Avec l’aimable autorisation de la revue
Les Mondes du Travail
Pensées et réalisations utopiques : la part du travail
« L’homme est ce qui a encore beaucoup devant soi. Il est sans cesse transformé dans son travail et par son travail. Il se retrouve sans cesse devant, à des frontières nouvelles qui cessent d’en être tandis qu’il les perçoit ; car il les franchit » (Bloch, 1976, p. 297).
Des utopies pour penser le monde et ses bouleversements à partir des marges
Pour entrer dans la thématique proposée par ce numéro, il convient de se départir des définitions trop étroites et des idées caricaturales à l’égard des utopies. Ce qui retient particulièrement notre attention est le fait qu’elles sont pensées, et parfois concrétisées, dans le bain des grands bouleversements sociétaux, en réaction aux systèmes de domination conscientisés et rendus insupportables. Il importe donc de ne pas perdre de vue les conditions historiques qui rendent pensable, mais aussi possible l’éclosion d’utopies. Celles-ci ne sont pas un ordre imaginaire, elles sont « réelles » (Riot-Sarcey, 1998) au sens où elles se posent en pensée et/ou en acte critique du présent, tout en influant sur les représentations à l’égard des possibles. Et de ce point de vue, nos sociétés actuelles semblent propices à l’émergence d’utopies. Le diagnostic est bien partagé pour constater des déstabilisations fortes qui parcourent nos sociétés humaines : l’emprise du capitalisme financiarisé s’accentue et accroît les inégalités au point de faire vaciller les démocraties représentatives. Les gouvernements sont plus autoritaires tandis qu’il est davantage admis que les sociétés doivent être dirigées « efficacement », c’est-à-dire sur le modèle entrepreneurial, accentuant d’autant la crise démocratique. Dans ce cadre, les individus sont sommés de participer à la production dans des formes de mises au travail dégradées, et de consommer sans souci de l’épuisement des ressources planétaires. Alors que les effets de l’anthropocène, ou du capitalocène (Campagne, 2017 ; Malm, 2016)1, sont tangibles et annoncent une dystopie inédite (l’effondrement possible des espèces vivantes), les discours enjoignant à faire preuve de réalisme s’inscrivent dans la lignée de la sentence thatchérienne : « There is no alternative ».
Car les utopies aident à dépasser les cadres normatifs en pensant un avenir plus désirable, Les Mondes du Travail a choisi de présenter des expérimentations utopiques qui sont autant de propositions pour ré-inventer le travail dans un rapport critique à l’existant. Et puisque l’utopie peut être appréhendée comme un fait social total qui englobe toutes les dimensions de la vie, notre focale sur le travail n’interdit pas de faire un tour d’horizon, non exhaustif mais qui nous sied, des approches de « l’esprit utopique ».
Ce que peuvent être les utopies : quelques caractéristiques et fonctions
Il ne s’agit pas de définir ce que sont les utopies, nécessairement plurielles, mais plutôt d’identifier quelques-unes de leurs caractéristiques historiques et fonctions2, en retenant d’emblée leur puissance critique pour penser, à partir de réalités données, des alternatives aux systèmes dominants trop vite naturalisés.
L’utopie, étymologiquement « non lieu » (du grec Ou, non et Topos, lieu), est un terme forgé par Thomas More dans Utopia (1842 [1516]). Dans une période où les occidentaux découvrent le Nouveau Monde, la cité idéale de More est une île imaginaire où la propriété privée est abolie et où la journée de travail se limite à six heures. Depuis ce premier acte, l’utopie est communément associée à une société idéale fondée sur des principes d’égalité et de justice dont l’existence n’est pas possible ; elle est une critique radicale de la société qui pense le réel en se situant en dehors de lui. De ce point de vue, l’utopie « classique » semble figée : c’est un monde stable et réglé, sans évolution possible puisque la société idéale advenue annonce la fin de l’histoire. Elle devient un genre littéraire aux XVIIe et XVIIIe siècles (souvent pour critiquer les gouvernements en place en évitant la censure), et est reprise par les penseurs utopistes du XIXe siècle (parmi lesquels Robert Owen, Charles Fourier, Edward Bellamy, Etienne Cabet, Saint-Simon) dont certains mettent en pratique leurs projets. Ainsi, Robert Owen, industriel, fondateur du mouvement coopératif et du socialisme britannique, mène lui-même en 1826 l’expérimentation d’une utopie coopérative essentiellement agricole, à New Harmony dans l’Indiana, qui échoue au bout de deux années (Siméon, 2017). Autre industriel, Jean-Baptiste André Godin s’emploie à mettre en œuvre certains principes du phalanstère de Fourier (1973 [1829] ; Debout, 1998) dans son familistère de Guise, organisé sur le modèle des coopératives ouvrières de production, et dans lequel il cherche à fournir aux ouvrièr.es et leurs familles, les « équivalents de la richesse » (Godin, 1871 ; Lallement, 2009). Etienne Cabet fonde en 1848 une communauté au Texas, sur le modèle de son récit, Voyage en Icarie (1979 [1840]).
