Introduction
On rencontre communément la dénomination d’une ressource allouée à la personne sous les appellations de « Le revenu universel », ou « revenu de base [1] ». Certains peuvent préférer « revenu inconditionnel (d’existence ?) minimum garanti » plus explicite sur la prétention aux droits, là où d’autres l’affirment avec le « salaire à la personne » ou « salaire à la qualification » en l’« inscrivant dans le droit du travail. Le RU est aujourd’hui mis à toutes les « sauces » et imprime les discours d’une certaine droite [2] comme d’une certaine gauche. Encore que bien souvent, il s’agit d’un exercice mené sans conviction, comme pour éviter les controverses d’un sujet clivant qui troublerait les esprits et finiraient comme un enfant mort-né. Les détracteurs de la droite s’efforcent d’assécher la prétendue vocation « émancipatrice » du RU en la dévoyant pour en faire au mieux une mesure sociale qui vise à remplacer celles existantes, et écornées au passage. Nul doute que ceux qui tiendront ce bout de la ficelle chercheront à enfermer le débat selon des principes emprunts de réalisme, à coups de poncifs moraux et de rigueurs budgétaires, et attireront sur leur terrain ceux à la colonne vertébrale trop fragile. Dans un cas comme dans l’autre, le niveau du curseur de sa soutenabilité économique servira de levier aux premiers, bien secondée dans les faits par l’œcuménisme moralisateur des seconds.
A partir de ce sujet d’opportunité, l’analyse contextualisée du revenu universel et du salaire à vie est l’occasion de réarmer une pensée politique autour des revendications portées traditionnellement par le mouvement ouvrier à la peine dans ses combats. Rien ne justifie que l’on puisse s’en détourner pour courir derrière ce qui pourrait paraître au mieux comme un pis-aller, sinon une chimère. Les désillusions dans la défaite ne peuvent excuser de la part de leaders les fuites en avant par des raccourcis de la pensée pour mieux esquiver d’en rechercher les causes.
Notre sujet
Bien qu’introduit par une certaine gauche, ce n’est pas que le sujet du revenu universel fasse de grands débats. Mais le peu qu’il suscite est symptomatique des héritages historiques et culturels des différents courants de la gauche politique et écologique qui traversent la société française. Grossièrement deux pôles se dégagent dans la controverse. Les composantes politiques d’un premier, essentiellement Génération S et EELV, se reconnaissant par l’usage d’une terminologie autour du concept vague de RU. Grossièrement, sa réalité incontournable apparaît inéluctable par l’évolution de l’économie capitaliste. A l’opposé, un autre courant, la FI et le PCF [3], s’oppose à un tel dispositif qu’il accuse d’être porteur de tous les avatars de la déstructuration d’une protection sociale engagée depuis plusieurs décennies. L’alternative portée par le PCF est d’offrir un salaire à vie (SàV) au « non actifs ». L’un comme l’autre de ces courants bâtissent essentiellement leur démonstration sur des hypothèses macro économiques, tout en éludant les conditions politiques susceptibles d’infléchir radicalement le système de valeur reconnue à l’activité humaine. La traduction politique de l’acceptation sociale d’une activité ne peut faire l’objet d’un consensus sans résoudre d’une manière ou d’une autre les antagonismes résultant d’intérêts divergents, incarnés par différents groupes sociaux. A des degrés divers, si tant est qu’ils sachent bouleverser réellement les modèles économiques et sociaux sur lesquels ils veulent agir, le RU et le SàV se confrontent aux jeux des rapports de force inscrits dans la société du conflit. Et la simple énonciation de mérites de l’une ou de l’autre de ces mesures ne peut avoir de valeur performative.
L’évolution des débats sera amenée à faire bouger les frontières entre les polarités. Les rapprochements ou les divorces entre les courants se feront au gré des expériences à la faveur d’événements ou d’échéances, de conflits sociaux ou de sanctions électorales. Il semble que certains des leaders aient compris que pour exister il faille au moins faire preuve de convergences sur certains sujets, à défaut d’une union formelle. Déjà, sur ce qui semble être un rapprochement purement tactique, le fait que Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon aient pris langue en la veille d’élections régionales tente à démontrer que les modalités d’une allocation de ressources à tous et chacun peuvent attirer l’attention, au moins apparente, avec l’alignement des discours.
En attendant, autant RU que le SàV manquent singulièrement de consistance et d’objectivité. Le dernier livre de B. Hamon ne sauve pas le RU de l’ornière du slogan programmatique, bien au contraire, il ne peut qu’accroître les crispations entre les protagonistes du débat. Immature, le RU ne sera même pas un thème de campagne, de celle-ci comme de la prochaine. Et ce n’est pas souhaitable. Le réarmement idéologique d’une gauche polarisée ne passera pas par le RU qui présente trop de pièges dans un contexte bien trop défavorable à une gauche désarmée et divisée. Il conviendrait d’en déjouer les vices si tant est qu’il soit dans les intentions d’en faire un des dispositifs de la reconquête d’un électorat, à défaut de le présenter comme un élément de rupture avec le néolibéralisme. Ce qu’il ne peut pas être. C’est un trompe-l’œil dangereux. A lui seul, et tel qu’il est énoncé, le RU ne sera même pas la dimension sociale que ceux qui le défendent veulent apporter à une politique écologique de gauche.
Le SàV procède d’une tout autre logique. Mais en instituant un salaire à vie selon un modèle généralisé proche de celui qui a donné naissance à la sécurité sociale en 1947, il se heurte frontalement au système de la compétitivité généralisée dont il ne suffit pas d’annoncer les crises pour imaginer construire sur ses ruines le nouveau modèle social souhaité. Et qui serait prêt à en supporter le prix de l’âpreté d’un combat sans garantie sur les dividendes ?
Derrière les discours….
Auparavant, désignons rapidement les thuriféraires d’un capitalisme gouverné par les marchés au sein desquels le travail n’est qu’une composante parmi d’autres. Si le principe d’un RU surnage à la surface des discours politiques de cette veine, la situation provoquée par le COVID y est pour quelque chose. Le temps de la pandémie présente le double mérite de la fatalité et d’une temporalité dépassable. Par conséquent, la bacchanales des discoureurs installera les termes du débat sous les auspices de la catastrophe passagère. Il y a ceux qu’une telle « générosité » ne doit pas conforter le naturel des classes paresseuses, et ceux qui renoueront avec les accents de la « solidarité » compassionnelle. L’essentiel pour tous sera de se parer d’un progressisme vertueux matinée de la bonne gestion des finances et de la charité.
Quelques exemples suffisent à illustrer la profondeur de l’ornière [4]. Macron surcharge la mesure par « l’activité » (RU d’activité) parce la « générosité » du mécène ne peut être sans contrepartie. Poursuivons par celle d’un Jadot, coauteur avec B Hamon de « La politique est à nous », qui alloue gracieusement 655€ pour « … éviter de dormir dans la rue », soit le RSA plus 100€ (APL?). Il est relayé par le discours pas moins misérabiliste de Pierre Person de LREM avec « Survivre sans devenir une trappe dans la pauvreté ». Il est rejoint avec plus « d’ambition » par un Boris Vallaud du PS qui ajoute à un revenu de base de 565€ (RSA plus prime d’activité) agrémenté pour les plus de 18 ans d’une dotation en capital de 5 000€, « … pour se former et créer une entreprise » (sans rire), avec un accompagnement vers l’emploi (encore un). On retrouve les accents des emplois aidés introduits dans les années 1980 avec le « (re)mettre le pied dans l’emploi », dont on aurait pu penser qu’il n’aurait jamais fallu l’avoir quitter. Je détaillerai par la suite, mais Benoît Hamon ne dit pas autre chose derrière le nouveau prêchi-prêcha d’un discours humaniste.
Moteur cérébral de cette dernière famille politique, la Fondation Jean Jaurès situe le revenu entre 725€ et 1 000€ afin de « dépasser le cap du filet conjoncturel de sécurité » et de compenser « les trous dans la raquette du système de protection sociale ». Et de prendre le relai, Terra Nova enfonce le bouchon en proposant « … la fusion des 10 minimas sociaux (RSA, ASPA, ASS, PTS, AAH, veuvage, etc.) ». Arrêtons-nous un instant sur les motivations : « rendre moins dépendant du travail » comme si ce n’était pas déjà le cas d’une fraction importante des travailleurs (les minimas sociaux et les prestations sociales représentent 41% du revenu des ménages pauvres) ; « diminuer le risque entrepreneurial » sans doute en écho à l’antienne du macronisme « d’être sa propre entreprise » ; « favoriser le bénévolat » et ainsi formaliser une sous-couche de travailleur.ses. En un cent comme en mille, il n’est pas question de reconsidérer le « travail », son accessibilité comme sa valorisation, pour établir une nouvelle forme de participation du citoyen à la vie sociale, car cela supposerait d’interroger ce que le terme même de « travail » représente parmi les différentes couches sociales, et d’identifier les détenteurs des clés de sa signification, les propriétaires de patrimoines (voir les métamorphoses de la question sociale de Robert Castel).
… la réalité…
Les termes de la casuistique sont ainsi posés ; les cas de conscience sont bordés : soulager la misère pour la mettre au silence et apaiser les âmes compassionnelles. Il s’agit d’inventer une nouvelle fable pour revernir la protection sociale et occulter l’exclusion de couches croissantes de la population du « bien-être » du salariat. La stratification sociale se conjugue selon les codes imposés de la méritocratie : les élites, les entrepreneurs, les investisseurs, la première ligne, la deuxième ligne, les intermittents, puis vient la cohorte des laissés-pour-compte du marché du travail, nécessairement assistés. Les millions d’acteur·trices du travail gratuit et d’inconnu·es du travail domestique sont relégué·es au rang d’improductif·ves. Ces dernier·es se contenteront d’estimes puisqu’elles ou ils se réalisent et qu’elles ou ils ne coûtent pas cher. En clair, il y a ceux qui prennent des risques dans un univers ultra compétitif, les premiers de cordée, et le bastion de ceux au service des précédents qui recueilleraient les fruits de l’audace. Sans forcer l’image, on oublie de dire que si les premiers décrochent la cordée suit, et si les seconds sont trop lourds il suffira de couper la corde pour en sauver la tête. Que la gauche dans ses partis et ses organisations reprend la novlangue officielle c’est peu dire que le ver de la soumission est dans le fruit [5] du compromis.
Prenons la qualification « d’intermittent » et constatons comment en quelques années, le statut des professions du spectacle a été dénaturé pour être dévalorisé. La dernière sortie indécente de Macron « d’un monde qui doit se réinventer » permet de mesurer la profondeur de l’insolent. La prise en charge spécifique de leurs ressources par la société tenait compte d’une rémunération, plus proche du cachet, sous rémunéré traditionnellement par les entreprises du spectacle, pour un travail qui ne peut se résumer au temps de la prestation. Ainsi, avec l’instauration d’un régime spécial de protection, couplé au mécanisme des subventions, la société reconnaissait le caractère spécifique de l’économie de la création culturelle pour garantir le bénéfice apporté à l’ensemble de la société. Elle identifiait aussi un volume de travail en amont de la production artistique non pris en compte et sous valorisé. Or, toutes les tentatives de la réforme de 2016 de ce régime consistent à nier les spécificités du secteur de la culture pour les faire rentrer dans la norme du régime général. Il est intéressant de s’attarder sur le terme employé par le texte de la réforme [6] : « allocation d’aide au retour à l’emploi » (ARE), comme si les artistes l’avaient quitté. Pour la mesure, seuls les artistes peuvent déclarer leur activité en heures ou en cachets ce dont ne bénéficient pas les techniciens. Le cachet est comptabilisé à raison de 12 heures. Sans entrer dans le détail de la réforme, il est frappant de constater qu’elle a été placé sous la toise du patronat et non des professionnels, comme si la mesure d’un engagement professionnel acceptable dans le domaine culturel se traduirait en une durée horaire formatée. Ainsi, la compétence acquise se résout à un nombre d’heures de pleines prestations et de formations dans la limite définie par ceux qui ne sont pas en mesure de la concevoir, sauf pour eux-mêmes sans doute. Et pour preuve, si les musiciens de l’opéra Bastille disposent encore d’un régime spécial protecteur, ils le doivent à la classe dominante qui connaît la vraie valeur de ses goûts. Que les critères ou les échelles de valeur se déplacent, et le statut est contesté au nom d’une certaine conception de l’équité, coupant court à toute contestation possible de la part de ceux classifiés hier dans l’excellence et considérés aujourd’hui comme des nantis. Il a suffi de changer les termes pour en modifier la représentation.
