Inde : textes (pandémie, nationalisme, Modi, mobilisations paysannes, etc.)

Les agriculteurs et les travailleurs décident de poursuivre la lutte. Une échéance: le 26 mai

Par Newsclick Report

Alors que le pays continue d’être ravagé par la deuxième vague de la pandémie de Covid-19, les organisations de travailleurs et d’agriculteurs ont décidé de poursuivre leur lutte contre « l’ennemi commun » et de continuer à dénoncer l’échec du gouvernement dans la gestion de la crise du Covid-19 ainsi que dans la protection des travailleurs, des travailleuses et des agriculteurs.

Avec le début de la deuxième vague, les défis auxquels ces groupes sont confrontés sont quelque peu nouveaux, même si leurs revendications restent les mêmes. Samedi 8 mai 2021, lors d’une réunion en ligne organisée conjointement par le Centre of Indian Trade Unions (CITU), All India Kisan Sabha (AIKS) et All India Agricultural Workers Union (AIAWAU), une discussion a eu lieu pour se concentrer sur la « situation actuelle » et « nos tâches ».

Tout en formulant un programme en deux points – fournir une aide aux personnes en détresse et lutter – les dirigeants des organisations ont réitéré la nécessité d’« intensifier » les luttes en cours.

Tapan Sen, secrétaire général du CITU, a déclaré qu’actuellement, dans le pays, il y a deux types de situations d’urgence: la première est due à la pandémie de Covid-19 et la seconde est due à « l’attaque contre les moyens de subsistance des gens ».

« Des milliers d’emplois ont été perdus et les travailleurs ne reçoivent pas leur salaire dans de nombreuses régions du pays en ce moment… Cependant, c’est exactement en ces temps que le gouvernement Modi se préoccupe d’augmenter les profits de ses amis des firmes », a-t-il déclaré, ajoutant que l’attitude du gouvernement ne fait que montrer sa « tendance à la barbarie ».

Tapan Sen a souligné que la situation est tout aussi sombre sur le front de la santé, avec une infrastructure médicale « sous-optimale»  dans le pays, confrontée à une pression supplémentaire à la suite de l’augmentation du nombre de cas de Covid-19.

Appelant à un effort conjoint des trois organisations pour « fournir de l’aide aux personnes en détresse » jusqu’aux « niveaux de base » en ces temps, Tapan Sen a déclaré que le travail d’assistance par les membres du syndicat, tout comme l’année dernière, va bientôt commencer en ce qui concerne les demandes de « ration alimentaire » et de « fournitures médicales liées au Covid ».

Ashok Dhawale, président de l’AIKS, a critiqué le gouvernement Modi pour avoir « utilisé » la période de pandémie pour introduire des législations orientées vers des contre-réformes du travail et de l’agriculture. Il faisait référence aux lois agricoles et aux modifications du Code du travail.

Ashok Dhawale a également remis en question la décision du Centre (gouvernement Modi) de poursuivre le projet Central Vista [vaste réaménagement de la zone administrative centrale de l’Inde, située près de Raisina Hill à New Delhi] et l’utilisation des fonds collectés dans le cadre du PM-CARES [Fonds d’assistance et de secours aux citoyens du Premier ministre, créé le 27 mars 2020]. « Nous devons apporter ces points de débat aux gens et les organiser pour combattre les politiques du gouvernement Modi », a-t-il déclaré.

Ashok Dhawale, resté actif lors des manifestations d’agriculteurs aux frontières de Delhi, a également fait allusion à la manifestation nationale du 26 mai, qui marquera le sixième mois des manifestations d’agriculteurs.

En juin de l’année dernière, le Premier ministre Modi a lancé un appel retentissant pour « transformer la crise du Covid-19 en une opportunité ». Cet appel a été précédé, surtout, d’une nouvelle politique des entreprises du secteur public en vertu de laquelle toutes les entreprises publiques, à l’exception d’un maximum de quatre entreprises d’État dans des secteurs stratégiques, devaient être privatisées.

Face à cela, les groupes de travailleurs et d’agriculteurs – luttant respectivement contre les quatre codes du travail et les trois lois agricoles – ont cherché à unifier leur lutte.

Les tentatives de forger cette unité ont pris de l’ampleur en août de l’année dernière, lorsque le 7 août 2021, un appel à observer la « Journée de l’Inde » par la plate-forme nationale de la Centrale syndicale (Central Trade Unions-CTUs) a également été soutenu par le All India Kisan Sangharsh Coordination Committee (AIKSCC), qui se compose de 250 syndicats d’agriculteurs de tout le pays. De même, lorsque ce dernier a appelé à une manifestation nationale « Rail Roko-Rasta Roko » [occupations et blocages des voies ferroviaires] le 25 septembre, les syndicats ont déclaré leur soutien inconditionnel au programme.

En outre, après une première réunion conjointe de ce type entre les dirigeants de la CTUs et de l’AIKSCC en novembre de l’année dernière, les deux groupes ont exprimé leur solidarité pour la grève générale des travailleurs et le Delhi Chalo [entourer la capitale et marcher sur elle] des agriculteurs.

Tapan Sen, de la CITU, a souligné samedi 8 mai la nécessité d’« intensifier » ces mouvements dans les jours à venir. « Nos armes sont la défiance et la résistance et nous ne devons pas permettre au gouvernement Modi de détruire les ressources nationales », a-t-il déclaré.

B. Venkat, secrétaire général de l’AIAWU, a critiqué le gouvernement Modi pour sa politique de vaccination Covid-19 « anti-pauvre » qui ne fera qu’« aggraver » la crise sanitaire actuelle dans le pays. Il a exhorté le Centre (le gouvernement) à garantir des vaccins gratuits pour tous.

Article paru le 9 mai 2021 sur le site indien News Click ; traduction par la rédaction de A l’Encontre

http://alencontre.org/asie/inde/inde-les-agriculteurs-et-les-travailleurs-decident-de-poursuivre-la-lutte-une-echeance-le-26-mai.html

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Une stratégie du choc made in India,
et à l’heure de la pandémie

« Comment cette inégalité peut-elle être maintenue si ce n’est par des décharges électriques » Eduardo Galeano, Jours et nuits d’amour et de guerre

Dans La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, la célèbre essayiste Naomi Klein présente un récit saisissant de la manière dont les catastrophes ont été utilisées comme couverture pour faire passer le fondamentalisme du marché par des régimes autoritaires au Chili et en Argentine, entre autres. Le titre fait allusion à la pratique de la thérapie de choc psychiatrique utilisée au début du XXe siècle. Elle appelle cela le capitalisme du désastre, défini comme « des raids orchestrés sur la sphère publique à la suite d’événements catastrophiques, combinés au traitement des désastres comme des opportunités de marché prometteuses ». Par exemple, Naomi Klein parle de la façon dont le gouvernement des Etats-Unis a vu La Nouvelle-Orléans dévastée après l’ouragan Katrina [en 2005] comme une opportunité d’utiliser « les moments de traumatisme collectif pour s’engager dans une ingénierie sociale et économique radicale ». En bref, il existe plusieurs exemples de la manière dont les États profonds néolibéraux sont alimentés en exploitant une crise économique à un moment opportun pour mettre en gage les libertés civiles et les ressources naturelles [1].
Nous pourrions nous demander : quel est le contexte ? Il s’agit de comprendre le caractère changeant et glissant de la politique constitutionnelle dans l’Inde d’aujourd’hui. Et pour ce faire, nous devons prendre pour exemple des régimes illibéraux ou non démocratiques [2]. Dans ce contexte, plusieurs comparaisons polémiques ont été faites entre les tendances autocratiques du premier ministre indien Narendra Modi et celles d’Adolf Hitler. Cette comparaison a bénéficié d’une certaine permanence étant donné l’allégeance du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS-Organisation volontaire nationale), le parti mère du Bharatiya Janata Party (BJP-Parti indien du peuple), au parti national-socialiste allemand (nazi). Récemment, le théoricien politique Partha Chatterjee a proposé une étude brillante et particulière de la souveraineté populaire et de ses modèles concurrents en Europe et en Asie au cours des deux derniers siècles. Une partie de ce que le RSS apporte à la perspective nazie et pourquoi Modi représente un nouveau type de capitalisme en Inde est évidente dans cette étude. Cependant, la manière dont les préceptes violents de l’Hindutva [hindouité, définie comme un instrument politico-culturel-religieux face à des idéologies étrangères telles que l’islam ou le christianisme] du régime actuel du BJP sont mis en avant dans le cadre d’un dispositif néolibéral plus large reste une question ouverte, qui a pris un poids particulier à la lumière de la pandémie [3].

Nous présentons ici quelques parallèles et variantes de l’essai de Naomi Klein. Alors que l’affirmation de l’État profond de l’Hindutva était déjà en cours sous Modi, ce qui est frappant, c’est la façon dont la survenue de la pandémie a été utilisée pour la masquer par un passage en force des contre-réformes marchande. La prise de décision monopolisée et la subversion des délibérations démocratiques ont en outre contribué à la fabrication d’un mécanisme répétitif accentuant le lien entre le gouvernement et les entreprises en vue de contracter le secteur public. C’est dans ce contexte que le discours de Modi sur la privatisation, au détriment des dépenses sociales, a de fortes résonances avec Augusto Pinochet du Chili et la junte militaire qui a dirigé l’Argentine dans les années 1970 et 1980. Cette comparaison, similaire à bien des égards, mettra en évidence certains des paramètres politiques cancéreux du régime actuel en Inde, qui vont à l’opposé du bon sens et des principes démocratiques.

Lors d’un coup d’État militaire au Chili le 11 septembre 1973, Pinochet a renversé le gouvernement socialiste de Salvador Allende, a assassiné le président dûment élu et a dirigé le Chili pendant les dix-sept années suivantes. Peu après l’insurrection de Pinochet, la toute nouvelle Direction nationale du renseignement (DINA), « chargée » de sauvegarder « l’intérêt national », a été impliquée dans des violations des droits de l’homme à grande échelle, notamment des meurtres, des détentions, des « disparitions » et des tortures de civils et de dissidents. Bien que la Direction nationale du renseignement ait été dissoute en 1977, le régime de Pinochet a continué à écraser les libertés civiles et à museler la dissidence. Le rapport de la Commission nationale chilienne pour la vérité et la réconciliation présente un compte rendu sobre de ces violations des droits de l’homme [4]. Ces dernières ont été complétées par les cures économiques de l’école de Chicago, école composée d’économistes partisans du « marché libre » et placés sous la direction de Milton Friedman.

Orlando Letelier, ambassadeur du Chili aux États-Unis et ministre des Affaires étrangères sous Allende, présente une critique cinglante du modèle de « marché libre », dont les conséquences ont été désastreuses. La dette extérieure exigible a augmenté de 20% en un an seulement, la production et la consommation alimentaires ont diminué, le chômage a augmenté et le bien-être général de la population a chuté de façon spectaculaire. Le Chili est donc un exemple frappant de ce qui se passe lorsque la dictature se marie au capitalisme de connivence [5].

Pinochet nous offre un point d’ancrage pour examiner l’Inde sous le BJP. Auscultons d’abord le front économique. Selon Oxfam Inde, les 10% les plus riches de la population indienne détiennent 77% de la richesse du pays [6]. L’inégalité croissante coïncide avec une baisse constante du ratio de l’impôt sur les sociétés par rapport au PIB, qui est passé de plus de 3% en 2010-2011 à un maigre 0,9% en novembre 2020 [7]. En revanche, en 2019, la consommation et le chômage étaient à leur plus mauvais niveau depuis quatre décennies [8]. Les premières données du cinquième cycle de l’enquête nationale sur la santé des familles suggèrent que les paramètres nutritionnels des femmes et des enfants se sont détériorés ou ont stagné entre 2014-15 et 2019-20 [9]. En outre, les taux de mortalité infantile ont augmenté dans certains États en 2017-18 [10]. Écrivant sur l’effondrement du développement humain au Chili sous le régime de Pinochet, Orlando Letelier note : « Les conditions inhumaines dans lesquelles vit un pourcentage élevé de la population chilienne se traduisent de la manière la plus spectaculaire par des augmentations substantielles de la malnutrition, de la mortalité infantile… Il s’agit, en somme, d’une lente famine. » [11]

L’Inde a toujours accordé peu d’attention à la santé publique. Le Covid a aggravé la situation

Il n’est donc pas étonnant que le pays ait vacillé lorsqu’il a été confronté à une pandémie de cette ampleur, qui s’est développée sur les fondations branlantes du bien-être national. L’anxiété et le mécontentement se sont encore aggravés lorsque Modi a décrété en mars 2020 un confinement unilatéral, plaçant l’importante main-d’œuvre informelle de l’Inde (environ 500 millions de personnes) et leurs familles dans une situation de vie ou de mort. Le spectacle de milliers de travailleurs migrants, impuissants et survivants, faisant des voyages épiques à travers le pays, fait désormais partie des archives misérables des calamités de la nation. Des millions de personnes ont souffert de la faim et ont dû se débrouiller pour survivre, et plus d’un millier de personnes sont mortes de faim, d’épuisement ou d’accidents [12].

