Le monde à l’envers : à peine les talibans ont-ils conquis l’Afghanistan que la Cour nationale du droit d’asile envisage de restreindre la protection des Afghan⋅es… (plus Appel à rassemblement)

  • 15 août : en Afghanistan, les talibans s’emparent de Kaboul, achevant ainsi d’imposer leur « ordre moral » au peuple afghan.

  • 16 août : certains dossiers de demandeurs d’asile afghans en cours d’examen devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) sont placés « en délibéré prolongé », la cour différant ainsi sa décision.

  • Quelques jours plus tard : une note interne [1] à la juridiction programme une diminution de la protection des Afghanes et des Afghans au motif d’une « cessation du conflit armé ayant opposé les talibans au gouvernement du président Ashraf Ghani ». Sans la moindre hésitation, on considère donc à la CNDA que la férule talibane ne porte pas atteinte aux libertés et que le champ de protection de l’asile doit se limiter aux situations de guerre.

Comment imaginer pareil paradoxe ? Alors qu’un sort dramatique attend Afghanes et Afghans dans leur pays, le Centre de recherche et de documentation (CEREDOC) de la CNDA laisse entendre dans cette note interne envoyée le 27 août qu’il n’y aurait plus lieu de leur accorder la protection subsidiaire notamment fondée sur l’intensité du conflit armé dans le pays. Ce qui signifie que tous ceux et toutes celles qui ne peuvent prouver des craintes personnelles de persécution leur permettant d’être reconnu·es comme réfugié·es sur le fondement de la Convention de Genève [2] et qui craignent « seulement » pour leur vie ou leur intégrité physique en raison de combats entraînant une « violence aveugle » verraient leur demande de protection rejetée.

L’OFPRA comme la CNDA jugeaient précisément jusqu’alors que la majeure partie des ressortissant⋅es afghan⋅es qui déposent des demandes de protection appartenaient à cette dernière catégorie et relevaient de la protection subsidiaire. De fait, avec cette nouvelle donne à la CNDA, la protection accordée aux Afghanes et Afghans en France risque de se réduire comme peau de chagrin [3].

Or, cette appréciation, selon laquelle les civils ne courraient plus de risques puisque le conflit armé est terminé, non seulement anticipe avec beaucoup d’optimisme la situation à venir des Afghan⋅es sous le régime taliban, mais fait également fi de la volatilité du conflit qui ressort pourtant très nettement des derniers attentats meurtriers à l’aéroport, de la présence de l’État islamique dans la capitale et des mouvements de résistance qui s’organisent (tant au Panjshir qu’au Hazarajat) et laissent craindre des combats ouverts. Des exactions ont déjà également été commises contre des civils comme l’a constaté Amnesty international [4] et il n’y a malheureusement pas de raison de penser qu’elles vont cesser.

Au demeurant, la Convention de Genève impose de reconnaître la qualité de réfugié⋅es à celles et ceux qui craignent des persécutions pour des raisons politiques ou en raison de leur « appartenance à un certain groupe social » – ce qui est à l’évidence le cas d’un grand nombre d’Afghanes et Afghans, pour n’avoir pas soutenu les talibans.

Au vu de la position prise par le responsable du CEREDOC et par la CNDA, il y a tout lieu de craindre que les dossiers qui ont été placés en délibéré prolongé ne soient très vite rejetés, sans même réouverture des débats, méconnaissant ainsi les principes fondamentaux du respect du contradictoire et des droits de la défense et sans examen des nouvelles circonstances.

Dans un communiqué du 30 août [5], la CNDA justifie de cette position en prétendant qu’elle va étudier les dossiers afghans de façon « plus protectrice » en les examinant systématiquement sous l’angle de la convention de Genève. Ce n’est que poudre aux yeux, puisque les critères de la convention sont plus restrictifs que ceux de la protection subsidiaire.

Dans les prochaines semaines et mois, nous risquons donc d’assister à des décisions de refus en masse, suivies d’obligations de quitter le territoire français (OQTF). Alors que dans de nombreux pays on réfléchit à l’accueil, en France on pense déjà à la façon d’expulser les ressortissants afghans dont beaucoup sont présents sur son territoire depuis plusieurs années, sans se soucier des risques qu’ils courent s’ils et elles sont renvoyé·es dans leur pays.

