« Dans un contexte d’éducation massive, d’urbanisation rapide et de transition démographique, des réalités nouvelles sont apparues, comme l’écart dans la réussite scolaire entre les deux sexes dans de nombreux pays en faveur des filles ». Dans son édito, Révoltes arabes : de femmes à féministes, Mahdia Belkadi discute, entre autres, de l’instrumentalisation des femmes par un certain « féminisme d’Etat », des politiques coloniales de dévoilement, de l’islamisation de l’espace public, de scolarisation et d’absence de perspectives d’autonomisation, d’aspiration à « une citoyenneté pleine et entière », des révolutions arabes et des sociétés en mutation, d’engagements féministes, d’honneur à géométrie variable, « l’honneur du groupe, placé dans le corps de « ses » femmes », de la mixité refusée par certains, de la visibilité impressionnante des femmes dans les manifestations, « Déjà présentes dans des espaces devenus mixtes, comme l’université ou la fonction publique, les femmes bouleversent les codes conventionnels en investissant, presque naturellement, le dernier espace public réticent à leur présence : la rue », des agressions sexuelles lors des manifestations place Tahir (Egypte), des expéditions punitives contre des femmes en Algérie, des saoudiennes, de présence des femmes et de présence féministe, « pour beaucoup de femmes, compte tenu du contexte dans lequel elles évoluent, l’acte de manifester pour la démocratie constitue un engagement féministe à part entière », de défiance du « système » et de défiance du patriarcat, d’opportunité historique, « Les périodes de transition qui suivent les élections – remportées par les islamistes – sont caractérisées par une mobilisation des féministes dans le sens d’une préservation des acquis plus que d’une amélioration du statut », du mouvement palestinien Tâli’at et de prise en main de leur narrative, « Puisant leur légitimité dans la violence qu’elles subissent et dans les luttes de leurs aïeules, les féministes arabes renégocient leur implication dans les révoltes et posent l’oppression des femmes comme problème politique », de la convocation du passé « pour mieux tracer l’avenir », des efforts des « frères » pour tenter de préserver les derniers pans de leur conception de l’« honneur », de l’espace virtuel occupée « pour mieux conquérir l’espace public physique »…
Le titre de cette note est emprunté à l’éditorialiste.
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« Les femmes, ayant répondu présentes à l’appel de la rue, saisissent ainsi l’occasion pour porter leurs revendications propres. Elles font le pari que les droits des femmes, contrariés depuis l’indépendance, ont une chance de se réaliser dans le cadre de ce mouvement d’envergure. Les féministes font valoir que l’égalité homme-femme est consubstantielle à la démocratie. Un carré féministe fait son apparition dans les cortèges algérois, et le slogan « saawt el-mara’a thawra » (« la voix de la femmes est une révolution ») est brandi sur des pancartes ». Kamir Abbas-Terki discute, entre autres, des nouvelles opportunités « pour les droits des femmes algériennes » dans et par le Hirak, des expressions féministes en regard des mutations de la société algérienne, des stratégies utilisées, de la continuité d’un combat historique, de la réappropriation de l’espace public, du « code l’infamie » et de la relégation de la femme au statut de mineure à vie dans le Code de la famille, de l’instrumentalisation de la question des femmes par le pouvoir pour se légitimer face à la mouvance islamiste, du réseau Wassila, du carré féministe, « Nos droits c’est tout le temps et partout », du 8 mars, « on n’est pas là pour célébrer, on est là pour que vous partiez », des nouvelles actrices et des nouveaux enjeux de la contestation, de l’âge moyen du premier mariage et de la baisse du taux de fécondité, de l’« image de la mère », des nouvelles solidarités, du travail des femmes, des visions traditionalistes, « Cette vision traditionaliste du partage des tâches contraste avec l’évolution de la société, créant ainsi de la conflictualité et de nouvelles concurrences », de « double oppression », d’agressions et d’insultes, de volonté de changer le système « y compris son volet sexiste, patriarcal et misogyne », du « c’est exactement le moment » face à ceux qui secondarisent les revendications féministes, de l’égalité comme un « élément consubstantiel de la démocratie revendiquée »…
