Oui mais quand même
Ça va bientôt faire trois mois que l’armée russe a envahi le territoire ukrainien. En fait, beaucoup plus que ça, puisque le pouvoir russe a annexé la Crimée en 2014. En France, dès ce moment-là des organisations, des collectifs militants ont mis en exergue la politique impérialiste de Poutine et ses conséquences. Le cas d’Oleksandr Koltchenko fut emblématique. C’est dès la fin de cette année 2014 qu’un premier appel circulait :
Oleksandr Koltchenko est connu en Crimée pour ses engagements antifascistes, syndicaux, anarchistes, écologistes. Ayant diffusé un film sur l’assassinat de la journaliste indépendante criméenne Anastasia Baburova, à Moscou en 2009, il avait déjà été attaqué au couteau par une bande fasciste. Il a poursuivi ses activités militantes en faveur des droits humains et a ainsi participé, dans le camp clairement antifasciste, aux manifestations de la place Maïdan qui ont abouti à chasser le président ukrainien Ianoukovtich dont le clan pillait les richesses et exploitait la population de ce pays. Lors de l’intervention militaire russe en Crimée, Oleksandr Koltchenko a organisé des manifestations pacifiques de protestation contre l’occupation militaire, qui a faussé le référendum, aux côtés de citoyens et citoyennes tatar∙es, ukrainien∙nes ou russes. Quelques jours avant une de ces manifestations, la police politique russe (FSB) a enlevé plusieurs des organisateurs de ces résistances populaires ; ce fut le cas d’Oleksandr Koltchenko, le 16 mai 2014. Avec trois autres personnes ainsi kidnappées, il a été accusé notamment d’« organisation d’un groupe terroriste lié à l’extrême droite ukrainienne ». Oleksandr Koltchenko est un antifasciste que la police politique tente de faire passer pour un fasciste. Oleksandr Koltchenko est un homme qui se considère comme citoyen ukrainien et que la police politique russe veut juger en tant que russe. Il est enfermé dans des conditions draconiennes, ses avocats sont privés des droits élémentaires d’une défense digne de ce nom et il est sous la menace de quinze ans de camp de travail.
Oleksandr Koltchenko est étudiant et militant syndical; il travaillait aussi à La Poste, en parallèle de ses études. Il défend activement, par sa pratique, le droit de s’organiser librement, le droit de créer et faire vivre des organisations associatives, syndicales, écologistes ou politiques. Il fait partie des hommes et des femmes qui luttent contre l’extrême droite, qu’elle soit ukrainienne, russe ou autre. Parce qu’il lutte contre la corruption et pour l’égalité des droits entre tous et toutes, Oleksandr Koltchenko, est la cible des clans oligarchiques, en Russie, en Ukraine ou ailleurs. Oleksandr Koltchenko milite pour le droit de chaque peuple à décider de son avenir; comme d’autres militants et militantes, en Crimée, en Ukraine ou en Russie, il refuse que le choix se limite à devoir soutenir une des politiques impérialistes, celle de la Russie, celle de l’Union européenne ou celle des États-Unis.
La situation d’Oleksandr Koltchenko est emblématique de la répression exercée dans cette région du monde. Mais son cas est loin d’être le seul. À travers Oleksandr Koltckenko, ce sont les libertés démocratiques de tous et toutes que nous défendons. Notre démarche, comme celle d’Oleksandr Koltchenko, s’oppose donc à celles et ceux qui veulent restreindre ces libertés.
C’était il y a huit ans. En France, un collectif d’organisations s’était mis en place et a organisé diverses initiatives (bulletin d’information, affiches, rassemblements, réunions publiques, soutien financier…), jusqu’à sa libération, en septembre 2019, après des années de « camp à régime sévère ». Arrestation et détention arbitraires, négation des peuples d’Ukraine, accusation sans fondement de fascisme, attaques envers le mouvement social : en France, celles et ceux qui voulaient savoir pouvaient savoir. Mais toute une partie de « la gauche » a fait mine de s’en désintéresser. Fait mine, oui ; ils et elles n’ignoraient pas ce type de situation et le cas de Koltchenko et ses coaccusés (dont le cinéaste Sentsov) n’était pas unique, loin de là. Mais dénoncer le régime de Poutine les dérangeait. L’impérialisme, c’est bien connu, est américain ; russe ? Ah non, pourquoi pas soviétique alors ! Une partie de cette « gauche » s’était accommodée durant des décennies des massacres, des camps, des « hôpitaux psychiatriques », de l’interdiction des syndicats libres, des interventions armées dans « les pays frères ». Manifestement, il reste un peu de ça dans la réaction d’une partie de « la gauche » à l’intervention armée russe en Ukraine.