Le schéma de la dévalorisation professionnelle touche donc toutes les couches sociales, des plus qualifiées au moins qualifiées, « intellectuelles » ou « manuelles ». Ce mécanisme est une règle dans un système capitaliste qui ne peut concevoir l’augmentation du capital nécessaire à la compétition sans en restreindre sa part variable, le salariat. Il impose la mesure d’un temps accéléré pour mieux étourdir. La mesure du travail de l’économie fordiste d’hier était horaire et locale, celle de l’économie néolibérale d’aujourd’hui est numérique et globale. Elle est devenue intangible entre des mains invisibles. La femme et l’homme n’ont de valeur pour ce qu’ils.elles apportent à l’économie monétisée et non pour ce qui fait sens dans le communauté de vie. Le service ménager n’a pas la même valeur selon qu’il est exercé par l’employé.e d’une entreprise privée, le salarié d’un établissement public, ou pour son propre compte au domicile. Il s’apparente dans un cas à une production de richesse, une charge au titre de la dépense de l’État pour un autre, et à une absence de valeur pour le dernier (de préférence genré : « mère-au-foyer » ou « père-sans-emploi »). La déconstruction du travail rendu abstrait par ceux qui l’accaparent légitime les hiérarchies sociales et autorise toutes les inégalités de traitement.
… et sa réglementation
Dans un système capitaliste, une activité humaine pour être considérée se doit de participer au processus marchand, seule source de valeur, pour être elle-même soumise au marché du travail. Or, les tenants du capitalisme ont montré depuis les années 1980 leur détachement envers le salariat. Leur rêve serait celui d’une société sans salarié, et le projet est relayé par les gouvernements successifs qui ont étendu la notion du travailleur à celui d’« indépendant », qualité devenue un postulat de base de la politique gouvernementale des néolibéraux et des libertariens. Le gouvernement Macron écarte d’emblée toute adhésion au statut de salariés aux travailleurs des plateformes. Le choix est fait de privilégier aux droits des travailleurs le modèle économique des plateformes qu’elle promeuvent elles-mêmes en toute liberté. Avec « la charte de responsabilité sociale » (article 44 de la LOM), facultative et rédigée unilatéralement par les plateformes (uniquement VTC et livraison), le gouvernement les déresponsabilise. Il les exonère des devoirs de l’employeur et introduit un tiers intermédiaire sous la forme du portage salarial (choix du Portugal) ou le recours à la coopérative d’activité et d’emploi (CAE) (voir le rapport Frouin [7]). Ces alternatives ne solutionnent en rien les contingences émergentes d’une nouvelle forme de vulnérabilité et ne traitent pas au fond les conséquences engendrées par de nouvelles modalités du paiement à la tâche qu’ont introduit les plateformes numériques. Pratiquement, toute la stratégie de ces plateformes est de contraindre la législation dans le sens de leurs seuls intérêts au détriment de ceux qu’elles emploient en misant sur la conversion des gouvernements successifs au « tout-économique ». Il est paradoxale de constater que les cours de justice des États les plus néolibéraux, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, s’opposent avec véhémence aux conséquences déstabilisatrices qu’engendre la surpuissance de ces entreprises. Dans le même temps, la France acquiesce et consent à faire porter les externalités du modèle sur l’ensemble de la société.
Un rapport du sénat [8] encourage les solutions du tiers intermédiaire. La justification d’une telle évolution part du postulat que le progrès technologique serait une réponse au besoin d’autonomie des salariés qui seraient « …de moins en moins enclins à accepter la subordination que suppose le statut de salariés »reprenant ainsi à leur compte les termes de la communication des plateformes (rentabiliser son temps libre). Le cynisme est total dès lors que l’administration fiscale se félicite de la collaboration des plateformes pour lutter contre le travail dissimulé et ainsi recouvrer l’impôt auprès de ceux qu’elles exploitent (voir rapport du sénat [9]), alors qu’elles-mêmes y échappent. La loi « El Khomri » d’août 2016 est symptomatique de cette complaisance envers un modèle économique qui parvient à bâtir sa niche en contrevenant à l’esprit jusqu’alors prédominant du droit du travail. En s’attaquant à la hiérarchie des normes, la loi « El Khomri » affaiblit la position du salarié face à son employeur ; elle efface l’existence du rapport de subordination. L’objectif de cette loi « n’est donc plus celui du plein emploi mais d’une forte efficience dans la rotation des travailleurs entre les tâches précaires qui leur sont proposées » (Philippe Légé [10]). Alors qu’elle n’était pas dans le programme du candidat Hollande, cette loi était imposée, grâce au recours au 49-3, par un certain E. Macron [11], ministre de l’économie, dont on reconnaît déjà tous les termes de l’euphémisation des éléments de langage nécessaires à sa justification : modernisation, et simplification.
Le statut des travailleurs dits « indépendants » délivre donc le format indispensable au projet d’une accélération de l’alternance des périodes avec et sans activité, et reporte sur le·la salarié·e les pressions d’une économie de la compétitivité. L’augmentation de la précarité qui en résulte se conjugue inévitablement par l’exclusion d’une part croissante des travailleurs/travailleuses des allocations chômages en modifiant les règles de calcul des droits avec la récente réforme, étape logique d’un dispositif pensé depuis des années.
La prochaine étape est annoncée par le cynisme du rapport du sénat qui écarte le risque de « Bombe à retardement sociale » par le fait que « De manière générale, l’effort contributif moindre des travailleurs indépendants est associé à des couvertures plus faibles ». La boucle est bouclée dans ce même rapport qui écarte le bénéfice de la couverture chômage pour les travailleurs indépendants, pourtant une promesse de Macron, au profit du filet de sécurité universel ou « revenu de base [12] ». Nous sommes bien au stade de l’organisation et de la gestion de la précarisation.
Ainsi, le propriétaire de l’outil de travail est exonéré de sa responsabilité d’employeur. La force de travail qu’il mobilise est devenue une pure abstraction sur un marché du travail que la force publique se charge de réguler pour les seuls intérêts du capital. Il est à la charge de la société salariale de supporter les effets d’un modèle économique spéculatif. Est-il nécessaire de rappeler les stratégies fiscales qui autorisent un écart de 13,5% de la contribution des plateformes numériques à l’impôt avec une entreprise traditionnelle et que la plupart des « uberisées » se déclarent déficitaires [13].
Nous pouvons reprendre en résumé le propos d’André Gorz [14] parus en janvier 1998 dans « Misère du présent, richesse du possible » : « Bien sûr. Dans la société fordiste, le travail était la source du statut et des droits sociaux. Alors que nous allons maintenant vers une société où non seulement le travail n’est toujours pas réapproprié – comme autoactivité, au sens philosophique –, mais est aussi incapable d’assurer les droits sociaux et économiques. Autrement dit, le néolibéralisme, associé à la mondialisation, a cassé ce que le capital a toujours eu en grippe, à savoir le lien entre exploitation et obligations sociales. »
En résumé, sous couvert d’une nouvelle économie qu’il faudrait soutenir, s’instaure à nouveau une pratique du capitalisme du XIXe où le travailleur était payé à la tâche, à l’instar du tisserand des zones rurales lyonnaises. L’histoire de leur intégration comme acteurs économiques dans le tissu industriel pourrait servir de modèle à une réflexion plus mature. Mais c’est une autre histoire. Le retour au modèle de l’« ancienne » économie est permis parce qu’un système productiviste intensifie le travail, dénature l’emploi et raréfie l’accès au salariat, pour une insécurité généralisée dont les seuls détenteurs du capital s’arrogeront le droit d’en réguler les effets, sociaux et écologiques, par l’État interposé, mais sous leur égide et à leurs conditions. Pour rappel, il a fallu l’avis du conseil constitutionnel pour censurer l’article 44 de la loi d’orientation des mobilités (la loi LOM [15]), qui interdisait explicitement la requalification devant le juge du statut du travailleur indépendant mobile d’une plateforme numérique.
On voit donc clairement où se situent les lignes de force pour que le RU sorte « du royaume de la nécessité ». Il ne peut avoir d’avenir si sa mise en œuvre n’est pas couplée au renforcement et à l’extension d’une part des droits du travailleur et du citoyen et d’autre part des nouvelles exigences démocratiques d’un contrôle social sur le pouvoir économique pour imposer une responsabilisation de l’entreprise privée compatible avec un nouvel ordre social et écologique.
Cette citation d’André Gorz [16] suit la précédente : « Le travail socialement réglementé est systématiquement détruit, sans que les bénéfices, en termes de temps libéré associé à la réduction de l’emploi, aillent aux personnes concernées. C’est ici que nous devons endosser l’utopie que Marx a reprise de Hegel, à savoir que, tôt ou tard, le travail sera aboli et dissous dans la libre auto-activité. »
Les termes du débat
Toute la question de la prétention aux conquêtes sociales ne peut s’abstraire du contexte dans lequel elle se pose, autrement dit des rapports de force entre des intérêts antagonistes. Or comme il a été tenté d’en faire la démonstration précédemment, le moins que l’on puisse dire est que ceux-ci ne sont pas en faveur du monde du travail. La faiblesse de ses organisations et le rétrécissement de ses capacités d’actions sont inversement proportionnelles à celles mises en œuvre par les détenteurs du capital.
La question que pose donc le RU est à quelles conditions, dans ses principes et dans sa mise en œuvre, il abolirait ou, au contraire, il participerait au dévoiement de la valeur travail constamment mis en œuvre par ceux qui détiennent les outils de production. Le travail ne fournit pas seulement un emploi, il conditionne une existence. Comme le résume fort bien Robert Castel [17] « La question sociale est celle de la déstabilisation de la société salariale parce que dans celle-ci le salaire est plus qu’une ressource financière il est aussi le point d’accrochage de l’identité sociale… ».
L’histoire de la solidarité ouvrière est jalonnée de combats inscrits dans les prestations et le mode de gestion des couvertures sociales. Elle vise à défendre la dignité du travailleur.se dans la lutte contre l’appropriation des fruits de l’activité économique par la classe de ceux qui possèdent les outils de production. Les crises aidant, l’objectif de ces derniers est d’éroder la portée de la protection sociale, de les vider de leurs sens, de se les approprier pour en faire l’instrument de leur domination, pour rendre inopérante toute tentative de partage du pouvoir, économique et politique. En témoigne la remise du budget de l’assurance chômage entre les mains du gouvernement par le décret de juin 2019 qui traduit la volonté d’une mise à l’écart des organisations syndicales et d’une écoute favorable aux demandes patronales, pour aboutir à la paupérisation de plus d’un million d’allocataires.
La marche de l’émancipation est un jeu d’escalier dont les fluctuations se traduisent par des formes de pouvoir objectivées par les institutions dont se dotent les protagonistes. Les gains sociaux ont permis de dégager des générations de l’assujettissement aux rapports de domination d’un temps, par la sacralisation de principes susceptibles de faire obstacle à l’émergence d’une contre-réaction. Selon que le RU a pour première vocation de libérer la femme et l’homme de l’emprise du rapport au travail ou seulement de soulager la pauvreté, il se traduira par un corpus juridique et administratif de nature toute différente.
En premier lieu, s’il convenait de poser comme postulat de base que l’existence même de l’individu, dès sa naissance, représente une valeur pour l’ensemble du corps social, celui-ci doit hériter à ce titre de toutes les conditions qui lui permettent de se valoriser au sein de la communauté d’appartenance. La participation d’un individu à la vie communautaire ne peut être effective en première intention que s’il bénéfice d’un statut juridiquement établi qui garantit l’accès aux biens essentiels à sa réalisation : se loger, se nourrir, se vêtir, s’éduquer, se déplacer, se soigner, se chauffer, communiquer, se qualifier, disposer de loisir. Bref, tout ce qui contribue à l’autonomie nécessaire à une participation pleine et entière à la vie de la cité. Cette marche vers l’indépendance repose sur des règles de droit qui assurent les conditions de ressources nécessaires à des individus avisés et capables de se doter d’un avenir. Il s’agit de s’affranchir de manière résolue de la sauvagerie de marchés dont la variabilité des cycles est incompatible avec l’échelle temporelle des êtres qui en dépendent.