Une loi relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes est adoptée le 11 août 2017 en Tunisie. « Il s’agira dans cet article de revenir sur la genèse et l’élaboration de cette loi, dans un environnement juridique et politique marqué par l’antagonisme entre référentiel religieux et référentiel des droits humains. On verra comment, arrivant à son apogée lors du débat constitutionnel et faisant craindre pour les acquis juridiques des femmes tunisiennes, cet antagonisme continue à structurer le débat sur la loi contre les violences faites aux femmes, bien qu’il soit légèrement nuancé ». Sara Kamoun aborde, entre autres, l’histoire du mouvement féministe, le Code du statut personnel, « Si ce code se détournait de certaines normes islamiques classiques – notamment avec l’abolition de la polygamie, l’institutionnalisation du mariage civil et l’instauration du divorce judiciaire –, il en conservait cependant d’autres, dont la plus connue demeure l’inégalité successorale entre frères et soeurs », les mots qui invisibilisent les violences et qui masquent les agressions, le terme « genre » et son refus, les arguments « relatifs à la moralité de la famille », la question du viol, les ordonnances de protection…
« En 2019 apparaît le mouvement Ena Zeda (« Moi aussi ») dans la continuité du mouvement international #MeToo. Il questionne fortement l’application et l’effectivité de la loi contre les violences faites aux femmes. Les années à venir dévoileront si ce mouvement aura un impact sur le recours des victimes de violences à l’arsenal législatif post-révolutionnaire ».
« Le féminisme est un universalisme, de la même manière que les droits de l’homme ». Dans un entretien, Saïda Ounissi, féministe tunisienne, parle de son parcours, du fait d’être femme dans le milieu politique, de l’espèce d’« auto-congratulation permanente sur l’exceptionnalité », de l’intégration des femmes dans les partis, de ceux qui n’acceptent pas « qu’une femme puisse être à la fois une personne avec une ambition à rayer le parquet et une mère de famille », de l’état du droit des femmes en Tunisie, de l’inégalité salariale, du patriarcat religieux et de l’interprétation masculine des textes religieux, de non-liberté, de Simone de Beauvoir et d’autres femmes inspirantes, des femmes constituantes…
« Les femmes n’ont toujours pas de place en Egypte, mais le combat se poursuit sur les réseaux ». Dans un entretien, Shahinaz Abdel-Salam, féministe égyptienne discute du droit de faire lorsqu’on est une fille, de son blog, des femmes agressées dans les rassemblements, de Nawal el-Saadawi, du mot liberté, de la place Tahrir, « En 2011, les femmes ont été attaquées par tout le monde : les révolutionnaires, les militaires », d’être féministe et révolutionnaire, de l’engagement individuel et collectif, des droits humains au sens large, du durcissement des lois envers toute la société civile, du mouvement encore discret contre les violences sexuelles contre les femmes…
Sur Nawal el-Saadawi : en complément possible :
Ferdaous, une voix en enfer
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2022/02/17/ils-nont-pas-peur-du-couteau-cest-la-verite-qui-les-terrifie/
Nevine El Nossery : À la mémoire de Nawal El Saadawi
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/05/01/a-la-memoire-de-nawal-el-saadawi/
Marieme Helie Lucas : Nawal Al Saadawi, égyptienne et féministe, a laissé sa marque sur les jeunes femmes de notre époque
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/04/22/nawal-al-saadawi-egyptienne-et-feministe-a-laisse-sa-marque-sur-les-jeunes-femmes-de-notre-epoque/
Le mouvement féministe en Tunisie dit adieu à l’écrivain égyptienne Nawal Saadawi
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/04/16/le-mouvement-feministe-en-tunisie-dit-adieu-a-lecrivain-egyptienne-nawal-saadawi/
La maternité est une prison ; le père est libre mais la mère ne l’est pas
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/06/20/nawal-el-saadawi-la-maternite-est-une-prison-le-pere-est-libre-mais-la-mere-ne-lest-pas/
La femme et le sexe ou Les souffrances d’une malheureuse opprimée
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2018/05/08/le-droit-datteindre-lorgasme-ne-peut-etre-reserve-aux-seuls-hommes/
Le dossier se termine par un Portfolio de Victorai C.Werling. Des photos de femmes, « Souvent presque aussi nombreuses que leurs homologues masculins dans les cortèges, elles souffrent cependant d’un manque de visibilité », des femmes en manifestation, « Ces photos sont d’autant plus importantes à mes yeux qu’elles viennent interroger le fantasme de la femme arabe soumise, encore fortement véhiculé dans les pays occidentaux ».
