« Au crépuscule de sa vie, Max Tzwangue, comme tant d’autres, choisit de nous la raconter. Par bien des égards, elle est typique de cette génération issue de l’immigration juive de l’Est, grandie à Belleville-Ménilmontant, baignée dans le yiddish et la culture communiste. Elle en diffère aussi ». Dans sa courte préface, preface-dannette-wieviorka-au-livre-de-max-tzwangue-cest-ainsi-que-fut-ma-vie/ publiée avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse, Annette Wieviorka met l’accent sur le « tracé original » de l’auteur, « fruit tout à la fois des temps où il vécu et de sa personnalité ».
Dans le premier chapitre « L’enfance et les origines », Max Tzwangue évoque, entre autres, la rue de Ménilmontant, ses parents immigrés de Pologne, « ils ne parlent pas leur langue natale et mal le français », le yiddish, la difficulté à appréhender leurs origines, la ville industrielle de Lodz et les filatures, les métiers de tailleur et le travail à domicile, l’immigration « juive antinationaliste et sympathisante communiste », les journaux en yiddish édités à Paris, sa nourrice, l’école primaire, l’Union des Juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE), le pensionnat à Villeparis, la naturalisation française, la séparation des parents…
La déclaration de guerre, « Je ne rentrerai jamais à Lens, je n’irai jamais au collège », l’Auvergne, la promulgation de lois antijuives « dans nos pays d’origine », Clermont-Ferrand, « Nous ne comprenions toujours pas pourquoi nous avons quitté Paris. Les journaux paraissaient, les théâtres sont ouverts, la vie continue », une période étrangement nommée « drôle de guerre », l’invasion des troupes allemandes et l’occupation, la collaboration du gouvernement français avec l’occupant nazi, la nouvelle « capitale » Vichy, l’afflux de réfugié·es, la lecture (les bibliothèques comme lieux privilégiés) et sa culture d’autodidacte, les premières lois antijuives et le légalisme des parents, « Nos parents n’étaient pas des bagarreurs. Ils ne possédaient pas la langue. Donc sortis de la sphère privée, ils courbaient la tête. Ils étaient contents qu’on les laisse tranquille, tout en gardant à l’esprit une conscience politique procommuniste et antifasciste. Les étrangers, non naturalisés pour beaucoup, étaient arrêtés tous les jours. On leur demandait leurs papiers ».
Sans rabattre une situation socio-politique sur une autre plus ancienne et qualitativement différente, comment ne pas penser à d’autres réfugié·es, d’autres personnes dont les papiers ne sont pas considérés comme de bons papiers, de nouvelles lois d’exclusion, des contrôles au faciès. Des immigré·es, des français·es pas considéré·es comme les autres français·es, des sans-papiers, des exilé·es, des frontières fermées et des forces de répression. Ce passé maintenant presque lointain reste proche, d’autant que certains le revendiquent comme futur souhaitable…
Je souligne le passage sur la maison transformée en « centre d’hébergement et de réunions », les matelas par terre, l’atelier de faux papiers, l’impression des premiers tracts, la construction de passage vers la « zone libre ». Je rappelle le texte « Sans la solidarité de délinquants, nous ne serions pas là », https://entreleslignesentrelesmots.blog/2017/02/23/sans-la-solidarite-de-delinquants-nous-ne-serions-pas-la/.
C’était le temps des milices de François Darlan, la version française d’autres milices para-étatiques, des rafles, des camps de Pithiviers et de Beaune, de la livraison de personnes considérées comme juives, « Pétain et Laval s’engagent à leur livrer les Juifs étrangers de la zone dite libre », du 16 juillet 1942 et de la rafle du Vel’ div, des listes d’arrestation, des faux papiers et de l’illégalité…
Le temps aussi de la résistance, la FTP-MOI, se battre au coeur du dispositif de l’ennemi, la préparation minutieuse des opérations « afin de n’atteindre aucun innocent », les antifascistes (leurs passions de la musique, de la poésie, de la lecture), les guillotinés, les condamnations à mort par contumace, la « Section spéciale », les exécutions, les résistant·es dénonçé·es comme « traitres à la patrie » dans la propagande de Pétain… la libération à Périgueux, « La ville est en folie, plus aucune autorité ne subsiste, nous assistons, impuissants, à des scènes de violence où des femmes sont insultés et tondues parce qu’elles ont soi-disant pactisé avec l’ennemi », la fin de la guerre mais pas des guerres coloniales, « Je lui réponds que pour moi, j’ai fini ma guerre avec la défaite des Allemands et des nazis, que je n’ai rien à faire en Indochine, que je demande ma démobilisation », les conditions pour repartir dans la vie…
Je laisse les lecteurs et lectrices découvrir la suite, le retour à paris, la découverte du théâtre, le syndicalisme, le mariage et les enfants, l’impact du rapport Khrouchtchev, « je suis totalement déboussolé. Un monde s’écroule », le sanatorium, l’opposition à la guerre d’Algérie, les pérégrinations, le passage des planches à l’écran…
Le livre trouve sa place dans la collection Yiddishland qui j’espère sera complétée par d’autres ouvrages.
Max Tzwangue : C’est ainsi que fut ma vie
Juif de Ménilmontant, résistant FTP-MOI à 17 ans
Editions Syllepse, Paris 2021, 90 pages, 8 euros
https://www.syllepse.net/c-est-ainsi-que-fut-ma-vie-_r_95_i_864.html
Didier Epsztajn
Dans la même collection :
Alain Brossat et Sylvia Klingberg : Le Yiddishland révolutionnaire, note de lecture
Jacques Kott : Combattant de l’ombre. De la résistance juive aux procès staliniens
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2010/07/07/memoires-contre-falsifications-de-lhistoire/
Hersh Mendel : Mémoires d’un révolutionnaire juif
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2011/11/20/en-memoire-de-la-rue-juive/
Samuel Schwarzbard : Mémoires d’un anarchiste juif
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2010/04/20/schuleim-fils-disaac-fils-de-moise-schwarzbard/
Efraïm Wuzek : Combattants juifs dans la guerre d’Espagne. La compagnie Botwin
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2012/12/26/dans-la-lutte-pour-votre-liberte-et-la-notre/