Avec l’aimable autorisation de Solidaires international
G. Nithya est militante et économiste. Elle met ici en évidence les liens forts entre colonialisme et exploitation, colonialisme et néo-libéralisme, faisant apparaître les enjeux de pouvoir et les contradictions sociales à l’oeuvre en Palestine, enjeux et contradictions que les mouvements de solidarité et encore plus les syndicats ne peuvent pas ignorer. Elle nous parle du mouvement des enseignant·e·s, de la mobilisation sur la sécurité sociale, de la lutte des chômeur·euse·s, toutes luttes dont nous avons pu mesurer l’importance lors des délégations auxquelles nous avons participé (1).
« Nous nous sommes battus pour la Palestine, maintenant nous nous battons pour un sac de farine ! »
En 2012, lors des manifestations contre la hausse des prix des denrées alimentaires et du pétrole, les manifestants en Cisjordanie criaient : « nous nous sommes battus pour la Palestine, mais maintenant nous nous battons pour un sac de farine ! » Ce slogan capte la double oppression au sein de laquelle le monde des travailleurs se trouve : la violence coloniale permanente et l’assaut néolibéral mondial contre les travailleurs (à la fois structurel et idéologique) résultant des transformations du capital à l’échelle mondiale. Un nombre croissant d’études critiques sur la Palestine a cartographié l’articulation des logiques de gouvernance néolibérales ou de capitalisme tardif avec le projet colonial israélien (2). Pourtant, il a été accordé relativement peu d’attention aux mouvements auto-organisés des travailleurs en Palestine, même si les manifestations de masse des travailleurs ont représenté certaines des plus grandes mobilisations populaires depuis les accords d’Oslo.
Nouvelles formes d’organisation, nouvelles pratiques sociales
Cet oubli peut être analysé dans un contexte historique puisque l’organisation des travailleurs en Palestine était traditionnellement considérée comme subordonnée à la lutte nationaliste et anticoloniale (3). Toutefois, les révoltes arabes de 2011 ont mis au premier plan l’objectif crucial de la lutte des classes pour une compréhension de la politique contemporaine de la région (4). L’absence des travailleurs dans la recherche sur la Palestine est d’autant plus notable que les nouvelles formes de lutte des travailleurs ont cherché à échapper à l’emprise des appareils du parti et du « proto-État » post Oslo, et qu’elles ont créé de nouvelles formes d’identité ouvrière militante et développé de nouvelles praxis. À la suite de la deuxième Intifada, l’Union des chômeurs a été mise en place pour représenter l’armée grandissante de travailleurs devenus en surnombre après la fermeture des marchés israéliens aux travailleurs palestiniens. Elle a cherché à élaborer de nouvelles stratégies d’organisation spatiale formant des réseaux dans les communautés en réponse à l’incapacité de s’organiser sur les sites de productions (5). Peu de temps après le coup d’État en 2007 contre le gouvernement élu de Palestine en 2006, une fédération générale de syndicats indépendants s’est formée en opposition aux fédérations syndicales officielles de l’OLP. Leurs campagnes contre la Loi sur la sécurité sociale No 6, au cours desquelles de nouvelles coalitions ont émergé avec les syndicats, les ONG et les partis politiques en avril 2016 étaient une autre manifestation de la nouvelle mobilisation des travailleurs. En 2016, le mouvement des enseignants mobilisant 35 000 enseignants des écoles publique a été la plus grande manifestation des travailleurs dans l’histoire récente, s’appuyant sur des structures de représentation horizontales avec des comités de grève puisant leurs racines dans les comités clandestins de la période d’occupation militaire israélienne directe de 1967 à 1993 (6).
Ce texte explore les récentes mobilisations des travailleurs en 2006 contre la Loi sur la sécurité sociale No 6. Peu importe qu’en 2019 la promulgation de cette loi ait été suspendue, ce travail analyse ce qui se prépare pour la Palestine. La question s’impose donc de savoir : Que pouvons-nous apprendre sur le fonctionnement du pouvoir par l’observation de cette lutte ? Quels sont les nouveaux mécanismes de contrôle, de dépossession et de discipline du monde du travail qui se mettent en place sous l’impact du lien entre État colonial et monde de la finance ? Quel est le rôle du proto-État dans les nouvelles formes d’accumulation par la dépossession ? Quelles formes d’intérêts communs caractérisent les relations entre les fédérations syndicales officielles, l’AP et la domination coloniale ? Quels types de contradictions sociales apparaissent pour les travailleurs et dans le mouvement ouvrier palestinien ?
Colonialisme et question sociale en Palestine
Ces questions et l’analyse qui suit émergent dans le contexte de mon engagement militant auprès des organisations syndicales en Palestine et visent à aborder les centres d’intérêt des mouvements (7). Elles abordent plus précisément une contradiction importante dans la solidarité palestinienne organisée par de nombreux syndicats européens et nord-américains qui adoptent un « nationalisme méthodologique » dans leur stratégie politique. En traitant les contradictions sociales en Palestine comme une question de « politique intérieure », la question nationale devient primordiale. Cette logique aboutit à un profond paradoxe : au nom de la solidarité internationale avec la Palestine et de l’activisme de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS), de nombreux syndicats ont établi des alliances et des programmes de coopération avec l’une des fédérations syndicales officielles de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui est directement liée à l’architecture du contrôle colonial. En ce sens, la base politique des contradictions sociales en Palestine est passée sous silence, y compris la « raison d’être » même de l’émergence de fédérations syndicales d’opposition en dehors de l’OLP et des structures du parti. Les travaux novateurs d’Adam Hanieh sur l’économie politique palestinienne nous demandent précisément de comprendre la co-constitution des questions sociales et coloniales en Palestine et les relations internes entre les contradictions sociales qui augmentent et les possibilités d’une politique anticoloniale (8). Cela nous oblige à transcender le nationalisme méthodologique qui limite notre compréhension à un « État-nation » délimité dans l’espace ou à un rapport binaire Israël contre la Palestine ; bien entendu la lutte anticoloniale est au centre de la question palestinienne mais devons aussi comprendre l’évolution dialectique du « proto-État », de l’AP elle-même au sein des transformations capitalistes régionales et mondiales plus larges ; et de voir quelle manière les fédérations syndicales officielles de l’OLP sont impliquées dans ces processus. Une compréhension de ces relations est cruciale pour guider les stratégies et la construction d’alliances pour les personnes engagées dans la solidarité transnationale avec la Palestine.
