La publicité limite la grammaire des interactions sociales

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Si je peux souscrire à la description de la crise des subprime faite par Tim Hwang, je n’en partage cependant pas l’absence d’analyse du capitalisme et de ses contradictions. Il ne me semble pas possible d’aborder les causes structurelles de cette crise sans parler du mode d’accumulation, de valorisation du capital, de production marchande généralisée, de la comptabilité internationale ou de l’inventivité criminelle des cols blancs en matière de montages financiers et fiscaux.

La publicité, partie intégrande du cycle de la réalisation de la valeur et du fétichisme de la marchandise (pour utiliser des notions de la critique de l’économie politique) contribue à l’augmentation et au renouvellement – souhaitée par les entreprises – de besoins souvent artificiels. La logique publicitaire (une véritable pollution imposée aux consommateurs et consommatrices) au cœur du fonctionnement de l’internet me semble hautement critiquable. Cet outil relevant du commun, son éventuellement financement – comme son fonctionnement – ne peux relever de la sphère privative lucrative.

Cela étant précisé, cet ouvrage contribue à la compréhension de l’« économie de l’attention » et de mécanismes publicitaire propres au fonctionnement de l’internet, « La publicité numérique est le cœur funeste qui fait vivre l’internet ».

Dans son prologue, prologue-de-tim-hwang-a-son-livre-le-grand-krach-de-lattention/, publié avec l’aimable autorisation des Editions C&F, Tim Hwang aborde, entre autres, la publicité numérique et sa place dans l’« économie digitale », les croyances des annonceurs, les qualités et les quantités de données, « les données servant au ciblage des publicités ne sont que des foutaises », les algorithmes et les « engins de « corrélation » », le marketing, l’infrastructure et les réseaux, « Pour comprendre ces faiblesses structurelles, nous devons plonger dans les arcanes financières du web, explorer la vaste infrastructure mondiale à laquelle nous réfléchissons rarement, mais qui est pourtant au cœur même des raisons pour lesquelles l’internet est ce qu’il est. Ce que nous découvrons alors n’est pas un tableau dépeignant des assistants data-driven modernes destinés à persuader les consommateurs, mais plutôt une sombre histoire d’incitations perverses, de fraude pure et simple, et d’une économie numérique au bord du gouffre. »

Il sera ici beaucoup question d’argent, d’entreprises gigantesques et très rentables, de publicité numérique, de référencement payant, d’affichage publicitaire sous formes de « bannières », d’impact du financement publicitaire sur « le développement même de la technologie », de pratiques de surveillance, de valorisation de « contenus incendiaires », de marché et de négoce de l’attention, « Au fond, la publicité est un marché de l’attention », d’automatisation et de transactions programmatiques, de parallèle entre les marchés financiers et les marchés de l’attention, « A cet égard, la ressemblance entre le marché de la publicité en ligne et les marchés financiers ne tient pas du hasard. Le présent ouvrage explore les connections fascinantes entre le monde de la finance et l’évolution de l’écosystème moderne de la publicité programmatique »…

Tim Hwang discute donc du jargon de la publicité programmatique, de temps réel, de plates-formes logicielles, de monétisation par la vente de l’attention des consommateurs et consommatrices, de risques systémiques, des ressemblances entre les marchés de la publicité programmatique et les marchés financiers, des enchères publicitaires, des algorithmes, « La technologie permet de jouer le jeu, mais ne dicte pas les règles du jeu », d’attention marchandisée, « Le concept amorphe, informe, de l’attention est désormais un ensemble d’éléments comparables et distinguables qui peuvent être captés, évaluées et vendus », de standardisation, de spéculation, de marchandises « abstraites », d’opacité, d’infrastructure de surveillance, de déferlement de données, de trading algorithmique, de dark pools, de nouveaux intermédiaires, de détermination des prix, de dépendance à l’égard des plateformes dominantes, d’ergonomie souterraine, de qualité, de la perte d’« efficacité » des bannières, de bloqueurs de publicité, de visibilité et d’invisibilité, « Un nombre stupéfiant des ces annonces n’est jamais vu par qui que ce soit »…

J’ai notamment apprécié les passages sur la fraude publicitaire, la fraude au clic, « publicités… vues uniquement par des robots ou par des humains dont le travail consiste à cliquer dessus », l’usurpation de domaines, le développement d’entreprises criminelles… L’auteur interroge l’attention réelle, d’autant que se développe « le spectre du désintérêt du public pour la publicité en ligne ».

Tim Hwang parle de formation d’une bulle, « les budgets publicitaires se déversent dans cette bulle de marché parce qu’ils n’ont nulle part ailleurs où aller », de toxicité, du rôle des agences, de manipulation de prix de l’inventaire publicitaire, de technologie publicitaire, de possible explosion de la bulle…

Il souligne les atteintes à la vie privée des consommateurs et consommatrices, les nuisances en terme de santé mentale et de développement personnel, l’illusion de convertir des « sentiments » en objets facilement mesurables, la limitation de la « grammaire des interactions sociales en ligne », le potentiel inégalé « pour manipuler l’opinion », la réduction des possibles futurs. Il propose d’anticiper la crise par une « démolition maitrisée »…

Je ne reviens pas sur mes remarques antérieures. J’ajoute cependant que contrairement à l’auteur, il me semble possible d’aborder le fonctionnement de l’internet sans aucune publicité. La gratuité réelle pour les utilisateurs et utilisatrices peut être construite par une prise en charge collective de ce bien commun que devrait être l’internet.

Il convient donc à la fois de combattre la place des Gafam, la dictature des algorithmes (masquant des choix et des programmations par des individus), la pollution publicitaire et la marchandisation du monde.

Tim Hwang : Le grand krach de l’attention

La publicité, une bombe au cœur de l’internet

C&F éditions, Caen 2022, 176 pages, 22 euros

https://cfeditions.com/krach/

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

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