Les mesures d’aide tant vantées par le gouvernement n’ont représenté que 3% du PIB, alors qu’il prétendait, à tort, en représenter 10% [13]. Pire encore, de l’aveu même du gouvernement, il n’existait aucune donnée sur les décès et la détresse des travailleurs provoqués par le confinement. Le choc de la fermeture en avril et mai 2020, sans mesures de protection sociale adéquates, s’est prolongé pendant une bonne partie des mois d’octobre et novembre [14]. Selon l’enquête Hunger Watch de la Right to Food Campaign, 27% des personnes interrogées étaient toujours sans revenu en octobre 2020 et seulement 3% avaient retrouvé leur niveau de revenu d’avant la fermeture [15]. Au 1er janvier 2021, la Food Corporation of India disposait de 21,4 millions de tonnes de riz et de blé, soit quatre fois plus que les normes de stock tampon [16]. Mais malgré les stocks de nourriture débordant dans les entrepôts du gouvernement, le système de distribution publique de nourriture n’a pas été généralisé. Au contraire, le gouvernement a prescrit la réduction des subventions alimentaires pour les pauvres [17]. La fermeture des écoles publiques a cloisonné les enfants selon les possibilités d’accès aux communications en ligne, creusant encore davantage les écarts socio-économiques existants. Alors que les pauvres ont été contraints de s’enfoncer davantage dans la faim et l’aliénation, le gouvernement semble célébrer l’inégalité comme une vertu, comme en témoigne son raisonnement statistique profondément fallacieux dans son Economic Survey [18]. Faisant allusion à l’austérité du gouvernement en période de crise humanitaire, Naomi Klein se réfère à la description faite par Business Week du Chili du milieu des années 1970 comme un « monde du Dr Folamour de dépression délibérément induite » [19].

Le budget annuel de l’Union [l’Inde est une république fédérale] pour 2021-22 était l’occasion de redresser le déséquilibre massif entre les pauvres et l’« élite ». Cependant, les allocations budgétaires pour les dépenses sociales et le secteur social n’ont cessé d’être réduites [20]. Il y a eu une diminution globale des dépenses publiques pour la santé, l’éducation, l’alimentation et la loi nationale de garantie de l’emploi rural – les piliers de la sécurité sociale en Inde. Plusieurs unités du secteur public ont également été arbitrairement privatisées.

Les lois répressives sanctionnées par l’hindouisme

Tout au long, le substrat de toute l’opération a été une réification de la majorité hindoue et une déification concomitante de Modi [dirigeant au profil de plus en plus religieux]. Ce programme n’a pas émergé en un jour. Après que le BJP a remporté les élections générales de 2019 avec une majorité écrasante, le gouvernement indien a modifié la loi sur la prévention des activités illégales, qui lui confère des pouvoirs étendus et discrétionnaires pour déclarer sans procès toute personne « terroriste ». De nombreux militants des droits de l’homme en désaccord avec le gouvernement ont été arrêtés depuis lors avec des accusations non fondées. L’amendement de la loi sur la prévention des activités illégales a été suivi de l’amendement de la loi sur le droit à l’information, facilitant la rétention d’informations par le gouvernement, réduisant ainsi davantage son engagement en matière de transparence et de responsabilité. Par la suite, du jour au lendemain, par un tour de passe-passe macabre, le gouvernement indien a inconstitutionnellement révoqué le statut spécial [de la province] du Jammu-et-Cachemire [en août 2019]. Il a ensuite adopté la loi xénophobe de modification de la citoyenneté, faisant peser sur les musulmans de l’Inde la plus grave menace pour leur vie et leurs moyens de subsistance depuis la partition de l’Inde en 1947. La loi modifiée sur la citoyenneté fait peser une grave menace sur les musulmans dépourvus de documents officiels, car ils risquent d’être rendus apatrides et contraints de séjourner dans des camps de détention [en décembre 2019, la Chambre haute et la Chambre basse ont adopté le Citizenship Amendent Bill qui régularise le statut des réfugiés hindous, sikhs, chrétiens, jains, bouddhistes, parsis arrivés avant 2014 et ayant fui l’Afghanistan, le Pakistan ou le Bangladesh « pour des raisons religieuses » ; seuls les musulmans sont exclus du dispositif]. L’expérience de sa mise en œuvre dans l’État indien d’Assam témoigne de cette horreur. Le traitement des civils et des dissidents par le régime de Pinochet sous l’effet de la privatisation mérite d’être comparée. Comme l’écrit Letelier :

« La violation des droits de l’homme, le système de brutalité institutionnalisée, le contrôle et la suppression drastiques de toute forme de dissidence significative sont discutés (et souvent condamnés) comme un phénomène qui n’est qu’indirectement lié, voire totalement étranger, aux politiques classiques de « libre marché » sans restriction qui ont été appliquées par la junte militaire. Cette incapacité à établir un lien a été particulièrement caractéristique des institutions financières privées et publiques, qui ont publiquement loué et soutenu les politiques économiques adoptées par le gouvernement Pinochet, tout en regrettant la « mauvaise image internationale » que la junte a acquise du fait de sa persistance « incompréhensible » à torturer, emprisonner et persécuter tous ses détracteurs… Ce concept particulièrement commode d’un système social dans lequel la « liberté économique » et la terreur politique coexistent sans se toucher, permet à ces porte-parole financiers de soutenir leur concept de « liberté » tout en exerçant leurs muscles verbaux pour défendre les droits de l’homme. » [21]

Cette situation reflète le régime de Modi à un degré étonnant. Comme le régime de Pinochet, le régime du BJP a centralisé son mécanisme d’arrestations et de détentions en invoquant l’Unlawful Activities Prevention Act [loi de prévention des activités illégales] et en utilisant la National Investigation Agency. Il existe toutefois une différence subtile entre les deux régimes. Contrairement à Pinochet, le régime BJP a décentralisé ses actes de vandalisme et de violence [donc dans certains Etats]. Par conséquent, on ne voit pas souvent une situation semblable à une guerre civile, mais plutôt des actes de violence éclatés, des émeutes locales, des lynchages fragmentés de musulmans, et une violence abjecte disparate contre les femmes et les Dalits [les dits «intouchables»].

Quand la pandémie infecte le régime « législatif »

Tout au long de la pandémie, les actes unilatéraux de populisme de Modi ont été présentés comme des exemples de prise de décision rapide et audacieuse. Il est apparu à plusieurs reprises à la télévision et, avec une théâtralité accentuée, a demandé au pays de se rassembler pour des inepties telles que frapper des assiettes et allumer des lampes, transformant ainsi une urgence de santé publique en une fête confessionnelle. Le gouvernement a même essayé de faire porter la responsabilité de cette calamité nationale à une petite congrégation dans une mosquée de Delhi. En outre, en dépit de la paralysie politique fondamentale, le gouvernement Modi a pris plusieurs initiatives au cours des premiers mois du confinement. Le PM CARES Fund [Prime Minister’s Citizen Assistance and Relief in Emergency Situations Fund] a été annoncé, en contradiction non seulement avec les fonds de secours déjà établis, mais aussi en le soustrayant à la loi sur le droit à l’information et à l’examen public. Deuxièmement, le gouvernement a lancé une application de surveillance controversée (Arogyasetu) au nom de l’inventaire des infectés, que les cyberexperts ont jugé invasive. Troisièmement, le gouvernement a signé un contrat de 63 millions de dollars pour l’achat d’armes de grande valeur aux États-Unis, tout en donnant le feu vert final à la rénovation à hauteur de 200 milliards de roupies [268 millions] du quartier du Parlement dans la capitale nationale [22].

Tout cela signifie qu’à l’autre extrémité d’une nation souffrante, le gouvernement a continué à travailler comme si de rien n’était. Mais d’autres affaires étaient déjà en préparation. Peu de temps après, le gouvernement a rédigé une pernicieuse Etude d’impact sur l’environnement 2020 [Environment Impact Assessment 2020] et a accordé des baux miniers et aéroportuaires à de grandes entreprises. Tout cela a été fait sans que le Parlement indien ait été convoqué une seule fois, et sans aucune délibération ou débat public. Une nouvelle politique d’éducation [New Education Policy] a également été lancée maladroitement.

Écrivant sur l’expérience latino-américaine du fondamentalisme du marché en désaccord avec les règles démocratiques, Naomi Klein note : « Toutes ces incarnations partagent un engagement envers la trinité politique – l’élimination de la sphère publique, la libération totale des entreprises et des dépenses sociales squelettiques. » [23]

En bref, l’autoritarisme, la chasse aux sorcières et l’utilisation de tous les rouages de l’État comme véhicule de propagande étaient déjà florissants en Inde. La crise provoquée par le Covid-19 a fourni l’occasion de bouleverser davantage les dispositions constitutionnelles et les principes fédéraux. Lorsque, après une interruption de cinq mois, le Parlement s’est réuni à nouveau le 14 septembre 2020, en l’espace d’une semaine, avec une hâte sans précédent et en passant outre les procédures, le gouvernement indien a adopté rapidement plusieurs législations litigieuses avec peu ou pas de consultations : les trois lois sur l’agriculture (qui sont devenues depuis une crise majeure en devenir) étant les plus flagrantes. En outre, il y avait la loi sur la réglementation des investissements étrangers et trois lois concernant les conditions de travail de la classe ouvrière. Dans le cas de la loi sur les investissements étrangers, les nouveaux amendements rendent pratiquement impossible pour les organisations à but non lucratif (ONG) de fonctionner sans suivre la « ligne officielle ». En conséquence, le chien de garde mondial vénéré, Amnesty International, s’est retiré de l’Inde [24]. En ce qui concerne le travail, vingt-neuf lois sur le travail ont été réduites à trois codes du travail controversés. Chacun de ces codes affaiblit la protection sociale de la classe ouvrière et élargit le réseau de la précarité déjà en expansion. Non seulement ces lois sont moralement douteuses et constitutionnellement contestables, mais les affirmations selon lesquelles les codes rendraient les marchés du travail plus flexibles et amélioreraient donc la prétendue facilité de faire des affaires, sont également trompeuses [25].

De plus, la classe ouvrière est inextricablement liée aux communautés historiquement privées de leurs droits, comme les Dalits, les musulmans et les Adivasis [Aborigènes de l’Inde], qui seront encore plus poussées vers les marges. De telles dilutions des lois du travail ressemblent étrangement aux décisions prises par Martinez de Hoz, un propriétaire terrien qui est devenu ministre des Finances dans l’Argentine militaire des années 1970. Faisant allusion à ses actions, Naomi Klein note que « le premier acte de De Hoz en tant que ministre de l’Economie a été d’interdire les grèves et de permettre aux employeurs de licencier à volonté les travailleurs ». Dans une publicité de trente et une pages parue dans Business Week, le gouvernement argentin de l’époque déclarait que « peu de gouvernements dans l’histoire ont été aussi encourageants pour l’investissement privé… Nous sommes dans une véritable révolution sociale, et nous cherchons des partenaires. Nous nous libérons de l’étatisme et nous croyons fermement au rôle primordial du secteur privé ». Comme l’indique le livre True Crimes de Michael McCaughan, dans l’année qui a suivi, les salaires ont baissé de 40% et le sous-emploi a explosé [26].