Loi sur la sécurité sociale No. 6 (9)
Dans l’après-midi chaud du 19 avril 2016, des milliers de travailleurs et de chômeurs sont descendus dans les rues de la ville de Ramallah, en Cisjordanie, pour protester contre les politiques du travail de l’Autorité palestinienne. Sous un soleil de plomb, les marcheurs restaient provocants, criant « Haramiyya ! (Voleurs !) », alors qu’ils atteignaient le point de rassemblement en face du bâtiment du conseil des ministres et du ministère de l’intérieur. Les organisateurs des mouvements de travailleurs indépendants, les partis politiques de gauche et les comités de femmes se relayaient pour s’adresser à la foule depuis une plateforme improvisée à l’arrière d’un camion. La police et les forces de sécurité de l’AP avaient été déployées, certaines dans des engins anti émeutes et des véhicules blindés, mais elles n’étaient visiblement pas intervenues. La manifestation a été la première manifestation publique et collective de la campagne contre la loi No 6 sur la sécurité sociale, ratifiée par décret le 9 mars 2016 par le Président Mahmoud Abbas.
L’opposition à la Loi sur la sécurité sociale a été dirigée par des mouvements indépendants de travailleurs nouvellement formés et leurs alliés dans la société civile. Leur campagne suit de près les grèves sauvages de peut-être 35 000 enseignants en février et mars 2016. Ces deux actions illustrent l’organisation croissante parmi les groupes de travailleurs palestiniens en réponse à l’ensemble des mesures économiques néolibérales proposées par l’AP au lieu de mettre fin à la domination coloniale israélienne.
La Loi sur la sécurité sociale No 6 et ses variantes antérieures ont été un sujet central de contestation pendant plus de trois ans, impliquant, entre autres, l’Organisation internationale du travail, le ministère du travail de l’AP, le secteur privé et les instituts de recherche, ainsi que les syndicats. Les syndicats, la Fédération générale des syndicats palestiniens (PGFTU, dirigée par Shahir Sa‘ed), la Fédération syndicale palestinienne (PTUF, dirigée par Haidar Ibrahim) et la Fédération générale des syndicats indépendants (GFIU, dirigée par Mahmoud Ziadeh) étaient les principaux acteurs ayant participé aux négociations directes. Les pourparlers exposaient les profondes divisions existant dans le mouvement syndical palestinien. La PGFTU et la PTUF, les fédérations officielles de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), se sont rangés du côté des demandes de l’AP et du secteur privé, tandis que la Fédération indépendante, GFIU, était divisée en son sein. Certains groupes à l’intérieur appelaient à un programme de protection sociale universelle couvrant tous les ouvriers, agriculteurs et chômeurs.
Le deuxième groupe, qui faisait partie de la campagne « hamla » (campagne) nationale et participait aux négociations finales avec l’AP, a tenu un agenda plus limité qui a été perçu comme étant politiquement réalisable dans les conditions du moment. Premièrement, ils ont émis des objections concernant l’absence de garanties de l’État dans la disposition de la loi prévoyant le dépôt de l’épargne-retraite des salariés du secteur privé dans un nouveau Fonds national. La loi proposait qu’un conseil de banques privées et de sociétés nommées conjointement par l’AP et les milieux d’affaires gère les investissements sur les marchés financiers sans aucune clause de responsabilité de l’AP. Deuxièmement, les militants se sont opposés à l’augmentation des cotisations des employés au fonds et ont demandé à la place une augmentation des cotisations des employeurs et des propriétaires d’entreprises. Troisièmement, ils ont demandé l’alignement des pensions des travailleurs du secteur privé sur les droits à la retraite des travailleurs du secteur public et l’instauration d’une pension minimale de retraite. Enfin, les militants ont contesté la discrimination de la loi à l’égard des femmes, des familles de pensionnés et des personnes âgées et handicapées, entre autres groupes sociaux.
Thérapie économique du choc
La Loi sur la sécurité sociale No 6 fait partie du programme de thérapie économique de choc qui a débuté en 2007. Le Conseil législatif palestinien (PLC, Parlement palestinien) n’a pas été officiellement réuni depuis la fin 2006, de sorte que toutes ces lois ont été rédigées ou modifiées par décret présidentiel avec un débat public limité. Les nouveaux syndicats indépendants et les comités de travailleurs y voient une attaque sur plusieurs fronts contre les travailleurs, reflétant les demandes des grandes entreprises : en 2014, la Loi de 1998 sur la promotion des investissements a été modifiée afin d’accorder un allégement fiscal aux grands intérêts privés au nom d’un environnement d’affaires « favorable à l’investissement ». Au début de février 2015, le ministère du travail de l’AP a présenté un projet de loi sur les syndicats, qui, selon les fédérations syndicales indépendantes, menacera la syndicalisation en imposant des conditions strictes dans lesquelles les grèves et les assemblées pourraient être convoquées. De même, les fédérations se disent préoccupées par le fait que les amendements proposés à la législation du travail faciliteront les procédures de licenciement à un moment où les travailleurs sont déjà soumis à des contrats de plus en plus courts et précaires. Lors de réunions à huis clos plus tard ce mois-là, le conseil des ministres et les grandes entreprises sont parvenus à un accord sur de nouvelles réductions des taux d’imposition des sociétés et des particuliers. Les syndicats indépendants, qui n’ont pas été invités à participer à ces discussions, notent que la législation fiscale est défavorable aux pauvres et aux travailleurs. Le Président Abbas a néanmoins ratifié l’accord en tant que loi. Plus récemment, le 23 janvier 2017, l’AP a suspendu l’assurance-maladie « Intifada Al-Aqsa », qui offrait un accès gratuit aux soins médicaux pour les plus de 400 000 Palestiniens sans emploi et leurs familles (10). Par la suite, l’AP a annoncé que l’assurance Al-Aqsa était accessible aux familles sous réserve de validation par un nouveau comité de surveillance à créer. Les syndicalistes ont reçu la nouvelle avec scepticisme, la voyant comme une opération de communication.