On ne parle pas là de celles et ceux qui, en réalité, soutiennent Poutine et son régime ; mais des courants politiques, syndicaux, adeptes du « oui mais quand même ». Oui, mais quand même l’OTAN est une mauvaise chose. Oui, mais quand même l’extrême droite est présente dans la résistance ukrainienne. Oui, mais quand même le régime en place en Ukraine est au service du capitalisme. Oui, mais quand même on ne peut pas s’en remettre à l’impérialisme américain pour défendre les libertés. Oui, mais quand même livrer des armes à la résistance c’est faire durer la guerre; or, la paix c’est mieux que la guerre. Oui, mais…
Mais que disent les syndicalistes en Ukraine ? Que disent les militantes et militants des mouvements sociaux et politiques agissant pour l’émancipation sociale ? Depuis trois mois, ils et elles n’ont de cesse de le répéter à qui veut l’entendre : « Oui, mais quand même, l’urgence, c’est de soutenir la résistance populaire, ici, en Ukraine; et les courageuses désobéissances au Bélarus et en Russie. » Le soutien peut être critique, bien entendu ; même, il doit l’être. La formule « soutien inconditionnel », pour jolie qu’elle soit dans un texte n’en est pas moins dangereusement simpliste. Mais dans « soutien critique », il y a deux mots et le premier d’entre eux, pour que le second soit éventuellement efficient, est « soutien ». Pour ce qui est de la critique du pouvoir ukrainien, ne faisons pas l’affront aux camarades d’Ukraine de laisser croire qu’ils et elles nous ont attendu pour agir en ce sens. Les acteurs et actrices de bien des mouvements syndicaux, sociaux, politiques ou culturels se sont confronté∙es au pouvoir en place depuis des années, bien avant que nos commentateurs et commentatrices « de gauche » ne découvrent l’Ukraine.
Christian Mahieux, 20 mai 2022
Christian Mahieux est cheminot retraité, membre du comité éditorial de la revue de l’Union syndicale Solidaires, Les Utopiques, et du Réseau syndical international de solidarité et de luttes. Il est également président des Éditions Syllepse.
Télécharger gratuitement le livre de 104 pages : Liberté et démocratie pour les peuples d’Ukraine7
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Après les Gilets jaunes, la pandémie du Covid, la Colombie et la Birmanie, les éditions Syllepse poursuivent la publication d’ouvrages accessibles à tous et toutes qui éclairent sur les enjeux des convulsions d’un monde qui n’en finit pas de semer la misère, la souffrance et la guerre. Les éditions Syllepse se sont associées pour cette série sur l’agression de la Russie poutinienne contre l’Ukraine aux éditions Page 2 (Lausanne) et M. Éditeur (Montréal), aux revues New Politics (New York), Les Utopiques (Paris) et ContreTemps (Paris), aux sites À l’encontre (Lausanne) et Europe solidaire sans frontières, ainsi qu’au blog Entre les lignes entre les mots (Paris), au Centre Tricontinental (Louvain-la-Neuve) et au Réseau syndical international de solidarité et de luttes.
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Les Cahiers de l’antidote : Soutien à l’Ukraine résistante (Volume 5)
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Les Cahiers de l’antidote : Soutien à l’Ukraine résistante (Volume 4)
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Les Cahiers de l’antidote : Liberté et démocratie pour les peuples d’Ukraine (Volume 3)
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Les Cahiers de l’antidote : Liberté et démocratie pour les peuples d’Ukraine (Volume 2)
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Les Cahiers de l’antidote n°1 « Spécial Ukraine » : Liberté et démocratie pour les peuples d’Ukraine !
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