C’est à partir de ces expérimentations que l’utopie « classique » se dissocie en partie des utopies « concrètes », qui sont des inventions d’organisations humaines « meilleures » mises en pratique. Ces projets utopiques, réalisés en nombre sur le territoire étatsunien (Creah, 2009 ; Lallement, 2019), sont souvent des communautés autonomes éphémères, aux fortunes diverses. Par les débats qu’ils ont suscités, ils ont contribué à façonner les mouvements socialiste, communiste et anarcho-libertaire au cours du XIXe siècle, et sont toujours pris en exemples ou contre-exemples pour porter des projets de transformation sociale.
Ce qui caractérise ces explorations utopiques c’est qu’elles repoussent les champs du possible ordinairement admis. En cherchant des solutions pour résorber la misère et l’exploitation d’une classe ouvrière naissante, elles poussent la critique de l’ordre politique à partir des marges, dans un « ici et maintenant » qui propose un horizon de transformation radicale. Pour Miguel Abensour (2009) ou Jacques Rancière (1997), elles sont « un projet d’émancipation potentielle ». Pour Ernst Bloch (1976), une de leurs fonctions principales est « l’espérance », dans la mesure où l’existence meilleure est d’abord pensée en rêves, non pas dans une fuite hors du monde, mais comme expression d’une vie désirable, un espoir qui empêche la résignation face au réel et invite à l’action. Ces caractéristiques associées aux utopies, toujours discutées, se sont formalisées dans le temps, à la mesure des attaques de « l’esprit utopique » au cours des deux derniers siècles.
« Guerre à l’utopie ! »
« L’opposition du « socialisme scientifique » au « socialisme utopique » est un des signifiants fondamentaux qui marque une coupure clef. Même si, à certains signes annonciateurs, ce mythe de la séparation radicale tend à être ébranlé, il constitue encore un mécanisme efficace de rejet qui pèse lourdement sur notre période historique. D’autant plus que toutes les forces conservatrices, au-delà des différences politiques, reprennent peu à peu la même antienne que les publicités bourgeoises des années 1840 : guerre à l’utopie ! » (Abensour, 2016 : p. 15).
Parce qu’elle est par essence subversive, la pensée utopique a été prise au piège d’une critique bourgeoise la qualifiant de déraisonnable, non rationnelle, au mieux l’associant aux mondes fabulés de doux rêveurs, au pire, tout au long du XXe siècle, à la recherche dangereuse d’une société idéaliste, voire idéologique et pourvoyeuse de totalitarismes (qui se sont pourtant empressés de détruire toute velléité de penser un autre monde).
Pour une part des philosophes et des historien.nes de l’utopie, dont Miguel Abensour (2016) et Michèle Riot-Sarcey (2016), le moment clef du discrédit des utopies est l’insurrection ouvrière de juin 1848 et sa répression sanglante à la mesure de ses potentialités émancipatrices : la bourgeoisie a confisqué les aspirations utopiques ouvrières et la République sociale qui avait conduit à la création des Ateliers nationaux, offrant aux chômeurs un travail et un revenu.
Mais c’est certainement la critique marxiste des utopies qui a contribué à leur discrédit durable. Davantage que Karl Marx dont les écrits sont contrastés au fil de son cheminement intellectuel (Abensour, 2016), c’est surtout Friedrich Engels (1969 [1880]) qui a systématisé la critique à l’encontre de l’utopie, au nom du matérialisme et de la praxis, en opposant le « socialisme scientifique », pensée rationnelle fondée sur une analyse rigoureuse de la réalité, au « socialisme critico-utopique » teinté d’une approche idéaliste du devenir historique (auquel sont associés Proudhon, Saint-Simon, Fourier, Owen…).
Pour ne rien arranger, les régimes totalitaires du XXe siècle jettent un voile sombre sur la pensée utopique, car ils partagent la promesse d’une société « parfaite », imprégnant tous les aspects de la vie. Les totalitarismes seraient ainsi l’aboutissement d’utopies concrétisées, fatalement vouées à l’échec et à la destruction par une soumission du réel à l’idéologie dominante. Les années qui suivent la chute du mur de Berlin et l’effondrement du système soviétique marquent le triomphe du libéralisme économique et l’idée que nous sommes arrivés à la fin de l’histoire, ou plutôt son achèvement avec la diffusion de la démocratie libérale dans le monde (Fukuyama, 1992). Dans Le passé d’une illusion, François Furet (1995) mène une vive critique de l’utopie et clôt la discussion par une fameuse sentence : « L’idée d’une autre société est devenue presque impossible à penser, et d’ailleurs personne n’avance sur le sujet, dans le monde d’aujourd’hui, même l’esquisse d’un concept neuf. Nous voici condamnés à vivre dans le monde où nous vivons » (p. 572).