En second lieu, tout individu incarnerait une utilité sociale qu’il affirmera au cours de son existence et que la communauté rémunère comme l’évidence d’une promesse. Il travaille à la mesure de ses moyens et de ses intentions tout au long de sa vie. Le droit à la rémunération nécessaire à la sûreté n’est pas négociable quelle que soit la hauteur d’une participation à l’activité collective. Chacun est dépositaire de compétences, qu’elles soient reconnues ou non par une qualification. L’exercice d’un emploi, ou non, ne remet pas en cause de bénéfice d’un revenu socialisé. Pour faire court, chaque individu dispose d’atouts propres, potentiellement mobilisables qu’il met au service d’une communauté, qu’elle en ait ou non l’usage. A charge pour elle d’offrir à ses membres l’exercice d’une activité d’utilité sociale reconnue par la collectivité, en rapport avec leurs aptitudes.
Ainsi, on peut concevoir que des formations définies par un collectif de salariés, d’employeurs, d’élus et d’usagers seraient accessibles sans limite d’accès particulière, à qui souhaite acquérir une compétence professionnelle. Une commission composée de professionnels évaluerait les compétences développées et les savoir-faire acquis. En situation d’activité professionnelle, le travailleur bénéficie de revenus complémentaires au RU qui seraient fixés par la collectivité selon une grille d’amplitudes sur la base d’une échelle restreinte des rémunérations. Dans les faits, l’individu n’est pas le seul responsable de son « employabilité », et le fait de ne pouvoir lui proposer une fonction alors qu’il en manifeste le désir et en présente les compétences ne peut le priver de la rémunération correspondante à la qualification.
C’est sur la base de ces principes que s’intégreront dans la société les exclus d’aujourd’hui en rendant l’organisation de leur existence indépendante des vicissitudes du « marché du travail », tout en annihilant les effets de l’hyper productivisme de la société libérale. Avant d’en être sorti, le travailleur·euses exerçait un emploi, il n’y a pas de raison qu’il y retourne, il suffit de l’y maintenir ou de le faire évoluer. Les termes de « chômeur » et de « bénévole » deviendraient inopérants. Il n’y a que des citoyen·nes actif·ves impliqué·es à des degrés divers dans la vie de la cité. La mesure de la valeur des individus n’est plus entre les mains des seuls propriétaires de l’outil de production. Elle repose sur une organisation démocratique de l’activité décidé à part égale entre les usager·ères, les consommateur·trices, et les professionnel·les. Ils et elles décident ensemble des compétences à acquérir et à solliciter et des montants des rémunérations attenantes au regard des besoins sociaux.
Pas plus qu’elle encouragerait la paresse que certains redoutent, une telle organisation sociale ne briderait l’initiative individuelle. Au contraire, elle libérerait les énergies que le capitalisme entrave et que son paroxysme, le néolibéralisme, gaspille à l’infini. Elle permettrait à chacun.e d’apporter une contribution à l’intérêt général et d’en tirer une légitime satisfaction. Les existences ne seraient plus dépendantes des règles abstraites du marché et de la libre concurrence. L’exploitation privée des ressources reste sous le contrôle citoyen et serait consentie pour une durée déterminée négociée avec comme obligations minimales le respect du vivant et du bien-être des populations du jour et à venir.
La ligne de partage
Dans l’immédiat, la promotion d’un RU qui viserait à sortir les 10 millions de pauvres de l’assistanat et de l’insuffisance de la couverture sociale exige la rigueur des discours. Ce nouveau droit à conquérir s’oblige à inscrire à l’ordre du jour la volonté délibérée de transgresser les pièges imposés par un pseudo réalisme soumis aux règles de l’ancien monde, et il se doit de formuler la marche d’un progrès social qui hisse au premier plan la mesure de la dignité retrouvée d’un être associé à son environnement.
Premièrement, afin de couper court à toute rhétorique oiseuse, il convient de fixer d’emblée un montant minimum du revenu ou du salaire qui soit aligné sur ce que l’on nomme aujourd’hui le salaire minimum afin de restituer la pleine autorité au statut de « travailleur » à toute personne majeure. Le salaire minimum a été institué comme étant la base des rémunérations du salariat indispensable pour assumer les charges de la vie courante. A cette condition, toutes les prestations sociales actuelles deviennent caduques : le RSA, les allocations chômage, les primes de retour à l’emploi, la prime d’activité, le chèque énergie…
Par ailleurs, les cotisations intégrées à la rémunération offriraient une couverture santé complète et rendraient caduques la complémentaire santé et la CMU. Si ce n’est pas le cas des premiers temps, la rémunération en intègre la dépense. Comme l’éducation, le droit à la santé est absolu et garantit l’accès aux soins.
Deuxièmement, il convient de réaffirmer le caractère intangible des règles de droit qui formatent les dispositifs de la protection sociale dont les prestations tirent leur légitimité des corrections qu’elles apportent aux distorsions engendrées par la loi des marchés (allocation logement), de la compensation des handicaps (AAH, invalidité, allocation personnalisée d’autonomie), de l’accès à la formation (bourses), des incidents de la vie (veuvage).
Certaines prestations sociales, comme les allocations familiales et l’allocation de soutien familial (ASF), pourraient faire l’objet d’une révision dès lors qu’est instauré un RU attribuable à tous les adultes d’un montant suffisant et que les enfants font l’objet d’une allocation de base forfaitaire qui les accompagne durant toute leur minorité. Il convient de réaffirmer que cette dernière n’a pas pour vocation à remplacer les soutiens à l’éducation et à la poursuite des études, pour une pleine accessibilité à la formation.
Dès lors, il est évident que l’on ne peut toucher aux piliers de la protection sociale sans une participation de l’ensemble des corps sociaux, usagers inclus, pour que s’établisse le consensus initial à l’action, comme il pourrait l’être pour l’accessibilité à « l’emploi » : « du bilan des politiques d’insertion qui se sont déployées depuis une vingtaine d’années non pour les critiquer parce qu’elles ont été utiles, mais pour évaluer leur effet massif. Elles ont échoué à réintégrer la majorité de leurs bénéficiaires, à leur ménager une place reconnue dans un réseau de relations d’interdépendance qui constitue une société » (Robert Castel)
Ces principes font parti des conditions d’une universalité concrète qui ne soit pas incantatoire. Leur vocation est de sortir le RU de la marque stigmatisante de l’assistanat et de renvoyer concrètement à l’ensemble du corps social la responsabilité des conditions du pleine exercice de la citoyenneté pour l’ensemble de ses membres.
Pour approfondir le sujet, on peut se rapporter aux propositions de Bernard Friot et aux débats qu’elles alimentent, bien qu’elles ne soient pas exempt de critiques dès lors qu’elles seraient les héritières directes d’expressions politiques cantonnées au format des confrontations du passé et dont l’efficience est devenue douteuse. Certes, il convient de rompre avec les formulations imposées par le capitalisme, comme la solidarité versus l’assistanat. B Friot reconnaît l’opportunité de sortir d’une pratique de la valeur qui se cantonne à celle de la qualification d’un poste de travail et du profit qu’en retire le propriétaire de l’outil de production. « Et la lutte des classes, c’est entre cette pratique là de la valeur économique, et une pratique alternative qui, non par décret, mais par institution progressive délégitime l’emploi comme la matrice du travail et légitime une autre matrice du travail : le salaire à vie ; délégitime la propriété lucrative comme matrice du travail, et légitime une autre matrice du travail » (Bernard Friot – Le désir de communisme). Autrement dit, il s’agit de faire de l’activité sociale une appropriation collective de sa valeur en dehors des canons de la stricte monétarisation, que traduite à travers une quantification horaire, le travail à la tâche, ou le contrat de projet, un nouveau subterfuge. Selon B Friot, pour modifier la logique interne au marché du travail, le SaV est le vecteur du changement de paradigme qui veut que sa gestion soit entre les mains des détenteurs de l’outil de travail qui ne connaissent eux que les propres règles imposées par les lois du marché. Une telle croisade ne peut se réaliser sans un bouleversement des codes de la représentation dominante de la valeur. L’épisode Covid en a démontré la relative fragilité avec la reconnaissance de la prééminence des services à la personne, rapidement concurrencée et occultée par le mythe de la technologie, notamment virtuelle (Stop-Covid, Pass-sanitaire), promue par une administration d’État soumise aux armes du capital. La question se pose de comment agir afin de modifier les représentations sociales de l’économie et permettre la sortie de pans entiers de l’activité humaine de la seule économie marchande.
Le RU prétend échapper à la marque infamant de l’assistanat, un des schèmes de la pensée dominante, et se revendique comme un outil libérateur de l’emprise du marché du travail par l’activité « choisie ». Une telle entreprise exigerait un certain nombre de prérequis d’autant moins accessibles que les soutiens politiques du RU ne les posent pas. Au nom d’un certain positivisme, ils confient au bon sens le soin d’une réorganisation sociale établie sur les espaces ruinés d’un système économique incomplet. Sans plus de déterminisme, ils cantonnent in fine leurs ambitions aux limites de la prestation sociale. S’affranchir d’une telle disposition reviendrait à poser la question dans des termes quasi similaires à ceux véhiculés par les défenseurs du SàV, à savoir dans quels héritages s’inscrire pour une formalité du sens. Peut-être qu’à la condition d’une confrontation honnête, la jonction épistémologique entre ces deux dispositifs , le RU et le SàV, finirait par se réaliser dans la nature souhaitée des institutions qui en assureraient la gestion, et entre quelles mains [18] elles résideraient.
Écarter les faux prophètes
A s’intéresser de près aux discours des promoteurs du RU, il est notable de vérifier qu’ils sont porteurs d’impensées dont l’absence décrédibilisent le projet. Si les conditions d’une réussite réside comme prétendument dans la valeur sociale réaffirmée des bénéficiaires du RU grâce à leurs activités, utiles ou non, il faudrait alors qu’ils soient assurés de recevoir tous les signes de l’universalité de cette reconnaissance dans une société dominée par monétarisation des échanges. Ce qui peut apparaître comme une évidence prend tout son sens quand on aborde la financiarisation de la mesure et le principe de sa monétarisation. Et on ne peut se contenter d’un facile repli de la réflexion par le recours aux monnaies locales comme le fait B. Hamon.
Ainsi, il est étonnant de constater que les promoteurs du RU parviennent à fixer le montant d’un RU à 660€ (Yannick Jadot pour EELV), ou de 715€ (Aurélien Pradié pour LR), ou encore 750€ (Benoît Hamon pour Génération.S), et 1071€ pour la FI plus ambitieuse (le seuil de pauvreté). A partir de quelles considérations et consultations ces montants ont-il été déterminés ? L’énoncé devient moins ambigu en ce qu’il laisse entendre que le RU absorberait tout ou partie de minima sociaux. Avec de tels montants, qui peut s’affranchir des contraintes qu’impose une société consumériste pour se nourrir, se loger, se déplacer, se vêtir, se soigner, s’informer, communiquer, se divertir, se cultiver, etc. Chacun sait que le salaire minimum n’y suffit pas et qu’il faut le réévaluer.