Paris, le 1er septembre 2021

Organisations signataires :

  • ACAT – Action des chrétiens pour l’abolition de la torture

  • ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers)

  • Ah Bienvenue Clandestins ! (Lot)

  • Apardap – Association de PArrainage Républicain pour les Demandeurs d’Asile et de Protection

  • Asca – Association solidarité et culturelle des afghans à Paris

  • Asilaccueil88

  • Assemblée Locale EGM de Besançon

  • Assemblée Locale de Colmar, Haut Rhin

  • Assemblée Locale EGM de la Loire (42)

  • Assemblée Locale EGM Montpellier

  • Assemblée Locale EGM Moselle

  • Assemblée Locale EGM Sud-Drôme/Nord Vaucluse

  • Association Juvisienne pour l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés (AJAR-Essonne)

  • Association pour les Migrants-AMI Nîmes

  • ATMF – Association des Travailleurs Maghrébins de France

  • Chemins Pluriels

  • Collectif Chabatz d’entrar (Assemblée Locale de la Haute-Vienne)

  • Collectif EGM de Martigues (Bouches du Rhône)

  • Collectif pour une autre politique migratoire (Assemblée Locale 67)

  • Comede – Comité pour la santé des exilé⋅es

  • CRID – Centre de recherche et d’information pour le développement

  • Dom’Asile

  • Enfants D’Afghanistan et D’ailleurs

  • États généraux des migrations (EGM)

  • Association des avocats ELENA

  • Fasti – Fédération des associations de solidarité avec tout·e·s les immigré·e·s

  • GAS – Groupe accueil et solidarité

  • Gisti – Groupe d’information et de soutien des immigré⋅es

  • Collectif ICARE-05

  • La Casa

  • LDH – Ligue des droits de l’Homme

  • Mrap

  • Ngo Ecosoc Unesu

  • SAF – Syndicat des avocats de France

  • SolidaritatUbaye

  • Solidarité Migrants Graulhet (81)

  • Syndicat de la magistrature

  • Association Thot (école de français pour les personnes exilées)

  • Tous migrants

  • Utopia 56

     

[1] « Asile en France : la protection des Afghans menacée », Mediapart, 28 août 2021

[2] Le statut de réfugié est reconnu à la personne qui « craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».

[3] Il résulte, toujours selon cette même instruction, que la protection subsidiaire, qui était encore accordée à des requérant⋅es originaires de provinces contrôlées par les talibans jusqu’au 15 août 2021, ne peut « être qu’écartée » sur l’ensemble du territoire afghan (exception faite du Panjshir où une poche de résistance subsiste). Autrement dit, les civils n’y courraient plus de risques du fait du conflit qui y sévit, et par conséquent n’auraient plus de raison d’obtenir une protection en France sur ce fondement.

[4] « Afghanistan. Les talibans responsables du massacre d’hommes hazaras – nouvelle enquête », Amnesty International, 20 août 2021

[5] « Évolution de la situation sécuritaire en Afghanistan », Communiqué de la CNDA, 30 août 2021

 

https://www.gisti.org/spip.php?article6655 

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Solidarité avec les Afghans.
Appel à rassemblement dimanche 5 septembre à 15 h

En solidarité avec les femmes, les défenseurs des droits humains et toutes les personnes aujourd’hui menacées en Afghanistan, nous organisons un rassemblement dimanche 5 septembre, à 15h, place de la République à Paris.

Depuis la prise du pouvoir par les talibans le 15 août dernier, le monde assiste au basculement de l’Afghanistan dans le chaos et à celui de larges fractions de sa population dans la terreur.

Évidence confirmée s’il en était besoin par les ONG et le Haut Commissariat aux Réfugiés, les femmes sont les plus menacées et les principales cibles des talibans, dont tous les efforts sont tendus vers le rétablissement de l’Émirat islamique d’Afghanistan.

Car oui, ce sont bien les femmes qui ont le plus à craindre de la reprise du pays par ces fondamentalistes armés agissant au nom d’une conception dévoyée de l’Islam. Après avoir pu bénéficier dans les principaux centres urbains de deux décennies où elles purent mener des études, exercer une activité professionnelle jusque dans les emplois les plus éminents, sortir dans la rue sans chaperon ou bénéficier d’une relative liberté vestimentaire, nous savons que, pour elles, la prise du pouvoir par les talibans enclenche la dynamique d’un retour à une quasi-mort sociale.

Malgré les dires des Talibans, ce que risquent à nouveau les femmes en Afghanistan, ce sont la disparition de l’espace professionnel et de la sphère politique, le reflux de la scolarisation, un espace public où elles ne pourront plus apparaître que sporadiquement et au prix de l’effacement funeste de leurs corps et de leurs visages.

Mais les femmes afghanes risquent plus que cette quasi-mort sociale. Elles risquent la mort physique lorsque, à nouveau, c’est le fouet et la lapidation qui seront appliqués à celles suspectées d’avoir commis un adultère.