Quand le pouvoir judiciaire est soumis

C’est dans ces moments-là que le pouvoir judiciaire est censé contrôler les excès de l’État et défendre les libertés individuelles. Au contraire, la génuflexion du pouvoir judiciaire indien devant le gouvernement est devenue endémique, la Cour suprême n’ayant pas réussi à protéger la vie des pauvres et des affamés. En fait, en réponse à une pétition sur la compensation salariale pour les travailleurs migrants pendant un confinement, la Cour suprême a fait preuve d’une apathie olympienne lorsqu’elle a demandé : « Si on leur fournit de la nourriture, pourquoi ont-ils besoin d’argent pour les repas ? » Comme l’affirme Gautam Bhatia, si la Cour suprême a fait preuve d’une urgence inhabituelle en entendant la demande de libération sous caution d’un journaliste effrontément de droite, elle s’est montrée visiblement et résolument apathique dans d’autres affaires urgentes: incarcérations illégales au Cachemire, cautionnement électoral, incarcération illégale de militants sociaux, etc. [27] La plupart croupissent dans des prisons sans procès depuis deux ans.

Selon une analyse des lois archaïques sur la sédition (section 124A du Code pénal indien), « 65% des près de 11 000 personnes impliquées dans 816 affaires de sédition depuis 2010 ont été mises en cause après 2014, lorsque Modi a pris ses fonctions [28]. Le politologue Jan-Werner Müller qualifie ces actions des gouvernements populistes de légalisme discriminatoire, ce qui, dit simplement, revient à : « pour mes amis, tout; pour mes ennemis, la loi ».

En conclusion, l’absence d’une force d’opposition puissante, la mendicité des grands médias et les faveurs à peine voilées du pouvoir judiciaire à l’égard du gouvernement ont favorisé l’usurpation singulière du pouvoir par Modi. La pandémie a créé l’avantage supplémentaire d’une nation sans collectifs de contre-enquête – que ce soit dans les espaces de l’université, les congrès de la société civile, ou dans les arts et les pratiques culturelles. Il est clair que la phobie virale a été utilisée comme un jeu de distraction, afin que l’échec total du gouvernement puisse être caché à l’examen public, tandis que plusieurs politiques qui encourageaient la petite clique des entreprises privées pouvaient être mises en vigueur. C’est aussi un jeu de contrôle, qui consiste à forcer le consentement et à contourner les règles et les procédures. Les parallèles avec la Stratégie du choc sont donc évidents. Ce que Modi a administré – avec une obstination spectaculaire – est un mélange diabolique d’hypocrisie, de fausseté et de haine. Tout cela pendant qu’une nation, totalement internée, était engourdie dans un état de paralysie consentante. À l’autre extrémité de cette situation liée à la pandémie, ce qui a été irrémédiablement endommagé, c’est l’édifice même de l’engagement démocratique et des structures institutionnelles, créant ainsi un précédent favorisant une dérive pour les gouvernements futurs.

Sayandeb Chowdhury & Rajendran Narayanan

Sayandeb Chowdhury est professeur adjoint à l’Université Ambedkar, Delhi

Rajendran Narayanan est professeur assistant à l’Université Azim Premji, Bangalore

Article publié sur le site MR Online, le 27 avril 2021 ; traduction rédaction A l’Encontre

http://alencontre.org/asie/inde/une-strategie-du-choc-made-in-india-et-a-lheure-de-la-pandemie.html


Notes

[1] Naomi Klein, The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism (New York: Picador, 2008).

[2] Madhav Khosla and Milan Vaishnav, “The Three Faces of the Indian State,” Journal of Democracy 32, no. 1 (2021): 111–25.

[3] Partha Chatterjee, “I Am the People: Reflections on Popular Sovereignty Today (New York: Columbia University Press, 2019).

[4] United States Institute of Peace, Report of the Chilean National Commission on Truth and Reconciliation (Washington DC: United States Institute of Peace, 2002).

[5] Orlando Letelier, “The ‘Chicago Boys’ in Chile: Economic Freedom’s Awful Toll” Nation, August 1976.

[6] « India: Extreme Inequality in Numbers » Oxfam International, 2020, accessed April 13, 2021.

[7] Zico Dasgupta, “The Impossible Trinity Facing Budget 2021–22” Hindustan Times, January 23, 2021.

[8] S Subramanian, “What Is Happening to Rural Welfare, Poverty, and Inequality in India?” India Forum, December 12, 2019; Radhicka Kapoor, “Understanding India’s Jobs Challenge,” India Forum, September 10, 2019.

[9] Dipa Sinha, “Why NFHS-5 Data Merits Serious Concern and Urgent Action” Wire, December 24, 2020.

[10] Jean Drèze, Ashish Gupta, Sai Ankit Parashar, and Kanika Sharma, “Pauses and Reversals of Infant Mortality Decline in India in 2017 and 2018” SRN, November 8, 2020.

[11] Letelier, “The ‘Chicago Boys’ in Chile.”

[12] Anindita Adhikari, Navmee Goregaonkar, Rajendran Narayanan, Nishant Panicker, and Nithya Ramamoorthy, “Manufactured Maladies: Lives and Livelihoods of Migrant Workers During COVID-19 Lockdown in India” Indian Journal of Labour Econonmics 63 (2020): 969–97; Aman, Kanika Sharma, Krushna R, Thejesh GN, “India Non Virus Deaths During Lockdown” Zenodo, July 4, 2020.

[13] Jayati Ghosh, “A Critique of the Indian Government’s Response to the COVID-19 Pandemic” Journal of Industrial and Business Economics 47 (2020): 519–30; Debraj Ray and S. Subramanian, “India’s Lockdown: An Interim Report” Indian Economic Review 55 (2020): 31–79.

[14] Abraham Rosa, Amit Basole, and Surbhi Kesar, “Tracking Employment Trajectories during the Covid-19 Pandemic: Evidence from Indian Panel Data” (Centre for Sustainable Employment Working Paper #35, Azim Premji University, Bangalore, 2021).

[15] Dipa Sinha and Rajendran Narayanan, “Hunger, Nutrition Are Worse than Before Lockdown: PDS Must Be Universalized” Indian Express, November 26, 2020.

[16] Himanshu, “The Mere Existence of MSPs Will Not Do Much for Indian Farmers” Mint, February 11, 2021.

[17] https://indianexpress.com/article/india/to-cut-subsidy-bill-niti-paper-says-lower-coverage-of-food-security-law-7207884/

[18] “Inequality and Growth: Conflict or Convergence?” chap. 4 in Economic Survey 2020–21, vol. 1 (Delhi: Government of India, Ministry of Finance, 2021).

[19] Klein, The Shock Doctrine.

[20] Dipa Sinha, “The Budget’s Blurred Social Sector Vision” Hindu, February 3, 2021.

[21] Letelier, “The ‘Chicago Boys’ in Chile.”

[22] Sriram Lakshman, “U.S. Approves Sale of Missiles, Torpedoes to India” Hindu, April 14, 2020; Rohan Deshpande, “Centre’s Rs 20,000-Crore Central Vista Redevelopment Plan May Sit at Odds with Delhi Heritage Rules” Scroll, June 11, 2020.

[23] Klein, The Shock Doctrine.

[24] Sumit Ganguly, “The Death of Human Rights in India?” Foreign Policy, October 2, 2020.

[25] K. R. Shyam Sundar, “Critiquing the Industrial Relations Code Bill, 2019 Economic & Political Weekly 55, no. 32–33 (2020); K. R. Shyam Sundar, “Occupational Safety Continues to be Ignored as a Right” Economic & Political Weekly 55, no. 39 (2020); “New Labour Codes and Their Loopholes,”Economic & Political Weekly 55, no. 40 (2020); Ravi Srivastava, “Myth and Reality of Labour Flexibility in India” Indian Journal of Labour Economics 59 (2016): 1–38.

[26] Klein, The Shock Doctrine.

[27] Gautam Bhatia, “A Plaintive Lament on Liberty That Rings Hollow” Hindu, January 20, 2020.

[28] Kunal Purohit, “Our New Database Reveals Rise in Sedition Cases in the Modi Era” article-14, February 2, 2021.


Le nationalisme hindouiste et sacré de Modi et le Covid-19

« L’Inde a du mal à respirer. Grâce à l’incompétence et à la complaisance du GOI [gouvernement indien] ». En d’autres temps, le commentaire de Rahul Gandhi aurait pu être interprété comme une pointe émise par un leader d’un parti d’opposition. Mais pas maintenant.

Dans le dernier rapport du 27 avril, il y a eu 323 144 nouveaux cas. En l’espace de 24 heures, 2771 personnes sont mortes [estimation qui selon de nombreux épidémiologistes indiens est largement inférieure à la réalité]. Beaucoup auraient pu être sauvées. Les gens meurent en dehors des hôpitaux parce qu’il n’y a pas de lits disponibles. Un grand hôpital privé connu pour ses patients célèbres a transformé son hall d’entrée en salle covid. Dans d’autres hôpitaux, les patients partagent des lits; certains reçoivent de l’oxygène en étant allongés sur le sol ou même dans un autorickshaw [cyclo-pousse] garé à l’extérieur. Ce sont les quelques chanceux. Beaucoup mendient encore de l’aide.

Les escrocs y voient une opportunité. Une opération d’enquête-infiltration dans une ville du Gujarat a révélé un racket de lits d’hôpitaux. Un employé de l’hôpital a dit à un parent désespéré : « Je n’accepterai rien de moins que 9000 roupies. Vous aurez le lit dans 30 minutes ». 120 dollars, c’est beaucoup d’argent pour la « classe moyenne ». Imaginez donc la situation critique des pauvres.

En mars de l’année dernière (2020), lorsque le Premier ministre Narendra Modi a annoncé un confinement, donnant aux Indiens à peine quatre heures pour faire des provisions, les pauvres n’avaient pas d’argent pour acheter plus qu’un repas. Du jour au lendemain, ils se sont retrouvés sans emploi, et la plupart des migrants venus d’autres villes subsistent avec des salaires journaliers. 744 millions gagnent 44 roupies (0,49 euro) par jour. Ils vivent dans des conditions infra-humaines dans lesquelles une quarantaine serait impossible.

On estime à 1,8 million le nombre de sans-abri en Inde. Les programmes de vaccination ne les incluent pas. Ils doivent produire une preuve de citoyenneté et de résidence ; ils n’en ont aucune. Telle est la réalité que les documents d’orientation et les manifestes des partis n’abordent pas de manière adéquate.

Si l’année dernière, en mars, Modi exhibait Donald Trump lors de rassemblements publics, cette année, lui et d’autres ministres ont organisé des rassemblements électoraux massifs.

L’année dernière, le ministre de l’Intérieur a nié que le virus était une menace; cette année, il a nié qu’il y avait une pénurie de vaccins. Le Premier ministre a annoncé un « tika utsav », un festival de la vaccination, avec une ironie qui lui a échappé car l’Inde a dû accorder une importation d’urgence au vaccin Sputnik.

L’année dernière, le Premier ministre nous a demandé d’applaudir et de frapper des thalis – des plaques d’acier – pour rendre hommage au personnel médical. Les gens sont sortis en grand nombre pour danser et célébrer ce qu’ils croyaient être la fin du Covid, alors que la vérité était une pénurie de masques N95 et de kits EPI (équipement de protection personnelle) pour les médecins et les infirmières qu’ils applaudissaient.

Dans le scénario de la pandémie, l’échec du gouvernement n’est pas seulement dû à son manque de vision, mais aussi à son entêtement. En Inde, faire de la politique, c’est aussi se plier aux sentiments religieux. Si ces sentiments concernent la majorité, les dirigeants utilisent la religion sous leur angle propre [Modi avec sa barbe blanche complète son portrait nationaliste hindouiste d’une touche de personnage sacré].