À la suite des débats publics et des manifestations populaires organisés par la campagne nationale pour la sécurité sociale, le Président Abbas a approuvé des amendements à la loi reflétant bon nombre des exigences de l’hamla. Plus particulièrement, les syndicats ont gagné le droit d’avoir une représentation au Conseil, et l’AP jouera également un rôle de supervision dans la sauvegarde de ces fonds.
Finances et intérêts communs
Malgré la victoire juridique des syndicats du hamla national, la loi a été finalement une victoire pour l’élite au pouvoir dans le nouveau lien « finances – État » des institutions financières américaines et européennes, du gouvernement américain, des banques palestiniennes, des capitalistes du Golfe, de l’Autorité palestinienne et Israël, entre autres. La Loi sur la sécurité sociale N° 6 reflète un processus de restructuration de classe par une financiarisation accrue de l’économie, alors que les entreprises privées et les banques, en particulier, se voient accorder des libertés incontrôlées d’investir et de tirer profit des pensions de retraite des travailleurs palestiniens (11). Les pensions des Palestiniens qui ont passé leur vie à travailler en Israël et dans les colonies ont donné un élan politique particulier à l’adoption de la Loi. Conformément à l’article 7 du protocole de Paris, conclu en 1994 dans le cadre de l’accord d’Oslo, les cotisations d’assurance sociale des travailleurs palestiniens en Israël et dans les colonies sont automatiquement déduites par leurs employeurs israéliens sur une base mensuelle. Ces fonds sont ensuite détenus par l’Institut national d’assurance israélien et ne seront transférés à la partie palestinienne qu’une fois qu’une institution sera créée à cette fin. La Loi No 6 et son conseil établissent le cadre du transfert de ces fonds. Si Israël effectue le transfert, les capitalistes en Palestine recevront une fraction non négligeable de 3 à 8 milliards de dollars en nouveaux capitaux (la valeur estimée des cotisations déduites des salaires des travailleurs palestiniens en Israël) pour de nouveaux investissements financiers. Aucune disposition n’a été prévue pour le transfert des pensions aux travailleurs eux-mêmes.
Les relations internationales de pouvoir
L’enjeu est non seulement l’aggravation des inégalités sociales et la polarisation au sein de la société palestinienne (la question de la « justice sociale ») mais également son miroir indissociable, c’est-à-dire les possibilités de lutte anticoloniale. Il est fondamental pour nous de situer la Loi sur la sécurité sociale N° 6 dans les nouveaux mécanismes de l’économie politique par lesquels les États-Unis et les puissances européennes ainsi que leurs alliés stratégiques régionaux, Israël et les pays du Conseil de coopération du Golfe (GCC) maintiennent la domination régionale et enracinent la domination coloniale d’Israël en Palestine. La restructuration néolibérale de l’ « État » et de la société est le parallèle économique des interventions politiques et militaires directes auxquelles nous assistons en Palestine et dans la région arabe, visant à la fois à enraciner l’ « axe des pouvoirs » régional et à contrer les luttes révolutionnaires et populaires.
Aujourd’hui la « scène centrale » pour comprendre la politique régionale et palestinienne est « l’axe des pouvoirs », c’est-à-dire les schémas d’intérêts communs créés dans la région entre les États-Unis, les pays européens, les pays du Conseil de coopération du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite et le Qatar, Israël et l’Autorité palestinienne, même si ces pays ne constituent aucunement un groupe monolithique (12). Depuis 2007, le capital financier américain et européen a également commencé à pénétrer les territoires d’une manière significative en intégrant davantage l’économie dans les circuits régionaux et mondiaux de capitaux, un processus par lequel les intérêts géostratégiques communs se cristallisent entre les puissances étrangères et l’Autorité palestinienne. Ces nouveaux mécanismes d’économie politique renforcent la centralité des États-Unis en tant que force dominante au sein du capitalisme mondial et de l’ordre régional (13).
Le lien finance-Etat
Avec l’exemple de la Banque de Palestine, l’une des bénéficiaires probables de la loi No 6, nous voyons émerger des modèles de propriété et de concentration de la richesse autour du lien finances-terres et les possibilités qu’il offre de consolider davantage les intérêts politiques entre les puissances étrangères et l’Autorité palestinienne. La Banque de Palestine est l’un des principaux participants dans le nouveau programme américain de financement hypothécaire de 500 millions de dollars qui vise à augmenter considérablement l’accession à la propriété en offrant des hypothèques à long terme dans le cadre d’une société appelée AMAL (Société de prêts et de prêts hypothécaires à prix abordable). Ce programme soutient étroitement le schéma du programme de logement abordable lancé en 2007, un programme de 1 milliard de dollars destiné à développer le nombre d’unités de logement en Cisjordanie. Les membres du conseil d’administration de la Banque de Palestine, qui est bénéficiaire, prêteur et actionnaire de la société AMAL, sont également liés aux grands conglomérats immobiliers basés dans le Golfe ayant des activités en Palestine qui profiteront de cette manne de crédit. Ces modèles d’intérêts communs consolident le lien finances-État entre le gouvernement américain, le capital mondial et régional, et l’Autorité palestinienne. La préservation de ces intérêts est au cœur des pratiques autoritaires de l’AP aujourd’hui et de sa politique pour maintenir le statu quo.