Cette réalité talibane a d’ailleurs fait dire il y a peu à Fawzia Koofi, féministe et vice-présidente de l’Assemblée nationale afghane, que l’Afghanistan était « le pire pays du monde où naître pour une fille ».

Ces femmes, parce que femmes, et leurs enfants, sont en danger.

En ces heures où il est question des responsabilités des uns et des autres dans l’effondrement du pouvoir afghan au profit du régime islamiste des talibans, nous voudrions que les énergies et les attentions se concentrent sans faiblir sur la tragédie qui se joue en matière de droits humains pour ces femmes ainsi que pour toutes les personnes et tous les groupes que la nouvelle donne politique met en péril.

En ces heures durant lesquelles les évacuations par la France et les pays occidentaux ont largement cessé et où nous assistons au départ total de l’armée américaine du sol afghan, nous appelons à un rassemblement le dimanche 5 septembre à 15h sur la place de la République à Paris.

Féministes, antiracistes, syndicalistes, militantes et militants dans les organisations de jeunesse, membres d’organisations de défense des droits humains ou d’associations de solidarité avec le peuple afghan, nous nous rassemblerons pour exprimer deux messages simples :

– nous dirons notre solidarité avec les personnes qui, en Afghanistan, risquent une atteinte à leur intégrité morale et physique parce qu’elles seraient des femmes, qu’elles seraient désignées comme LGBTI, parce qu’elles appartiendraient à des minorités religieuses ou ethniques ou parce qu’elles seraient susceptibles d’avoir mené des activités de nature à en faire des cibles du nouveau pouvoir. Il s’agit de celles et ceux qui ont défendu les droits humains, promu l’Etat de droit, agi en faveur de l’émancipation des femmes, milité contre les obscurantismes, promu les droits sociaux fondés sur la libre délibération entre les citoyens, porté la liberté culturelle et celle de l’information…

– nous appellerons la France à assurer un accueil inconditionnel des civils afghans en danger. Au-delà, nous appelons la France à mettre tout en œuvre pour que l’ensemble de la communauté internationale puisse prendre sa part dans l’accueil des réfugiés, et notamment des femmes, de leurs enfants et des personnes LGBTI. Cet appel est en réalité un simple rappel : celui à respecter la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre ainsi que les conventions des Nations Unies et déclarations du Conseil de l’Europe sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Si la diplomatie française tout autant que les citoyens français pèsent bien peu sur les dimensions géopolitiques et militaires du conflit afghan, il est une chose qui relève de notre champ de compétence, d’honneur et de bataille : la solidarité internationale, en mots et en actes, alors que de nombreux individus, en Afghanistan, sont en danger évident et imminent. Il en va de notre humanité et de la cohérence dans notre combat contre l’obscurantisme.

Pour rappeler ces choses simples, ce dimanche 5 septembre, à 15h, venez et faites venir sur la place de la République à Paris.

Premiers signataires :

SOS Racisme – UEJF (Union des Étudiants Juifs de France) – CDK-F (Conseil Démocratique Kurde en France) – Ibuka France – La FAGE – SOS Homophobie – Osez le Féminisme – URIF CGT – L’Assemblée des Femmes – MRAP – FIDL, le syndicat lycéen – FSU – Ayeka – UNEF – Urgence Darfour – La Paix Maintenant – JCall (European Jewish Call for Reason) – Enfants d’Afghanistan et d’ailleurs – Utopia 56 – Gisti – MNL – CGT – UNL – Afghanistan Libre – CFDT – AHJ (Aide humanitaire et journalisme) – CCAF (Conseil de coordination des organisations arméniennes de France) – Grand Orient de France – La Cimade – LDH

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « Le monde à l’envers : à peine les talibans ont-ils conquis l’Afghanistan que la Cour nationale du droit d’asile envisage de restreindre la protection des Afghan⋅es… (plus Appel à rassemblement) »

  1. Il s’agit d’une façon habituelle d’agir qui malheureusement ne concerne pas que les Afghans. Je me souviens, il y a quelques années, alors que je travaillais à Genève pour une association de défense de requérants d’asile, aussitôt que les « Tigres tamouls » ont été vaincus militairement par l’armée gouvernementale, les autorités suisses ont décidé que les requérants tamouls pouvaient sans danger être renvoyés chez eux ! Et on pourrait mentionner de nombreux autres exemples.
    Avec les Afghans, l’Union Européenne a trouvé mieux : on va tout faire pour qu’ils trouvent l’asile dans leur région : aux pays pauvres d’accueillir les pauvres !

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