Le dossier est complété par d’autres textes : Joseph Sawaya : Les forces armées libanaises face à la Thawra ; Fadwa Abdel-Mawlla : Le gaz en Méditerranée orientale, facteur de recomposition géopolitique ; Emilie Pasquier : La Société des eaux du Caire ; Abdelmouraim Fanidi & Sirine Belkhiri : Entretien : Alain Bittard, passeur de savoirs entre Orient et Occident ; et des recensions d’ouvrages.
Bidaya : Femmes dans les révolutions arabes
La revue étudiante de sciences humaines et sociales consacrée au monde arabe
n°01 – décembre 2021, 104 pages
https://www.carep-paris.org/bidaya/numeros/
Didier Epsztajn
En complément possible :
Sonia Dayan-Herzbrun : L’irruption des femmes dans l’espace révolutionnaire arabe
Sonia Dayan-Herzbrun : Les révolutions arabes ou les nouvelles modalités de l’agir collectif
Sous la direction de Sonia Dayan-Herzbrun : Mobilisations collectives, religions et émancipation
Sous la direction de Zahra Ali et Sonia Dayan-Herzbrun : Pluriversalisme décolonial
Sonia Dayan-Herzbrun : Introduction : Féminisme, politique et nationalisme dans le monde arabe
Note de lecture de cet ouvrage :
Agir politique et citoyennetés des femmes au tournant des révolutions arabes in Sous la direction de Gaëlle Gillot et Andrea Martinez : Femmes, printemps arabes et revendications citoyennes
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2016/05/31/autonomie-et-investissement-de-lespace-public/
SALAM : Les féminismes pluriels, un antidote à l’islamophobie et au racisme
Geneviève Fraisse : Femmes dans les Révolutions : questions critiques
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/04/07/femmes-dans-les-revolutions-questions-critiques/
Préface à l’édition française du livre de Leila Al-Shami & Robin Yassin-Kassab : Burning Country. Au cœur de la révolution syrienne
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/03/25/preface-a-ledition-francaise-du-livre-de-leila-al-shami-robin-yassin-kassab-burning-country-au-coeur-de-la-revolution-syrienne/
Note de lecture de cet ouvrage :
Shadia Abdel Moneim : Les femmes ont toujours été à l’avant-garde de la résistance soudanaise
Nouvelles Questions Féminismes : Féminismes au Maghreb
Nouvelles questions féministes : Féminismes dans les pays arabes
Mouqawamet – Thidh yekkèthen ouzèl : Qui sommes-nous ?
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2015/11/20/mouqawamet-thidh-yekkethen-ouzel-qui-sommes-nous/
Zahra Ali : Féminismes islamiques
Brochure de la Commission nationale des femmes travailleuses de l’UGTA : Un jour le silence a éclaté ! En lutte contre le harcèlement sexuel,
ATFD : Contre les violences faites aux femmes et pour la pluralité de leur expression Nous femmes tunisiennes, restons debout !