Une telle base ne permet pas de mobiliser les intéressés qui savent d’expérience qu’ils ne s’y retrouveront pas. Le minimum vieillesse est à 906€. De plus, les montants évoqués n’offrent pas de front aux politiques dont la stratégie cible un seul objectif : simplifier la gestion des prestations sociales et en limiter la dépense en l’alignant sur un tarif unique moyen, toujours soumis aux « cordons de la bourse » sous couvert de « responsabilisation » des bénéficiaires. Dans ce qui va devenir un combat, les camps sont déjà établis et il ne peut y avoir d’ambiguïté : le 26 novembre 2020 le PS vote à l’assemblée la mise au débat d’une proposition du groupe macroniste Agir d’un revenu universel résultant d’une fusion des revenus sociaux. Benoît Hamon s’en félicite (le Télégramme du 28 novembre 2020). La fondation Jean Jaurès qui l’inspire admet qu’il faudra mobiliser une partie des 450 milliards de la sécurité sociale. En se plaçant sur le terrain de la protection sociale, les termes du débat ne sont pas neutres, et en particulier dès lors qu’ils s’ancrent dans le jeu calculé d’une fiscalité qui laisse la part belle à la patrimonialisation des richesses. Avec cette perspective d’une soumission des conditions de son attribution aux marges imposées par un système économique, le RU s’extrait du contrôle social et s’en remet à l’arbitrage des puissants dont il devient un faire-valoir en trompe-l’œil.
Quand à savoir dans ces propositions quels seraient les bénéficiaires du RU, il y a autant de réponses incertaines que de propositions sur le montant. Les timides l’attribuent aux 18-25 ans, à condition qu’ils soient fiscalement indépendants, pour un montant dérisoire de 300€ pour débuter et atteindre après expérimentation peut-être 500€. Pour tous, y compris Benoît Hamon, cette population serait la première bénéficiaire de la mesure avant son extension à d’autres catégories dans un avenir incertain. Aurélien Pradié pousse le montant à 700€ à condition de consacrer trois mois de leur temps à la collectivité : « une sécurité financière qui leur donnera davantage le goût d’entreprendre, le goût du risque ». Pour les moins de 18 ans, la proposition initiale de Benoît Hamon de 300€ était composée de 200€ directement à la famille et de 100€ sur un compte débloqué à la majorité.
Chaque protagoniste soupèse le coût du RU sous la toise de son camp d’appartenance et en amoindrit la portée en ciblant les populations les plus en souffrance ; le choc de la pandémie permet d’en circonscrire le périmètre. En présentant l’utilité de la mesure aux cabossés des mauvaises passes de l’existence, l’individualisation de l’allocation exonère de critique un système économique dont les crises se résument à un mal inévitable autant que nécessaire. Par le caractère raisonné et raisonnable de la mesure, les promoteurs du RU cherchent à se concilier des opposants qui jugent déjà du minimum consenti pour sauvegarder leurs prérogatives. Les petites phrases bien senties, les généralités philosophiques de convenance, l’ennoblissement des discours ne changent rien. Le RU n’a déjà plus rien d’universel et il endosse les habits d’un assistanat à géométrie variable selon les profils. Quel que soit le projet, on change de nom pour ne rien changer.
Que les tenants d’une économie débridée se rassurent ; ils ne seront lésés en rien ; tout est calculé pour que les montants s’intègrent dans les dispositifs actuels de la protection sociale qu’il s’agira de remodeler pour l’occasion. Le capitalisme trouvera matière à l’écoulement de la surproduction de son appareil productif dévastateur, et prendra l’apparence d’un keynésianisme qui ne s’avouera pas tout en entretenant l’esprit d’une austérité de rigueur. Le contrôle des circuits de distribution à l’ère du tout numérique permet de mesurer un marché de masse en façonnant les modes de consommation et en calibrant les habitus de populations sous dépendance. Dans l’ère de la rationalisation modélisée, le niveau de bien-être est mesurable et reste sous contrôle ; il suffirait d’apprendre à s’en satisfaire [19].
Dans ce contexte, plusieurs gouvernements ont donc compris qu’il fallait compenser, à défaut de pouvoir les brider totalement, les tensions d’un système, pour apaiser les frustrations sociales et éviter des conflits. Les expérimentations sans ambition se déroulent timidement en Allemagne, au canada, en Italie, comme si les gestionnaires du monde optimisé avaient déjà écrit le scénario. Il faut acclimater les esprits au « tout n’est pas permis », sous la double contrainte des crises à répétition d’un système économique sans résilience qui accroissent sans cesse le contingent de populations à secourir. Mettre en place d’une telle mesure serait déjà un excès de philanthropie que seuls les pays riches peuvent se permettre. Pour que la faveur se pérennise, le pauvre par soumission doit contribuer à sa manière à la grande épopée de la croissance sans limite. Pour Preuve, c’est parce qu’ils sont riches de leurs riches, et non de leur richesse, que les États-Unis dépensent des centaines de milliard de dollars sans compter en accordant lors du Covid 20 000 dollars à toutes les familles, plus récemment un chèque de 1400 dollars par personne, 600 dollars par semaine aux chômeurs, 600 dollars par adultes et par enfants. Il est vrai qu’une telle générosité permet de passer sous silence l’envers du décor de ce modèle d’altruisme. Que la leçon porte ; la patience est la seule vertu du pauvre.
Avec qui mener le combat ?
Nous pourrions faire preuve de mansuétude à l’égard de B. Hamon qui s’est risqué sur un sujet périlleux, sans doute trop promptement, mais avec allant. Il fallait consommer la rupture avec une famille politique devenue inaudible, représenter le nouveau marqueur de son camp politique, reconquérir une gauche en déshérence, et faire le pendant avec le tonitruant Mélenchon. B. Hamon reconnaît s’être pris les pieds dans le tapis et d’avoir manquer de stratégie. On peut imaginer que les quatre années de purgatoire auraient permis de repenser sinon les termes du débat mais aussi avec qui le mener.
L’histoire politique du personnage ne militait pas vraiment en sa faveur, mais nul n’est condamné d’avance. Plutôt qu’un soliloque livresque, l’interpellation des composantes politiques de voisinage aurait peut-être permis sinon de vérifier les convergences, au moins creuser les désaccords et de confronter les pensées. Pourquoi B. Hamon ne l’a-t-il pas fait ?
Il n’y avait aucune issue du côté d’un PS à la pensée encombrée des prêches des think-tank qui l’irriguent. Pour preuve, avec LRM, le PS promeut un débat à l’assemblée sur le revenu de base aux limites déjà ficelées. Il s’agit d’une unique prestation qui recoupe le RSA (565€) et la prime d’activité (553€ pour une personne seule), et peut-être l’APL dans un second scénario (Forfait logement de 66€ ?). Tout en prudence, c’est une expérimentation sur trois ans, accessoirement étendu aux 18-25 ans, et testée sur quelques départements au bon vouloir des baronnies locales en quête de mérites. L’expérimentation serait menée en parallèle avec celle du Revenu Universel d’Activité de Macron qui affiche pourtant le principe similaire d’une fusion des prestations sociales, pour une soi disant évaluation comparative. De fait, le PS ne sort pas du schéma gouvernemental de la simplification de la gestion des prestations sociales dont on connaît l’objectif affiché qui se traduira inévitablement par la contention de la dépense et un meilleur contrôle des attributaires. De RU, il n’y en aura point : « Je n’ai jamais cru à un revenu universel sans condition » (Macron). On peut donc considérer qu’il s’agit là d’une manœuvre de l’appareil du PS à la recherche d’une visibilité en s’accrochant à la première bouée venue. De ce côté, la messe est dite.
EELV revendique dès 2013 les principes du revenu d’existence qui rejoint en cela la définition du revenu de base du MFRB [20]. Dans sa motion de mars 2017 [21], EELV invitait au débat avec une main tendue à B. Hamon et engageait l’idée d’une conférence avec partis et syndicats. EELV pose clairement les conditions : le RU ne peut se limiter à un cumul des prestations sociales et ne se fait pas au détriment du droit du travail, de certaines prestations sociales et du SMIC. Sa vocation de lutte contre la pauvreté en fixe le montant à 50% du revenu médian, soit à 840€ en 2017. La motion n’évoque pas le financement de la mesure. Par effet de proximité, B. Hamon aurait pu engager un débat avec EELV, il n’en fait aucunement mention dans son dernier livre. La proximité entretenue entre B. Hamon et Yannick Jadot ne peut être considérée comme tel ; elle ressemble plutôt à un rapprochement d’individus destiné à accroître leur poids respectif dans des jeux d’appareil qui tentent à les marginaliser. D’ailleurs, la vision de RU défendue par Y Jadot ne reprend pas les termes de celle affichée par EELV.
En 2017, le PCF s’était arc-bouté contre le RU dans lequel il voyait « une attaque déguisé contre la sécurité sociale et de l’ensemble de la protection sociale ». Pour sa démonstration, le PCF considère que le RU engloberait au moins neuf types de prestations sociales visant la précarité pour n’en faire qu’une seule. Outre le fait que les montants annoncés les plus audacieux se situent en dessous du seuil de pauvreté fixé à 960€, les ressources de certains allocataires diminueraient, en abaissant le plafond de 800€ de certaines prestations (vieillesse et adultes handicapés), ou en en perdant le cumul (APL). D’autre part, le coût de la mesure d’environ 450 milliard annoncé par les défenseurs du RU se reporterait inévitablement sur le budget de la sécurité sociale. Le projet de certains de ses promoteurs, comme la fondation Jean-Jaurès et François Fillon, est de lui substituer des dépenses des assurances vieillesse et de maladie. Par conséquence, le RU serait le moyen de rompre avec la solidarité porté par le conseil de la résistance, le propre du système de protection français, un des principes qui fait la cohésion du monde du travail depuis 1947.
Pour le PCF [22], il convient d’étendre la logique qui a prévalu à la protection sociale initiée par Ambroise Croizat et théorisé par Bernard Friot, celle d’un « salaire à la personne » ou d’un « salaire à la qualification ». Le RU pour ce dernier « C’est un débat désastreux qui, une fois de plus, montre combien, du point de vue idéologique, la classe dirigeante aujourd’hui a un véritable boulevard. C’est l’effondrement idéologique à gauche », « … il n’y a pas de proposition de gauche d’un revenu de base. Ça n’existe pas parce que le revenu de base est une proposition capitaliste ».
Dans les faits, pour B Friot le salaire à vie existe déjà partiellement. Il est perçu par les fonctionnaires et les retraités. Globalement l’ambition de ses défenseurs est de revenir aux principes mis en œuvre par le conseil de la résistance de 1945 et abrogeant toutes les remises en cause depuis 60 ans. A certains égards, le salaire à la personne ou à la qualification s’apparenterait au régime des intermittents du spectacle avant sa réforme qui continuaient à percevoir une rémunération en dehors de la relation à un employeur. Le salaire à vie, dont le montant est fixé selon la qualification, représente un contre-pied à la dévaluation des qualifications que subissent en permanence les salariés. Il aurait de plus le mérite de faire rentrer dans le salariat toute une partie de celles et ceux qui délivrent des activités non reconnues, en particulier le travail domestique. La généralisation d’un droit politique et économique étend l’appartenance au monde du travail grâce au salaire socialisé qui échappe à la captation par le capital, et par conséquence affaiblit la puissance de ce dernier.
Dans la même logique, Christine Jaske évoque le « salaire à vie » [23]. Comme B. Friot, elle s’oppose au principe de revenu universel ou revenu de base pour doter chacun de la « qualité politique de producteur »,qualité déniée par le système capitaliste qui ne reconnaît dans le travail que celui générateur d’une plus-value. Tous deux proposent un salaire net moyen de 2 000€, variant de 1 à 4. Le salaire à vie, à la qualification professionnelle, hérite des principes qui ont gouverné la constitution du salaire de continuité, autrement dit la retraite. Il est donc produit par le salarié productif et se soustrait de la plus-value tirée du travail. Il est l’expression de la solidarité intergénérationnelle. Et devenu la propriété des producteurs, il échappe au contrôle des détenteurs du capital. Il reconnaît que chaque activité menée par un individu est productrice de valeurs reconnues socialement.
De son côté, la France Insoumise a d’emblée rejeté le RU en 2017. Outre le fait que la candidature de B. Hamon en 2017 était considérée comme une candidature de diversion, la proposition de RU introduite par B. Hamon n’était pas suffisamment étayée pour permettre d’engager un minimum de débat, si tant est qu’il ne fut souhaité, ni même souhaitable. Le RU s’affichait en fin de liste du programme social de B. Hamon comme une mesure parmi d’autres, après l’augmentation des minimas sociaux, la création d’une allocation bien-vieillir et l’amélioration de l’aide sociale aux veuf.ves. C’est seulement après sa défaite aux élections de 2017 que B. Hamon en fait la mesure phare de son programme au point d’en occulter toutes les autres. Par ailleurs, la FI percevait clairement que cette proposition avait tout lieu de diviser davantage une gauche, éreintée à la sortie du quinquennat de Hollande, dans un moment où elle était plutôt portée à s’épargner, et ce d’autant plus que le PCF, son allié d’alors, avait déjà marqué son hostilité.
