Avec l’aimable autorisation de l’autrice
Juste un « rapide » article pour évoquer l’affaire de la « Ligue du LOL » (qui est quand même, au-delà de son aspect tragique, du pain bénit pour la réflexion féministe…)
Pour celles et ceux qui auraient réussi à passer à côté (!), voici un bref rappel des faits :
La ligue du LOL est au départ un groupe Facebook privé, créé en 2009 par un journaliste. Il réunissait « une trentaine de personnes, pour la plupart issues de nombreuses rédactions parisiennes, du monde de la publicité ou de la communication », selon le journal Libération qui a révélé l’affaire. Les membres de ce groupe ne se contentaient pas d’échanger en privé : ils organisaient aussi des blagues téléphoniques et des « raids » de harcèlement, sur Twitter notamment, et envoyaient des insultes, des railleries et des commentaires dégradants à leurs nombreuses cibles (des femmes en majorité, mais aussi quelques hommes). Cela a duré plusieurs années, au cours desquelles les victimes ont souvent été « contraintes » de quitter les réseaux sociaux, sans parler des conséquences parfois dévastatrices sur leur estime d’elles-mêmes.
Ces faits de harcèlement n’auraient rien « d’exceptionnel ». Suite à ces révélations, des étudiantes de l’école de journalisme de Grenoble ont témoigné de l’existence d’un groupe Facebook privé dans lequel certains de leurs camarades postaient du contenu à caractère sexiste (photos, commentaires dégradants, insultes, etc), visant principalement les femmes de l’école – élèves et professeures.
Des faits similaires ont également été dévoilés au sein des médias Vice et Huffington Post.
Mais le milieu du journalisme n’est pas le seul à être en cause. Ne nous leurrons pas : des « ligues du LOL », il en existe partout – dans les médias, les grandes écoles, les entreprises, la politique, et tous les lieux de pouvoir en général. Elles ne sont que l’expression d’une domination masculine qui entend bien résister à la mixité et à la prise de pouvoir des femmes. Une sorte de « backlash » organisé, qui compte sur la force du groupe pour mieux régner.
Au-delà d’une possible réflexion sur la classe sociale (il y aurait sans doute des choses à dire sur les milieux privilégiés, sur le sentiment de toute-puissance et d’impunité qu’éprouve « l’élite » intellectuelle de la société), cette affaire est surtout l’occasion de réfléchir à la domination masculine et à la façon dont elle s’organise.
À mon sens, l’affaire de la « ligue du LOL » met parfaitement en exergue la façon dont certains hommes utilisent l’oppression en bande organisée pour structurer une solidarité masculine qui leur permet :
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De renforcer leurs liens et leur sentiment d’appartenance, en se regroupant autour de « valeurs » communes
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De s’entraider pour gravir les échelons et monter dans la hiérarchie
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D’exclure tous ceux qui ne leur ressemblent pas, c’est-à-dire qui ne correspondent pas à une masculinité perçue comme représentant le « neutre » et l’universel. Et, ce faisant, de conserver leurs privilèges.
Ce « boys club » permet donc aux hommes de se coopter, se promouvoir, se protéger, et bien sûr de monter dans la hiérarchie – un système particulièrement efficace, puisqu’il ne se fonde ni sur le mérite ni sur les compétences.
Ainsi, la domination masculine est pyramidale. Ce sont des hommes qui se font la courte échelle, s’aident mutuellement à grimper, se recommandent les uns les autres, tissent une toile autour de leurs « adversaires » (les femmes, les gays, les « minorités ») pour mieux les exclure des sphères qu’ils entendent être les seuls à occuper.
Si la forme diffère (sexisme insidieux ou harcèlement, mépris voilé ou hostilité manifeste), le fond reste toujours le même. Le but est de créer et de nourrir un entre soi permettant d’obtenir (et, par la suite, de conserver) des privilèges, d’avancer dans sa carrière, d’infiltrer les sphères de pouvoir, de briguer les postes de direction, mais aussi – et c’est peut-être là sa fonction principale – d’attester de son adhésion aux codes de la masculinité traditionnelle. Et, ce faisant, d’affirmer son appartenance au groupe des dominants.
L’identité masculine se construit encore et toujours sur l’esprit de corps, qui lui-même se fonde sur la dévalorisation de ce qui est « autre » – c’est à dire de ce qui n’est pas viril.
Les homos ne sont pas virils, les femmes ne sont pas viriles, les hommes qui ne correspondent pas au modèle classique de la masculinité (conquérante, dure, exclusive, dominatrice, égocentrée) ne sont pas virils. Autant « d’ennemis » à combattre, que ce soit par la moquerie, l’insulte, l’exclusion et/ou le harcèlement.
Cette dynamique de groupe est particulièrement pernicieuse, puisqu’elle suggère qu’on ne peut devenir homme (et pas n’importe lequel : un homme, un vrai) qu’en exerçant une domination sur les autres. C’est cette virilité moutonnière, à la définition étroite et aux conséquences potentiellement destructrices qu’il faut aujourd’hui s’atteler à déconstruire.