Politique du crédit contre politique sociale
Pour ce faire, le proto-État/AP joue également un rôle régulateur essentiel, sécurisé par son monopole de la violence et la définition de la légalité(14). Au centre du processus de renforcement de la financiarisation, on trouve les fonctions de l’AP visant à intervenir dans la construction du marché libre, en particulier dans les finances et la terre. Par exemple, pour soutenir la banlieue immobilière de luxe de Rawabi, l’AP a promulgué des décrets prolongeant la durée des crédits à la consommation les portant de dix ans à 25 ans. En 2008, l’autorité monétaire palestinienne a publié des directives pour limiter les investissements bancaires à l’étranger à 55% (contre 65% auparavant) afin de créer de nouvelles sources de prêts nationaux. En parallèle, les donateurs et les financiers américains ont trouvé des systèmes de garantie des prêts pour stimuler l’offre de crédit. La Banque mondiale soutient les projets d’enregistrement foncier et de titrage, tandis que les donateurs soutiennent la mise en place de registres de crédit afin de faciliter les exigences en matière de garanties. Les fondements juridiques du marché libre sont scellés.
La Loi sur la sécurité sociale N°6 s’inscrit dans cette logique avancée par l’administration du premier ministre Salam Fayyad, qui a lancé une expansion majeure du crédit à la consommation à partir de 2007 sous la bannière du nationalisme économique inspiré par le post-consensus de Washington. Son programme politique est compatible avec une logique néolibérale qui rend l’individu ou la famille seule responsable de son propre bien-être et enlève à l’État de cette responsabilité. Par opposition aux services sociaux pour les segments vulnérables de la population (couverts par le ministère des Affaires sociales), l’assurance sociale se réfère au système de cotisations individuelles de retraite. Conformément à la philosophie néolibérale, chaque travailleur individuel a la responsabilité de s’assurer une pension de retraite sur la base de ses cotisations mensuelles lorsqu’il travaille. En 2003, l’AP a publié la Loi sur l’assurance sociale concernant les pensions de retraite des travailleurs du secteur privé et la société civile. Cette codification juridique des droits du travail a eu lieu au cours de la même période que le lancement par le Président George W. Bush de la « Feuille de route pour la paix en Israël-Palestine », un processus au cours duquel la lutte politique des Palestiniens a été de plus en plus ré encadrée par le langage et la logique de la construction de l’État palestinien. Tandis que l’Autorité palestinienne se désengageait de ses responsabilités en matière de protection sociale, les travailleurs salariés ont été contraints de faire confiance aux marchés financiers pour leur épargne-retraite, alors que les lois suivantes mettaient en commun les pensions des salariés du secteur public dans des régimes devant être gérés et investis sur les marchés financiers (15). Les grandes banques, comme la Banque de Palestine, ont joué un rôle clé dans la préparation du nouveau système.
Alors que de nouveaux terrains d’accumulation de capital sont en préparation, les travailleurs sont dépossédés par les processus d’accumulation primitive qui structurent les relations capitalistes et coloniales (16). L’expulsion de familles palestiniennes dans les quartiers de Jérusalem-Est et de la zone C rend visible la violence coloniale manifeste déployée par l’armée israélienne, mais la règle du marché opère plus discrètement vers les mêmes objectifs. Plusieurs cas très médiatisés ont suscité beaucoup de controverses au cours des dernières années, lorsque les fermiers et les villageois de Cisjordanie ont été dépossédés de leurs terres. Il s’agit notamment des projets de zones industrielles qui impliquaient la confiscation de terres agricoles fertiles ; le développement immobilier de Rawabi pour lequel la confiscation des terres agricoles des villages environnants a été officiellement décidée par l’Autorité palestinienne (AP) ; les communautés bédouines expulsées par Israël qui sont relogées dans des projets de logements abordables appartenant aux capitalistes palestiniens, américains et du Golfe, ayant des liens étroits avec la direction de l’AP.
La finance, la normalisation du monde du travail et la fabrication du client-consommateur
La dette et la financiarisation, en fin de compte, ne sont pas seulement une catégorie économique, mais une norme politique et une contractualisation accrue de la vie sociale. L’afflux récent de financement du crédit des institutions financières et les bailleurs de fonds américains et européens dans le secteur bancaire palestinien, qui est institutionnellement lié aux banques israéliennes pour les opérations quotidiennes, rend les travailleurs palestiniens extrêmement vulnérables à la crise économique externe, ainsi qu’aux pressions politiques. La dévastation économique et humaine engendrée par la dernière crise financière mondiale, déclenchée par les prêts hypothécaires dits subprimes aux États-Unis, en a manifestement révélé les enjeux. Mais le phénomène de la financiarisation et de la dette présente une intensité politique particulière dans le contexte colonial de la Palestine. Avec la mise en commun de l’épargne-retraite des travailleurs par les institutions financières d’investissements en vertu de la Loi sur la sécurité sociale No 6, les travailleurs et les retraités sont en train d’être incorporés directement dans les circuits et les aléas des marchés financiers, en conséquence de quoi leur propre avenir dépend de la « stabilité politique » à l’intérieur des territoires, c’est-à-dire le statu quo colonial existant.