Alors même que l’Inde est frappée par une recrudescence des cas d’infection par une nouvelle souche de virus, 3,1 millions de dévots se sont baignés dans le fleuve sacré Gange le 12 avril, au cours de la Kumbh Mela. Cette fête a lieu une fois tous les douze ans. Cette fois, elle a été avancée d’un an parce que les étoiles de la galaxie l’ont apparemment jugée approprié. Le site web officiel affirme que « dans un tel événement cosmique, se baigner dans le Gange libère les êtres humains du cycle de la naissance et de la mort ».

Sanjay Gunjyal, inspecteur général de la police de l’État d’Uttarakhand [Etat du Nord connu pour ses sites de pèlerinage hindous], semblait impuissant : « Nous ne cessons d’appeler les gens à adopter un comportement approprié au covid. Mais en raison de la foule immense, il n’est pratiquement pas possible de délivrer des challans (amendes) ». Ce qui est encore plus effrayant, c’est qu’il comprend que si les policiers devaient faire respecter ces normes, il pourrait y avoir une « situation de bazar, d’affrontement ».

Pour de telles fantaisies, l’État a dû déployer 20 000 policiers et paramilitaires pour surveiller les 600 hectares sur lesquels se déroule le festival. Certains des sadhus [qui renonce à la société pour se dissoudre dans le divin] – dont beaucoup marchent nus – ont été testés positifs. Le ministre en chef de l’État les a couverts de fleurs et a demandé leur bénédiction. Avant le début du festival, il avait assuré aux dévots que les restrictions « inutiles » seraient supprimées et que « la foi des dévots vaincra la peur des Covid-19 ».

La plupart des Indiens sont pauvres, illettrés et fatalistes. L’année dernière, c’est lors de fêtes où l’on buvait de l’urine de vache que le virus a pris une tournure rituelle. « Le coronavirus est arrivé à cause des gens qui tuent et mangent des animaux. Quand on tue un animal, cela crée une sorte d’énergie qui provoque la destruction à cet endroit. » Interrogé sur la logique du couvre-feu nocturne, le ministre en chef du Gujarat [Etat dont Modi fut le ministre en chef dès 2001 et où il initia sa politique de privatisations qui lui vaut l’appui conforté des « investisseurs occidentaux »] a répondu : « Le coronavirus provient des chauves-souris qui ne peuvent voir que la nuit. Par conséquent, le virus ne sort que la nuit [sic]. »

Les hommes de Dieu et les charlatans politiques en profitent pleinement. Baba Ramdev, un gourou du yoga qui a bâti un empire sur la base de l’ayurveda [médecine traditionnelle non conventionnelle], grâce à sa proximité avec les hauts dirigeants, a lancé Coronil comme remède face au covid. Des ministres étaient présents pour le soutenir, y compris le ministre de la Santé. Il a prétendu avoir des documents de recherche sur le sujet mais n’en a montré aucun. Plus tard, il a été forcé de le commercialiser comme un stimulant de l’immunité et non comme un remède. Mais le mal était fait. Il y avait une demande quotidienne d’un million de paquets. Ce n’était pas tant une confiance dans l’efficacité du produit qu’une foi aveugle dans un homme « saint ».

Mais les politiciens qui ont été testés positifs n’utilisent pas ces palliatifs indigènes. Ils consultent des professionnels qualifiés, se fiant à la vraie science. La religion forme la couche sous-cutanée de toute politique en Inde. Lorsque le Premier ministre s’est récemment adressé à la nation, il a déclaré : « Demain [21 avril 2021], c’est Ram Navami [1]. Le message de Maryada purushottam [« âme suprême de l’univers »] Ram est que nous devons être disciplinés. C’est également le 7e jour du Ramzan. Ce festival nous enseigne la patience et la discipline. La patience et la discipline sont toutes deux nécessaires pour combattre le covid. »

Le gouvernement de Modi n’a pas fait preuve de telles qualités. Pendant un moment, il a semblé que même les partisans du parti au pouvoir (BJP), désespérés par la perte d’êtres chers, en avaient assez de la mauvaise gestion. Que le virus allait s’avérer être un grand niveleur. Qu’ils se réveilleraient et pourraient passer à la résistance. Mais la droite est revenue à ses anciennes habitudes.

Lorsque Naveen Razak et Janaki Omkumar, deux étudiants en médecine, ont dansé sur le Raspoutine du chanteur Boney M et que la vidéo est devenue virale, la droite a lancé le hashtag #DanceJihad considéré comme un djihad parce que la fille était hindoue et le garçon musulman. Un avocat a déclaré : « Je sens que quelque chose ne va pas ici. Les parents de Janaki devraient être prudents. Et s’ils sont prudents, ils n’auront pas à être désolés plus tard. »

Des médias sociaux sont montés au créneau. Ils ont déclaré que les deux jeunes étudiants étaient un exemple d’harmonie communautaire et que tout ce qu’ils avaient voulu faire était de répandre un peu de joie autour d’eux.

Lorsque Pyare Khan [aujourd’hui un homme d’affaires] a organisé la livraison d’oxygène pour une valeur de 8,5 millions de roupies, son passé d’habitant de bidonville a été évoqué et sa foi a été mise en avant. Son acte a été qualifié de « zakat de l’oxygène » – les musulmans offrent le zakat [« aumône légale », un des piliers de l’islam], une partie de leurs bénéfices, pendant le mois de Ramadan.

Certains progressistes, sur les médias sociaux, ont souligné ce fait comme une raison pour laquelle il ne faut pas se méfier des musulmans. Mais, ils ne réalisent pas à quel point il est problématique d’attendre d’une communauté qu’elle accepte une norme que la majorité n’a jamais respectée.

Ces deux récits réconfortants peuvent être un baume nécessaire, mais ils détournent parfois l’attention de la dure réalité. Une unité de soins intensifs d’un hôpital a pris feu. Un témoin oculaire a déclaré qu’il y avait deux infirmières, mais aucun médecin dans les environs. Il ne voyait que des cadavres. Quatorze patients sont morts dans l’incendie.

Les prêtres refusent de pratiquer les derniers sacrements. Dans un récit émouvant (Times of India du 21 avril), une journaliste raconte comment ils ont dû baigner sa grand-mère morte avant la crémation : « Mon père a augmenté la climatisation de la voiture pour protéger son corps de la chaleur… Ma mère, deux de ses sœurs et moi avons attaché un drap de lit depuis la voiture à un pilier afin de créer un espace privé pour cela. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour lui donner un adieu aussi digne que possible. »

Dans de nombreux endroits, il y a une pénurie d’espace funéraire et de bois pour la crémation. La mort, tout comme la vie, est sans défense.

Farzana Versey

Article publié sur le site Counterpunch en date du 30 avril 2021 ; traduction par la rédaction de A l’Encontre

http://alencontre.org/asie/inde/inde-le-nationalisme-hindouiste-et-sacre-de-modi-et-le-covid-19.html

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[1] Fête populaire hindoue, fêtée en mars ou avril, qui célèbre la naissance de Rama, prince d’Ayodhyâ, et septième incarnation de Vishnou. (Réd.)


Le désastre pandémique: la responsabilité de Modi et de son BJP

L’Inde est devenue le nouvel épicentre mondial de la pandémie de coronavirus, avec des infections quotidiennes dépassant les 300 000 par jour (390 000 par jour au 1er mai) et un bilan officiel de plus d’un quart de million de morts, probablement largement sous-estimé. Les hôpitaux sont submergés de patients et la crise est exacerbée par une pénurie dévastatrice d’oxygène. Le système judiciaire indien est allé jusqu’à menacer de la peine capitale (AP News, 24 avril 2021) quiconque serait pris en train de détourner des cargaisons d’oxygène de tout le pays vers les zones touchées. Des dizaines de décès documentés sont directement liés au manque d’oxygène.

Il y a quelques mois à peine, le Premier ministre indien Narendra Modi se félicitait d’avoir réussi à vaincre le virus et certains experts scientifiques ne comprenaient pas pourquoi les infections au Covid-19 [en invoquant, y compris, une immunité de groupe] et les décès qui y sont liés étaient en baisse. L’Inde avait accès à deux vaccins, l’un développé par Bharat Biotech et l’autre par Oxford-AstraZeneca. Ils étaient produits en masse dans des installations indiennes. Le port du masque aurait été quasi universel (!) et le Wall Street Journal (30 décembre 2020) a salué la «stratégie pandémique éprouvée» de l’Inde.

Alors, que s’est-il passé ?

Amandeep Sandhu, journaliste et romancier basé à Bangalore, auteur de Bravado to Fear to Abandonment: Mental Health and the Covid-19 Lockdown [De la bravade à la peur et à l’abandon: La santé mentale et le confinement Covid-19] avait une explication en un mot pour moi : « complaisance ». Dans un entretien, il a émis une critique cinglante du gouvernement Modi, affirmant qu’il souffrait « d’arrogance, de paralysie politique et d’aucun effort pour tirer les leçons de l’année écoulée ». Un gouvernement doté d’une idéologie fondamentaliste religieuse qui a pris pour cible les groupes minoritaires et élevé une forme de suprématie fasciste hindoue a échoué de manière spectaculaire auprès de son peuple.

Amandeep Sandhu a cité la façon dont le Bharatiya Janata Party (BJP) de Modi, qui a conservé une mainmise majoritaire sur la politique indienne pendant ces deux décennies, a parrainé des rassemblements massifs en personne ce printemps afin de consolider les votes pour les élections d’État. Le fil Twitter de Modi regorge de vidéos de ses discours du début du mois d’avril, où il se vante d’avoir vu des foules « euphoriques » entassées comme des sardines, sans aucun masque en vue, l’acclamer. Le phénomène n’était pas sans rappeler les rassemblements politiques de Donald Trump aux États-Unis l’année dernière, qui étaient souvent marqués par une augmentation des taux d’infection dans les semaines qui suivaient.

Narendra Modi a également encouragé des millions d’hindous à participer au festival Kumbh Mela qui a lieu tous les 12 ans [et qui a été avancé d’un an, dans une perspective politique]. Ce plus grand pèlerinage religieux au monde implique des masses de dévots qui s’immergent dans le fleuve Gange. Cette année, 3,5 millions de personnes y ont participé, alors même que les taux d’infection avaient commencé à augmenter et que les experts en santé publique mettaient alors en garde contre les conséquences potentiellement désastreuses.

Il y a un an, les dirigeants du gouvernement ont dénoncé un rassemblement beaucoup plus modeste organisé par une organisation musulmane appelée Tablighi Jamaat (Association pour la prédication, de type revivaliste), qui a été lié à la propagation du virus. Un député du BJP de l’assemblée législative de l’État du Karnataka est allé jusqu’à encourager le lynchage de musulmans à l’occasion de ce rassemblement. Il a déclaré : « La propagation du Covid-19 est également assimilable au terrorisme, et tous ceux qui propagent le virus sont des traîtres. » Cette année, aucune déclaration de ce genre n’a visé le rassemblement hindou dont l’ampleur était de plusieurs fois plus important.

Narendra Modi a également refusé de négocier avec des dizaines de milliers d’agriculteurs pauvres qui ont commencé une occupation de masse à la périphérie de la capitale New Delhi l’année dernière pour protester contre les nouvelles lois sévères sur la privatisation des exploitations agricoles. Bien que le nombre d’agriculteurs protestant ait diminué pendant la récolte annuelle de printemps 2021, car ils sont retournés cueillir les récoltes sur leurs fermes, on estime qu’il en reste encore 15 000.

Selon Amandeep Sandhu, beaucoup d’autres sont prêts à revenir si nécessaire.

« Quel choix les agriculteurs ont-ils à ce stade ? » a demandé Sandhu. « Les lois agricoles vont les tuer dans les prochaines années, et, Dieu nous en préserve, si le virus arrive, il les tuera rapidement. Donc, la mort se profile de deux façons. Que font-ils ? » Et donc, les agriculteurs continuent de protester, même si, selon Amandeep Sandhu, leur occupation en plein air n’a pas encore été liée à la propagation du Covid-19. Au lieu de cela, les agriculteurs craignent que le gouvernement de Narendra Modi n’utilise la pandémie comme un outil pour les forcer à mettre fin à leurs protestations.

