[Le dimanche 17 avril, des dizaines de policiers des forces spéciales israéliennes ont piégé des fidèles musulmans, observant le Ramadan, dans des salles de prière de la mosquée Al-Aqsa, faisant de nombreux blessés. De plus, des militants israéliens d’extrême droite et des colons, protégés par les forces lourdement armées, ont pris d’assaut Al-Aqsa pour, affirmaient-ils, marquer la fête de la Pâque juive. Cela s’inscrit dans l’exigence de certains de détruire la mosquée, dans la perspective de faire place à un « troisième temple ». Cette répression et agression donnaient suite à la tentative violente, le vendredi 15 avril, d’expulser des fidèles musulmans de la mosquée. La collusion entre les forces de répression israéliennes et les provocations des colons et autres intégristes donnent tout leur sens à la demande faite par le député Ayman Odeh : un refus de toute collaboration de policiers « arabes israéliens » à participer au système de répression de l’occupant. Les racines de la brutalité avec laquelle les «acteurs juifs du pouvoir occupant» ont réagi à cette déclaration sont exposées par l’auteure, Orly Noy, de l’article publié ci-dessous. Réd.A l’Encontre]
Dimanche soir 10 avril, le président de la Liste unifiée Ayman Odeh [député de la Knesset depuis le 31 mars 2015, réélu en 2019, 2020 et 2021] a publié une vidéo sur sa page Facebook en l’honneur du Ramadan, dans laquelle il se tenait à la Porte de Damas de la vieille ville de Jérusalem, appelant les policiers arabes en Israël à jeter leurs armes et à quitter leur travail. Ce faisant, il a réveillé de nombreux démons – dont aucun n’était vraiment endormi.
Immédiatement après que les médias israéliens ont repris les remarques d’Ayman Odeh, les politiciens juifs ont commencé à rivaliser entre eux pour savoir qui pourrait émettre la condamnation la plus extrême. La ministre de l’Intérieur, Ayelet Shaked [Foyer juif], a déclaré qu’Odeh « provoque l’Etat d’Israël et ses institutions » et que « sa place est en dehors de la Knesset » ; le député du Likoud Israel Katz a déclaré que la place d’Ayman Odeh était en prison ; le député Ofir Katz, également du Likoud, est allé jusqu’à faire appel au procureur général et au bureau du procureur de l’Etat pour demander qu’une enquête soit ouverte contre lui. Pendant ce temps, le député du Likoud Shlomo Karhi tente de réunir les 70 signatures de ses pairs de la Knesset nécessaires pour suspendre Ayman Odeh de ses fonctions.
Des politiciens de la gauche sioniste se sont également joints au festival de condamnations. Le député Yair Golan, du parti libéral [« de gauche »] Meretz, a déclaré que les remarques d’Odeh « fermaient la porte » à la possibilité pour la Liste unifiée d’entrer au gouvernement, suite à la défection de la leader de la coalition Idit Silman [elle a démissionné du parti de droite Yamina le 6 avril 2022] et donc à la perte consécutive de la majorité parlementaire la semaine dernière. Et dans un entretien accordé à la radio de Tsahal [armée], la députée travailliste Ibtisam Marana, citoyenne palestinienne d’Israël, a dit à Odeh « d’aller bronzer à Paris et de se taire ».
Bien que s’en prendre aux politiciens palestiniens soit un passe-temps national, il est crucial d’examiner le contexte dans lequel Ayman Odeh a fait ses remarques. Alors qu’il se trouvait à la Porte de Damas, des résidents palestiniens lui ont raconté comment les policiers arabes les maltraitaient et les traitaient violemment. Et en effet, quiconque a pris part à une manifestation à Sheikh Jarrah ou dans tout autre quartier de Jérusalem-Est peut témoigner de la violence perpétrée par les policiers arabes qui s’y trouvent – ainsi que par leurs homologues juifs – contre les résident·e·s et les manifestant·e·s.
« Il est honteux qu’un jeune Arabe ou les parents d’un jeune Arabe acceptent de s’enrôler et de servir dans les forces de sécurité, qui sont en fait des forces d’occupation », a déclaré Ayman Odeh, faisant spécifiquement référence à leur rôle consistant à empêcher les fidèles musulmans d’accéder à la mosquée Al-Aqsa. Malgré les tentatives de la droite de lui attribuer une déclaration générale sur le service des citoyens palestiniens, Odeh faisait clairement référence à l’adoption de l’uniforme de l’oppression dans les territoires occupés, y compris Jérusalem-Est. Il n’y a pas d’appel plus légitime que celui-ci – pour que son peuple ne soit pas partenaire d’un appareil qui opprime brutalement d’autres communautés palestiniennes.