La logique de la dette
Alors qu’ils sont confrontés à l’assaut de la colonisation israélienne avec des assassinats, l’expansion des colonies, des clôtures, des points de contrôle et autres types de châtiments collectifs, les Palestiniens sont également pressés de devenir des exemples d’Homo economicus – la figure transhistorique posée par l’économie néoclassique qui prend des décisions toujours rationnelles dans la poursuite de l’intérêt personnel. Le phénomène de la financiarisation et de l’endettement parmi les travailleurs offre précisément une telle occasion pour la normalisation politique, pour laquelle les leviers du contrôle colonial ont été utilisés à maintes reprises pour obtenir des concessions politiques des Palestiniens, en particulier avec la rétention fréquente des recettes fiscales par Israël, le boycott économique par les donateurs, les conditionnalités associées au financement des donateurs, etc. Alors que la servitude pour dettes est un phénomène mondial, les travailleurs palestiniens sont confrontés à des contraintes particulières. En vertu du protocole de Paris, ils sont soumis aux politiques macroéconomiques israéliennes, telles que l’établissement d’intérêts et de taux de change. Les travailleurs palestiniens peuvent gagner des salaires en dinars jordaniens, mais leurs contrats de prêt seront probablement émis en dollars américains et avec des taux de change fluctuants, les travailleurs sont laissés dans une incertitude chronique. En outre, des dispositions juridiques spéciales stipulent que les salaires des travailleurs palestiniens doivent être versés aux banques auprès desquelles ils obtiennent des prêts, où celles-ci déduisent un pourcentage des salaires des travailleurs pour le remboursement des prêts. Cette disposition laisse les travailleurs palestiniens particulièrement vulnérables en raison de la saisie périodique des recettes fiscales de l’AP par Israël. Dans de tels cas, les travailleurs du secteur public peuvent ne pas recevoir de salaire pendant des mois, mais ils doivent encore rembourser leurs prêts, à moins que l’autorité monétaire palestinienne ne prenne des mesures spéciales de soutien.
Le fonctionnement social et politique des finances en Palestine doit également être mis en contexte au sein de l’hégémonie mondiale plus large du secteur financier américain et de la façon dont la dette est utilisée comme tactique de contre-insurrection coloniale et de gestion de la population à travers la « paix néolibérale » (17). Les nouveaux instruments financiers sont utilisés comme outils d’ingérence politique directe. Le régime AMAL contient, par exemple, des dispositions explicites pour le contrôle des participants par les forces de sécurité de l’AP. Avec un financement important de l’Overseas Private Investment Corporationaffiliée au gouvernement américain, tous les organismes d’exécution, leurs employés et les bénéficiaires des prêts eux-mêmes, doivent réussir l’examen minutieux du Bureau du contrôle des avoirs étrangers (US Office of Foreign Asset Control) des États-Unis et de la législation antiterroriste américaine. Les segments de la société palestinienne considérés comme « une menace » par les forces de l’AP, dominés par le parti du Fatah auquel le Président Abbas appartient, ne sont donc pas admissibles à ces programmes. En tant que partenaire de ce programme, le Fonds d’investissement palestinien, le soi-disant fonds souverain des Palestiniens, doit également adhérer aux lois antiterroristes américaines.
Les pratiques autoritaires et antisociales de l’AP
Cette normalisation du travail palestinien se déroule dans le cadre de la restructuration de l’AP elle-même. En d’autres termes, l’AP est elle-même contrôlée pour l’adoption des réformes économiques de la thérapie de choc du plan de développement national, tout en travaillant à son tour à contrôler ses propres sujets. Les donateurs et les créanciers font pression sur l’AP pour réduire les dépenses sociales, augmenter les revenus et réduire le déficit global. L’AP a déjà répondu à la pression externe, car le Fonds monétaire international note que le déficit (sur la base des engagements) a été ramené de 2,7 milliards de shekels au premier semestre de 2015 à 1,7 milliard au premier semestre de 2016. Cela a été fait au détriment des travailleurs. Depuis 2012, avec un taux de chômage d’environ 30% selon les statistiques officielles, l’AP maintient une politique d’embauche nette nulle dans le secteur public. En décembre de la même année, l’AP a conclu un premier accord sur le salaire minimum avec un groupe de travailleurs grâce à la campagne menée par le syndicat des enseignants de maternelle ; à ce jour, toutefois, l’accord n’a pas encore été mis en œuvre. Environ 33% des salariés du secteur privé gagnent moins que le salaire minimum de 1 450 shekels.
Cette politique économique sous-jacente est le contexte de la compréhension des pratiques autoritaires émergentes de l’AP, en particulier contre les travailleurs. En plus d’adopter de nouvelles lois du travail et des lois syndicales pour restreindre la mobilisation, elle pratique une forte répression contre les syndicats. En novembre 2014, le Conseil des ministres palestinien a rendu une décision pour interdire le Syndicat des fonctionnaires. Le syndicat a par la suite été fermé par la police, les syndicalistes arrêtés et licenciés de leur travail. Les dirigeants de syndicats qui tentent de s’organiser à grande échelle sont accusés de corruption et empêtrés dans des affaires judiciaires pendant des années ; les comités de travailleurs qui s’organisent contre les politiques néolibérales et de normalisation dans les ONG sont arbitrairement licenciés de leur travail et inscrits sur la liste noire. Les tentatives de l’AP pour réprimer les grèves des enseignants du printemps 2016 ont créé un dangereux précédent : les forces de sécurité ont menacé les enseignants ; confisqué les cartes d’identité ; arrêté les organisateurs, les journalistes dissidents et les utilisateurs des médias sociaux ; érigé des check points à travers la Cisjordanie pour empêcher une mobilisation collective ; et imposé des amendes aux chauffeurs de taxi ayant transporté des enseignants d’un endroit à l’autre. Les organisateurs du mouvement des enseignants sont entrés en clandestinité.