Comme Trump, Narendra Modi a fait tout son possible pour s’assurer qu’on lui attribue le mérite de la lutte contre le virus, en lançant l’année dernière un fonds de secours appelé PM Cares [Fonds d’assistance et de secours aux citoyens dans les situations d’urgence du Premier ministre, créé en mars 2020] qui a recueilli des quantités massives de dons. Et tout comme Trump, il a été opaque sur la diffusion et la gestion du fonds. Un militant a qualifié le fonds PM Cares d’« escroquerie flagrante ».

Vaccins : fabrication et exportation

Bien qu’elle soit le premier fabricant mondial de vaccins Covid-19, l’Inde a exporté beaucoup plus de doses vers d’autres pays qu’elle n’en a déployé en interne. Narendra Modi a été accusé de pratiquer la « diplomatie du vaccin », en donnant des millions de vaccins à d’autres pays pour renforcer son soutien international. Amandeep Sandhu a déclaré que, bien qu’il ne tienne pas les exportations de vaccins de l’Inde comme devant être un argument contre le gouvernement Modi étant donné que la pandémie est une catastrophe mondiale, il s’oppose par contre à la façon dont la privatisation des soins de santé indiens a maintenu les vaccins hors de portée des Indiens les plus pauvres.

Selon Amandeep Sandhu, « le vaccin a été mis sur le marché libre avec une aide limitée du gouvernement pour vacciner les citoyens ». En d’autres termes, les Indiens pauvres doivent attendre beaucoup plus longtemps pour obtenir le vaccin que les Indiens plus riches qui peuvent entrer dans une clinique privée et acheter une dose. A.Sandhu a demandé : « Comment les Indiens pauvres pourront-ils se payer le vaccin ? S’ils ne le peuvent pas, notre société, et le monde en général, restent vulnérables. Le vaccin doit être gratuit pour tous. »

Maintenant, alors que le gouvernement indien patauge, placé sous la «surveillance» internationale, avec des centaines de milliers de nouvelles infections émergeant chaque jour, Modi, qui est aussi prolifique sur Twitter que Trump l’avait été avant d’être banni de la plateforme, semble plus préoccupé par son image que par son pays. Son administration a trouvé le temps, au milieu de la crise, d’exiger que Twitter supprime les tweets critiquant sa gestion de la pandémie – et la société de médias sociaux s’est exécutée.

Il n’y a pas que Twitter qui valide Modi. Les partisans de droite d’origine indienne aux Etats-Unis donnent régulièrement des millions de dollars pour financer les programmes éducatifs fascistes du gouvernement Modi et les groupes nationalistes. En effet, certains groupes comme Sewa International, basé à Houston, sont considérés comme la branche américaine du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), qui est l’organisation mère du BJP. Sewa International, profitant de l’inquiétude internationale suscitée par la crise du coronavirus en Inde, cherche à réunir 10 millions de dollars pour acheter des concentrateurs d’oxygène et d’autres fournitures médicales.

Mais, en 2004, l’organisation a été impliquée dans une escroquerie au cours de laquelle elle a détourné des fonds du public britannique destinés aux secours en cas de tremblement de terre vers la construction d’écoles idéologiques suprématistes hindoues. Plus récemment, le groupe a été surpris en train de restreindre le financement des victimes des inondations au Kerala [Etat qui est dirigé par le PC anti-BJP] aux seuls hindous.

Biden et le BJP

L’administration du président Joe Biden a également fait l’objet de critiques pour avoir soutenue le BJP et son autoritarisme, poursuivant ainsi une tendance de l’administration précédente. Biden a nommé Sri Preston Kulkarni, un Américain d’origine indienne ayant des liens avec le RSS, à un poste clé au sein d’AmeriCorps. Sri Preston Kulkarni a mené une campagne ratée pour un siège au Congrès représentant le Texas avec l’aide financière de Ramesh Bhutada, qui est maintenant le directeur de Sewa International (fondation basée sur l’ethos hindou.) [L’aide internationale apportée au gouvernement de Modi ne doit pas être détachée de l’appui des « investisseurs occidentaux » attirés par le marché indien qui s’ouvre largement avec la vague de privatisations. L’appui à ce régime hypernationaliste religieux d’extrême-droite s’inscrit aussi dans l’affrontement entre « l’Occiden t» et la Chine – Réd.]

Depuis des mois, l’administration Biden subit des pressions pour renoncer aux droits de propriété intellectuelle sur les vaccins Covid-19, mettant en balance la nécessité pour les entreprises pharmaceutiques d’engranger des bénéfices et la vie de millions de personnes. Aujourd’hui, avec la crise dévastatrice de l’Inde, Biden a de nouveau envisagé cette option avant une réunion de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) le 30 avril. Mais d’ici à ce que les brevets abandonnés soient utilisés, des centaines de milliers d’autres personnes seront mortes.

Pendant ce temps, les Indiens continuent de mourir en si grand nombre que la capitale New Delhi s’illumine la nuit des feux des crémations de masse. Alors que le hashtag #ResignModi commence à atteindre de nouveaux sommets, Sandhu résume succinctement que « le gouvernement a échoué sur tous les plans.» e de «Rising Up With Sonali », une émission de télévision et de radio diffusée sur Free Speech TV et les stations Pacifica.

Sonali Kolhatkar

Cet article a été produit par le site de l’Indian Media Institute et sa publication Economy for All

Sonali Kolhatkar, éditrice de Economy for All, est aussi la fondatrice, l’animatrice et la productrice de «Rising Up With Sonali», une émission de télévision et de radio diffusée sur Free Speech TV et les stations Pacifica.

http://alencontre.org/asie/inde/inde-le-desastre-pandemique-la-responsabilite-de-modi-et-de-son-bjp.html


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Inde : un crime contre l’humanité 

En 2017, pendant une campagne électorale très polarisée dans la province Uttar Pradesh, le premier ministre Narendra Modi s’est permis d’attiser davantage la haine entre les factions en accusant le gouvernement sortant de dépenser davantage pour la création de cimetières musulmans (kabristans) que de cimetières hindous (shamshans). « Dans chaque village où l’État aménage un kabristan, il doit aussi aménager un shamsham ! », a-t-il scandé devant une foule en adoration devant lui, toujours prête à en découdre avec ses adversaires.

Sans doute Modi est-il heureux de constater que maintenant, tous les kabristans et shamshams de l’Inde sont à égalité devant le défi des incinérations de masse auxquels ils sont confrontés, impuissants à répondre à la demande. La situation fait la une de la presse internationale.

« Avec une population de 1,3 milliard, l’Inde peut-elle être confinée ? », titrait le Washington Post dans un article récent. La question rhétorique soulevait la menace que représente la propagation du virus et des nouveaux variants hors des frontières d’un pays aussi peuplé. « Difficilement », répondait-on dans l’article.

Il aurait été surprenant que la presse s’interroge sur le même ton à propos de la capacité de la Grande-Bretagne ou d’autres pays européens à gérer la pandémie, pourtant aux prises avec les mêmes horreurs et difficultés. Nous, les Indiens, sommes mal placés pour protester contre ce traitement offensant après que Modi se soit vanté devant les participants au Forum économique mondial à Davos, en janvier dernier, que l’Inde possédait toutes les infrastructures nécessaires pour faire face à la pandémie. Durant son discours, il n’adressa aucun mot de sympathie aux peuples européens et américain alors aux prises avec une deuxième vague meurtrière.

« Mes amis, mon message est rempli de confiance et d’espoir. Je suis venu vous transmettre une vision positive de l’avenir pour mon peuple. La communauté internationale avait prédit une hécatombe en Inde. On anticipait plus de 800 millions de personnes infectées et deux millions de morts. Et pourtant, nous avons réussi à contenir l’épidémie et ainsi à prévenir un désastre d’envergure mondiale », déclara Modi le Magicien.

Faut-il s’étonner que quelques mois plus tard, alors que le coronavirus et ses variants sévissent avec une virulence extrême en Inde, nous soyons vus comme radioactifs ? La deuxième vague de l’épidémie était prévisible mais sa virulence a surpris même les scientifiques et les virologues. Où sont donc ces infrastructures évoquées par Modi à Davos ? Les lits d’hôpitaux sont tous remplis, le personnel affecté aux soins de santé est à bout de souffle. Des gens meurent dans les corridors des hôpitaux et dans la rue. Il manque de bois dans les crématorium. On transforme des stationnements en lieux improvisés de crémation.

Les données sur la contagion et la mortalité sont de peu de réconfort car elles ne sont pas fiables. Même à Delhi, les tests de COVID sont difficiles d’accès. Les morts sont incinérés un peu partout et le décompte est impossible. S’il en est ainsi à Delhi, imaginez ce qui se passe dans les provinces comme Bihar, Uttar Pradesh ou Madhya Pradesh ? Craignant un confinement brutal, décrété par le gouvernement, des dizaines de millions de travailleurs des grandes villes se sont enfuis vers leurs villages natals, apportant avec eux le virus et ses variants. Ils savent qu’en temps de crise, l’administration ne tiendra pas compte de leurs besoins, comme s’ils n’existaient pas. Cet exode a entrainé le chaos dans les villages, aucune mesure de quarantaine ne pouvant être appliquée à défaut d’installations adéquates. Dans plusieurs de ces villages, les gens meurent encore de la tuberculose ou de la diarrhée. Comment va-t-on y combattre la COVID sans hôpitaux, sans soins, sans oxygène ? Tous ces démunis ne reçoivent que l’indifférence la plus totale de la part de l’État indien.

Et qu’en est-il de la vaccination ? L’Inde n’est-elle pas la championne de la fabrication des vaccins ? C’est sûrement de là que viendra notre salut, pourrait-on penser. Dans les faits, deux entreprises se partagent le marché, Serum institute of India (SII) et Bharat Biotech. Les deux sont autorisées à fabriquer deux des vaccins les plus chers dans le monde (dont l’AstraZeneca) et à les expédier dans les pays les plus pauvres de la planète, dont évidemment l’Inde. Ils vendent leur produit aux hôpitaux privés et directement aux gouvernements en faisant un profit obscène. En Inde, les doses sont vendues à un prix équivalant à un mois de salaire pour les centaines de millions de personnes vivant dans la pauvreté la plus abjecte. En Grande-Bretagne, les vaccins sont administrés gratuitement tandis qu’en Inde, c’est une occasion pour les entreprises de faire plus d’argent sur le dos de millions d’affamés.

À la télévision indienne, soumise au gouvernement, on déclare à l’unisson que « le système de santé s’est écroulé. » Le soi-disant système ne s’est jamais écroulé, il n’a jamais existé. Le gouvernement Modi ainsi que le précédent gouvernement du Congrès se sont exercés à démanteler l’infrastructure médicale. Selon les sources officielles, l’Inde dépense 1,25% de son produit intérieur brut à la santé. Des sources plus crédibles évaluent à 0,34% la part du budget national consacré à la santé. Cela a pour conséquence que 78% des services de santé disponibles en ville et 71% à la campagne sont entre les mains du secteur privé. Administrateurs, médecins et compagnies d’assurance sont complices de la privatisation du secteur de la santé, devenu inaccessible aux pauvres, aux mourants et à tous les affamés.

Le droit à la santé est pourtant un droit humain fondamental. Le refus de soigner est un crime commis sur une grande échelle en Inde, un crime contre l’humanité. La COVID n’est pas responsable de l’écroulement d’un « système », en fait gangrené depuis longtemps par l’action irresponsable du gouvernement.

Les infectiologues prédisent une croissance exponentielle de cas de COVID pouvant atteindre 500 000 par jour. Le nombre de morts pourrait dépasser les centaines de milliers dans les mois à venir.

Mes amis et moi avons convenu de nous téléphoner chaque jour pour vérifier que chacun réponde présent, comme à l’école. Nous pleurons en pensant que chaque jour sera peut-être le dernier pour l’un d’entre nous. Dans quelle horreur, dans quelle humiliation sombrerons-nous ? La perte de notre dignité humaine, c’est ce qui fait le plus mal.