On a beaucoup parlé ces derniers temps de masculinité toxique, en se représentant cette dernière comme le fait d’une poignée de ploucs mal éduqués, biberonnés au foot, à la bière, au rap misogyne et à la castagne à la sortie des boites de nuit. Mais qu’on ne s’y trompe pas : celle-ci infuse aussi les milieux aisés, « intellectuels », éduqués, a priori ouverts d’esprit et sensibilisés aux questions de discriminations. Même si elle est capable de s’exprimer de manière adroite, voire châtiée, elle est basée sur la même idée archaïque : celle d’une supériorité masculine intrinsèque. De fait, elle est décorrélée de l’âge, de la profession et de la classe sociale. Seule son expression change.
La masculinité toxique, loin d’être nécessairement caricaturale, explicite et stéréotypée, avance donc aussi masquée sous les traits d’hommes progressistes, éveillés, voire même pro-féministes. Ne nous leurrons pas. Il en faut peu pour réveiller le sexisme latent, inoculé dès l’enfance. Il en faut peu pour que des hommes « normaux » se transforment en sentinelles médiocres de la domination masculine, le fiel aux lèvres et la volonté d’en découdre avec toutes celles et ceux qui aspirent aux mêmes chances, au même pouvoir, à la même considération qu’eux. Il en faut peu pour que l’effet de groupe, particulièrement fort lorsqu’il s’agit de « prouver » sa virilité, ne réveille les ardeurs misogynes de certains hommes.
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S’il reste encore des gens pour affirmer que le sexisme n’existe plus, que l’égalité entre les femmes et les hommes est entérinée, cette triste affaire vient montrer tout le chemin qu’il reste à parcourir. Toutes les couches de masculinité purulente qu’il reste à arracher, tout le sexisme crasse qu’il faut encore désamorcer, toute l’éducation qu’il faut encore faire. L’entièreté d’un système à rebâtir.
Quelques jours après les premières révélations, plusieurs licenciements à l’encontre d’anciens membres de cette « ligue » ont déjà été prononcés. Les rédactions ne veulent plus prendre de risques : aujourd’hui, le sexisme, ça fait mauvais genre. Le mouvement #MeToo est bel et bien passé par là. Sans la puissance de cette lame de fond, et sans la prise de conscience collective qui a suivi, il y a fort à parier que cette affaire de harcèlement sexiste aurait été reléguée dans un fond de tiroir entre les onglets « blague potache » et « trucs de mecs immatures » – voire, serait restée tue à jamais.
Mais aujourd’hui, l’espoir est là.
L’espoir d’une société plus inclusive, dans laquelle le pouvoir est équitablement partagé et non plus concentré entre les mains de quelques mâles blancs qui se couvrent les uns les autres pour garder leur pré carré.
L’espoir d’un monde qui voit dans le sexisme, le racisme et l’homophobie, non plus des « blagues de gamin » ou des signes « d’immaturité » sans grande incidence, mais l’expression d’une bêtise crasse.
L’espoir de pouvoir un jour abolir les codes de la virilité, pour qu’au-delà de l’adhésion contrainte à des normes de genre, il ne reste plus que la liberté d’être qui l’on veut.
L’espoir, aussi, que les rédactions dans lesquelles ces mecs ont proliféré comme des cafards engagent enfin un travail de diversification des profils recrutés et promus. Plus que jamais, nous avons besoin du talent et de la vision des femmes. Plus que jamais, nous avons besoin d’elles dans les postes de direction. Plus que jamais, nous avons besoin de pulvériser ce « boy’s club » qui agit en toute impunité – dans combien de sphères encore ?
L’espoir, enfin, que les milieux « intellectuels » cessent d’être gouvernés par une cohorte grouillante de petits caïds qui n’ont de brillant que leurs fronts apeurés maintenant que les langues se délient.
Maintenant que les femmes parlent.
EGALITARIA (CAROLINE)
Sauf qu’il est seulement question ici, si j’ai bien compris et si j’ose dire, du « beauf de base », que le manque d’éducation ou l’indécrottable bêtise empêchent de faire le chemin vers cette mixité, cette parité, ce respect des différences que nous appelons vous et moi de nos vœux. Le traiter de « blanc » me paraît à tout le moins inopportun (comme si le machisme était affaire de couleur de peau !) et le présenter comme un « mâle », plutôt que comme un « homme », pourrait être perçu comme méprisant pour cette gent masculine à laquelle, je vous l’avoue, j’appartiens sans honte.
Je persiste donc à trouver ce cliché de langage inélégant et injuste.
Sans rancune, bien sûr 😉
Amicordialement,
pmb
J’aimerais, s’il vous plaît, qu’on cesse d’employer cette expression affreusement sexiste et raciste de « mâle blanc ». Elle me gêne à peu près autant que si je lisais « femelle noire » (ce qui n’arrive jamais, dieu merci…). Voilà, sinon, pour le reste, j’approuve complètement.
Bien à vous,
pmb
les suprémacistes et les masculinistes sont bien des « mâles blancs » et d’ailleurs ils le revendiquent haut et fort
il n’y a donc rien de sexiste ni de raciste à leur renvoyer leur propre image
les « blancs » auraient donc le droit de parler des « personnes de couleur » (comme s’ils n’avaient pas eux-mêmes un couleur de peau et que le « blanc » serait la norme) et nous n’aurions pas le droit de les nommer « blancs » ?
Ceux qui revendiquent la supériorité des hommes sur les femmes ne pourraient-être appelés « mâles » ?
Reste qu’il faut faire attention au langage utilisé pour ne pas reproduire l’essentialisation des individus que nous combattons par ailleurs
bien cordialement