Les contradictions dans le mouvement ouvrier
La volonté politique de consolider le pouvoir des fédérations syndicales officielles et à affaiblir les courants d’opposition à l’intérieur et à l’extérieur est un enjeux politique important. Ces fédérations de l’OLP ont des accords de partage des revenus avec la Histradrut, le syndicat israélien sioniste, qui s’approprie les cotisations mensuelles des travailleurs palestiniens en Israël. La Histradut transfère 50%des cotisations qu’elle reçoit des travailleurs palestiniens en Israël. Cette alliance entre les principales fédérations de Palestine et d’Israël est un élément central de l’organisation du contrôle colonial et des moyens de maintenir l’oppression du monde du travail. Toutefois, ce sont précisément avec ces fédérations officielles de l’OLP que les fédérations syndicales nord-américaines et européennes et d’autres ont construit des relations historiques qui se poursuivent à ce jour, au nom de la solidarité avec le peuple palestinien.
Droits des travailleurs, droits des chômeurs
Le processus d’adoption de la Loi sur la sécurité sociale No 6 et la contestation qui a suivie offre une optique à partir de laquelle nous pouvons comprendre les contradictions internes et, plus particulièrement, les intérêts communs (matériels et politiques) entre les fédérations liées à l’OLP et l’Autorité palestinienne. Ces réformes ont été le lieu d’une confrontation nationale et ont révélé d’importantes divisions politiques entre les acteurs dans les organisations ouvrières. Les syndicats de travailleurs, le secteur privé, l’Organisation internationale du travail et le ministère du travail de l’Autorité palestinienne ont participé à un processus de « négociations » et de « dialogue social » même si les représentants des syndicats les plus éminents, PGFTU et PTUF ne sont pas élus, mais nommés par l’OLP. Dans les débats publics et les réunions au cours de l’année dernière, la PGFTU et le PTUF ont soutenu bon nombre des mesures proposées et ont activement tenté de marginaliser l’union indépendante, la GFIU, qui s’opposait à ces nouvelles lois. Cependant, au fur et à mesure que les campagnes se déroulaient, des divisions sont également apparues au sein de la PGFTU, les blocs de gauche ont demandé au Secrétaire général d’annuler sa signature de la loi sous la menace d’un retrait de la fédération.
Les intérêts communs qui caractérisent les relations politiques entre les fédérations syndicales officielles et l’Autorité palestinienne se sont également clairement révélés dans la nouvelle décision en janvier 2017 sur l’assurance maladie « Al-Aqsa » touchant les chômeurs, soit près de 30% de la population active. L’assurance Al-Aqsa, créée par Yasser Arafat au cours de la deuxième intifada pour offrir un accès gratuit aux services de santé publique aux chômeurs, sera remplacée par un système payant. Toute personne ayant besoin d’une assurance maladie doit adhérer et payer des frais d’inscription à l’une des deux fédérations syndicales officielles de l’OLP. Il s’agit d’une condamnation à mort effective pour les plus de 400 000 chômeurs en Palestine, qui sont confrontés à une attaque à la suite de l’enracinement des politiques néolibérales depuis 2008. Cette décision vient à un moment où les coûts du logement, des denrées alimentaires de base, des transports, des médicaments sont tous en augmentation. Plus immédiatement, elle touche une large partie des Palestiniens, chômeurs, travailleurs précaires, travailleurs palestiniens en Israël et tous ceux qui n’ont aucune possibilité d’obtenir une assurance maladie par leur travail. Cependant, cette décision devrait devenir une préoccupation importante pour la majorité de la population palestinienne, car elle prédit ce qui est à venir. Le recul des services publics et des employés du secteur public, des filets de sécurité sociale et la privatisation des services de santé feront partie de l’assaut néolibéral qui appauvrira de vastes groupes de Palestiniens.
La décision concernant l’Al Aqsa est aussi importante pour une autre raison. Dans le mépris flagrant de la clause de la « liberté d’association » de la Loi fondamentale palestinienne, cette décision suspend une épée au-dessus des Palestiniens non assurés, affiliés aux fédérations officielles ou renonçant aux services de santé. En vertu de ce décret, ils ne peuvent pas bénéficier d’une assurance maladie, sauf s’ils remboursent leurs dettes. Par leurs frais d’inscription, ils seront obligés de financer ces mêmes fédérations qui imposeront le recouvrement de leurs dettes. Ajouté à cela, le monopole des deux fédérations syndicales palestiniennes officielles est renforcé par l’affiliation forcée inconstitutionnelle de tous les chômeurs ou des travailleurs précaires recherchant une assurance maladie. Cela révèle clairement les intérêts communs à consolider le pouvoir des fédérations syndicales officielles et à affaiblir les courants d’opposition à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement ouvrier palestinien (18).
L’incertitude pour ceux qui travaillent en Israël
Des dissidents ont aussi émergé dans le mouvement ouvrier « indépendant ». L’Union des chômeurs, représentant les chômeurs et les Palestiniens qui travaillent en Israël et dans les colonies, est descendue dans les rues en avril 2016 lors des campagnes de sécurité sociale au côté des mouvements indépendants qui appelaient à une protection sociale universelle. Cependant, ils estiment avoir été « trahis » dans les accords définitifs conclus par le hamla national. Leur lutte met en relief la détresse de vastes pans de travailleurs en dehors du secteur officiel et de l’armée grandissante de chômeurs. Les travailleurs palestiniens, qui travaillent ou ont passé leur vie à travailler en Israël, se trouvent dans une situation de profonde contradiction. Ils sont particulièrement vulnérables à toutes les formes d’exploitation : dans leur tentative d’obtenir des permis de travail pour passer en Israël, des mafias se sont constituées entre des intermédiaires d’affaires israéliens et palestiniens et les fonctionnaires des ministères de l’AP, impliqués dans la vente de permis officieux à des prix exorbitants de 800 $ par mois sans aucune garantie d’emploi réel ; l’exploitation pratiquée par les employeurs israéliens qui utilisent le statut des travailleurs illégaux pour leur payer la moitié du salaire minimum légal et falsifier les fiches de salaire officielles ; sans mentionner les cotisations qui sont déduites mensuellement pour l’assurance maladie, la sécurité sociale dont aucun travailleur palestinien ne peut réellement recevoir les bénéfices et les cotisations syndicales obligatoires de l’Histradrut.