La période actuelle, à un an des prochaines élections présidentielles, n’est pas davantage propice au débat sur le sujet. Même si Mélenchon prétend y être ouvert, B. Hamon lui a visiblement tourné le dos en sanctionnant laconiquement la FI d’une phrase dans son livre « Dans la deuxième catégorie de critiques, on trouve une partie de l’état-major de La France insoumise qui déterra face au revenu universel la proposition du communiste Bernard Friot, le salaire à vie, reposant sur une socialisation intégrale de la valeur ajoutée en guise de « super revenu universel », sans jamais l’inscrire cependant dans aucun de ses programmes » (pg 197). Effectivement, la FI ne mentionne nulle part dans son programme le « salaire à vie » dont la crédibilité souffre de l’absence d’une stratégie crédible à s’introduire dans l’espace des luttes sociales. Et puis l’allié d’hier, le PCF, a beau jeu de tourner le dos à B. Hamon dès lors que ce dernier considère vaines les luttes sociales et ne situe le combat que sur le terrain des institutions parlementaires. Voici donc deux familles politiques de gauche irréconciliables.
Les postulats d’une gauche
L’irruption sur la scène politique du RU à pour mérite de révéler les antagonismes historiques qui traversent les mouvements populaires. On conçoit donc qu’il y ait au sein de la « gauche » deux principes irréductibles : celui porté par les transfuges du PS et de EELV d’une part, et celui défendu par le PCF d’autre part : le « revenu universel » ou « revenu de base » d’un côté et « salaire à vie » ou « salaire à la personne » de l’autre. Revenu contre salaire. Si la FI rejette le RU, elle n’a pas pris parti pour le second par crainte de s’enfermer dans un débat clivant sans issue. La gauche ne peut tirer avantage à engager une révision de la couverture sociale dans le contexte d’un rapport de force défavorable. Il y a bien de part et d’autre une conscience de l’insuffisance et de l’inadéquation des dispositifs des aides, mais les deux camps, marqués par leur histoire respective, s’opposent tant sur le fond que sur la stratégie face aux puissances politiques du moment. L’une s’appuie essentiellement sur les institutions parlementaires étatique par une culture de gouvernement que trahit l’ambition de son personnel politique, l’autre sur l’organisation des contre-pouvoirs d’une classe sociale par l’entremise d’un illusoire leadership séculaire ; autrement dit une opposition entre le débat d’antichambre et l’expression de la rue.
Au delà de l’empreinte des traditions et de la considération des mouvements sociaux, c’est peut-être davantage sur diagnostic des effets du capitalisme néolibéral que les analyses diffèrent, ce qui renvoie au fond plutôt qu’à la forme des divergences.
B. Hamon estime que le travail salarial a perdu de sa valeur et de sa pertinence. Les détenteurs de l’outil de production s’en détourneraient par leur quête du profit et s’affranchiraient de l’intérêt de fidéliser un salarié devenu interchangeable. Le travailleur a perdu à partir des années 1970 la part d’initiative dans une activité à l’organisation imposée, et notamment par l’investissement productif qui appauvrit les savoir-faire et dévalorise les qualifications. De fait, le capitalisme a gagné dans un rapport de force qui l’opposait aux tenants de la parole ouvrière en contournant, voire en éliminant, une classe laborieuse devenue inutile à la production de la plus-value.
Ainsi, sans ambage, B. Hamon s’autorise à écrire : « La gauche ne peut plus se contenter de ce discours aussi paresseux qu’indécent sur la valeur travail quand la quantité de travail disponible ne permet plus de fournir un emploi à chacun, quand le chômage de masse est devenu structurel, quand la précarité des travailleurs grandit et que les conséquences de ce rapport de force totalement défavorable au travail débouchent sur une soumission croissante des individus dans l’entreprise et dans la cité ». Les forces de travail libérées par le productivisme pourraient alors se réinvestir dans de nouvelles formes d’activités, alternatives à celles de l’appareil productif, qui bénéficieraient d’une utilité sociale différemment valorisée, sans d’ailleurs que l’on en connaisse le processus. Il faut comprendre que deux espaces économiques coexisteraient dont l’une ferait avec le temps la preuve de sa valeur humaine en sortant l’activité « utile » du marché du travail, alors que l’autre empêtrée dans un productivisme robotisé et destructeur de main d’œuvre courait vers son extinction par asphyxie.
Selon B. Hamon, le RU inciterait l’apparition d’une nouvelle forme du travail qui ne demande qu’à se déployer dès lors que le système productif libérerait une source d’énergie croissante qui ne trouverait plus à s’employer. Mieux, armé de la capacité de négociation de son seul RU, le prétendant à l’emploi serait en mesure de négocier face à l’employeur les conditions de son employabilité, et de se détourner du disconvenant, sans préjudice [24]. Ces porteurs d’activité sortiraient de la sphère du salariat comme travailleurs indépendants, ou se regrouperaient sous la forme de coopératives, ou de groupements d’intérêts. Le schéma est on ne peut plus classique. On retrouve ici le mythe de l’artisan, du travailleur indépendant, son propre patron, qui représente aujourd’hui 1,4 millions d’entreprises en France, qui pourtant n’échappent pas aux rigueurs de l’économie de marché, et qui sont bien souvent dépendantes de la sous-traitance de grands groupes capitalistiques.
Cette vision d’un capitalisme « économe » en main d’œuvre, laissant place à la part croissante d’une activité sociale hors de la sphère du travail soumis à un employeur, est pourtant contredite par la croissance du salariat [25]. Le contingent de salariés a progressé à l’échelle mondiale de manière importante, notamment dans les pays asiatiques, et y compris dans les pays européens et aux États-Unis, où près de 90% de la population active est salarié. En France le nombre de salariés à cru fin 2019 de 1,1% sur un an et représente 25,5 millions sur le 29 millions d’actifs [26]. Entre 1990 et 2011, la population active non salariée (indépendants, professions libérales) a globalement diminué pour passer de 2,98 millions à 2,53 millions, pour rebondir fin 2019 à 3,6 millions grâce aux 1,7 d’auto entrepreneurs [27]. En 2020, le nombre de salariés dans le privé représente 19,6 millions et 5,52 dans le public. Même sur le territoire national, il est donc difficile de dire que le capitalisme a réussi à contourner la classe ouvrière alors qu’il n’a fait que transposer une part importante de son appareil productif sous des cieux plus cléments, et que parallèlement le salariat a trouvé à s’exprimer massivement dans les activités du secteur tertiaire. La part de l’emploi non salarié a chuté de 28% en 1960 à 10% en 2018 et se stabilise à partir des années 2000. Le mécanisme de la chute du nombre d’agriculteurs qui représente une part importante de cette décroissance pourrait être un sujet de méditation pour qui défend l’idée d’une activité individuelle épanouissante au service de la collectivité en dehors du marché du travail. Ce premier postulat porté par B. Hamon paraît non seulement erroné, mais surtout tord le bras à l’histoire du salariat. J’y reviendrai un peu plus loin.
B. Hamon et B. Friot partagent un autre postulat qui veut que toute forme d’activité est génératrice de valeur économique indépendamment de son contexte. Pour le premier, le virement du RU reconnaît implicitement la valeur de l’activité délivrée par le travailleur non salarié, et ce quelle que soit la nature de l’activité. Elle présente une utilité sociale dès lors qu’elle s’exprime. La forme de sa rétribution importe peu en nature ou en monnaies locales. Pour le second, le salaire à la personne n’est jamais que la redistribution d’une part des salaires extraite de la sphère productive puisqu’elle est prélevée de la plus-value générée. Il ne s’agit que du continuum d’une tradition de la solidarité propre à la classe ouvrière puisque le travailleur est le seul à produire de la richesse.
La condition du financement de ces deux dispositifs semble ne pas poser de problème particulier à l’un et à l’autre. Soit, elle résulte du réaménagement des prestations sociales et elle relève de la contingence fiscale : le RU est financé par l’impôt et est « non contributif ». Soit, elle est le produit de la valeur ajoutée et auquel cas il relève nécessairement du secteur productif ou marchand. Le problème de son financement ne se pose donc pas davantage. Au même titre que la sécurité sociale en 1947, il émarge au titre de la productivité générale du salariat jusqu’ici sous rétribué par la pression croissante d’un capitalisme de profit tourné vers l’investissement chimérique et en opposition au bien être social.
L’un comme l’autre évacue les conditions sociales et les rapports de production dans lesquels s’exprime le partage de la richesse produite et partent du postulat qu’émergerait spontanément de la superstructure les formes juridiques conforment à leurs souhaits. Si on peut admettre qu’à un moment de leur histoire les forces productives puissent entrer en contradiction avec les rapports de production encore faut-il dire comment et présenter avec honnêteté les phénomènes économiques et sociaux prévalents. Il ne suffit pas de s’appuyer sur les contradictions internes au système de l’économie de la concurrence compétitive pour prédire l’affaiblissement d’un capitalisme, fusse-t-il à la fin d’une forme néolibérale, pour s’assurer de l’inversion des rapports de domination.
Avec leurs projections, ni B. Hamon ni B. Friot n’abordent les conditions requises au succès de leur entreprise. Dans les deux cas, soit il s’agit de sous estimer les capacités auto réparatrices [28] dont fait preuve le capitalisme, y compris dans ses crises les plus destructives, soit de surévaluer les consciences d’une société soustraite des influences idéologiques des dominants. Et le moins que l’on puisse dire est qu’à ce jour la force de la preuve profite davantage aux tenants du système qu’à ceux qui le subissent. Les premiers disposent de l’arsenal puissant de contention et de récupération des expériences propices à la contre-culture des seconds. « Lorsqu’on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel – qu’on peut constater d’une manière scientifiquement rigoureuse – des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu’au bout. » (Marx dans la préface de la critique de l’économie politique). La révolution sociale promise apparaît hors sol pour un temps encore [29].
Les errements et les approximations du RU
Les promoteurs du Revenu de Base ou du Revenu Universel ne mentionne pas la réduction du temps de travail comme une solution à la raréfaction du travail qu’il redoute. Il est tout juste mentionné une fois par B. Hamon dans son livre sans marquer un engagement en sa faveur. B. Hamon a fait son deuil d’un quelconque succès des revendications portées par un monde travail trop en prise avec la déliquescence de ses organisations [30]. Il n’évoque nulle part les dizaines de lois promulguées depuis trente ans par les différents gouvernements portant atteintes au droit du travail et à plus forte raison l’intérêt de leur abrogation. Le RU serait la seule antidote possible à la dégradation des conditions de travail, à la précarisation, à la déqualification.
Un autre impensé renforce le caractère abstrait du RU dès lors que la monétarisation d’une activité ne serait plus dégagée de la part qu’elle apporte à la valeur d’un bien produit [31]. Or depuis Ricardo, on s’accorde pour exprimer la valeur d’un bien en fonction de la quantité de travail direct et indirect nécessaire à sa fabrication. C’est le travail qui donne la valeur aux choses et non la loi de l’offre et de la demande. Il y a bien une quantification du travail à la base de la valorisation. Et c’est bien un processus de valorisation qui est à la base de la création de richesse traduite par la monétarisation. C’est ce qui fait qu’un travail n’est pas considéré comme tel s’il ne fait pas l’objet d’une rémunération, la rémunération n’étant pas une allocation. Prendre un terme pour un autre ne change rien à l’affaire.
Sur le plan de la monétarisation de la mesure, la théorie présentée par B. Friot, soutenu par le réseau salariat [32] prend le parti d’inscrire d’emblée le salaire à vie dans un schéma de rupture avec le capitalisme par l’accaparement d’une part de la plus-value. Et ainsi faire que toute activité humaine, quelle qu’elle soit, fait œuvre de travail productif et engendre une valeur économique avant même qu’elle ne s’exprime concrètement. Pour autant, cette préséance ne la rend pas qualifiable, comme peut l’être le salaire à travers le processus de valorisation économique, marchand ou non marchand.
