Avec l’aimable autorisation des éditions Syllepse
Un retour sur la construction historique de la laïcité permet de mesurer à quel point on a assisté, au cours des dernières décennies, à un grand renversement : l’aspiration émancipatrice initiale, certes inaboutie, s’est métamorphosée en son contraire : une laïcité identitaire et discriminante.
Pour les besoins de la démonstration, il est utile de revenir dans une première partie sur le long processus de laïcisation de l’État qui a suivi en France une histoire singulière, dont nous rappellerons quelques-unes des principales étapes. Ce processus s’inscrit dans un mouvement d’ensemble qui, au lendemain des sanglantes guerres politico-religieuses conclues au milieu du 17e siècle par les traités de Westphalie, a marqué les États ouest-européens.
La laïcisation touche spécifiquement l’État et les institutions publiques, en premier lieu l’école, elle est à distinguer de la sécularisation qui concerne les sociétés dans leur ensemble. Les mouvements vers la laïcisation de l’État (séparation entre l’État et les Églises, affirmation de l’indépendance de la loi politique par rapport à la loi religieuse et de la primauté de la première sur la seconde) et la sécularisation de la société civile (libération progressive de la société – de ses membres – des tutelles religieuses en matière de mœurs et de croyances) sont bien sûr liés, mais ils n’en sont pas moins distincts et n’avancent pas toujours au même rythme.
Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, le processus de sécularisation a primé celui de la laïcisation. Ce fut l’inverse en France. La révolution de 1789 approfondira le processus de laïcisation sans pour autant le parachever, d’autant que Napoléon Bonaparte reviendra sur certains acquis tout en en consolidant d’autres et que la Restauration, la Monarchie de Juillet, la 2e République et le Second Empire, consacreront l’alliance entre le pouvoir étatique et l’Église catholique. Ces différents régimes assureront la permanence, voire le renforcement, de l’emprise catholique sur l’enseignement primaire, étendue avec la loi Falloux au secondaire.
La seconde partie portera sur les avancées de la laïcité historique vers la liberté de conscience et la séparation des Églises et de l’État. Les lois laïques scolaires de 1882 et 1886 permettront de dégager des tutelles religieuses les programmes, les locaux et les personnels. La loi de 1905 parachèvera le processus [1].
Cette loi repose sur deux ensembles de principes : séparation des Églises et de l’État et neutralité des pouvoirs publics en matière religieuse ; liberté de conscience, y compris religieuse, et égalité de tous, croyants et non-croyants. Ces principes synthétisent ce que la pensée et la législation laïque ont pu avoir d’émancipateur au tournant des 19e et 20e siècles.
Les embûches qui ont dû être surmontées lors de sa mise en œuvre juridique sous la 3e République seront précisées, le débat sur le port de la soutane les mettra en exergue. Les réactions de l’Église catholique après l’adoption de la loi de 1905 seront véhémentes, mais ce conflit ne concernera pas les protestants et les israélites qui s’inscrivent dans le cadre de la loi. De son côté, le syndicalisme, longtemps peu préoccupé par la question laïque, s’engage davantage en faveur de la laïcité.
La troisième partie traitera d’abord des points aveugles ou des impensés de cette République laïque, présumée porteuse de valeurs universelles et de progrès.
Elle a délaissé l’idéal laïque quand elle a poursuivi l’aventure coloniale et elle s’est montrée peu soucieuse des droits de celles et ceux qui subissaient les rapports de domination patriarcaux et bourgeois. Les femmes sont scolarisées à part, infériorisées ou écartées du soi-disant suffrage universel. La mise en œuvre de la laïcité à l’école s’inscrivait dans l’ensemble des rapports sociaux existants, y compris les rapports de classes.
En 1914, la « religion de la patrie » triomphe et l’idéal laïc est brisé. Après 1918, un « régime de séparation évolutif » se met en place. État et Vatican se réconcilient et les gouvernements successifs renoncent à étendre les lois laïques à l’Alsace et à la Moselle.
Après 1945, des assouplissements, accommodements et arrangements sont obtenus par l’Église catholique, en particulier avec la loi Debré de 1959 qui lui concède d’importants subsides financiers. Le tournant, intervenu à partir des années 1990-2000, se traduit par un dévoiement identitaire et autoritaire de la laïcité historique. Cette reconfiguration de la laïcité qui discrimine les musulmans, et parmi eux en premier lieu les femmes, tourne le dos aux principes de liberté et d’égalité et à la séparation des Églises et de l’État.
[1] La littérature consacrée à l’histoire de la laïcité est abondante. Pour un aperçu : J. Baubérot, Histoire de la laïcité en France, Paris, PUF, 2021 ; J. Boussinesq, La laïcité française, Paris, Le Seuil, 1994 ; J. Lalouette, « Laïcité et séparation des Églises et de l’État : esquisse d’un bilan historiographique (2003-2005) », Revue historique, n° 636, 2005.
Roland Pfefferkorn : Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée
Editions Syllepse, Paris 2022, 96 pages, 5 euros
https://www.syllepse.net/laicite-une-aspiration-emancipatrice-devoyee-_r_37_i_898.html
Bonjour ! Pouvez vous m’autoriser à reproduire l’article mentionné ci-dessous afin de le mettre en ligne sur mon site asvpnf.com ? Cordialement,
bien sûr
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