L’adoption de la Loi et les dissidences dans la mobilisation soulèvent une question politique essentielle face aux formations syndicales émergentes : les formes de représentation en cohérence avec l’évolution de la structuration locale des travailleurs et des formes de travail ; ainsi que les questions d’organisation pour tenir compte des nouvelles conditions du travail, de l’exploitation et des inégalités.
Les contradictions à l’intérieur du peuple
En réfléchissant aux défis politiques auxquels sont confrontés les travailleurs, le responsable du syndicat des chômeurs déclare (19) : « L’Occident, les États-Unis et l’Europe ont créé Oslo. Ces pays occidentaux ont aidé à créer Oslo et à le signer avec le leadership spécifique qu’ils ont apporté à la Palestine. Oslo a donné des ressources à certaines personnes et a fait d’elles des pharaons en Palestine. Le résultat final est qu’il existe des contradictions internes et sous la surface. Il existe des contradictions à l’intérieur du peuple lui-même. Tout processus démocratique qui pourrait conduire à un changement de direction est empêché. Le processus démocratique dans les fédérations s’est transformé en projets d’affaires pour leurs dirigeants. Les ouvriers sont assimilés à une marchandise. Les fédérations font des accords à huis clos. Elles sont heureuses de cette situation. L’Autorité est heureuse de cela. »
La mobilisation des enseignants
La signification radicale du mouvement des enseignants, comme l’événement le plus important de la mobilisation populaire en Palestine dans l’histoire récente, doit être comprise dans ce contexte. Il a non seulement entraîné le rejet des dirigeants syndicaux imposés, mais montre aussi les possibilités politiques d’auto-organisation des travailleurs et les pratiques qui visent à construire une base alternative de pouvoir populaire. Le mouvement des enseignants était une « révolution pour la dignité », disent les organisateurs. Après des années de batailles infructueuses pour améliorer les conditions de travail par l’intermédiaire de leur syndicat général des enseignants palestiniens (GUPT) affilié à l’OLP, les enseignants des écoles publiques ont organisé d’énormes mobilisations en Cisjordanie au début de 2016. Face à une sévère répression, le mouvement élabora ses stratégies et ses tactiques d’organisation horizontale à la suite d’une praxis qui donnait « l’importance aux origines démocratiques et à la base du mouvement », expliquent un enseignant et un activiste (20). Ils se sont également inspirés des expériences historiques d’organisation clandestine pendant la période d’occupation israélienne directe de 1967 à 1993. Les anciens militants de cette période ont joué un rôle clé dans l’organisation des comités et des sous-comités de grève constitués par le mouvement des enseignants, dont l’organisation était essentielle pour soutenir leur mobilisation. L’organisation des connaissances était intégrée à leur praxis, les expériences des grèves hebdomadaires et des manifestations ont été discutées collectivement pour guider leurs tactiques futures, ainsi que la communication de masse. La dialectique résistance-contrôle s’est développée lorsque l’AP a tenté de rompre la résonance du mouvement avec la société en général en utilisant la force directe et les tactiques idéologiques pour diviser les solidarités entre les enseignants et les étudiants et parents, entre les travailleurs du transport et les enseignants, entre les familles, et dans les familles (21). Cependant, cette répression n’a pas réussi à briser la structure souterraine du mouvement, ni à nier l’imaginaire populaire de la lutte. Dans son analyse du mouvement des enseignants, Noonan conclut : « l’importance des comités de grève est de démontrer que l’auto-organisation sur une base de classe est une force latente pouvant ébranler les fondations des structures de pouvoir oppressives, modifiant potentiellement l’équilibre des forces qui semblent si écrasantes contre la majorité des Palestiniens ordinaires, tant au sein de leur propre société que dans le conflit avec l’occupation israélienne. Vu sous cet angle, l’expérience des comités de grève sera au crédit des luttes futures de toutes sortes » (22).
À quelques rares exceptions, la littérature sur le néo-libéralisme ou le capitalisme tardif en Palestine s’est confinée à la documentation des ravages du point de vue du capital. Toutefois, une lecture dialectique de l’histoire pose la question de savoir comment le travailleur palestinien a réagi au projet colonial et néo-libéral co-constitutif en Palestine.
Al-Nasseri affirme que : « la manière dont les contradictions se développent concrètement, la façon dont l’opprimé agit et dont les opprimés mettent à profit cette situation pour un développement ultérieur détermineront le cours du conflit et les formes de changement politique. La question stratégique globale est de savoir comment il est possible, dans la crise actuelle, pour les forces sociales de se renforcer afin de catalyser une rupture radicale avec le statu quo actuel ? » Le travail intellectuel de « placer les luttes elles-mêmes au premier plan… constitue, dans un sens, une partie de ces luttes… » (21)
Adapté d’un texte de G. Nithya,
janvier 2018, Palestine
(1) De nombreux renvois sont faits dans cet article vers des articles ou ouvrages de langue anglaise, nous las avons laissé pour deux et celles qui le souhaitent. Nous le précisons dans chaque note.
