Certains mots donnent du pouvoir, d’autres en ôtent

Changer les mots participe à modifier notre perception du monde. « Non, une femme ne s’est pas « fait violée » ; elle a été violée ». Pour penser le système de domination exercé par les hommes sur les femmes, les féministes ont conçu de nouveaux concepts et des mots pour le dire : « Moi, j’appelle une chatte une chatte, une IVG un avortement et une GPA une location de ventre ». Et lorsqu’un mot manque pour désigner une notion encore « inconcevable », il faut en proposer, à l’instar de cette « adelphité » utilisée par l’autrice.

Des textes incisifs et pleins d’humour pour changer le monde des mots, transformer le monde. Un ouvrage divisé en cinq parties : Sexualité & langage ; De la violence au viol ; Filles, femmes, mères ; La parole des femmes ; Le genre humain.

Quelques mots et maux, quelques tournures et analyses choisies subjectivement, en m’attardant sur les deux premières parties.

Sexualité & langage

Les mots du corps ne sont pas des gros mots, pourquoi ne pas dire vagin et vulve, ne pas parler du clitoris ? D’autres vocables semblent dominer le monde, la verge et son érection, la saleté associée aux sécrétions et au sexe de la femme, l’obsession de la virginité des filles (l’autrice propose de dire « gagner en expérience » plutôt que « perdre sa virginité »), le « prendre » érotisant la domination masculine…

Des mots et des tournures pour masquer les réalités, des désirs insatisfaits dérivant en « misère sexuelle », des achats de « services » cachant des prostitueurs, la réduction de la sexualité à la pénétration vaginale par un pénis, la confusion entre liberté sexuelle et libre accès à l’autre, les fantasmes du sans limite de la pornographie, les standards hétéronormatifs, l’asymétrique de l’amant et de la maitresse (j’avais écrit dans une note critique sur un numéro de la Rdl : Nommer « maîtresses » les dominées est au moins (post)incongru ! Pourquoi ne pas dire « amantes » ?),

Je souligne notamment le « plaisir en soi » qui ne saurait être considéré comme un préliminaire à un autre acte normé, « Pourtant caresser, lécher et sucer pourraient être une fin en soi si la sexualité humaine n’étaient pas centrée sur la seule pratique qui l’associe à une possible fécondation ».

Il n’y a pas de « droit au plaisir » mais bien, comme l’écrit Florence Montreynaud possible « recherche commune de plaisir », plaisir hier interdit et aujourd’hui devenu obligation, « balisé d’impératifs »…

De la violence au viol

Pas de violences conjugales, pas de crimes passionnels, mais bien des violences infligées aux femmes, « Des violences commises par des hommes blessent des millions de femmes, pour la seule raison qu’elles sont des femmes ». Il faut donc dire la violence sexiste, les violences sexuelles et nommer leur agent, des hommes très majoritairement. Ces violences restées trop souvent invisibles, euphémisées, réduites à des comportements psychologiques ou des dérives momentanées, et associées à une bien étrange responsabilité des victimes. Il faut comme le fait l’autrice rappeler une fois encore que « l’endroit le plus dangereux pour les filles et les femmes est la maison ».

Ni « drague lourde » ni « galanterie à la française », mais biens des délits, le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles qui concourent « à maintenir une atmosphère d’insécurité pesant sur toutes les femmes, au travail, à la maison ou dans l’espace public ». Les êtres humains sont des « sujets de leur propre désir » et sans « oui », c’est « non » ! Il ne faut pas confondre céder et consentir.

Rien ne justifie un viol, il faut que la honte change de camp, l’infamie du crime ne doit plus peser sur la victime. Une femme ne « s’est pas fait violer : elle a été violée ». Il ne s’agit pas d’une violence de genre mais bien d’un crime exercé très majoritairement par des hommes, « domination des corps, domination des mots », la victime n’est jamais coupable.

Il n’y a pas d’« abus sexuel » mais bien des violences sexuelles, des crimes pédosexuels, « ces prétendus amis, qui leur font du mal, ne sont pas des pédophiles, mais des criminels pédosexuels ». Un homme ne « va pas voir des prostituées », il n’est pas un « client », il participe au système prostitutionnel, son désir de domination prend une forme sexuelle, c’est un prostitueur.

