Polar et jazz
Ray Celestin, britannique, s’est lancé dans une saga absolument réjouissante : raconter à la fois les migrations du jazz, de la Nouvelle-Orléans (« Carnaval ») à Chicago (« Mascarade ») et arriver avec « Mafioso » à New York en cette année 1947, date officielle d’entrée dans la guerre froide et la mise en place de la commission des activités anti-américaine, présidée par le sénateur McCarthy, qui pourchassera les communistes. La « chasse aux sorcières » débute pour le plus grand profit de la Mafia alliée au FBI d’Edgar Hoover qui aura l’audace de déclarer que « le crime organisé » n’existe pas alors que Costello, le « grand chef », est l’homme le plus puissant de New York et, par-là même, des États-Unis.
Le fil conducteur est double. D’abord un couple de détectives privés, Ida Davis, devenue veuve Young par son mariage, et Michael Talbot, son « professeur », dont le fils est accusé de meurtres, ensuite Louis Armstrong victime de la mort des Big Bands, cherchant une autre formule qu’il trouvera au concert de Town Hall – les enregistrements ont été retrouvés bien après cette année 1947. Le tout baigne dans l’histoire de la mafia, de ses ramifications, de ses conflits qui structure aussi l’histoire des Etats-Unis et de l’industrie du spectacle.
Le personnage qui permet de faire le lien entre tous ses univers est le « taulier » du club en vogue, le « Copacabana » où se produit Carmen Miranda dans une parodie brésilienne qui a beaucoup de succès. Gabriel veut quitter ce monde pourri en se faisant passer pour mort pour éviter les poursuites. Sa nièce, Sarah, est du voyage. C’est lui qui détermine le compte à rebours. L’enquête est rythmée par la quête de Gabriel en butte à tous les complots. Se fait entendre plutôt la quête hachée du be-bop que le Revival alors en vogue. Charlie Parker semble donner le rythme haletant de ses compositions. 1947 est la grande année de sa reconnaissance. Ray Celestin ne craint pas de faire de « Relaxin’ at Camarillo » une des clés de résolution de l’affaire visant le fils de Michael, viré de l’armée pour homosexualité et comme tel ne pouvant pas reprendre ses anciennes activités.
« Mafioso » raconte notre histoire, histoire d’un capitalisme corrompu et corrupteur, histoire d’un chef de la mafia qui consulte un psychanalyste, fréquente les galeries d’art – en 1947 Rothko expose ses œuvres – tout en essayant de défendre les intérêts des siens.
Un historien doublé d’un romancier fait découvrir l’envers du décor, en fait le vrai pour laisser apercevoir que tout le reste n’est fait que d’ombres qui passent…
Le jazz reste la seule valeur de ce pays étrange mais pas étranger…
Ray Celestin : Mafioso, Jazz, Mafia et meurtres en série, traduit par Jean Szlamowicz, Editions 10/18
Découvrir l’absurdité du monde.
Pascal Vatinel dans « Le chant des galahs » fait pénétrer à la fois dans la région quasi désertique de Goldfields-Espérance, en Australie, dans les us et coutumes des Aborigènes et dans la prise de conscience d’un policier honnête qui découvre son pays et ses corruptions comme ses préjugés meurtriers.
La référence à Arthur Upfield, le père du polar ethnologique, vient immédiatement à l’esprit via un policier issu des tribus existantes. Au-delà, l’intrigue est clairement inscrite dans notre époque, 2018, qui met en scène un groupe de scientifiques et de mercenaires – dont un venant d’Afrique du Sud – dont le but, sous prétexte de lutte contre la crise écologique, est de spolier les Aborigènes pour s’approprier leur territoire. Des champs d’or pour ces capitalistes sans scrupule.
Archie Anderson, descendant d’Ecossais – un clin d’œil à Upfield – est tout jeune sortie de l’école de police. Il découvre ces territoires, l’amour et les Aborigènes sans compter le poids des groupes politiques d’extrême droite centré autour de la suprématie de l’homme blanc qui gangrènent la police. Il survivra difficilement à tous ces dangers pour apprendre le respect mutuel et les limites de la justice face à la force du capital.
La description du plan forgé par les fonds d’investissement est crédible et éclaire la citation de Goethe : « Celui qui veut tromper les hommes doit avant tout rendre l’absurde plausible. » Ou comment utiliser la nécessité de la lutte pour la préservation de l’environnement en une vaste entreprise de faire des profits sur le dos des plus démunis. Une manière aussi de prévenir que tout ce qui apparaît comme vert n’est pas forcément honnête à partir du moment où il est question de valoriser des capitaux. Une interrogation sur le « capitalisme vert ».
Pascal Vatinel : Le chant des galahs, Mikros Noir/éditions de l’Aube
Nicolas Béniès