Les accusations de rébellion lancées par les détracteurs de droite d’Ayman Odeh ne sont pas surprenantes, bien sûr. Pour eux, son refus même d’accepter la structure de la suprématie juive dans le pays le rend coupable. Ce qui est encore plus déprimant, ce sont les réactions du centre et du centre-gauche israéliens, qui ont interprété les remarques d’Odeh comme une attaque contre une coexistence fictive – ou contre « l’intégration des citoyens arabes dans la société » – que le service arabe dans la police israélienne est censé incarner. « Voulez-vous la ségrégation ? Une force de police composée uniquement de Juifs ? » C’est ce que m’a demandé une personne qu’on ne peut pas accuser d’être de droite, suite à un tweet que j’ai posté à ce sujet.
Supprimer les obstacles au droit des citoyens palestiniens à prendre « leur part du gâteau public » (et pas seulement à « s’intégrer ») est certainement un objectif important, et y parvenir est le devoir de l’Etat et de ses institutions, pas des citoyens et citoyennes. Mais il n’y a aucun lien entre cet objectif et le fait de servir dans la police ou l’armée, qui sont deux des organes les plus importants du régime d’oppression contre les Palestiniens des deux côtés de la ligne verte, et de la préservation de la suprématie juive entre le fleuve et la mer.
Il est vrai que la Knesset – le parlement du régime d’apartheid israélien – est également l’un de ces organes, peut-être le plus central d’entre eux. Mais contrairement à la police, le parlement est une sphère civile, et l’insistance à agir en son sein n’est pas une expression de consentement à l’essence raciste du régime, mais plutôt une expression du sérieux avec lequel les Palestiniens d’Israël considèrent leur citoyenneté. C’est aussi l’expression de leur refus de se défaire de l’un des rares outils de lutte qui subsiste dans une boîte à outils en constante réduction, avec un certain degré d’autonomie pour agir au profit de leur communauté.
Dans les forces de police, cependant, les officiers arabes ne disposent pas d’une telle autonomie. De plus, étant donné la proportion minime de policiers arabes (environ 3,5%), d’une part, et leur présence importante lors de manifestations ou d’événements où la police opprime sévèrement les Palestiniens, d’autre part, on a l’impression qu’il existe une politique générale visant à les placer dans des situations de conflit avec leur propre peuple. Plutôt que de servir à l’intégration, il semble donc s’agir de la cooptation manipulatrice de l’identité arabe dans le but de consolider la suprématie juive par l’oppression et la violence.
D’autres critiques formulées contre Ayman Odeh citent la nécessité d’un contingent arabe dans la police afin de lutter contre le fléau du crime organisé et des armes illégales dans les localités arabes, qui ont été utilisées dans certaines des récentes fusillades dans les villes israéliennes.
Il est très cynique de prétendre que le manque d’officiers arabes est le facteur qui empêche la police de faire face à ce phénomène meurtrier – dont les citoyens palestiniens sont les premiers à payer le prix. Il s’agit plutôt de l’indifférence criminelle des autorités. La population palestinienne d’Israël demande depuis des années aux autorités de confisquer ces armes illégales, mais tant qu’elles ne tuaient que des Arabes, cela n’intéressait tout simplement personne.
C’est peut-être là le point central de cette histoire: pour qu’un service de police soit véritablement l’expression d’une citoyenneté partagée, il doit s’agir d’une police de tous les citoyens – une police qui assure la sécurité de tous de manière égale. Mais il ne peut y avoir une telle force de police dans un pays qui n’est pas l’Etat de tous ses citoyens et citoyennes. Si l’Etat lui-même ne considère pas que tous ses sujets ont une participation égale et des droits égaux en son sein, et privilégie structurellement un groupe tout en se méfiant éternellement de l’autre, ce dernier groupe ne peut pas « s’intégrer » en se réconciliant avec la suprématie juive et en adoptant un uniforme de police comme moyen de prouver sa loyauté.
Ayman Odeh est un leader palestinien qui a entendu ses compatriotes parler de la douleur et de l’humiliation qu’ils subissent aux mains d’autres Palestiniens au service de l’occupation. Il a réagi en conséquence. Dans l’environnement toxique et raciste qui prévaut en Israël, il mérite un respect total pour le courage dont il a fait preuve.
Orly Noy
Orly Noy est rédactrice à la publication en hébreu Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose en farsi. Elle est membre du conseil exécutif de B’Tselem.
Article publié sur le site israélien +972, le 13 avril 2022 – une version de cet article a d’abord été publiée en hébreu sur Local Call ; traduction rédaction A l’Encontre
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« 17 palestiniens ont été tués au cours des deux dernières semaines. Ce n’est pas du terrorisme ?
« Abdul Karim Saadi nous attendait à notre lieu de rendez-vous habituel, dans la cour d’une usine de cuir à l’extérieur de TulKarem, un endroit toujours puant de carcasses. Saadi est entré dans sa voiture tout agité, la voix étouffée et le menton tremblant, tentant en vain d’étouffer ses larmes. Saadi a été bouleversé par ce dont il avait été témoin au camp de réfugiés de Jénine. « Vous poussez tout le camp dans les bras des terroristes », a déclaré l’enquêteur vétéran de B’Tselem d’une voix cassée. Il travaille dans ce domaine et a tout vu.