(2) Voir Adam Hanieh, Haddad, Lisa Bhungalia, Linda Tabar (en anglais, quelques publications en français)
(3) Beinin, J., et Lockman, Z. (eds), (1989) Intifada: The Palestinian Uprising Against Israeli Occupation, South End Press ; Aruri, N. (ed), (1989) Occupation: Israel Over Palestine, Belmont: Association of Arab American University Graduates Press; Beinin, J., (2001) Workers and Peasants in the Modern Middle East, Cambridge University Press (en anglais)
(4) Joya, A., Bond, P., El-Amine, R., Hanieh, A., Henaway., M., (2011) The Arab Revolts Against Neoliberalism, Center for Social Justice; Beinin, J., (2015) Workers and Thieves: Labor Movements and Popular Uprisings in Tunisia and Egypt, Stanford University Press ; Al-Nasseri, S., (ed), (2016) Arab Revolutions and Beyond: The Middle East and Reverberations in the Americas, Palgrave McMillan (en anglais)
(5) Entretiens d’auteurs avec Abu Fahed, le responsable de l’Union des chômeurs, Cisjordanie, Palestine, janvier 2017 (voir interview p. 138)
(6) Entretiens d’auteurs avec des enseignants et des organisateurs du mouvement des enseignants, Cisjordanie, Palestine, 2016 ; Noonan, M., (2017) Self Organization in the Palestinian Teachers’ Strike, in New Politics, Vol. XVI-3, été 2017 (en anglais)
(7) Ce document est la suite d’une réponse à un appel lancé le 9 mars 2016 en France par des membres de l’Association France Palestine Solidarité 66 et des militants de la Confédération générale du travail qui ont établi un parallèle entre les luttes des travailleurs en Palestine et en France (http://francepalestine66.blogspot.fr/2016/03/de-la-place-de-la-republique-de-paris.html). S’agissant des milliers de chômeurs et de jeunes qui sont descendus dans les rues de Ramallah et de Paris, l’appel a déclaré : « c’est comme si les ouvriers s’envoyaient un salut fraternel des deux rives de la Méditerranée. » Une version antérieure de cet essai a été renvoyée en salutation sororale de la part des camarades en Palestine dans le but de contribuer à l’activisme de solidarité internationale avec la Palestine des syndicats en Europe.
(8) Hanieh, Adam (2011) Capitalism and Class in the Gulf Arab States. New York: Palgrave Macmillan ; Hanieh, Adam (2013) “The Oslo Illusion” Jacobin Issue 10 ; Hanieh, Adam (2013) Lineages of Revolt: Issues of Contemporary Capitalism in the Middle East. Chicago, IL: Haymarket Books ; Hanieh, Adam (2016) ‘Development as Struggle: Confronting the Reality of Power in Palestine’. Journal of Palestine Studies, (45) 4, pages 32 à 47 (en anglais)
(9) Les sections suivantes sont tirées de l’article de Nagarajan, N., (2016), “Palestinian Workers Struggle for Social Justice”, publié par Labor for Palestine aux États-Unis et Dawn News of the Bolivarian Alliance for the Peoples of Our Americas (ALBA movement) (http://www.thedawn-news.org/2017/07/18/palestinian-workers-campaign-for-social-justice-2/). Vous trouverez les références et les citations de ces sections dans l’article publié. La bibliographie cite également quelques-unes des archives informelles dont s’inspire cet essai telles que des mémos inédits et des documents d’information écrits en préparation et au cours des campagnes.
(10) Voir l’interview de Saleh M. Dghameen p. 138
(11) Néanmoins la loi sur la sécurité sociale n’était toujours pas entrée en application en avril 2019 lors de la délégation de Solidaires (note de la délégation)
(12) Hanieth (en anglais)
(13) Panitch, L., Gindin, S., et Albo, G., (2010) In and Out of Crisis: The Global Financial Meltdown and Left Alternatives, PM Press / Spectre (en anglais)
(14) Harvey, D., Le nouvel impérialisme (“The New Imperialism”), Les prairies ordinaires, 2010
(15) En 2005, l’AP a publié la Loi sur les pensions publiques 7 pour les travailleurs du secteur public, avec une modification en 2007. La même année, l’AP a annulé la Loi sur l’assurance sociale et commencé à travailler à un nouveau régime facultatif de retraite non gouvernemental qui visait à assurer les employés des organisations du secteur privé. Il s’agit d’un nouveau régime de mise en commun des pensions de retraite des travailleurs qui sera géré et investi sur les marchés financiers. Les grandes banques ont joué un rôle clé dans la préparation du nouveau système.
(16) Harvey, D.
(17) Bhungalia (en anglais)
(18) Alva N.,(2017) Mémos non publiés dans le cadre d’une tentative d’organisation d’une campagne « PA to Abolish Al-Aqsa Insurance for the Unemployed », document d’information basé sur des discussions avec l’Union des chômeurs afin de préparer la campagne contre le nouveau décret ; contributions à « bayan » (déclaration officielle) de la Fédération générale des syndicats indépendants et de l’Union des chômeurs, communiquée au Conseil des ministres palestinien, février 2017 ; « Analysis of Donor Reports Regarding Health Sector Reform », notes d’information à l’intention de l’Union des chômeurs pour informer leur campagne, objet : assurance santé pour les chômeurs, mars 2017 ; « Legal Support for Palestinian Workers in Israel », note interne / documentation des discussions entre l’Union des chômeurs et les avocats spécialisés en droit international, mai 2017
(19) Entretiens d’auteurs avec Abu Fahed, responsable de l’Union des chômeurs, Cisjordanie, Palestine, mai 2017
(20) Noonan, M. (2017) (en anglais)
(21) Discussions avec les organisateurs du mouvement des enseignants lors de la visite de délégation des militants syndicaux de l’Association France-Palestine Solidarité en présence de militants de la Fédération générale des syndicats indépendants, Cisjordanie, Palestine, mai 2017.
(22) Noonan, M. (2017) (en anglais)
(23) Al-Nasseri, S., (2016), Introduction, de Nasseri, S., ed, Arab Revolutions and Beyond (en anglais).