L’icône féminine de la 3e vague réclame d’être brisée

Alors que le patriarcat exigeait autrefois le silence des femmes qui souffraient, il exige aujourd’hui des gémissements d’extase. Comment la société patriarcale a-t-elle réussi à réaliser ce tour de passe-passe des plus violents ?

Si vous cherchez sur Google les mots « étranglez-moi », vous serez inondé d’images mignonnes de cette phrase, agrandie dans une bulle rose, entourée de cœurs ou de diadèmes. Certaines images iront même plus loin, avec « Choke me daddy » affiché à côté de figurines de fillettes style dessins animés. On peut lire sur l’un des mèmes figurant en première page des résultats : « J’ai étranglé cette salope et elle s’est mise à sourire – c’est là que j’ai su que j’étais en amour ». Recherchez les expressions « gifle-moi », « mords-moi » ou « frappe-moi », et vous trouverez de nombreux résultats similaires.

Nous savons depuis longtemps que notre société est de plus en plus saturée de pornographie, mais la nature du contenu pornographique quotidien auquel on accède évolue rapidement. Comme l’explique Gail Dines dans son essai Pornoland (version française sous presse), les cinquante dernières années ont vu le passage d’une omniprésence de la pornographie dite « soft » à la généralisation d’une pornographie dure et violente. Les images de poitrines dénudées d’autrefois ont été remplacées par un nombre apparemment infini de clips vidéo gratuits de femmes ligotées, giflées, frappées, frappées à coups de poings et de pieds, piétinées, mordues et aspergées d’urine et de crachats. Ce qui était autrefois un marché de niche et un tabou fait maintenant partie intégrante de ce que nous considérons comme la « pornographie ordinaire ». Ce type de porno commune et dominante affiche généralement un thème commun : celui du sadisme sexuel et du masochisme. Le genre dominant et hégémonique de la pornographie actuelle est la « porno gonzo ». La « porno gonzo », telle que définie par Dines, est une pornographie caractérisée par « des relations sexuelles de cruauté, qui blesse le corps, et dans lesquelles les femmes sont rabaissées et avilies ».

Avant la naissance d’Internet, la pornographie à laquelle la plupart des gens avaient accès était celle du soft-core, modèle Playboy ; aujourd’hui, le soft-core de la porno ordinaire a été remplacé par une pornographie surchargée de brutalité, de violence et d’humiliation. Lorsque l’on considère la manière dont l’envahissement de la culture par la pornographie a influencé l’idéal de beauté féminine, il semble inévitable que ce changement dramatique dans la nature de la pornographie hégémonique entraîne des changements dans l’idéal féminin. Dans notre culture pornographisée, à quoi ressemble la femme idéale ?

Au cours des dernières années, il y a eu plusieurs comptes rendus de cette influence de la pornographie sur l’idéal de beauté féminine. Dines aborde le concept de la « salope lambda », la nouvelle femme de rêve qui, plutôt que de se caractériser par ses compétences exceptionnelles en matière de ménage, se distingue par sa sexualité explicite et sa disponibilité illimitée. Dans Perfect Me, Heather Widdows soutient que la femme idéale n’est plus un simple objet sexuel, mais simultanément un objet et un sujet sexuel, en ce sens que son désir et son initiative sexuelle sont un élément crucial de son attrait. Si l’on tient compte de la prédominance de la pornographie sadomasochiste aujourd’hui, la femme idéale telle que dictée par la pornographie se caractérise par sa tolérance à la douleur et son masochisme. Une recherche menée en 2010 a révélé que la plupart des scènes de cinquante des films pornographiques les plus regardés contenaient des éléments de violence physique et verbale envers les femmes. Des actes d’agression physique, comme des gifles et des étranglements, étaient visibles dans plus de 88% de ces scènes, et 48% d’entre elles comptaient des agressions verbales envers les comédiennes. En tenant compte des agressions physiques et verbales, les chercheures ont conclu qu’un peu moins de 90% de toutes les scènes de leur étude contenaient des éléments d’agression envers les femmes. Il devient rapidement évident que le porno ordinaire est essentiellement sadomasochiste : le porno que la plupart des spectateurs consomment régulièrement contient des éléments de sadomasochisme, que ce soit sous forme de gifles et de tirage de cheveux ou, de façon moins explicite, de l’avilissement ou l’humiliation verbale. On a surtout mentionné des actes sadiques, mais le masochisme se lit également dans ces vidéos à travers les visages souriants et les paroles d’encouragement des comédiennes aux agressions physiques et verbales. L’industrie du porno repose sur la conviction du consommateur que les femmes impliquées y prennent plaisir, et toute indication que ce n’est pas le cas menacerait de perturber le fantasme. Ainsi, les comédiennes doivent nécessairement démontrer leur plaisir lors de tout acte, quel qu’il soit, même s’il est agressif, douloureux ou avilissant. Une attitude masochiste de la part de ces femmes devient cruciale pour maintenir le fantasme vendu par les productions pornographiques.