Un mouvement de réhabilitation récurrent
L’assimilation de l’utopie à l’idéologie, voire au totalitarisme, est finalement une occasion de réaffirmer ses singularités et ses valeurs. Ainsi, selon Karl Mannheim (2006) et Paul Ricoeur (1984 ; 1997), en tant que projet de rupture radicale avec l’ordre dominant, l’utopie s’oppose à l’idéologie, force conservatrice tournée vers le passé : « Si l’idéologie préserve et conserve la réalité, l’utopie la met essentiellement en question. L’utopie en ce sens est l’expression des potentialités d’un groupe qui se trouve refoulé par l’ordre existant » (Ricoeur, 1984 : p. 61). Ce rapport d’altérité conditionne sa dimension contestataire : « Il semble, en effet, que nous ayons toujours besoin de l’utopie dans sa fonction fondamentale de contestation et de projection dans un ailleurs radical, pour mener à bien une critique également radicale des idéologies » (idem : p. 63). Pour Ernst Bloch aussi (1976 : p. 186), le rôle de l’utopie consiste à démystifier les idéologies, ce qui implique de ne pas s’en tenir à la définition héritée de Thomas More et de lui préférer la référence à son contemporain, Thomas Münzer qui, dénonçant déjà l’aliénation au travail, mena la révolte des paysans et entreprit « d’intervenir dans le monde en vue d’en révolutionner les rapports » (Brocca, 2012 : p. 13). En dépit de son échec (la révolte fut réprimée dans le sang en 1525), l’utopie de Münzer est l’expression d’une conscience utopique « anticipante », susceptible de trouver dans le réel les conditions de l’émancipation des domin s (Bloch, 1976).
Abensour pense également la nécessité de dissocier utopie et idéologie, et la lecture de Pierre Leroux, philosophe de l’émancipation politique au XIXe siècle, lui offre l’occasion de rétablir le lien entre l’utopie et sa destination première – à savoir l’émancipation. Cet horizon nécessite de réfléchir la question politique en se plaçant du côté de « ceux d’en bas » (2009 : p. 49), dans un « ici et maintenant » qui rompt avec des approches surplombantes justifiant in fine les manières de gouverner le peuple, parfois autoritaires, en dépit des réticences de celui-ci. Il insiste enfin sur la non-réductibilité de l’utopie à sa définition communément admise ; au contraire, la pluralité des traditions utopiques, à la fois hétérogènes et conflictuelles, les relient autour de projets animés par la question démocratique à travers le temps (2010). Ainsi, ce qu’il nomme « le nouvel esprit utopique » est la résultante du passage des projections spatiales (utopie) aux projections temporelles (uchronie) qui marque à la fois la modernité utopique et le renoncement au mythe de la société parfaite.
Les utopies en pratique
Dans ce mouvement de réhabilitation et de reformulation des contours de l’utopie, son versant expérimental a donné lieu à une série de critiques, mais aussi à des travaux voulant rompre l’apparent oxymore entre le « lieu qui n’existe pas » et sa réalisation possible. Plusieurs expressions ont ainsi émergé plutôt dans la période récente ; qu’il s’agisse d’utopies « concrètes », « réelles », voire « réalistes », elles sont autant d’approches et de perspectives mises en tension qui permettent notamment une timide réconciliation de la pensée utopique avec la pensée marxiste.
L’utopie « concrète » est une expression d’Ernst Bloch (1976 ; 1977) pour signifier « la possibilité réelle » de la conscience utopique. Pour que l’utopie puisse advenir concrètement, elle doit être nourrie d’un savoir et d’une connaissance de la réalité historique et de ses potentialités, transformant ainsi l’espérance éclairée en utopie concrète. En ce sens, il s’appuie sur la connaissance marxiste qui donne à l’utopie « un sol sur lequel se poser » (1982 : p. 214). Pour Bloch, le marxisme, en tant que « science des tendances » est un courant de pensée qui lie l’utopie « aux formes et aux contenus qui se sont déjà développés au sein de la société actuelle » (1982 : p. 215). Et en tant qu’horizon de la pratique utopique, il empêche l’espérance de se perdre dans une adaptation réaliste à l’ordre existant.
Dans l’Âge du faire. Hacking, travail, anarchie (2015), Michel Lallement reprend l’expression de Bloch pour saisir, à partir d’une analyse ethnographique de plusieurs hackerspaces de la baie de San-Francisco, une utopie concrétisée liée au mouvement faire (Anderson, 2012) et à l’éthique Hacker. L’expression autorise ainsi les sciences sociales empiriques à mener des analyses concrètes de communautés alternatives, et de rejoindre un rêve foucaldien : « En 1966, Michel Foucault3 déclarait rêver d’une science des « hétérotypies », d’un savoir des contre-lieux où, à distance des conventions dominantes, s’élaborent des modes de vie alternatifs » (Lallement, 2015 : p. 25).