L’appréciation du travail sur la base d’une valeur éthique, dite positive, ne résulte pas en elle-même d’une validation sociale, dite normative, par décision politique ou par le marché. Concrètement, ce n’est pas parce que la tradition ouvrière maintiendrait le chômeur dans son statut d’origine en le qualifiant de « travailleur », que sa rémunération peut être considéré comme un salaire résultant d’une activité productive de la valeur, toujours traduite en une valeur monétaire. Son revenu reste une allocation. Cette confusion n’est pas sans incidence dès lors que l’on aborde son financement. Elle est autant entretenue chez les promoteurs du salaire à vie que chez ceux du revenu universel. Encore que les seconds éludent complètement le problème posé.
La ressource monétaire allouée aux bénéficiaires du RU [33] est prélevé sur la valeur ajoutée nette résultant du travail vivant. Que le montant du RU oscille entre 400 et 800 milliards d’euros n’est pas indifférent quand bien même ces montants puissent être satisfaits par le revenu national. Pour ne pas contrarier les détenteurs du capital et de la rente, les défenseurs du RU ne comptent pas augmenter les prélèvements fiscaux et sociaux, la ponction se fera inévitablement sur le budget de la protection sociale. Il est donc aisé d’imaginer la régression sociale que représente la disparition de l’assurance maladie et des retraites du régime universel. L’alternative à ce scénario voudrait que le RU remplace le RSA enrichi de la prime d’activité et éventuellement de l’allocation logement, ce qui ne résout en rien la vulnérabilité financière qu’il est sensé combattre des 9 millions de pauvres, dont 3 millions d’enfants.
Les errements et les approximations du salaire à vie
Bien que plus séduisante par sa cohérence, la logique des porteurs du salaire à vie n’est pas sans faille. Il est heureux de ne pas oublier que le salariat est un statut protecteur qui offre des droits, mais pour autant il faut analyser avec circonspection les conditions objectives d’une absolue généralisation du salariat. Comme exprimé ci-dessus, selon B. Friot, le financement du salaire à vie est uniquement prélevé sur la plus-value générée par les seules activités de l’économie marchande. Présentés comme salariés, le chômeur ou le retraité deviennent des producteurs comme s’ils étaient sensés produire comme n’importe quel autre salarié d’une entreprise du secteur marchand et contribuer ainsi à la valeur économique. Comme pour les promoteurs du RU, ceux du salaire à vie entretiennent une confusion entre la reconnaissance sociale d’une activité, tout aussi louable soit-elle, et sa valorisation économique. Il n’y a aucune contrepartie monétaire spontanée à une quelconque activité.
Certes, il en va de la décision politique pour que des activités socialement utiles puissent entrer dans un processus de valorisation monétarisée. Mais le réseau salariat élude les conditions objectives à une telle évolution qui ne manquerait pas de se heurter aux contradictions, tant sociales qu’économiques. Quelles seraient les conditions de la salarisation du travail à domicile sans cantonner d’avantage les femmes dans l’activité domestique. Cette revendication n’est d’ailleurs plus avancée par la grande majorité des courants féministes.
Par ce truchement, le réseau salariat se place délibérément sur le terrain idéologique et prétend saper le fondement du capitalisme en minant sa raison d’être, la captation du sur-travail. Par conséquent, il est difficile de comprendre comment ce passage au communisme pourrait cohabiter avec une activité économique d’entreprises privées, même de façon transitoire. Paradoxalement, la défense d’une économie de la croissance semble bien peu compatible avec le dégagement de l’emprise d’une économie capitaliste. D’une part, même s’il s’en défend, le réseau salariat maintient une épargne privée qui se substitue au crédit supprimé, et donnant lieu à rémunération ce qui revient à restaurer le crédit. D’autre part, alors que le libéralisme présente les services publics comme une charge pénalisant l’économie marchande, il est paradoxale qu’une partie de la gauche ne reconnaisse pas le travail productif de la sphère non marchande [34]. A lire les publication du réseau salariat (du moins je n’en ai pas trouvé trace), le sur-travail détourné de la rente capitalistique au profit du salaire à vie ne concerne pas le fonctionnaire pourtant générateur d’activités économiques. JM. Harribey met en exergue le paradoxe : « le plus gros inconvénient est que ces thèses fausses jettent le discrédit sur l’élaboration d’une théorie du travail productif dans la sphère non marchande, qui est d’autant plus nécessaire qu’il faut combattre l’orthodoxie dominante, mais aussi celle qui se niche jusqu’au sein du marxisme traditionnel. ».
Il est plus difficile d’expliquer que le salaire à vie hérite par extension en ligne directe des prestations financées par la cotisation sociale comme les allocations familiales, la retraite, indemnité journalière, etc. Par leur attachement au monde du travail, résultant de la solidarité intergénérationnelle, ces prestations étaient gérées initialement par les travailleurs pour les travailleurs en leur conférant une autorité sur leur gestion relativement détachée des pressions politiques et économiques. En conférant au retraité un salaire correspondant à une quelconque activité, B. Friot tourne le dos à un fondement des sociétés humaines (JM. Harribey).
Comme cela a été démontré au paragraphe précédent, l’extension du modèle acquis en 1947 au salaire à vie procède d’un raccourci de la pensée, notamment parce que modèle a été institué dans un contexte [35] où les rapports de force politiques au sortie de la guerre étaient favorables aux revendications de la cause ouvrière. Le modèle établi de la protection sociale perdure bien que son autonomie ait été fragilisée par le paritarisme imposé en 1967, le gèle des cotisations en 1990, et l’étatisation d’une partie de la sécurité sociale par la fiscalisation (CSG en 1991, « paniers fiscaux » en 2006 et 2007, CRDS), et l’introduction du secteur assurantiel et mutualiste. La mise à l’épreuve du modèle par les quarante années de néolibéralisme n’autorise pas à miser sur un retournement de la tendance, même à moyen terme.
En résumé, si tant est qu’elle puisse bénéficier du climat social favorable, pour le réseau salariat, le recours à la collectivisation des moyens de production permettrait la généralisation des pratiques inaugurées par le conseil de la résistance qui contestait déjà par la socialisation des protections sociales la conception capitaliste de la valeur. Ainsi, le producteur hérite d’un droit attaché à sa personne et non à un emploi. En s’attachant à la qualification et non à l’emploi, B. Friot rejoint la posture de B. Hamon qui élude les conditions nécessaires à la reconnaissance sociale de l’activité. Il pousse d’ailleurs le trait en dénonçant la réduction du temps de travail : « travailler moins pour travailler tous est un mot d’ordre réactionnaire » (« Vaincre Macron »). En ultime conclusion, pour le réseau salariat, la généralisation de la qualité politique de producteur suppose la sortie du capitalisme avec le remplacement de la propriété privée par la copropriété d’usage de moyens de production. Or, cette conception présente une contradiction : comme tirer de la valeur du surprofit d’un secteur marchand capitalistique et en même temps instaurer une économie sociale visant à l’affaiblir.
C’est dans les vieux pots …
Il faut reconnaître l’envolé du chômage, l’échec des politiques d’emploi sensées enrichir la croissance en « emploi », la diversification croissante des modalités d’emploi, le rétrécissement de la vie active à ses deux extrémités, la surqualification des salariés et la dépréciation des compétences. Ces modifications de l’offre et des conditions d’emploi ont singulièrement bouleversé le rapport au travail et les profils sociologiques des populations actives. Il en résulte une altération profonde de la conscience du salarié dans l’appartenance à un corps social qui saurait diriger collectivement ses intérêts en s’imposant dans la gouvernance de l’organisation de l’économie.
L’automatisation ne marque pas la fin du travail salarié et toutes formes d’activité même socialement utiles ne créent pas de la valeur. Le croire avec la promotion du RU envers et contre tout conduit àdes impasses stratégiques et détourne des revendications [36] portées par le monde du travail. Ces assertions amènent le renoncement au droit à l’emploi et fragilisent les conditions d’exercice du salariat et de son statut protecteur. L’une comme l’autre sacrifie des droits et des régles : le droit au travail, donc à l’emploi, la baisse du temps de travail, les grilles salariales, la reconnaissance des qualifications, la baisse des cotisations sociales, la valeur du service public, etc.
La controverse n’est pas propre aux politiques. Robert Castel estime qu’« André Gorz a dérapé » en soutenant le RU, en préconisant « un exode hors de la société du travail » et en misant sur la « disparition de la valeur travail ». Ce qui n’empêchait pas André Gorz [37] de mettre en garde à ce que le RU devienne une formule libérale, comme l’impôt négatif de Milton Friedman. A certain égard, le mode de calcul de l’allocation de retour à l’emploi pourrait lui permettre de prendre le chemin d’un impôt négatif, si elle était couplée à un revenu de base. Sa simplicité a le mérite d’en favoriser l’acceptation par les bénéficiaires (voir Revenu de base et impôt négatif : éléments de comparaison). L’idée du revenu de base n’est pas aussi éloignée de celle du RSA. Il n’est pas condamné par le patronat, ses défenseurs ne s’opposent que sur le calcul du montant et le périmètre des bénéficiaires.
En attendant d’inverser le cours des choses, s’ils s’inscrivent dans les espaces consentis par les forces dominantes, les combats revendicatifs sont néanmoins révélateurs des contradictions et des facteurs de crise du système capitaliste. En diminuant le temps de vie productive des travailleurs par ses deux bouts, l’augmentation du temps de scolarisation et la sortie précoce d’activité, le système fragilise des populations ce que la crise du Covid a révélé avec acuité. Les batailles revendicatives, et notamment quand elles sortent du caractère purement catégoriel, révèlent les fautes politiques d’un État converti au tout libéralisme, et qui occulte les conséquences de choix univoques comme pour mieux exonérer les gouvernants de leurs responsabilités.
Concrètement, une mobilisation exigeant l’extension du RSA au 18-25 ans permettrait non seulement d’apporter un soulagement à une jeunesse en grande difficulté, tout en permettant la dénonciation des mécanismes d’un modèle économique axé sur la concentration de la richesse. La revendication née de l’opportunité d’un moment marquerait tout de suite ses limites si elle n’est pas assortie d’un discours politique qui condamne la sélection par l’argent qui frappent au premier chef la jeunesse : coûts des inscriptions, éloignement des étudiants, renchérissement du logement, surcoûts indirects des études, non rémunération des stages, élitisme, coûts des diplômes, privatisation de l’enseignement, etc. La dépense par étudiant a baissé de 13% en 10 ans (alternative-économique du 17 mai 2021). Toute expression politique serait inaudible si elle ne critique pas pour ce qu’ils sont les faux-semblant de certaines mesures d’inspirations libérales comme les internats d’excellence (1 000€ à 2 000€ pour un internant public et 2 000€ à 15 000€ un internat privé, prime aux familles comprise entre 258€ et 423€) (SNES-FSU).
La lutte des personnels de santé de ces dernières années est révélatrice de ce point de vue dès qu’elle a su dépasser le cadre des revendications salariales, toutes légitimes par ailleurs, pour remettre en cause une politique de réduction des coûts de la santé qui va à l’encontre des besoins des populations. Certaines organisations syndicales et des collectifs avaient prédits le scénario de crise de ces derniers mois. Elles sont rejointes objectivement par les cadres de santé qui vivent au quotidien les conséquences d’une politique de rigueur et qui déplorent l’abandon d’une politique de prévention de santé tout en concédant aux entreprises privées des pans rendus rentables par la réglementation (EPAD, pharmacie, dispositifs médicaux, …). Alors que les États-Unis par la voix de son président évoque de lever les brevets sur les vaccins, il fait face au refus d’une Union Européenne poussée essentiellement par l’Allemagne et la France qui se font forts de relayer la communication des laboratoires. La période de pandémie a permis l’émergence de plusieurs milliardaires.
