficelle habituelle, faire passer la question comme un débat entre gentils, instruits, raisonnables d’une part, gros dégoûtants comme Boris Johnson ou Nigel Farage de l’autre, la ficelle n’a pas marché. Il faudra s’en souvenir.

M. Kastner, s’il vous plaît, c’est au membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, que nous nous adressons maintenant. Justement comment se prémunir à l’avenir de ces si fâcheuses turbulences ? Nous craignons que tout cela ne finisse par dégénérer. En France, plus dangereux encore que la sortie de l’UE, elle, au moins, ne remettrait pas en cause le néolibéralisme, certains proposent la dénonciation des traités européens, notamment ceux imposant les politiques austéritaires. Ils voudraient briser la cage de fer de l’austérité perpétuelle et du néolibéralisme obligatoire. Les échéances de l’année prochaine ne vont pas manquer de leur permettre de porter ces questions haut et fort.

Je suis un risquophile, mais mon idée sur la chose est faite depuis longtemps : il faut écouter les peuples, mais surtout éviter de leur donner la parole. Les seules élections valables à mes yeux sont celles destinées à désigner « qui sera chargé de faire appliquer ». J’aime bien cette formule hôtelière : « Pas de carte ; menu imposé. Vous pouvez choisir votre garçon de table ».

Nous aimerions que 2017 respecte cette saine logique. Et nous y travaillons. Pardonnez-moi, cher ami, il nous faut abréger. J’attends d’un instant à l’autre Jean-Claude Juncker au téléphone.

Jean Casanova

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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