Dans une perspective assez proche, Eric Olin Wright popularise l’expression « utopie réelle » (2017). Sociologue marxiste, il s’inscrit lui-même dans le contexte historique post-soviétique : « il m’a semblé impératif de déplacer mes efforts de recherche principalement tournés vers le diagnostic et la critique du capitalisme, vers le problème de la transformation et des alternatives » (Wright in Farnea, Jeanpierre, 2013).Pour lui, l’utopie sert le militantisme politique, en tant qu’espace de lutte (Sacchetto, 2017). Il s’agit d’éroder le capitalisme de l’intérieur par des « transformations intersticielles », en repérant et en inventant des utopies à la fois « désirables », « viables » et « faisables ».
Le terme d’« utopie réaliste » défendu par John Rawls (2006) et repris dans quelques travaux (dont Bregman, 2017), prête à confusion avec les deux expressions précédemment évoquées. À travers l’utopie du Kazanistan, il imagine une société réaliste car « raisonnablement juste » et « décente ». L’utopie réaliste est l’« esquisse d’une société démocratique constitutionnelle » (2006 : p. 26) menée par une société des peuples raisonnablement juste, sans que soit retenue ici la dimension subversive du projet utopique.
Dans une perspective plus libertaire, André Gorz pense l’utopie en termes pratiques pour exprimer son opposition au marxisme orthodoxe et sa volonté de « totale rationalisation scientifique ». Au contraire, « il faut comprendre le socialisme comme l’horizon de sens qui fait surgir l’exigence d’émancipation et d’autonomie, non comme un système économico-social différent, mais au contraire comme le projet pratique de réduire tout ce qui fait de la société un système, une méga machine, et de développer en même temps des formes de sociabilité auto-organisées dans lesquelles peut s’accomplir le libre développement des individus » (1991 : p. 100). Dans la même veine, l’écologiste libertaire René Dumont cherche à lier pensée et expérience. Dans L’utopie ou la mort ! (1973), il estime que la pensée utopique, parce qu’elle se nourrit d’une conscience morale « citoyenne », permet aux actions d’aller dans le « bon » sens. Mais ces actions concrètes n’ont pas à être prédéterminées par un projet « idéalement » abouti avant d’advenir. L’expérience utopique est un mouvement qui, de fait, ne peut pas être trop formalisé a priori, afin que puisse naître la création et l’imprévisibilité, augurant un commencement nouveau.
Ces différentes approches, partiellement convergentes, marquent le renouveau d’une production éditoriale en philosophie critique qui clarifie les fonctions de l’utopie. Et, sur ces bases, les tentatives d’opérationnalisation laissent encore place à une acception large – mais instruite – de ce que peuvent être empiriquement les utopies. La brèche est ouverte !
Du droit d’inventaire au droit d’inventer la vie
Ainsi, depuis plusieurs décennies, une série de travaux font état d’utopies renouvelées, d’expériences en cours aux envergures variées, qui cherchent à élargir le champ des possibles, à penser un avenir désirable, en pratique. S’il existe encore des utopies totalisantes sur le modèle de la société parfaite, comme Damanhur en Italie ou Auroville en Inde, une séquence historique s’ouvre avec l’alter-mondialisme qui émerge sur la scène internationale dans les années 1990 et œuvre explicitement pour la possibilité d’un autre monde que celui imposé par le néolibéralisme (le Manifeste de Porto Alegre en 2005 appelle ainsi à « un changement de société mondiale »). Le « ici et maintenant » se couple au « penser global, agir local » issu de l’écologie politique, qui imprègne l’esprit utopique. Dans ce processus, les expériences semblent plus fragmentaires et, tout en conservant une visée radicale, contestent certains aspects du système dominant (la recherche de profit, l’individualisme, la consommation, les inégalités sociales…). Ces expériences sont elles-mêmes portées par une diversité de mouvements de pensée critique du capitalisme, de la société de consommation, de l’autoritarisme…, tels que la simplicité volontaire et la décroissance (A. Gorz, 1978 ; Ariès, 2010 ; Latouche, 2011), les communs (Coriat, 2015 ; Hardt et Negri, 2012 ; Dardot et Laval, 2014), le municipalisme et le communalisme libertaires (Bookchin, 2018 ; Biehl, 2014 ; Harvey, 2011), l’écosocialisme Gorz, 1978, 1991 ; Lowy, 2016), l’écoféminisme (Mies & Shiva, 1998 ; Hache, 2016), le mouvement Maker (Anderson, 2012 ; Berrebi-Hoffmann, Bureau, Lallement, 2018), la transition (Rob Hopkins, 2008), voire l’effondrement (Tsing, 2017 ; Semal, 2019 ; Servigne & Stevens, 2015), etc.
Les expériences en marge prennent finalement des formes diversifiées : municipalités participatives à différentes échelles (Porto Alegre au Brésil, Kingersheim dans le Haut-Rhin, Saillans dans la Drôme, Vandoncourt dans le Doubs), quartiers autogérés (à Barcelone ou Christina à Copenhague) Zones À Défendre (de Notre-Dame-des-Landes ou de Sivens), communautés autonomes (au Chiapas au Mexique, Los Arenalejos en Andalousie, Rojava au Kurdistan ou Longo Maï dans les Alpes-de-Haute-Provence), collectifs de vie, assemblées populaires (avec ou sans occupation de places), cyber-communaux en ligne, coopératives de production et de consommation, mutuelles de travail, associations autogérées, etc.