Qu’est-ce que cela signifie pour les filles et les jeunes femmes ? Dans une culture qui encourage les filles à idolâtrer les vedettes féminines du porno, que disons-nous aux filles sur ce que l’on attend d’elles ? Le féminisme libéral « sexe-positif » a défendu le sadomasochisme comme une manifestation de la libération sexuelle des femmes, mais je ne peux m’empêcher de me demander à quel point ces jeunes femmes se sentent « libérées » lorsqu’on leur crache dessus et qu’on les gifle.

Ce genre de féminisme a fonctionné comme le cheval de Troie idéal du patriarcat, parvenant à écraser le bon sens au point que nous qualifions de libération le fait que des femmes sourient pendant que des hommes les frappent au visage. Depuis l’aube des temps, les hommes ont violemment agressé des femmes, mais, pour la première fois peut-être, cette misogynie absurde déguisée en politique progressiste a convaincu les femmes de réclamer de telles agressions afin de se conformer à une notion contemporaine de désirabilité. Exploitant la vulnérabilité des jeunes femmes face à l’idéal féminin, la société patriarcale a reformulé cet idéal, la faisant passer de la ménagère muette des années 50, à la poupée gonflable, à masochiste souriant à travers son mascara défait. Nous avons créé des conditions dans lesquelles la tolérance à la douleur est devenue un trait sexuellement désirable chez une partenaire, et les preuves en sont partout, des mèmes « Étrangle-moi » jusqu’aux hauts moulants « PainHub » vendus par le détaillant de vêtements en ligne O’Mighty ; notre culture est inondée de jeunes femmes déclarant leur adhésion au masochisme.

J’ai parlé à de nombreuses femmes qui, aux moments les plus déprimés de leur vie, ont adopté ce masochisme culturellement célébré, et n’ont eu aucun mal à trouver des hommes prêts à leur faire du mal au nom de la libération sexuelle – des hommes qui, par la consommation de porno, se sont fait vendre l’idée que les femmes n’aiment rien d’autre que d’être maltraitées physiquement. L’idéal de la femme masochiste est commercialisé par l’industrie capitaliste du porno et soutenu sans réserve par une société patriarcale sans doute ravie à l’idée que les agressions des femmes par les hommes et femmes soient non seulement tolérées, mais célébrées. Cette idolâtrie du masochisme féminin a non seulement pour effet d’emprisonner les femmes dans des cycles de violence, mais elle les culpabilise de ne pas en profiter. La seule libération issue de cette rhétorique a été la libération des hommes de la culpabilité, de la honte ou des répercussions potentiellement associées à leur brutalité à l’endroit des femmes. Les hommes peuvent désormais discuter ouvertement de la satisfaction sexuelle qu’ils retirent des violences infligées à leurs petites amies, et être reconnus comme des champions de la sexe-positivité.

Nous avons besoin d’un puissant contre-discours qui cherche à protéger les filles et à insister sur les méfaits de la violence des hommes à l’égard des femmes. Nous avons besoin d’un féminisme qui ne permettra pas à la misogynie violente de se dissimuler sous le masque de la libération. Lorsque les jeunes femmes exhibent des bleus infligés de façon sadique comme des insignes d’honneur et de désirabilité, c’est l’indication que nous les avons laissées tomber.

Jessica Masterson

Jessica Masterson est doctorante en philosophie, féministe radicale et mère autonome.

Version originale :

https://medium.com/@jessicamasterson_6828/the-third-wave-dream-girl-begs-to-broken-9eb0bb717f29

Traduction : TRADFEM

https://medium.com/@jessicamasterson_6828/the-third-wave-dream-girl-begs-to-be-broken-9eb0bb717f29

Tous droits réservés à l’autrice.

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « L’icône féminine de la 3e vague réclame d’être brisée »

  1. Merci de nous faire connaître ces excellents textes d’analyses et de témoignages.

    « Nous avons besoin d’un féminisme qui ne permettra pas à la misogynie violente de se dissimuler sous le masque de la libération. »

    Sororités,
    M.

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