« Ils n’iront pas plus loin qu’ici », au fond de l’océan. Et si les disparu·es avaient été cherchés, seuls des corps auraient pu être retrouvés. « Le 16 avril 2014, le ferry sud-coréen le Sewol fait naufrage, emportant définitivement avec lui trois-cent-quatre membres d’équipage et passagers, pour la plupart des lycéens faisant un voyage d’étude ».
Les mort·es inconnu·es de là-bas et un mort – si proche – ici. Que savons-nous de la « morsure de ce qui n’est plus », de ce jeune homme de dix-sept ans et demi ou de ces lycéens et lycéennes ?
Danielle Lambert raconte la litanie des fausses et monstrueuses assertions, le temps long de la parole de vérité, les méandres d’une mémoire aquatique, l’entre-deux entre réel et abstraction, la peur engendrée par « une forme d’organisation militaire ancestrale », la vérité noyée, l’ainée et sa culpabilisation, le choc « en un seul plan noir et blanc et fixe, la puissance de déflagration hallucinée, la désespérance lenteur du cauchemar, l’effraction de l’événement qui « submerge tout », l’insoutenable désinformation et son calme lisse opposée « au raz-de-marée de douleur des parents », le gouffre du langage, la défaite de la pensée, le silence, « Le silence n’est plus un blanc sur une bande-son, mais un filet d’air submergé, un cri ravalé », les soustractions funèbres, le temps du deuil comme espace infini et indéfini, les impossibles définitions et les débuts d’explications, l’ombre toujours trop grande pour soi, l’indéfinissable parfum captif d’une chambre, l’importance de chaque catastrophe qui ne peut être résumée par la « valse des chiffres alignés », le fond des mers « au fonds des mères », la longue procession des rubans jaunes, l’insoutenable rugosité du réel, celui « qui est mort », la mort et rien à voir, l’incurie d’instances gouvernementales, l’acuité des absences…
Une écrite de l’émotion et de la pudeur.
Danielle Lambert : L’oubli, la mer
Editions Isabelle Sauvage, Plounéour-Ménez 2021, 96 pages, 15 euros
https://editionsisabellesauvage.fr/catalogue/loubli-la-mer/
Didier Epsztajn