Une partie des acteurs ont conscience que rien ne peut advenir qui bouleversera « le grand monde » par le haut, et des utopies inaugurent des stratégies sécessionnistes, de piratage ou d’accommodement avec le système. Ainsi, les Zones Autonomes Temporaires (TAZ) se défient d’un pouvoir omniprésent et rendu invisible en y échappant par les mêmes moyens (Bey, 1991), principe devenu une des composantes du mouvement hacker. Nombre d’expériences utopiques se sont révélées à elles-mêmes à partir d’actions défensives ou de contestation, comme la ZAD de Notre-Dames-des-Landes ou les communautés autonomes du Chiapas, mais elles mettent en œuvre des aspirations et des formes d’organisation en rupture avec la logique néolibérale de confiscation des terres. Certaines de ces expériences montrent que face aux répressions gouvernementales, leur existence dans la durée est rendue possible par la diffusion, la publicisation et la reconnaissance mutuelle de la portée utopique des processus en cours. Ainsi, les projets utopiques locaux se développent et se soutiennent en établissant des liens qui permettent la circulation des idées, des pratiques et des mobilisations à plus ou moins grande échelle.
Le mouvement des Gilets Jaunes, qui survient en France en novembre 2018 après le mouvement d’opposition aux lois travail et celui des Nuits Debout, est un cas exemplaire de cette dynamique (Bouquin, 2019 ; Baschet, 2019). Initié dans la contestation fiscale, le processus engagé au fil des mois révèle des aspirations proprement utopiques qui font écho aux récits de Jacques Rancière (1981) sur l’émancipation des ouvriers saint-simoniens au XIXe siècle, déjà dans cette volonté pratique de « se penser capables d’un autre mode de vie que celui d’êtres dominés » : refus des inégalités sociales, revendication d’auto-émancipation, démocratie directe, refus des médiations politiques et intellectuelles surplombantes… ; et des pratiques associées telles que l’expérimentation d’une démocratie radicale (l’Appel de Commercy qui initie « l’Assemblée des assemblées » regroupant plus de 650 délégués et 250 collectifs locaux à Saint-Nazaire en avril 2019), des maisons du peuple, des communautés de vie, des journaux, des sites internet, des vidéos, des actions collectives, des affiches, des chansons, des poèmes, des manifestes individuels et collectifs. « L’émancipation vise à se donner dès à présent un mode d’existence, de perception, de pensée de citoyens à part entière de l’humanité. » (Rancière in Halpern, 2011 : p. 119).
Qu’il s’agisse d’utopies qui cherchent à advenir ou de pratiques dont il s’agit de révéler la portée utopique, envisager sociologiquement les utopies dans leurs concrétisations, toujours partielles et inabouties, c’est aussi inviter à comprendre empiriquement de quelles façons les groupes, les communautés, les collectifs se composent et comment ils composent ou rompent avec le système dominant, comment ils se convertissent à l’esprit utopique, et comment ils attachent un horizon à leurs pratiques.
Il est d’ailleurs intéressant de constater les appels à la refonte d’une science critique à partir des utopies et tout autant à leur mise en œuvre concrète. Erik Olin Wright appelle de ses vœux le développement d’une « science sociale émancipatrice » (2017 : p. 29) fondée sur l’observation empirique. Avant d’inviter à leurs concrétisations : « L’une des manières d’élargir l’imagination populaire au sujet des possibilités futures consiste à construire des alternatives dès maintenant, là où c’est possible » (Wright in Farnea, Jeanpierre, 2013 : p. 9). De son côté, Miguel Abensour identifie dans la période récente deux nouvelles « sommations utopiques » : une « sommation utopique à l’encontre des entreprises d’autodestruction de l’humanité », et « un retour à la sommation utopique pour une société de justice » (Abensour in Wahnich, 2010).
La part du travail
La plupart des expériences utopiques, reconnues comme telles, donnent à voir des configurations diversifiées du travail qui s’inscrivent explicitement en rupture avec les formes de mise au travail néolibérales : il s’agit de rompre avec les subordinations salariales, la destruction des collectifs autonomes, les emplois de misère sans garantie ni droit, les processus de déqualification, de précarisation, d’aliénation, d’intensification et d’usure humaine, de perte d’autonomie et de sens, de gestion managériale, de colonisation des valeurs entrepreneuriales, etc., qui ont déjà bien été identifiés et analysés par les sciences sociales du travail.
Nombre d’expérimentations actuelles et c’est le cas des articles du dossier) s’appuient sur les structures initiées par le mouvement ouvrier du XIXe siècle, telles que les associations, coopératives, mutuelles, collectifs autogestionnaires qui sont alors l’expression de projets utopiques visant à sortir de l’exploitation et de l’indigence, et en retour à penser une meilleure répartition des fruits du travail par l’auto-organisation et le contrôle des moyens de production, par une société de l’abondance dans laquelle le travail contraint ne représenterait qu’une part négligeable de la vie humaine. Toujours inabouties, les perspectives d’un travail émancipé ou d’une société quasi-émancipée du travail – comme l’envisage Paul Lafargue dans Le droit à la paresse (1883) – sont ainsi portées au long du XIXe siècle, avec des orientations parfois radicalement différentes mais qui toutes se pensent en fonction des réalités du travail de l’époque.