Frederick Douglass l’a bien exprimé : « La tyrannie n’a pour limite que l’endurance de ceux qui la subissent. » En Inde, nous sommes fiers de notre capacité d’endurer, de garder le silence. Nous nous sommes tournés avec art vers la méditation, vers la vie intérieure pour exorciser notre rage et pour justifier notre incapacité à fonder une société juste et égalitaire. Nous sommes maintenant confrontés aux conséquences de notre apathie : des institutions essentielles à la vie démocratique sont rendues dysfonctionnelles par un gouvernement corrompu et une population soumise est assaillie par un virus hors de contrôle.

Si l’on veut sortir de cette crise humanitaire sans précédent, il faut retirer la gestion de la pandémie au gouvernement incompétent de Modi. Nous avons besoin d’un comité décisionnel non-partisan, formé de politiciens des divers partis et d’experts en santé et en politique publique pour prendre en main la situation.

Pour revenir à la question posée par le Washington Post, à savoir si l’Inde peut être confinée, la réponse est clairement non. La réalité est que l’Inde a besoin d’aide.

Arundhati RoyThe Guardian, 28 avril 2021 (traduction par Céline Beaudet)

Article original : https://www.theguardian.com/news/2021/apr/28/crime-against-humanity-arundhati-roy-india-covid-catastrophe

https://alter.quebec/inde-un-crime-contre-lhumanite/


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La mobilisation des agriculteurs :
une feuille de route pour l’opposition

Le mouvement actuel des agriculteurs en Inde s’avère révolutionnaire à plus d’un titre. Il a défié sans ambiguïté l’économie politique du régime actuel du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), la structure mère du Bharatiya Janata Party (BJP), et a, dans une certaine mesure, brisé le contrôle de l’écosystème du RSS-BJP sur le récit politique du pays. Il a également suivi la voie de mouvements sociaux antérieurs, tels que les manifestations contre la loi amendée portant sur la citoyenneté, pour présenter une alternative à l’hégémonie idéologique du régime actuel de Narenda Modi. Bien que cette mobilisation des agriculteurs ait connu ses limites, comme les protestations précédentes, elle a donné de l’espoir aux couches de la société qui s’opposent au changement de « nom » de la nation [qualifiée par le nationalisme religieux hindouiste qui définit aussi la citoyenneté] et du système politique indien.

Le mouvement, toujours présent, des agriculteurs, contre les trois nouvelles lois agricoles, a commencé lorsque la session budgétaire du Parlement a débuté. Ceux qui espéraient un débat sur ces trois lois ont été déçus lorsqu’elles ont été adoptées à la hâte à l’occasion de la session de la mousson du Parlement, en septembre 2020. Le gouvernement central a refusé de mener un véritable débat sur les doléances des agriculteurs, ce qui a finalement conduit à une mobilisation aussi puissante.

Les agriculteurs sont d’avis qu’avec le Electricity (Amendment) Bill, 2020, les trois lois, à savoir Farmers’ Produce Trade and Commerce (Promotion and Facilitation) Act, 2020, Farmers (Empowerment and Protection) Agreement of Price Assurance and Farm Services Act, 2020, et Essential Commodities (Amendment) Act, 2020, seraient préjudiciables à leurs intérêts. Ces lois briseraient le réseau de protection du marché et de subventions dont les agriculteurs bénéficient depuis l’époque de la révolution verte. Elles pourraient même conduire à l’accaparement des terres par le capital commercial (Chaba 2020).

Lors de la session du budget du Parlement, le gouvernement dirigé par le Bharatiya Janata Party (BJP) n’a pas laissé les partis d’opposition soulever les questions qui agitent la communauté des agriculteurs. Il faut savoir qu’au début de la session budgétaire, pendant plus de deux mois, les agriculteurs ont campé sur les autoroutes bordant la capitale nationale, New Delhi. Au cours de ce mouvement, des dizaines d’agriculteurs sont morts à cause du mauvais temps et d’autres conditions difficiles (et de la répression) sur les sites de protestation. Pourtant, le gouvernement central n’a pas autorisé un débat spécifique sur les questions soulevées par les organisations d’agriculteurs, pas plus qu’il n’a rendu hommage aux agriculteurs décédés et exprimé ses condoléances aux familles lésées à la Chambre des représentants.

L’économie politique du BJP

Dans ce scénario, le leader du Congrès Rahul Gandhi, en intervenant dans le débat sur le budget pour 2021-22 (qui s’est déroulé le 11 février), a presque tendu une embuscade au Lok Sabha (chambre basse du parlement). Avant de demander aux membres de son parti et aux autres membres de l’opposition d’observer deux minutes de silence à la mémoire des agriculteurs décédés, il a recadré le vieux slogan du planning familial « Hum do hamare do » [le slogan en hindi renvoie à la famille avec deux enfants, donc quatre personnes] avec une nouvelle signification. Le jour de Dussehra en 2020 [10e jour d’une fête religieuse], les effigies des industriels Mukesh Ambani et Gautam Adani ont été brûlées en même temps que celles du Premier ministre Narendra Modi et du ministre de l’Intérieur Amit Shah dans tout le Pendjab, épicentre initial du mouvement actuel des agriculteurs. Les « quatre personnes » désignées par le slogan étaient déjà une cible pour les agriculteurs qui protestent contre les trois nouvelles lois agricoles.

Il faut noter qu’en parlant des «quatre» dans le même sens, ce mouvement a indiqué sa compréhension claire de l’économie politique du système d’alliance socio-politique développé par le pouvoir central (Basu 2021). De nombreux économistes, analystes et activistes ont pu en discuter dans le passé (Research Unit for Political Economy 2020), mais ce n’est qu’au cours de ce mouvement que ce lien [entre pouvoir et grand capital] est devenu le sujet de conversation dans la cité. Maintenant, lorsque les réalisations de ce mouvement seront évaluées, sa contribution à la diffusion d’une large compréhension du modus operandi du bloc social d’extrême droite, « Hum do hamare do », sera dûment prise en compte.

Il est significatif que les dirigeants du Samyukta Kisan Morcha – la structure qui dirige ce mouvement composé de plus de 400 organisations d’agriculteurs de tout le pays – aient fait preuve d’une rare compréhension du schéma constitutionnel de la division des pouvoirs lorsqu’ils ont rejeté la médiation proposée par la Cour suprême et ont refusé de coopérer avec le comité [de conciliation] de trois membres constitué par la Cour suprême (Yadav 2021). C’est peut-être la première fois depuis des décennies qu’un mouvement politique a refusé de se laisser guider par la « sagesse commune » selon laquelle le pouvoir judiciaire est « au-dessus de tout » et qu’il peut intervenir comme bon lui semble. Dans ce processus, la direction du mouvement a également, de manière subtile, exprimé le ressentiment des masses populaires à l’égard du récent comportement inexplicable du pouvoir judiciaire supérieur, en particulier dans certaines affaires sensibles et très importantes de nature politique. 

La protestation des agriculteurs et la narration politique dominante

Mais la contribution la plus importante de la protestation des agriculteurs a été de briser le contrôle du système au pouvoir sur les récits politiques de l’époque actuelle. Dans la mesure où le BJP-RSS a pris le contrôle de la narration politique produite par presque tous les médias « grand public » et a établi un pouvoir inégalé dans le domaine des médias sociaux, les leviers de création et de contrôle de la narration politico-idéologique sont dans ses mains. Depuis presque une décennie, c’est un facteur décisif dans la politique indienne (Sen 2021).

Comme cela a été expérimenté dans le monde entier, lorsque des récits créés artificiellement deviennent décisifs, la vérité et la rationalité en sont les premières victimes. La politique stimulée par les perceptions et les mythes affirme son agenda et conduit à l’affaiblissement des normes démocratiques et de la civilité. Comme nous constatons aujourd’hui qu’une grande partie de la population indienne croit encore que le pays est sur la voie du progrès et que l’économie se porte bien sous le gouvernement actuel du BJP, le pouvoir des récits devient encore plus révélateur (Sircar 2020). Malgré ce contrôle sur le récit de l’écosystème BJP-RSS au pouvoir, la poursuite de la protestation des agriculteurs pendant une si longue période et leur détermination inébranlable 

Le 28 janvier 2021, sous l’effet du battage médiatique créé par les médias grand public, selon lequel une violence « sans précédent » s’est abattue sur la capitale nationale et que des « symboles nationaux»  ont été profanés lors du rassemblement de tracteurs des agriculteurs le jour de la République, la protestation des agriculteurs semblait s’effondrer. Les forces de sécurité étaient prêtes à faire un « Shaheen Bagh » [référence à l’occupation d’une zone dans le quartier sud de Delhi – du 15 décembre 2019 au 24 mars 2020 – par des femmes musulmanes, en majorité, pour protester contre l’amendement sur la citoyenneté ; occupation qui a été violemment liquidée par la police] sur les sites de protestation autour de Delhi, en commençant par une action répressive à la frontière de Ghazipur (ET 2020). Parallèlement, la nouvelle d’une attaque contre des agriculteurs à la frontière de Ghazipur par une foule dirigée par deux membres du BJP de l’Assemblée législative de l’Uttar Pradesh (UP) est arrivée. Dans une atmosphère aussi tendue, le leader du BKU (Bharatiya Kisan Union-syndicat paysan), Rakesh Tikait, a prononcé un discours émouvant, désormais célèbre.

En peu de temps, une vidéo de Rakesh Tikait, en larmes, a été largement partagée sur les réseaux sociaux, en particulier dans les principales régions d’origine du mouvement actuel. En quelques heures, des centaines d’agriculteurs de l’ouest de l’Uttar Pradesh et de l’Haryana se sont rendus, pour appuyer les barrages, sur les sites de protestation à Ghazipur, Singhu et Tikri. Dès le lendemain, de nombreux « kisan panchayats » [larges manifestations] ont été organisés dans tout le Pendjab, l’Haryana et l’UP occidental. Toutes ces réactions étaient remarquables en elles-mêmes, mais les discours prononcés par les villageois et les agriculteurs ont révélé quelque chose de plus significatif. Ils ont montré l’étendue et le niveau de conscience et de compréhension des nouvelles lois agricoles. Cela n’aurait pas été possible si les agriculteurs n’avaient pas créé leur propre écosystème de communication.

Bien que cet écosystème ne soit pas organisé, qu’il soit décentralisé et qu’il semble parfois anarchique, il s’est avéré suffisant non seulement pour diffuser les nouvelles et les informations du point de vue du mouvement, mais aussi pour contrer les récits propagés par les sources « officielles » et les médias « grand public » (Ananth 2021). L’impact de cet écosystème de communication est évident à bien des égards. C’est uniquement grâce à cet écosystème que la propagande officielle sur les avantages des trois lois sur l’agriculture n’a pas fait mouche et que les efforts visant à stigmatiser le mouvement en le qualifiant de « khalistanais » [indépendantistes sikhs du Pendjab] ont échoué (Prakash 2020). Ni le gouvernement central ni les médias grand public n’ont réussi à propager, en dehors de leurs zones d’influence, l’idée que le mouvement des agriculteurs est dirigé par des partis d’opposition et des forces « anti-nationales ». Au contraire, les zones d’influence du mouvement ont été le théâtre d’une fureur contre le BJP-RSS et les « godi medias » (des médias qui seraient assis sur les genoux du gouvernement).

Les termes dévalorisants et dédaigneux utilisés publiquement à l’égard du RSS-BJP sur les sites de protestation des agriculteurs et dans les « kisan panchayats » (du moins après le 28 janvier) sont inhabituels et inédits depuis plusieurs décennies. Bien que les premiers signes d’une telle colère aient également été visibles lors des manifestations contre la loi d’amendement sur la citoyenneté (CAA) en 2019-20, la principale différence que nous pouvons souligner est que la plupart des personnes qui critiquent avec des mots durs cette fois étaient auparavant sous l’influence des récits des médias « godi ». Ils étaient généralement considérés comme faisant partie de la base de soutien du BJP au pouvoir (Gudavarthy 2021).