Filles, femmes, mères 

Les deux textes bibliques et la soit-disant cote d’adam, les femmes réduites à des filles, la procréation réinventée sous forme de reproduction, la grossesse comme tombée enceinte, l’embryon et le fœtus pensés comme un enfant, le droit à l’avortement, la réalité massive d’une exploitation internationale de femmes pauvres et la location de ventre, « un désir ne crée pas un droit », une construction sociale naturalisée sous le terme d’instinct, le travail domestique gratuit et les conciliations réservées aux femmes, le soin aux autres…

La parole des femmes

Le papotage, le bavardage, le cancanage, les droits humains et leurs formulations masculines, l’utilisation nécessaire du féminin pour rendre visible les femmes, le neutre inexistant et la norme masculiniste, le processus de mythification par le singulier, l’« éternel féminin », les rôles sociaux et les apprentissages sexués.

Je souligne le texte sur ces « excès » des féministes toujours dénoncés, toujours évoqués à chaque avancée de l’égalité, « Quoi que fassent les féministes, elles dépassent la mesure acceptable, par le seul fait d’exister », ce pouvoir au cœur des relations entre hommes et femmes, ce genre qui embrasse les femmes et les étouffe…

Le genre humain.

Les femmes perçues relativement aux hommes, le principe égalitaire et la réalité d’un ordre sexué inégalitaire, la croyance en la complémentarité et le fantasme de l’indifférenciation, l’égalité est ou n’est pas, le domestique et le foyer comme lieu de suspension des choix démocratiques, le personnel est politique, les violences et leur continuum le sont aussi, « l’érotisation de l’égalité. C’est alors que l’intime deviendra le lieu où s’inventera une sexualité entre personnes égales, prenant sa source dans un désir mutuel et une recherche commune de plaisir », aider aux taches domestiques ce n’est pas y prendre sa part, « Sont-ils des compagnons à part entière, ou des hôtes à peine impliqués » ?.

Liberté, égalité, adelphité, sororité, bienveillance envers chaque être humain et envers toustes. Le sens des mots : « viril », « mec », « mademoiselle », nom de « jeune fille », « honneur »…

La langue façonnée par les académiciens « fait mal aux femmes » est reproduite comme mauvaise habitude, Florence Montreynaud en détraque certaines images, en amoche d’autres et décline des mots justes pour un monde d’égaliberté. « Certains mots permettent d’affronter le réel, de poser un problème avec pertinence ; d’autres empêchent de progresser vers une solution ». Un petit ouvrage à offrir pour démasquer les tournures tendancieuses, les euphémisations sexistes, les contenus machistes, la dévalorisation linguistique des femmes, la minoration des violences masculines.

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De l’autrice :

Chaque matin, je me lève pour changer le monde. Du MLF aux Chiennes de garde – 40 ans de féminisme, le-feminisme-nest-pas-une-revendication-categorielle/

Les Chiennes de garde : http://www.chiennesdegarde.com/

La Meute des Chiennes de garde : http://www.lameute.fr/index/

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Florence Montreynaud : Le roi des cns

Quand la langue française fait mal aux femmes

Editions LeRobert, Paris 2018, 160 pages, 12,90 euros

Didier Epsztajn


En complément possible :

Sous la direction de Suzanne Zaccour & Michaël Lessard : Dictionnaire critique du sexisme linguistique, le-deguisement-des-mots-et-les-mots-aiguises-pour-euphemiser-les-realites/

Suzanne Zaccour : Querelle [ kə.ʀɛl ] : suzanne-zaccour-querelle-kə-ʀɛl/

Dirigé par Raphaël Haddad : Manuel d’écriture inclusive. Faites progresser l’égalité femmes·hommes dans votre manière d’écrirefaites-progresser-legalite-femmes·hommes-dans-votre-maniere-decrire/

« Nous n’enseignerons plus que « le masculin l’emporte sur le féminin » » – et la Pétitionnous-nenseignerons-plus-que-le-masculin-lemporte-sur-le-feminin-et-la-petition/

Que l’Académie tienne sa langue, pas la nôtreque-lacademie-tienne-sa-langue-pas-la-notre/

Appliquons la règle de proximité, pour que le masculin ne l’emporte plus sur le féminin ! : appliquons-la-regle-de-proximite-pour-que-le-masculin-ne-lemporte-plus-sur-le-feminin/

Eliane Viennot : non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin. petite histoire des résistance de la langue française, nous-sommes-les-heritieres-et-les-heritiers-dun-long-effort-pour-masculiniser-notre-langue/

Éliane Viennot : « Mme le président » : l’Académie persiste et signe… mollement mme-le-president-lacademie-persiste-et-signe-mollement/

L’Académie contre la langue française. Le dossier « féminisation »

Ouvrage publié sous la direction d’Eliane Viennotfaire-entendre-donc-comprendre-que-les-femmes-existent/

Katy Barasc, Michèle Causse : requiem pour il et elle se-nommer-sans-renoncer-a-sa-posture-singuliere-et-sans-pour-autant-la-figer-en-essence-normative/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

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