Ainsi les utopies de Robert Owen, Charles Fourier et Etienne Cabet ont en commun la constitution de communautés qui sont des « lieux de vie associant l’habitat, le travail, la culture, la consommation, l’assurance contre les risques » (Draperi, 2000 : p. 28). Pierre-Joseph Proudhon participe au développement d’un mutuellisme fondé sur de petites propriétés collectives dans l’agriculture et l’industrie pour abolir le profit commercial (1848 ; 1865 ; Boutillier, Ndiaye, Ferreira, 2011). Si Karl Marx néglige le coopératisme au profit du mouvement révolutionnaire, il convient de son potentiel libérateur, car c’est « à la fin de l’histoire » que se découvre l’essence du travail humain comme activité libérée : « À la vérité, le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail discuté par la nécessité et les fins extérieures […]. Dans ce domaine, la liberté ne peut consister qu’en ceci : les producteurs associés – l’homme socialisé – règlent de manière rationnelle leurs échanges organiques avec la nature et les soumettent à leur contrôle commun au lieu d’être dominés par la puissance aveugle de ces échanges ; et ils les accomplissent en dépensant le moins d’énergie possible dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine ». (Marx, 1968 : p. 1487).
Michèle Riot-Sarcey (2016) fait l’examen de pratiques concrètes ouvrières, alors pensées comme des utopies, autour de la révolution de 1848. Des associations sont montées dans les ateliers de fabrication pour définir collectivement les salaires, le partage des bénéfices, le paiement des jours chômés, les prises de décision collective au sein des ateliers, quel que soit le statut (p. 46). L’auteure évoque le rôle primordial de Jeanne Deroin pour éviter que les associations se concurrencent et finissent par s’affaiblir. « Pionnière de l’égalité réelle », Jeanne Deroin crée en 1849 « l’union des associations fraternelles » regroupant plus d’une centaine d’associations plus ou moins formelles et dont « la vocation est de rassembler les travailleurs des deux sexes de différentes professions4 », selon trois principes : le droit à la consommation, au travail et à la souveraineté (p. 48).
En France, André Gorz est un des héritiers de ces aspirations encore largement utopiques puisqu’il appelle de ses vœux une société où le travail, une fois aboli, céderait la place à des activités autonomes, créatives et productrices de solidarité par le développement de coopératives d’autoproduction, d’équipements collectifs, de cercles de culture… (1993). Franck Fischbach (2015) invite lui aussi à une « intensification du social » face à sa désintégration par le marché, par un travail coopératif réellement démocratique. Tandis qu’Alexis Cukier (2018) interroge la centralité du travail et les manières de le repenser pour accéder à sa démocratisation réelle : « si nous voulons radicaliser la démocratie, nous devons aujourd’hui prioritairement démocratiser le travail » (p. 7). À partir d’expérimentations historiques concrètes, susceptibles de nourrir un tel projet, il examine lui aussi le modèle des coopératives de travail, des collectifs autogestionnaires et des conseils de travailleurs…
Si ces formes institutionnelles (coopératives, associations, mutuelles) se sont inscrites dans la réalité contemporaine, il ne suffit évidemment pas de les adopter pour établir leur portée utopique. Il faut les examiner et comprendre vers quoi tendent les alternatives, ce qu’elles mettent en jeu et, parfois en creux, ce qu’elles inventent en réponse au processus de précarisation et de déshumanisation du travail, et dans quelle mesure elles instituent des formes subversives de travail, attentives à ses effets pratiques tant sociaux que politiques. Là encore, des travaux récents font état d’expériences collectives à vocation émancipatrice dont nous retenons quelques exemples.
– Des associations berlinoises de récupération et de ré-usage de matériaux et déchets, qui produisent du lien social, des activités libres et créatrices fondées sur des organisations singulières (Corteel, 2015) : « Kunst-Stoffe est aussi un lieu de travail inhabituel et il est difficile de savoir exactement qui y travaille. Il n’y a pas de fiche de poste, chacun peut et doit déterminer son ou plutôt ses domaines d’intervention. Tous ceux qu’on y rencontre sont en situation de multiactivités, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’association » (p. 511).