Pour autant, faut-il en déduire comme le fait B. Hamon que toute forme de résistance serait vaine face à un capitalisme autophage affranchi de toute contrainte et que le RU suffirait à favoriser une recomposition sociale par l’émergence d’un secteur d’activité en marge du marché du travail pour extraire une société des vicissitudes du système économique dominant devenu miraculeusement consentant. Et ce d’autant mieux que la mesure prendrait l’allure du cheval-de-Troie des revendications qui ne parviennent pas autrement à se matérialiser, et qu’elle forcerait spontanément un changement de société que toutes et tous appelleraient de leurs vœux :
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« Bien sûr, le revenu universel d’existence est la clé de voûte d’un projet politique qui valorise la réduction du temps de travail, la transition écologique, l’investissement dans le temps libre et la redistribution du pouvoir dans l’entreprise, l’avènement d’une société post capitaliste et post croissance. » (pg 51) ;
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« Rien n’y fait pourtant, socio-démocrates, conservateurs, libéraux se succèdent. La crise est toujours là. Le culte de la croissance est un culte sans récompense. » (pg 60) ;
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« Comme l’affirmait André Gorz : « Le revenu de base est une politique générative en ce qu’elle permet une multiplication des richesses. » Autant de richesses qui ne seront pas nécessairement le fruit de la logique de marché ou de choix politiques, mais d’abord l’expression des aspirations, des valeurs et des talents des travailleurs eux-mêmes. Ce que résume le philosophe Jean-Marc Ferry : « Le revenu de base permet de donner un peu plus de place au travailleur dans la sélection sociale des activités utiles, et de ne pas abandonner cette sélection au seul marché ou au seul pouvoir politique. » (pg 205).
En conclusion : « Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages »
Puisque c’était le point de départ de la réflexion, admettons la singularité de Benoît Hamon qui est le seul à tenter de donner une consistance au RU. On serait tenté de lui donner crédit de la bonne foi et d’une certaine candeur. De son livre « Ce qu’il faut de courage », les 50 dernières pages ont été recopiées ci-après. Elles sont suffisantes pour comprendre la faiblesse du raisonnement. Pour ma part, la lecture de la prolixité équivoque des 242 pages m’en a coûté. Que chacun s’y prête et juge. Pour éviter d’être taxé de caricature, les 50 dernières pages du livre, les plus mesurées, ont été recopiées pour que le lecteur puisse en apprécier la teneur.
Préalablement, quelques courts extraits symptomatiques ont été reproduits pour illustrer le désarroi du lecteur qui finit par ne plus comprendre le fil de la démonstration.
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« Le revenu universel se conçoit donc comme une contrepartie légitime au partage inégal des richesses qui s’est opéré entre les hommes, générations après générations. » (pg 10). Ce n’est donc qu’une contrepartie et non une réappropriation de la valeur du travail vivant par ses producteurs. Mais en quoi serait-ce une correction des inégalités dès lors qu’il s’agit d’une nouvelle combinaison de la redistribution de la protection sociale, et sans évoquer une correction par l’impôt si la transmission patrimoniale est un mal endémique.
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La crise provoquée par la pandémie aurait remis à sa juste valeur « la foule d’anonymes, payés entre un et deux SMIC, aides-soignantes, infirmières, éboueurs, caissières,… » face l’impuissance d’un « … pouvoir jupitérien réduit à l’improvisation… » (pg 12). Que doit-on déduire de cette vérité retrouvée à la faveur de la crise sanitaire ? Aurait-elle inciter un gouvernement à infléchir une politique libérale de limitation des dépenses de l’État et contention des salaires…
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« Le confinement de milliards d’êtres humains au même moment a créé une situation extraordinaire à laquelle plusieurs pays ont répondu en élaborant des dispositifs transitoires d’inspiration proche du revenu universel ». … et contraindre des gouvernements à des mesures de justice sociale ? La réponse inquiète quand B. Hamon assimile au RU les mesures prises par des pays (Italie, Espagne, Canada, Allemagne, Finlande) avec l’expérimentation de mesures d’urgence non pérennisées, aux montants ridicules et de portées tellement marginales qu’elles se révèlent non concluantes. Et la suite offre la réponse : B. Hamon de s’en féliciter pour ce qu’elles confortent ses assertions en prenant soin de ne pas en relever les limites et les contradictions [38]. Dispositif éphémère, la Prestation Canadienne d’Urgence : 320 € par semaine sur seize semaine pour les travailleurs en emploi victimes du COVID. Expérimentation d’une durée de trois mois en Allemagne de 1200 € par mois pour cent vingt personnes. Etc.
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« Une idée semblable a été défendue en France par la CFDT sous la forme d’un « chèque relance. » » (pg 15). Et toujours soucieux d’alimenter le sophisme, B. Hamon se trouve un allié de circonstance en la CFDT par « son chèque relance » dont on cherchera la parenté avec le RU.
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On retrouve des contradictions encore plus déstabilisantes à l’invocation du rapport force entre le monde du travail et le patronat. Le RU n’inciterait pas à la pression sur les salaires « dans quelle entreprise, les salariés et leurs représentants accepteraient-ils une diminution de 30% à 50% de leurs salaires pour la même quantité de travail fourni et la même durée de travail… C’est tout simplement irréaliste » (pg 199), mais B. Hamon stipule un peu plus loin que « Quelque chose a changé dans les entreprises qui explique que les salariés acceptent des efforts supplémentaires sans contrepartie » (pg 209). En fait, B. Hamon avance des assertions qui l’arrangent au grès de ses démonstrations. La plus dangereuse est de dénigrer les actions collectives pour mieux accorder une force imaginaire au RU. Peut-on imaginer qu’avec les 750 € du RU, dans le meilleur des cas, les centaines de licenciés de Goodyear, de Michelin, de Bridgestone se seraient affranchis de plusieurs années d’une terrible bataille pour améliorer les conditions de leur licenciement ? Pour qui serait alors la victoire ? Serait-ce là la dignité retrouvée du travailleur ?
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B. Hamon affirme que les 500 € à 1000 € de RU en sus du salaire « augmente radicalement le pouvoir de négociation du salarié vis à vis de son employeur ». Apparemment qu’importe le montant, le RU confère un pouvoir de négociation. « Le vendeur n’est plus obligé de céder sa force de travail à vil prix » (pg 218). On comprend donc que le RU a valeur d’avantages qui supplanteraient tous les autres droits protecteurs au point de rendre caduques le salaire minimum, les négociations de branches et les conventions collectives, ou le statut de l’apprenti ?
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« Le RUE reconnaît le travail sous toutes ses formes : l’emploi et le travail gratuit, qu’il soit domestique, bénévole ou celui du consommateur. » (pg 102). Se glisse ici une ambiguïté entretenue sur le statut que l’on accorde au travail accentué encore par la phrase suivante « Le revenu universel d’existence encourage le travail voulu et le travail qui libère ». B. Hamon identifie la gratuité de nos actes imposés (comme les caisses automatiques ou la prise d’essence à la pompe), comme l’expression d’un travail non rémunéré. Pour autant, ces actes n’ont aucune valeur monétarisée car il n’entre dans aucun processus de valorisation dont ils ne sont qu’une externalité positive qui permet de réduire des coûts sur un marché concurrentiel. Et si ces actes, qualifiés de travail, pourraient être rémunérés, qui en fixerait le montant, notamment dès lors que ses formes seraient dissoutes de manière indifférenciée dans le RU ?
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L’absurdité du raisonnement est donné par l’exemple délivré par B. Hamon des données personnelles que le « digital labour » nous subtilise gratuitement à notre insu. Outre le fait que le calcul d’une rétribution de ses données ne tombe sous aucun sens commun, leur production étant exclue de tout processus quantifiable, B. Hamon admet de simple fait qu’une part de nos libertés pourrait s’aliéner avec la contrepartie du RU. Ainsi le RU prend la forme d’une aliénation consentie, voire imposée.
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Les impensées de B. Hamon prennent une tournure inquiétante dès lors qu’il n’envisage aucunement dans son livre les causes des inégalités devant le travail dont celui des femmes. Il ne considère pas que le RU ne ferait que les accroître en effaçant la frontière entre le travail rémunéré au titre du salariat, un véritable statut, et celui pris en charge par une allocation forfaitaire. Il est aisé de comprendre que les travaux à domicile, tels des aides à la personne, seront effectués majoritairement par les femmes qui se verront exclues du salariat. Un tel processus renforce la précarisation et la déqualification, et affranchit l’État de la professionnalisation du devoir d’assistance attaché à la protection sociale.
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Avec l’esprit de continuité qui le caractérise, je retrace ici un propos tenu sur Europe1 par B. Hamon assez révélateur tout anecdotique qu’il soit. « Grâce à l’augmentation du pourvoir d’achat, le RU de 750€, en sus du salaire, permettrait aux familles pauvres de devenir des consommateurs avisés et partenaire de la transition écologique en leur procurant le moyen de se détourner de la nourriture industrielle (par exemple un hachi-parmentier) pour des aliments plus écologiques ce qui aurait un effet immédiat sur l’économie low-cost prédatrice de l’environnement et du social ». Difficile de faire plus naïf face aux lois du marchés.
Les extraits précités illustrent que la pensée de B. Hamon pose plus de questions qu’elle apporte de réponses. Mais est-ce le but quand on fait face aux poncifs et aux lieux communs produits d’une pensée magique. On s’y noie. Les effets destructeurs des technologies sont développés dans cinquante-deux pages (104-156) avec une description détaillée de tous les méfaits : l’intensification de la productivité, la déshumanisation du travail, les pertes de qualification, l’aliénation à la machine, la rareté de l’emploi, le devenir de l’homme augmenté, etc. Le chapitre embraie sur l’importance de l’éducation, non sans une critique acerbe du système scolaire français et des limites d’une éducation populaire reconnue indispensable tout au long de la vie. En contre exemple, les écoles populaires danoises seraient le modèle dont nous devrions nous inspirer. Et le chapitre se conclut très simplement par un court paragraphe de 5 phrases que la juxtaposition rend incompréhensible et dont on ne sait quoi penser : « Le revenu universel a une portée révolutionnaire indiscutable. Il n’abolit pas le salariat. Mais il l’ébranle, le cantonne, le dispute. Il ouvre des espaces de liberté individuelle et de résistance collective à l’impérialisme technologique. Il est aussi la jambe sociale indispensable à la transition écologique qu’il faut engager d’urgence » (pg 156). Des dizaines de pages de critiques superficielles dont on n’identifie pas la relation avec le sujet du livre pour aboutir à un paralogisme qui laisse pantois. Fermons le ban.
Hervé Brassart
[1] Le site de revenu de base & comparaison revenue de base et impôt négatif
[2] Le secrétaire général des Républicains, Aurélien Pradié porte l’idée d’un revenu vital de 715 euros. « Derrière le mot ‘revenu universel’, vous pouvez tout à fait mettre l’approche des socialistes, tout comme l’approche de droite. Ce que je souhaite, c’est que la ressource dont je parle ne soit jamais supérieure à celle du travail, qu’elle vienne faire le ménage dans les différents dispositifs d’aides sociales et qu’elle soit conditionnée à quelques mois consacrés à l’intérêt général. Ça fait déjà trois grande différences avec l’approche que la gauche a du revenu universel », développe-t-il de son côté. Le Rassemblement National dit réfléchir actuellement à un dispositif de ce type.
[3] La revue « au travail » du PCF sur le RU
[4] Jean-Marie Harribey et le revenu universel – version-iconoclaste-du-revenu-d-existence
[5] « l’accord de performance collective » ou la flexibilité pour les entreprises
[6] Le-regime-d-assurance-chomage-des intermitants
[7] Réguler les plateformes numériques de travail
[8] Chômage : ne pas étendre l’assurance mais aller vers un filet de sécurité universel
[9] Rapport sénatorial du 20 mai 2020 :Travailleurs des plateformes : au-delà de la question du statut, quelles protections ?
« Le droit à l’indemnisation du chômage est aujourd’hui conditionné, d’une part, à l’affiliation préalable au régime d’assurance – et donc au versement de contributions par l’intermédiaire de l’employeur – et, d’autre part, au caractère involontaire de la privation d’emploi. L’extension aux travailleurs indépendants de l’assurance chômage est, au regard de ces deux critères, difficilement envisageable.