L’émergence de ces sections de la société se situant hors du giron du BJP-RSS représente une rupture partielle du contrôle des écosystèmes du BJP-RSS sur les récits politiques et idéologiques au niveau de la base populaire. Il a été bien analysé que lorsque les médias sociaux sont devenus une partie de la vie des gens, la diffusion de fausses informations et la création de puissants récits politico-idéologiques sont devenues à l’ordre du jour, du moins dans les sociétés démocratiques (Grimes 2019). Ce phénomène est devenu si décisif que le concept de « post-vérité » et de « post-journalisme » (Hussain 2021) a vu le jour. À cette époque, les personnes à la recherche de la vérité, des faits et de la rationalité en politique se sont senties impuissantes face à la formation des opinions publiques et à la sélection des mandats électoraux effectuée sur la base de campagnes politiques farfelues, illogiques et parfois haineuses (Crewe 2017). Quelle que soit l’issue finale du mouvement actuel des agriculteurs, nous sommes définitivement en mesure de dire que ces protestations et les discours qui les sous-tendent ont brisé cette impuissance, dans une large mesure.

Les défis à venir

Mais il y a aussi des limites à de tels événements. Dans une large mesure, l’état actuel de la communication et de la construction narrative par les mouvements n’a pas été capable d’aller au-delà des groupes affectés et de capter largement l’imagination populaire. Ainsi, les protestations des agriculteurs n’ont pas trouvé d’écho auprès des masses affectées par les actions (mal)aventureuses du gouvernement. Les partis politiques qui prétendent s’opposer aux idées communautaristes-néolibérales de l’actuel parti au pouvoir n’ont pas su se montrer à la hauteur.

En outre, de nombreuses mobilisations récentes n’ont pas présenté une alternative aux campagnes de persuasion idéologique du régime RSS-BJP. Une volonté politique capable d’articuler une vision politique plus large en vue de la restructuration de la politique indienne a fait défaut. Les partis d’opposition n’ont guère montré d’inclination pour une telle initiative. Ils ne savent presque rien de la stratégie de communication dans le milieu des nouveaux médias. Mais comme on l’a dit dans d’autres contextes, les médias sont un moyen par lequel la politique devient accessible à la pensée. Ils fournissent aux gens le matériel avec lequel ils peuvent donner un sens à l’expérience non médiatisée (Hind 2021).

Comme nous l’avons vu lors des manifestations contre la CAA [amendement de la loi sur la citoyenneté] et comme nous l’observons aujourd’hui à l’ère de l’internet et des médias sociaux, malgré tout, si l’on dispose d’un message, il peut être communiqué au grand public. La diffusion volontaire de vidéos sur les médias sociaux par de jeunes activistes ou des journalistes engagés, la création d’un réseau de centaines de groupes WhatsApp/Instagram/Signal/Télégramme, le Tweeting/retweeting d’informations provenant de sources authentiques et l’utilisation efficace de sites web propres/amicaux, se sont avérés être un antidote efficace aux cellules des technologies de l’information (IT) (alignées ou penchant vers le parti au pouvoir) et aux « médias godi ». Cela a contribué à répandre et à soutenir les mouvements respectifs pendant une période de temps raisonnablement longue.

Pourtant, en ce qui concerne la satisfaction de leurs revendications, si tous ces mouvements sont dans l’impasse, c’est en grande partie parce que leur attrait s’est limité à certaines sections de la société. Dans les calculs du parti au pouvoir, ces sections ne menacent pas sa majorité politique à l’heure actuelle. Et comme les leviers de la compétition politique sont de plus en plus alignés sur les intérêts du parti au pouvoir, pour l’instant, ses calculs semblent bien placés. Par conséquent, l’impasse dans lequel se trouve placé le gouvernement avec tous les mouvements qui contestent l’hégémonie de ce système (encore plus sous l’effet de la désastreuse pandémie) pourrait se poursuivre dans un avenir prévisible.

Néanmoins, comme le mouvement des agriculteurs a montré une remarquable inclination à évoluer, il présente une sorte de modèle pour les luttes futures. Après avoir délibérément aligné leur mouvement sur les travailleurs agricoles, ils essaient maintenant d’unir leurs forces avec les travailleurs des secteurs organisés et non organisés. Les dirigeants de ce mouvement ont ouvert de nouvelles perspectives pour des mobilisations de masse communes. Ils ont prudemment tenu à l’écart les questions d’« identité » [mise en avant par Modi] et cela a porté ses fruits pour leur mouvement.

Malheureusement, peu de dirigeants politiques en Inde ont montré l’aptitude à saisir cette réalité de plus en plus déroutante. Rahul Gandhi est peut-être une exception, car il a non seulement partagé publiquement sa compréhension de l’imbroglio politique actuel, mais il a également essayé de trouver des solutions originales (Gandhi 2021). Mais il ne parvient pas à proposer un programme d’action convaincant susceptible de susciter l’enthousiasme des masses mobilisées et d’unir davantage de groupes. Par conséquent, son point de vue ne reste pertinent que dans le cadre de ses discussions avec des universitaires ou dans des articles d’opinion occasionnels dans les médias.

Alors que la plupart des partis d’opposition s’opposent désormais aux mesures de privatisation flagrantes et irréfléchies du gouvernement dirigé par le BJP, on peut s’interroger sur leur propre rôle dans la création d’un terrain idéologique favorable à ces privatisations. L’opposition devrait être prête à réévaluer sa compréhension de l’économie politique de l’Inde ainsi que sa politique et à proclamer une nouvelle résolution pour réclamer et réaffirmer le pouvoir de l’État de planifier et de guider l’économie ainsi que de contrôler les marchés.

Sans un plan visant à injecter des ressources dans les entreprises du secteur public et à les ressusciter, à ramener des secteurs tels que l’éducation, les soins de santé et les transports publics dans les mains de l’État, et à développer des infrastructures vertes dirigées par le secteur public, aucun programme politico-économique alternatif crédible ne peut être présenté contre l’économie politique du « Hum do hamare do ». Ces alternatives doivent inclure une volonté pragmatique de s’attaquer au problème de l’inégalité croissante, d’affronter et de contrôler les monopoles, d’augmenter les taux d’imposition sur le revenu et d’imposer des impôts sur la fortune et l’héritage aux couches aisées de la société.

En conclusion

Ces derniers temps, les agriculteurs, les travailleurs et travailleuses, les étudiant·e·s et certaines minorités religieuses et régionales ont eu une vision/idée claire de l’Inde qu’ils souhaitent voir. En fait, c’est à eux que revient le mérite de présenter une alternative à l’idéologie du régime actuel. Bien qu’il n’y ait peut-être pas de solutions immédiates à l’horizon, les récents mouvements populaires ont certainement proposé certains modèles de tactiques et de stratégies, des moyens de communication ainsi que des politiques et des idées pour les futures mobilisations. Leur importance ne doit pas être sous-estimée car ces mouvements ont été la seule source d’espoir au milieu de l’assaut continu de l’autoritarisme communautaire contre la démocratie indienne.

Satyendra Ranjan

Article publié dans l’hebomadaire Economic&Political Weekly en date du 29 avril 2021 ; traduction par la rédaction de A l’Encontre

http://alencontre.org/laune/inde-la-mobilisation-des-agriculteurs-une-feuille-de-route-pour-lopposition.html

Références

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Ann Grimes (2019): “Facebook is the Biggest Problem We Have for Democracy, Former Investor Says,” Columbia Journalism Review, 26 April,https://www.cjr.org/analysis/roger-mcnamee-facebook-google.phpv.

Basu, Ranjini (2021): “The Threat of Corporate Interests Is a Key Unifying Factor in the Farmer Protests,” Wire, 21 January,https://thewire.in/agriculture/farmers-protests-agriculture-laws-corporate-interests.

Chaba, Anju Agnihotri (2020): “Explained: Point-by-point, Why Farmers Still Oppose the Centre’s Proposals on Farm Laws,” Indian Express, 16 December, https://indianexpress.com/article/explained/government-farmer-talks-deadlock-explained-7106698/.

Crewe, Tom (2017): “The New Deal,” London Review of Books, Vol 39, No 16, https://www.lrb.co.uk/the-paper/v39/n16/tom-crewe/the-new-deal.

Gandhi, Rahul (n d): “LIVE: My interaction with Prof Kaushik Basu @Cornell University,” https://www.youtube.com/watch?v=-uzxxnhEZQE.

Gudavarthy, Ajay (2021): “Mobilisation and Composite Culture,” Hindu, 21 January, https://www.thehindu.com/opinion/op-ed/mobilisation-and-composite-culture/article33621318.ece.

Hind, Dan (2021): “We Are All Living in Rupert Murdoch’s World,” Jacobin, 3 March, https://jacobinmag.com/2021/03/rupert-murdoch-news-media-australia-facebook.

Hussain, Murtaza (2021): “How to Understand Rage Economy,” Intercept, 13 February, https://theintercept.com/2021/02/13/news-rage-economy-postjournalism-andrey-mir/.

Prakash, Meghna (2020): “Farmers’ Protest: It is Instagrammers Vs ‘Godi Media’” Quint, 6 December, .https://www.thequint.com/news/india/farmers-protests-artists-reporters-and-activists-vs-godi-media#read-more

Research Unit for Political Economy (2020): “India, COVID-19, the United States, and China,” Monthly Review, 1 September,https://monthlyreview.org/2020/09/01/india-covid-19-the-united-states-and-china/

Sen, Ronojoy (2021): “Charisma Through Communication: Comparing Modi’s Media Strategy to Nehru and Indira,” Economic & Political Weekly, Vol 56, No 10, https://www.epw.in/engage/article/charisma-through-communication-comparing-modis#.YG2ceR7j6EM.mailto.

Sircar, Neelanjan (2020): “The Politics of Vishwas: Political Mobilization in the 2019 National Election,” Contemporary South Asia, Vol 28, No 2, pp 178-94, https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09584935.2020.1765988?forwardService=showFullText&tokenAccess=V5KNIIE6WNDK9BZAKMAF&tokenDomain=eprints&target=10.1080/09584935.2020.1765988&doi=10.1080/09584935.2020.1765988&journalCode=ccsa20.

Venkataramakrishnan, Rohan (2020): “Neelanjan Sircar on Narendra Modi’s Politics: ‘Murkier the Data, Easier it is to Control Narrative’” Scroll, 25 July, https://scroll.in/article/968452/murkier-the-data-easier-it-is-to-control-narrative-neelanjan-sircar-on-narendra-modis-politics.

Venugopal, Vasudha (2020): “Delhi Lockdown: Anti-CAA Protesters Removed from Shaheen Bagh, Other Places,” Economic Times, 25 March,https://economictimes.indiatimes.com/news/politics-and-nation/coronavirus-lockdown-delhi-police-vacate-protesters-at-shaheen-bagh/articleshow/74785253.cms?utm_source=contentofinterest&utm_medium=text&utm_campaign=cppst.

Yadav, Yogendra (2021): “Modi Govt is Answerable to Farmers, Not the Judiciary. SC’s mediation beyond its Remit,” Print, 13 January,https://theprint.in/opinion/modi-govt-is-answerable-to-farmers-not-the-supreme-court/584582/.


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Alors que l’Inde a du mal à respirer, le gouvernement Modi se défausse de ses responsabilités

La pandémie de Covid-19 poursuit sa marche brutale sur l’Inde. Les chiffres des nouvelles infections ont atteint 355 828 le 3 mai [plus de 400 000 infections le 8 mai 2021], ce qui représente plus de 62% des nouvelles infections dans le monde ce jour-là. Les hôpitaux manquent de lits, de capacités de soins intensifs et même d’oxygène, ce qui contribue à faire monter en flèche le nombre de décès dans le pays. Les cadavres dans les morgues, les crématoriums et les cimetières témoignent du terrible bilan de la pandémie.

Le nombre quotidien de cas de Covid-19 en Inde a dépassé les taux d’infection dans d’autres pays comme les États-Unis et le Brésil. La fin de l’épidémie n’est pas en vue, car de plus en plus d’États et de villes tombent sous l’emprise de la pandémie. Les nouveaux cas confirmés sont en forte augmentation dans des États comme le Karnataka, le Bihar et le Bengale occidental, alors que les chiffres dans des villes comme Mumbai et Delhi commencent à se stabiliser. Ce qui est plus inquiétant, c’est que les taux de positivité sont en forte hausse, ce qui indique que le nombre réel de personnes infectées est encore plus élevé.