– Des hackerspaces et autres tiers lieux qui réengagent un rapport à l’activité créatrice, à la liberté et à l’autonomie, à la bricole, à l’autofabrication, à la réconciliation de l’activité manuelle et intellectuelle (Berrebi-Hoffman, Bureau, Lallement, 2018 ; Colmellere, Corteel, Volny, Lacour, 2019), selon les principes éthiques du mouvement faire, parmi lesquels la liberté et la circulation des informations comme condition de l’amélioration de la créativité collective, la promotion de la décentralisation contre toute forme d’autorité, une appréciation de la valeur sociale des individus basée sur leur prestation technique, des activités créatives, construites de telle sorte qu’elles conduisent à l’émancipation (Lallement, 2015 : p. 96-97). Ainsi « les hackerspaces sont des lieux où s’élaborent une nouvelle grammaire du travail aux effets sociaux et politiques dont nous ne soupçonnons pas encore toutes les implications » (idem, p. 17).
– Des municipalités collégiales, comme Saillans dans la Drôme qui instaure une démocratie plus horizontale en favorisant le pouvoir d’agir collectif. Ainsi, des habitants œuvrent à la relocalisation des emplois, à la mise à disposition d’un temps au service de la communauté, tout en développant des espaces de travail partagés, des coopératives, des associations… Le « travail intentionné » s’y déploie, c’est-à-dire un travail porteur d’alternatives qui lui donne sens, et sur lequel on pose une intention qui s’exprime à la fois dans les manières de faire (collégialité, interdépendance, etc.), les modalités pratiques (s’informer, apprendre en faisant, être économe dans l’usage des ressources, astucieux dans les techniques), et la finalité. Il combine ainsi des éléments de résistance (à l’emploi subordonné et précaire, à la concurrence) à un idéal, une vision transformatrice expérimentée concrètement (Muller, 2018).
– Plus radicalement, des populations se définissant elles-mêmes comme « alternatives », en lutte pour la mise en cohérence de leur mode de vie, c’est-à-dire aussi bien « le temps de travail, le rapport à l’argent que la manière d’habiter les territoires, de s’alimenter, de se soigner, de voyager » (Pruvost, 2017, p. 218). Il s’agit de vivre autrement en limitant les dépenses et en augmentant la part d’autoproduction, voire d’« interproduction », arrimée à des réseaux alternatifs locaux au fonctionnement horizontal et coopératif et privilégiant les groupes de petite taille.
– Dans Le champignon de la fin du monde (2017), Anna L. Tsing, envisage ce que peut être une vie au travail « dans les ruines du capitalisme », à partir du rapport qu’entretiennent les cueilleurs-vendeurs de champignons rares au travail et à la « nature-culture » : un travail à la fois nomade, communautaire et juste nécessaire pour subvenir à leurs besoins immédiats, comme une condition et une garantie de leur liberté dans le respect du vivant.
Ces différentes manières, parmi bien d’autres, de penser et vivre des alternatives dans les marges subvertissent et transforment à dessein les conceptions habituelles du travail salarié productif (et des formes de mises au travail dominantes). Pour une part, elles reprennent en acte l’histoire d’utopies expérimentées et certaines de ces formes instituées. Et tout autant, elles réinventent des formes, des horizons potentiellement émancipateurs.
Plan du dossier
Répondre à l’appel que nous avons lancé en juin 2018 n’était pas une mince affaire puisqu’il portait une double exigence : associer la pensée à la pratique, et saisir dans les expérimentations concrètes, l’utopie – même sous-jacente – et son horizon. Si nous n’avons pas reçu de propositions concernant les utopies du refus du travail (sans doute car l’appel insistait sur sa centralité), le pari a été hautement tenu et donne à comprendre à partir de ces expériences des cheminements utopiques, associatifs, coopératifs, par lesquels sont posées les possibilités d’un travail émancipé. Il est important de souligner que les auteur.es sont des actrices et acteurs engagé.es dans ces expériences, et des chercheur.es ayant parfois mené la réflexion en commun, ce qui avère la dimension processuelle de ces expérimentations, pensées en acte au fil des inventions et des tâtonnements pour inventer un avenir commun désirable.
À travers l’histoire d’Alterbois, une scierie créée en autogestion, Camille Boullier nous donne à voir la concrétisation progressive d’une volonté de vivre et de faire ensemble, à partir d’un collectif de vie qui remet d’abord en cause les formes instituées de la famille et de l’éducation avant de mettre en œuvre les principes du « vrai travail », égalitaire et rompant avec la dissociation manuel/intellectuel pour tenir les principes autogestionnaires. L’organisation du travail trouve à se pérenniser grâce à la reconnaissance des inégalités de ressources face au dire, et une valorisation du faire qui permet à chacun.e de trouver sa place.
Constatant le regain d’intérêt pour les Scop, Ada Reichhart interroge leur rôle potentiellement émancipateur à travers l’étude de la pensée utopique coopérative. En appui de son enquête dans une coopérative industrielle récupérée par ses ouvrier.es et employant 150 salarié.es, l’auteure examine la dimension utopique de l’expérience et les registres de justification « militants » (une organisation fondée sur des principes de redistribution, de démocratie et de coopération) et « relationnels » (l’importance du lien social entre les salarié.es au travail). Elle propose sur ces bases une définition du concept d’émancipation et la façon dont il s’articule avec la forme de vie coopérative.
