« Depuis 2004 Culture & Démocratie travaille la question de la dimension culturelle du travail social. Elle a été chargée d’évaluer l’utilisation du subside pour l’épanouissement culturel et sportif des usagers des CPAS que ces institutions recevaient de l’état fédéral. Le constat d’une absence de sensibilisation à la « chose culturelle » dans la formation initiale des travailleur·ses sociaux·ales était l’un des éléments saillants de cette évaluation. Un groupe de travail s’est dès lors constitué au sein de l’association qui réunissait majoritairement des formateur·rices en école sociale pour pallier cette carence ». En avant propos Baptiste De Reymaeker, coordinateur à Culture & Démocratie, présente l’association, ses activités et la collection « Neuf essentiels » et l’ouvrage collectif.
Olivier Bonfond « Attaquer la dette et la pauvreté par tous les bouts, décortiquer pour mieux diagnostiquer », parle de critiques de l’ordre existant et de la nécessité – « arguments à l’appui » – d’une autre voie « possible et désirable », des valeurs d’égalité et de liberté, de réflexions collectives, « Ce « Neuf essentiels » brasse large. Il prend la dette et la pauvreté par tous les bouts. Il nous pousse à réfléchir, à remettre en question nos certitudes, à explorer le passé. Il nous rappelle des fondamentaux, mais il nous fait aussi voyager, parfois via des chemins étonnants ou détonants », d’art, d’utopie, d’espérance, de critique et de rébellion…
De cet auteur, Il faut tuer Tina. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde, au-monde-clos-du-tina-opposer-des-alternatives-deja-en-germes/
Esquifs, des pratiques artistiques, un laboratoire d’expériences, « Documenter, c’est donc transformer la relation que nous entretenons avec le réel que nous documentons », l’appropriation collective de savoirs, le faire collectif. Les auteurs et autrices discute d’arpentages, « Historiquement, c’est une méthode de lecture collective », de re-création et d’invention. Iels – « Nouvelle composition qui fait de nous des auteur·es de ce moment unique » – présentent le livre et leur expérience d’écriture collective…
Dette – Un archipel
Une carte, des îlots, l’ilot de la violence structurelle, l’ilot du contrôle, « Cette route n’est pas la seule possible. On peut aussi arriver d’où l’on veut, sans ordre préétabli ».
Une question, qu’est-ce qu’une dette ? endetté·e, surendetté·e, trop endetté·e, « La dette c’est un tabou, ça se cache, on ment à son entourage, on s’engouffre dans une spirale délétère », consommation et dette, dette publique et austérité, dette des pays dits pauvres… Que dit la dette sur le système capitaliste ?
Le crédit et la société de consommation, l’ilot de la tentation, la consommation en toute tranquillité, les mécanismes diversifiés du système de crédit, « C’est avec le beurre de la dette comme bien de consommation que la banque peut continuer à s’engraisser », emprunter de l’argent coute de l’argent comme fumer tue, l’affichage dit et ne dit rien, chacun·e est concentré « sur son désarroi ou son essor financier », l’un·e et l’autre pour masquer le système et détruire les possibles solidarités…
Et si la consommation décrite n’était pas au centre de cette histoire, « le plus souvent, le surendettement n’est pas lié à des dépenses de consommation », les dépenses incompressibles et les ressources financières structurellement trop faibles, l’accumulation de petites sommes impayées, l’augmentation des coûts liés aux besoins vitaux par les privatisations des services publics, les dettes de santé, les frais administratifs et judiciaires, « Les services publics font aujourd’hui peser sur leurs usager·es les pressions qu’ils subissent de la part de leurs financeur·es, selon une logique de moindre cout constant, d’un équilibrage des comptes qui efface la situation de chacun·e au profit de leur porte-monnaie ».
Les auteurs et autrices soulignent, entre autres, la construction d’une pauvreté structurelle, « Le phénomène du surendettement est voué à s’installer durablement dans notre paysage, et ce faisant, une forme de pénalisation des plus pauvres d’entre nous est en train de se mettre en place de manière structurelle », la culpabilisation, l’incrimination, l’aider et le punir, le gouvernement marchand de la dette, « La dette est bien un outil de pouvoir asymétrique avec lequel des dominant·es gouvernent des dominé·es »
J’ai particulièrement apprécie l’ilot du business, le dieu chiffre, le dépassement de la relation entre « un·e débiteur·e et un·e créancier·e », la dette « un objet économique qui a une valeur et peut être revendu par le·a créancier·e », la dette transformée en « titre financier » émis sur les marchés de capitaux…
Nous vivons dans un monde obsédé par le chiffre et le comptage, la quantité et son abstraction sociale, le découpage du temps et de l’espace, les tranches de n’importe quoi, « tout ce qui compte c’est ce qui se compte »… Les individus ne sont pas réductibles au chiffre, « l’individu fantasmé est uniformisé, interchangeable contre n’importe quel autre, unité de base insécable de la production de toute chose » et le monde des algorithmes ressemble plus à un cauchemar qu’à un conte de fées…
Je reprends le cheminement vers un autre ilot, la violence structurelle, la honte et le mépris, le harcèlement et l’envahissent mental, l’individualisation de la responsabilité, la double injonction, « d’un coté, nous consommons trop, mal, pas à la hauteur de nos moyens réels ; d’un autre, nous ne consommons pas assez, jamais, et le seul avenir qui nous est proposé, c’est celui du crédit et de l’endettement permanent ». Mais si nous manifestons notre colère nous sommes accusé·es d’être violent·es ; mais qu’en est-il de la violence des riches, de leur violence permanente et parfois délictuelle ?
Dette et contrôle, une personne endettée perd une partie de sa capacité à agir. Les auteurs et autrices indiquent, à très juste titre : « Cette question de l’agir, et notre capacité à transformer le monde, nous nous la posons intensément. Elle est le socle de notre envie de nous rencontrer : nous redonner le sentiment que nous possédons une capacité de transformer le réel. Nous sommes donc évidemment complètement concerné·es par cette question quand elle touche aussi les personnes endettées. Refuser cette logique d’enfermement et de gouvernement nous semble nécessaire et salutaire »…
Le texte se termine par une proposition de joie créatrice, une flotte de bateaux pirates, l’élargissement des brèches, l’annulation cyclique des dettes, l’effacement de l’ardoise, des espaces de soin et d’entraide, des réinventions, « un espace de socialisation qui échappe à la logique marchande »…
En complément des lectures de textes de David Graeber, Jacques-Bénigne Bossuet, Maurizio Lazzarato, Isabelle Stengers et Philippe Pignarre, Frédéric Lordon, Eric Toussaint, Thomas Sankara et Jean Ziegler, Cadtm, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Olivier Bailly, Patrick Savidan, Roland de Bodt… et des Notes pour une écriture de la dette et du surendettement au théâtre.
C’est au final, une présentation originale, pédagogique et non réductrice d’un système de dépossession de l’avenir, de chacun·e, par la dette d’aujourd’hui…
Neuf essentiels
Sur la dette, le surendettement et la pauvreté
Culture et Démocratie 2019, 184 pages
Didier Epsztajn