Après que la première vague se soit calmée en décembre 2020, le gouvernement dirigé par le BJP du Premier ministre Narendra Modi a déclaré la victoire contre la pandémie. Peut-être croyait-il vraiment à sa propre propagande. En tout cas, il n’a pas chômé, se félicitant de son grand succès. Lors du Forum économique mondial en janvier, Modi a déclaré : « Dans un pays qui abrite 18% de la population mondiale, ce pays a sauvé l’humanité d’une grande catastrophe en contenant efficacement le coronavirus. » La réunion des membres du Bureau national du BJP, en février 2021, a applaudi la performance du gouvernement Modi qui a permis de contrôler la première vague du virus. « Le parti salue sans équivoque ses dirigeants pour avoir présenté l’Inde au monde comme une nation fière et victorieuse dans sa lutte contre le Covid-19 », indique un communiqué de presse publié par le BJP. Cette victoire à la Pyrrhus et ces vantardises sont doublement douloureuses alors que l’Inde est aux prises avec une deuxième vague qui fait passer la première pour une simple bande d’annonce d’un film.

Le BJP se concentrait sur la manière de convertir ce soi-disant succès contre le Covid-19 en victoire électorale dans les élections d’État lorsque la deuxième vague a frappé [voir sur ces élections l’article publié sur ce site le 10 mai]. Lorsque les chiffres ont commencé à augmenter, le BJP a décidé que s’il ne pouvait pas contrôler la pandémie, il essaierait de contrôler le récit. Il est passé à l’offensive, et son armée de trolls a amplifié le message selon lequel les gouvernements des États ont échoué. Les personnes sont à blâmer pour avoir abandonné les normes de sécurité que sont les masques et la distanciation physique; tout le monde est à blâmer sauf le gouvernement Modi. Et cela, bien que le gouvernement central ait signalé un retour à la normale en organisant des rassemblements publics, des campagnes électorales et de grands rassemblements religieux tels que le Kumbh Mela. Si les gens ont relâché leur adhésion aux normes de prévention face au Covid-19, ils n’ont fait que suivre l’exemple des leaders – Modi et d’autres – sur l’estrade pendant les rassemblements politiques et les tournées de meetings, durant lesquels ils apparaissaient sans masque lorsqu’ils s’adressaient à de grandes foules pendant ces événements.

La première vague de Covid-19 en Inde a atteint un pic vers la mi-septembre en 2020, touchant près de 100 000 nouvelles infections par jour. Elle était redescendue à environ 10 000 à la mi-février. Cette période aurait dû être mise à profit pour renforcer le système de santé publique: augmenter le nombre de lits d’hôpitaux et d’installations de soins intensifs, intensifier la production d’oxygène et mettre en place une chaîne d’approvisionnement pour la livraison d’oxygène médical. Tragiquement, le gouvernement central, qui a centralisé tous les pouvoirs dans le cadre de la loi sur la gestion des catastrophes, a refusé de se préparer, ou de préparer les États, ou le public, à cette deuxième vague.

La pire défaillance de la crise actuelle est le manque d’approvisionnement en oxygène. Lorsque les poumons des patients sont affectés par le virus, le médicament le plus important est l’oxygène. Cette pénurie d’oxygène a aggravé le nombre de décès, car les patients qui ont besoin d’oxygène ne peuvent pas être admis dans les hôpitaux ; ils meurent lorsque les hôpitaux manquent d’oxygène; et les bouteilles d’oxygène ne sont pas disponibles pour les traitements à domicile. Au cours de la dernière semaine d’avril, plusieurs hôpitaux de Delhi ont signalé qu’il ne leur restait que quelques heures d’oxygène. Le manque d’approvisionnement en oxygène a entraîné la mort de patients dans divers hôpitaux, même dans les hôpitaux d’élite de la capitale. Si telle est la situation dans la capitale du pays, et qui plus est dans des hôpitaux d’élite, on ne peut qu’imaginer la situation critique des hôpitaux des petites villes et des zones rurales de l’Inde.

C’est là le cœur de la crise actuelle. La principale raison des décès lors d’une pandémie est que le nombre de patients graves dépasse le nombre de lits d’hôpitaux disponibles et l’approvisionnement en oxygène. C’est alors que les décès commencent à s’accumuler. C’est le cas actuellement en Inde.

Lors de la première vague en Inde, la propagation était limitée à quelques États et à certaines zones densément peuplées. Cette fois-ci, elle se répand dans presque tous les États et touche un échantillon beaucoup plus large de la population.

Pourquoi le gouvernement ne s’est-il pas préparé à une hausse de cette ampleur ? Ce gouvernement est malheureusement complètement centralisé; seuls le Premier ministre et son lieutenant de confiance, Amit Shah, le ministre de l’Intérieur, peuvent agir. Les autres ministres ne sont appelés que pour écarter toute critique, même constructive – par exemple celle de l’ancien Premier ministre [de 2004 à 2014] Manmohan Singh [membre du Congrès national]. Modi avait pour objectif de remporter les élections dans l’Est, en particulier au Bengale occidental, où le BJP a récemment subi une défaite décisive. Modi a continué à organiser des rassemblements politiques et ne s’est arrêté que lorsqu’il s’est rendu compte qu’il était difficile d’être en mode électoral au milieu d’une pandémie majeure. Il était alors trop tard, et sa mauvaise gestion de la situation sur le terrain a conduit à la défaite de son parti aux élections du Bengale occidental.

Le gouvernement central n’a pas non plus réussi à assurer un déploiement harmonieux de la vaccination et a fourni des informations trompeuses sur les vaccinations, qui ne résoudront peut-être pas la crise immédiate, mais aideront à contrôler les futures vagues qui pourraient suivre en créant une immunité collective. L’annonce du gouvernement selon laquelle 157 millions de personnes avaient été vaccinées au 3 mai est trompeuse. Si 157 millions de doses de vaccin ont été administrées, seules 27 millions de personnes environ avaient reçu les deux doses requises au 3 mai.

Début avril, des États tels que le Maharashtra, Delhi et le Pendjab se sont plaints de l’épuisement de leurs stocks de vaccins. Le ministre de la Santé, Harsh Vardhan (BJP), a rejeté ces plaintes des États comme relevant d’une politisation face à leur « incapacité à contrôler la propagation de la pandémie ». Les chiffres des vaccinations reflètent toutefois une réalité différente de celle affirmée par le ministre de la Santé et montrent que le nombre de doses de vaccin administrées par jour a effectivement chuté de manière drastique à la mi-avril par rapport à ce qu’il était début avril.

Alors que l’approvisionnement en vaccins reste limité, le gouvernement Modi n’a pas expliqué pourquoi il propose maintenant que toute personne âgée de plus de 18 ans soit vaccinée dans le cadre de la troisième phase de sa campagne de vaccination. Aucune explication n’a été fournie et aucun plan n’a été annoncé sur la manière dont le pays va augmenter sa production et sa distribution pour atteindre l’objectif élargi.

Le gouvernement central a pour l’essentiel abandonné sa responsabilité de veiller à ce que les vaccins soient disponibles pour l’ensemble de la population, après avoir fait un premier effort pour vacciner les travailleurs de la santé et les personnes âgées de plus de 45 ans. Le gouvernement a déclaré qu’il continuerait à fournir gratuitement 50% de la production nationale de vaccins aux États et aux territoires de l’Union dans le cadre de la troisième phase de la stratégie nationale en matière de vaccins. Le reste des 50% devra toutefois être acheté par les gouvernements des États et les hôpitaux privés auprès des deux fournisseurs de vaccins en Inde – Serum Institute of India et Bharat Biotech. Le centre a également supprimé tout contrôle des prix des vaccins, créant ainsi une concurrence entre les États pour les rares vaccins disponibles, ce qui profitera en fin de compte aux fournisseurs privés. Au lieu d’un plan bien pensé pour augmenter la production de vaccins, les distribuer de manière centralisée et vacciner toute la population, il semble s’agir d’un exercice cynique visant à abandonner la responsabilité du gouvernement central et à rejeter sur les gouvernements des États la responsabilité de ne pas avoir vacciné la population.

Le Conseil indien de la recherche médicale (ICMR–Indian Council of Medical Research) et l’Institut national de virologie (NIV–National Institute of Virology), en collaboration avec Bharat Biotech, ont développé le Covaxin. Il n’y a aucune raison pour que l’ICMR-NIV n’accorde pas de licences à d’autres fabricants de vaccins – dont une demi-douzaine d’unités du secteur public qui tournent au ralenti aujourd’hui – pour augmenter la production de ce vaccin. Au lieu de cela, le gouvernement Modi a accordé les droits de production du vaccin, qui a été créé avec la technologie et l’argent du secteur public, uniquement à Bharat Biotech. Et aucune explication n’a été donnée sur la raison pour laquelle le gouvernement Modi a refusé de s’opposer au refus des États-Unis de fournir des fournitures vitales pour la production de vaccins en Inde jusqu’à la crise actuelle.

Le gouvernement Modi croit qu’il faut centraliser tout le pouvoir politique entre ses mains et laisser le « marché libre », dirigé par le grand capital, résoudre les problèmes du pays. Et si cette politique échoue, il peut toujours blâmer les gouvernements des États, les forces anti-nationales et, enfin, l’opposition pour ses propres échecs.

Prabir Purkayastha 

Cet article a été produit en partenariat par Newsclick et Globetrotter, mis en ligne le 7 mai 2021; traduction par la rédaction de A l’Encontre

http://alencontre.org/asie/inde/alors-que-linde-a-du-mal-a-respirer-le-gouvernement-modi-se-defausse-de-ses-responsabilites.html


En complément possible :

Jagmati Sangwan : Les agricultrices indiennes ne sont plus de simples spectatrices

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/05/04/les-agricultrices-indiennes-ne-sont-plus-de-simples-spectatrices/

Retours sur les mobilisations sociales historiques en Inde

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/04/18/retours-sur-les-mobilisations-sociales-historiques-en-inde/

La colère paysanne défie le pouvoir de Modi

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/03/06/la-colere-paysanne-defie-le-pouvoir-de-modi/

Dhruv Joshi : Une coopérative laitière mène à l’indépendance des femmes

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/02/19/une-cooperative-laitiere-mene-a-lindependance-des-femmes/

Colin Todhunter : Inégalités mondialisées, l’avancée des big tech dans l’agriculture, l’exemple de l’Inde

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/02/12/inegalites-mondialisees-lavancee-des-big-tech-dans-lagriculture-lexemple-de-linde/

La lutte des ruraux en Inde, sous une perspective féministe

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/02/09/la-lutte-des-ruraux-en-inde-sous-une-perspective-feministe/

Aurélie Leroy : Inde : Modi dans ses basses œuvres 

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/02/04/inde-modi-dans-ses-basses-oeuvres/

Le 6 février, les paysans organiseront un nouveau « Chakka Jam » : pour exiger la fin de la répression et l’abrogation des lois agricoles

http://alencontre.org/asie/inde/inde-le-6-fevrier-les-paysans-organiseront-un-nouvel-chakka-jam-pour-exiger-la-fin-de-la-repression-et-labrogation-des-lois-agricoles.html

Prabhat Patnaik : Face au nationalisme hindou de Modi, les agriculteurs protestataires se réapproprient l’idée de la nation anti-coloniale :

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/01/30/face-au-nationalisme-hindou-de-modi-les-agriculteurs-protestataires-se-reapproprient-lidee-de-la-nation-anti-coloniale/

Les paysan⋅ne⋅s du monde entier s’unissent ! Ce 26 janvier, allumez une bougie en solidarité avec les paysan⋅ne⋅s de l’Inde

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/01/25/les-paysan⋅ne⋅s-du-monde-entier-sunissent-ce-26-janvier-allumez-une-bougie-en-solidarite-avec-les-paysan⋅ne⋅s-de-linde/

Les paysans d’Inde ont un besoin urgent de notre solidarité

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/12/14/les-paysans-dinde-ont-un-besoin-urgent-de-notre-solidarite/

Plus de 250 millions de travailleurs se joignent à la grève nationale en Inde

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/12/03/plus-de-250-millions-de-travailleurs-se-joignent-a-la-greve-nationale-en-inde/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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