Un collectif de recherche-action permanente associant des actrices de deux CAE – Coopaname et Oxalis – et des chercheuses (Justine Ballon, Catherine Bodet, Marie-Christine Bureau, Antonella Corsani, Noémie de Grenier, Anne-Laure Desgris), analyse la mutuelle de travail comme utopie concrète. Centrée sur les revenus et le temps de travail des coopérateur.es, la recherche elle-même devient un outil de l’action transformatrice. Au-delà de la tension entre temps de travail et revenus qui souligne la faiblesse des rémunérations en partie compensée par une liberté, une autonomie plus importantes (et atténuée par le soutien des proches), il apparaît que les revenus des coopérateur.es sont plus élevés lorsque ceux et celles-ci trouvent les moyens de produire collectivement.
Samuel Hevin et Clément Ruffier, respectivement coopérateur et sociologue, rendent compte de l’histoire d’AlterConso, une SCIC de distribution de produits agricoles qui met en relation une cinquantaine de paysans, 800 consommateurs et 8 salariés. Définie comme un « système agroalimentaire alternatif », la coopérative tient le pari d’une organisation démocratique qui se diffuse également au sein du collectif salarié et le conduit à acter les principes d’égalité salariale, d’absence de division des tâches et de réduction du temps de travail pour éviter qu’émancipation ne rime trop avec auto-intensification.
Auréline Cardoso étudie le projet utopique d’une association féministe qui, en dépit de sa « professionnalisation », fait exister un collectif de travail autogéré et militant dans la durée. La construction d’un rapport au travail mêlant attachement à l’association et responsabilité militante est à la fois « un sous-produit de la socialisation professionnelle comme son préalable », puisque seules celles qui apparaissent « compatibles » avec le principe de cogestion sont pleinement intégrées, à l’issue d’un processus de sur-sélection qui vise à parer les risques d’usure et de perte de sens.
Juan Pablo Hudson revient sur le processus massif de récupération d’entreprises par des ouvriers en Argentine depuis les vingt dernières années. Le mouvement initié par les révoltes populaires au moment de la crise systémique de 2001 est décrit au fil des changements gouvernementaux et politiques. Si dans un premier temps les collectifs ouvriers appliquent des principes démocratiques (décisions en assemblée, distribution égalitaire des bénéfices, participation aux luttes et à la vie des communautés locales), dans la période plus récente de relative prospérité, les tensions intergénérationnelles au sein des équipes mettent à l’épreuve l’organisation démocratique au profit d’une « efficacité économique » qui fait sortir des ateliers le pouvoir de décision.
À partir d’une enquête sur les initiatives de transition en Wallonie, David Jamar, Arthur Klitch et Jean Vandewattyne portent attention à un collectif citoyen qui mène une expérimentation potagère en permaculture. Dans un rapport critique politique et écologique, ils interrogent la notion de travail en cherchant à redéfinir le découpage entre travail et « non travail », entre « travail du vivant » et « avec le vivant », pour mettre en question les formes de hiérarchisation et de domination du vivant proprement capitalistiques.
Enfin, dans la rubrique D’ici et d’ailleurs, Kenjiro Muramatsu suit le cheminement de quatre écrivains japonais qui, dans les années 1890-1920, ont cherché distinctement « leur voie dans l’agriculture et la campagne pour répondre aux crises de la société et de leur vie ». Cette double motivation examinée par l’auteur permet de suivre la pensée et la pratique de chacun concernant le « retour à la terre », le travail et la nature. Ces écrivains qui ont en commun une origine non paysanne et une proximité idéologique avec le socialisme humaniste ou l’anarchisme pacifiste connaissent des fortunes diverses dans leurs expérimentations utopiques.
Reliées les unes aux autres, ces aventures expérimentales, collectives et individuelles, le récit circonstancié des pratiques émancipatrices, des problèmes rencontrés et résolus, ont assurément une portée subversive, un horizon désirable, un esprit utopique tout autant.
Séverin Muller (enseignant-chercheur en sociologie à l’Université de Lille, Clersé-CNRS)
Les Mondes du Travail n°23
Novembre 2019 – avril 2020
166 pages, 15 euros
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1 Le terme est préféré à celui d’anthropocène pour signifier la profondeur des transformations environnementales opérées par le capitalisme, plus que par l’espèce humaine en tant que telle.
2 Nous ne traiterons pas ici du messianisme et de l’importance de son rôle dans la pensée utopique, ni de la tradition des utopies littéraires.
Avant de se préoccuper des utopies, il faudrait s’inquièter de l’enfer qu’est devenu le travail presque partout (voir France Télécom) et bien d’autres la liste serait longue. Si les salariés se suicident ce n’est pas qu’ils n’ont pas assez d’utopies . Les salariés n’en peuvent plus alors ils partent en retraite anticipée
combattre l' »enfer » d’aujourd’hui implique de savoir
par quoi nous pourrions le remplacer
contre le capitalisme et l’idéologie néo-libérale
il faut construire,
non seulement des mobilisations unitaires,
mais avoir une ou des hypothèses
sur l’horizon vers lequel elles pourraient s’orienter..