Cela s’est produit la semaine dernière, quelques jours après l’attentat terroriste de la rue Dizengoff de Tel-Aviv, au milieu d’une vaste et insensée chasse à l’homme pour le père de l’agresseur, Raad Hazem. Le père endeuillé, Fathi, a énervé les forces de sécurité avec ses propos concernant l’approche de la victoire palestinienne, les amenant à le traquer avec ses fils encore vivants. « Dans votre génération, vous serez témoins de la victoire », a déclaré le père aux amis jeunes de son fils, qui s’étaient rassemblés sous le balcon de sa maison.
Le Shin Bet et Tsahal n’aiment pas les Palestiniens qui parlent de cette façon. Les Palestiniens ne sont autorisés qu’à baisser la tête et à ramper ou à garder le silence. Nous seuls sommes autorisés à menacer et à nous vanter. Nos parents endeuillés, bien sûr, sont autorisés à dire tout ce qu’ils pensent dans leur chagrin, à s’en prendre et à inciter à la haine, mais les parents palestiniens endeuillés ne peuvent même pas être appelés ainsi, de peur qu’un soupçon d’humanité ne s’attache à leur image. De toute évidence, ils ne peuvent pas parler avec le pathétique et la fureur du chagrin.
En réponse, les soldats ont tiré sur une voiture qu’ils soupçonnaient de transporter le frère de l’agresseur. « Il y a eu des coups et la poursuite continue », a encouragé le porte-parole de l’armée. La chasse à l’homme n’a fait qu’attiser davantage les flammes dans le camp de réfugiés de Jénine. Le père endeuillé n’a pas encore été appréhendé, un véritable échec de sécurité, mais on peut compter sur le Shin Bet et l’armée israélienne pour ne pas le laisser à son chagrin, en utilisant autant de pouvoir qu’ils peuvent rassembler jusqu’à ce qu’il soit arrêté pour incitation, ou éventuellement éliminé.
Les deux premières semaines d’avril ont vu 20 morts, trois Israéliens à Dizengoff et 17 Palestiniens en Cisjordanie et à Ashkelon. Tout cela fait suite à la vague d’attaques du mois dernier, au cours de laquelle 11 Israéliens et 11 Palestiniens ont été tués.
Les dernières entraves qui retenaient l’armée sont levées. Qui n’ont-ils pas tué ? Le bilan comprenait un garçon de 17 ans à Kafr Dan ; un avocat de 34 ans à l’entrée de l’université de Tul Karm ; un garçon de 14 ans à Husan, deux jours après avoir tué une veuve à moitié aveugle avec six enfants dans le même village. Dix-sept Palestiniens morts en deux semaines. Les médias n’ont rapporté que brièvement, voire pas du tout, et toujours avec les pièges de l’information de style propagande dictée par les services de sécurité, dont au moins une partie consiste en des mensonges, des mensonges commodes pour les oreilles de tous les Israéliens. La veuve aveugle essayait de poignarder quelqu’un et, bon sang, quand aucun couteau n’a été trouvé sur elle, pas même une fronde, l’explication était qu’elle avait peut-être tenté de se suicider. L’avocat amenant son neveu à l’école avait participé à des affrontements ; le garçon mort avait lancé un cocktail Molotov ; même le jeune estropié et atteint de cancer qui peut à peine se tenir debout a été arrêté par des soldats, après avoir prétendument lancé des pierres mortelles avec ses bras émaciés, qui peuvent à peine soulever une chaussure. Les Israéliens ont avalé tout cela aveuglément, peut-être avec enthousiasme, puisque tout est permis quand il s’agit de la vie des Palestiniens.
Chacun de ces décès signifie un deuil pour une famille et, dans de nombreux cas, la fin de sa dernière source de subsistance. Leur bien-aimé a été tué, quelles que soient les circonstances. Les permis de travail en Israël sont révoqués pendant de nombreuses années, pour parer à d’éventuelles vengeances. Une catastrophe ne suffit pas, deux sont préférables. Comme dans la torture à l’eau chinoise, toutes les personnes tuées en vain s’égouttent lentement, jusqu’à la prochaine attaque, où à nouveau il sera prouvé que les Palestiniens sont les meurtriers. Chaque jour, un ou deux nouveaux morts, jusqu’à ce que les Israéliens soient à nouveau les victimes, les seuls, avec les yeux du monde tournés vers eux.
Dix-sept morts en 15 jours. Un mini-Bucha sans guerre. Une méga-attaque qui n’est pas qualifiée de terreur. »
Gideon Levy
Source : Haaretz
CAPJPO-EuroPalestine