À cet égard, il convient de noter que, alors que le président de la République avait annoncé pendant sa campagne électorale 95(*) vouloir étendre le droit à l’indemnisation du chômage aux indépendants, la mesure en ce sens prévue par la réforme mis en œuvre à l’été 2019 est nettement en deçà des objectifs initialement affichés.
Cette expérience pousse à la prudence quant à une éventuelle extension de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants ayant recours à l’intermédiation de plateformes numériques.
Pour autant, alors que la dimension assurantielle du régime d’indemnisation du chômage tend à s’estomper quelque peu du fait de la reprise en main de la définition de ses règles par l’État et de la fiscalisation de ses ressources, une réflexion est engagée depuis quelques années 96 (*) sur une réforme des minimas sociaux. Si cette réflexion devait aboutir sur la mise en place d’un filet de sécurité universelle, qui pourrait prendre la forme d’un « revenu de base » 97 (*), le besoin de protection des travailleurs indépendants les plus précaires contre le risque de perte d’emploi pourrait s’en trouver satisfait. »
[10] Production et légitimation d’une réforme – « le projet de loi travail »
[11] Par cet acte soutenu par l’ensemble du gouvernement de l’époque, E. Macron signait un acte de candidature à la présidentiel qui fut très bien décrypté par le monde économique, principal contributeur par la suite sa campagne. Cet épisode témoigne de l’anesthésie béatifiante des sociaux-démocrates dans leur ensemble, y compris les « frondeurs », et en particulier les ministres du quinquennat qui n’ont toujours pas fait leur acte de contrition. Cette loi est le point d’orgue d’un projet de société auquel ils ont eux-mêmes contribué.
[12] Rapport d’information n° 452 (2019-2020) déposé le 20 mai 2020 : « Pour autant, alors que la dimension assurantielle du régime d’indemnisation du chômage tend à s’estomper quelque peu du fait de la reprise en main de la définition de ses règles par l’État et de la fiscalisation de ses ressources, une réflexion est engagée depuis quelques années 96 (*) sur une réforme des minimas sociaux. Si cette réflexion devait aboutir sur la mise en place d’un filet de sécurité universelle, qui pourrait prendre la forme d’un « revenu de base » 97 (Rapport d’information n° 35 (2016-2017) – 13 octobre 2016 de M. Daniel Percheron, fait au nom de la mission d’information sur le revenu de base), le besoin de protection des travailleurs indépendants les plus précaires contre le risque de perte d’emploi pourrait s’en trouver satisfait. »
[13] Rapport n° 1838 de la commission des finances de l’Assemblée Nationale du 3 avril 2019
[14] Extraits de la présentation d’Alain Véronèse à « Leur écologie et la notre. André Gorz dans le texte » Ed. du Seuil. Collection anthropocène, 2020 :
André Gorz ; « « Le revenu d’existence [de fait un revenu de base] ne doit pas être compris comme la récompense ou la rémunération d’une activité, mais comme ce qui doit rendre possible des activités qui sont une richesse en elles-mêmes et une fin en elles-mêmes. Il doit soustraire ces activités hors marché et hors mesure à toute évaluation et pré définition économiques » . En d’autres termes, pour André Gorz il s’agit « d’organiser l’exode de la société du travail et de la marchandise » . Avant les années 2000, André Gorz anticipait la disruption que provoquerait l’économie numérique et, s’appuyant sur la prédiction de W. Leontieff écrit : « Les hommes vont mourir de faim parce que la production n’emploiera plus guère de salariés et ne distribuera guère de moyens de paiement »
[15 De manière inédite, le Gouvernement lance en janvier 2018 un appel d’offres, remporté par le cabinet d’avocats international Dentons, visant à sous-traiter à une entreprise privée la rédaction de « l’exposé des motifs » du projet de loi et l’étude d’impact de la loi. Il ne sera plus nécessaire d’élire des députés compétents.
[16] Françoise Gollain : André Gorz, cet écolo socialiste qui voulait libérer le temps
[17] Citation de Robert Castel : « on essaye de faire appel à la fois aux ressources du sujet et à la mobilisation de l’entourage. Mais cette riche idée est aussi une idée dangereuse, parce qu’on demande à un sujet démuni de se construire comme un sujet autonome, de faire un projet professionnel, ou même un projet de vie ». Un peu plus loin : « Barère [conventionnel du 24 floréal de l’an II] nous enseigne qu’il n’y a pas d’insertion, de droit à l’insertion sans à la fois un travail au niveau de la communauté, mais aussi sans une référence à la citoyenneté, sans garanties légales, ce qui renvoie au premier plan à la responsabilité de l’État ». il y a une sorte de consensus pour dire que la question sociale ce serait aujourd’hui la question de l’exclusion ». « parler d’exclusion est un piège à la fois pour la réflexion et pour la pratique ». « les gouvernements socialistes sont tombés dans le piège de l’exclusion et que ça leur a coûté assez cher. ils ont couplé un discours sur l’entreprise et un discours sur l’exclusion ». « A la thématique de l’exclusion, j’ai donc voulu substituer celle de l’effritement de la société salariale ». « dans celle-ci le salaire est plus qu’une ressource financière ; il est aussi le point d’accrochage de l’identité sociale »
[18] Une correspondance entre Françoise Gollain et André Gorz du plus haut intérêt. Tant pour les décroissants trop souvent apolitiques (malgré un anticapitaliste abstrait), que pour nombre de marxistes demeurés productivistes.
Dans un texte complémentaire, Françoise Gollain de préciser :
« Faire que le politique reprenne la main contre l’économisation des esprits et des problèmes et « l’omnimarchandisation » du monde (Latouche) suppose l’imposition de normes administratives et légales qui elle mêmes supposent des instance politiques de débat ainsi que de décision démocratique et de structures politiques capables de les faire respecter, bref des changements politiques aux niveaux nationaux et internationaux ».
[19] Nul doute que certains n’hésiteront pas à promouvoir la carte de retrait (204 € par mois) déjà attribuée aux demandeurs d’asile (ADA), au nom du modernisme et de l’éducation à une consommation raisonnée. La carte est déjà en usage dans les camps de réfugiés de Turquie, au Yémen, au Népal, …
[20] Mouvement français pour un revenu de base
[21] Motion d’EELV de mars 2017
[22] Revue Ballast : Revenu de base ou salaire à vie
[23] Entretien dans Ballast avec Christine Jaske
[24] Entretien dans Ballast avec Philippe Van Parijs
[25] Par contre, l’introduction des technologies numériques dégrade indubitablement les conditions de travail des salariés, érode les qualifications, et de fait autorise toutes les pressions sur les salaires. Il suffit pour s’en convaincre de se référer aux effets de l’emploi à l’ex France-Telecom, aux conditions de travail des plates-formes d’appels, les caissières des supermarchés, etc. La logique prédominante du capitalisme qui met en concurrence le capital fixe et le capital variable ne peut se faire qu’au détriment des salariés.
[26] INSEE – tableaux de l’économie française – 2019
[27] 59% sont économiquement actifs ; 10% d’entre eux deviennent des salariés non classiques dans les cinq ans ; le revenu d’une majorité est inférieur au seuil de pauvreté avec une moyenne des revenus à 11 298€ par an (5 865€ dans les transports) ; le statut représente une voie vers le salariat classique. Effet d’importance, la croissance de ce statut engendre une paupérisation du régime social des indépendants dont les conséquences vont se révéler délétères à court terme sur le régime générale. Les AE deviennent majoritaires en 2020 parmi les 2,8 millions de cotisants au RSI. C’est une régression depuis 30 ans. Ces professions ne bénéficient toujours pas de l’assurance chômage pour laquelle ils ne cotisent pas, pourtant promesse du candidat Macron.
[28] INSEE : Depuis 1975, le temps de travail annuel a baissé de 350 heures, mais avec des horaires moins réguliers et plus contrôlés
[29] Bien que la France ne soit pas le Chili, gardons en tête qu’une hausse du ticket de métro peut aboutir sept mois plus tard à une révision de la constitution.
[30] Que signifie cette seule phrase de B. Hamon « Revenu universel et réduction du temps de travail se combinent et se complètent. » (pg 201) dont on attend une autre consistance que cette chute quatre pages plus loin « Que se passera-t- il demain de si décisif pour laisser croire que dans la foulée d’une augmentation du SMIC, seul salaire sur lequel le politique puisse peser dans le secteur privé, tous les autres salaires suivront, tandis que la demande de travail par les entreprises n’augmente pas ? Variante de cette question : quel acte, légitimé par la souveraineté populaire et porté par un gouvernement de gauche, est capable de réaliser l’augmentation générale des salaires et des pensions dans le secteur public et privé, la réduction du temps de travail et l’amélioration des conditions de travail ? » (pg 205).
[31] Jean-Marie Harribey et le revenu universel – Saison 1-2-3-4
[32] Le site du Réseau salariat & Salaire à vie
[33] Jean-Marie Harribey et le revenu universel – Saison 1-2-3-4
[34] Ne serait-ce que par les investissements réalisés par l’administration publique.
[35] Et pas uniquement par la nécessité d’une conciliation des forces productives pour la relance de l’activité économique d’après guerre, mais aussi par l’affaiblissement d’un État qui faisant face à l’opposition communiste est en peine à s’opposer aux revendications ouvrières, mais aussi dans une moindre mesure parce que le plan Marshall allège la pression sur le capital nécessaire à la reconstruction.
[36] Liêm Hoang-Ngoc : Mieux vaut augmenter et élargir les minima sociaux. (politis N°1632)
[37] Interwiev d’André Gorz dans Cairn.info : Quel type de travail prend fin ?
[38] OFCE : Peut-on tirer des enseignements de l’expérimentation finlandaise de revenu universel ?
« La définition du revenu universel ne dit rien de son niveau ni de quelles prestations il remplace. Toutes les options sont possibles. Les plus libéraux proposent un revenu universel relativement faible et remplaçant la plupart des prestations sociales et les subventions sectorielles (notamment agricoles), voire comme substitut des régulations sur le marché du travail (la suppression du Smic est envisagée). Dans une logique plus sociale-démocrate, le revenu universel ne remplacerait que les minima sociaux (RSA en France) et les compléments de revenus pour travailleurs pauvres (Prime d’activité). Le montant envisagé est souvent égal ou légèrement supérieur aux minima sociaux. Enfin, dans une logique de décroissance, le revenu universel pourrait être élevé, au moins égal au seuil de pauvreté, afin d’éradiquer la pauvreté statistique. »
« Au final, l’expérimentation finlandaise a apporté peu d’enseignements quant aux effets de la mise en place d’un revenu universel global, c’est-à-dire concernant tous les citoyens. Seule une petite catégorie de la population était concernée et le financement n’a pas été expérimenté. Or le financement est la moitié du dispositif ; d’ailleurs les syndicats finlandais s’opposent au revenu universel car ils redoutent que les augmentations d’impôt nécessaires réduisent les gains à travailler. De plus, l’approche familiale et genrée a été totalement ignorée alors que le revenu universel a été dénoncé par des féministes comme pouvant désinciter les femmes à prendre un emploi (en s’apparentant à un salaire maternel). Comme pour l’expérimentation du RSA en France, l’échec de l’expérimentation finlandaise s’explique en partie par les objectifs contradictoires des différents acteurs scientifiques et politiques. Les évaluateurs espéraient un échantillon de 10 000 personnes avec des individus ayant des statuts d’emploi différents. Ils ont été contraints à la fois par le temps, par l’argent et par une coalition au pouvoir qui n’était plus enthousiaste à l’idée de l’expérimentation d’un revenu universel (« Why Basic Income Failed in Finland »). Le Parti du Centre du premier ministre était en fait intéressé par la question de l’incitation financière des chômeurs de longue durée, donc très éloignée de l’idée de remise en question de la place centrale du travail marchand, ou celle du pouvoir de dire non aux emplois de faible qualité, souvent associés au revenu universel. C’est bien une limite de ces expérimentations coûteuses : nécessairement supervisées par le politique, elles risquent de devenir des vitrines promouvant l’agenda du pouvoir en place. »