La Via Campesina appelle les États à sortir de l’OMC et à créer un nouveau cadre basé sur la souveraineté alimentaire (+ autres textes)

Communiqué de presse | Genève, le 15 juin 2022

La Via Campesina, le mouvement paysan mondial représentant les voix de plus de 200 millions de petit·es paysan·nes d’Asie, d’Afrique, d’Europe et des Amériques, a été mobilisé toute cette semaine contre l’OMC. La crise alimentaire qui frappe le monde aujourd’hui est une preuve supplémentaire que le libre-échange – loin d’apporter la sécurité alimentaire – affame les peuples.

L’Organisation mondiale du commerce a une fois de plus échoué à proposer une solution permanente quant aux stocks publics à des fins de sécurité alimentaire. Depuis plus de huit ans, les pays riches bloquent les propositions concrètes des membres africains et asiatiques du G33 à cet égard.

Jeongyeol Kim, de l’Association Coréenne des Femmes Paysannes et membre du Comité de coordination international (CCI) de La Via Campesina, remarque que :
« Le libre-échange affame. Après 27  ns sous le règne de l’OMC, cette conclusion est sans appel. Il est temps de sortir l’agriculture de tous les accords de libre-échange. La pandémie, ainsi que l’impact et les perturbations induites par la guerre ont montré clairement que nous avons besoin d’un système de gouvernance alimentaire local et national basé sur les personnes, et non sur les agro-industries. Un système qui soit construit sur des principes de solidarité et de coopération plutôt que sur la concurrence, la coercition et les agendas géopolitiques. »

Burry Tunkara, de l’Organisation gambienne des petit·es paysan·nes, des pêcheur·euses et des forestier·ères et une des principales jeunes leaders de La Via Campesina, fait écho à ce même sentiment dans ce témoignage :
« L’OMC ne défend que les riches et leurs intérêts commerciaux. Il s’agit d’un outil du néo-colonialisme. Elle sert seulement les intérêts des multinationales pour trouver de nouveaux marchés et une main-d’œuvre moins chère. Il est temps de mettre un terme cela ! »

L’agenda socio-économique des pays les plus pauvres et à faible revenu n’est pas la priorité de l’OMC. La preuve : son incapacité à fournir un mécanisme de sauvegarde contre le « dumping » des pays riches et son approche des subventions à la pêche au détriment des petit·es pécheur·euses. Il ne sert à rien d’essayer de réformer une institution construite pour favoriser les intérêts commerciaux d’une poignée d’entreprises multinationales.

Perla Álvarez du Paraguay, et membre de la Coordination Latino-Américaine de La Via Campesina (CLOC) a déclaré qu’un changement systémique est urgent et nécessaire :
« La crise alimentaire mondiale est un moment de vérité pour nous. Il n’y a pas de place pour l’approche “business as usual”. Nous présentons des propositions à court et à long terme qui peuvent changer radicalement la façon dont le commerce affecte les communautés paysannes à travers le monde. »

Aujourd’hui, le 15 juin, depuis Genève, alors que la Conférence ministérielle de l’OMC a une nouvelle fois trahi les attentes des populations les plus touchées par la crise alimentaire, nous, La Via Campesina, partageons nos propositions.
La Via Campesina appelle tous les gouvernements nationaux à reconstituer des stocks publics et à soutenir la création de réserves alimentaires au niveau communautaire avec des produits locaux issus de pratiques agroécologiques. Il a également appelé tous les gouvernements à mettre en place une législation anti-dumping, nécessaire pour empêcher les exportateurs de détruire les marchés locaux.

Yudhvir Singh de l’Union Bhartiya Kisan, qui fait partie des syndicats qui ont formé le fer de lance de la mobilisation historique des paysan·nes indien·nes en 2021, présente l’expérience de son pays avec les stocks publics alimentaires :
« Les paysan·nes ont besoin de politiques publiques fortes comme le prix minimum et le stock public pour continuer à vivre décemment en produisant des aliments. Les attaques de l’OMC contre notre modèle de régulation des marchés sont extrêmement dangereuses. Le G33 doit continuer à résister et à construire sur la base des aspirations et des espoirs des petit·es producteur·trices. »

La Via Campesina a demandé une suspension immédiate de toutes les règles existantes de l’OMC qui empêchent les pays de développer des stocks publics alimentaires et de réguler le marché et les prix. Les gouvernements doivent avoir le droit d’utiliser des critères choisis par eux-mêmes pour protéger et promouvoir leur souveraineté alimentaire. Chaque pays doit pouvoir développer sa propre politique agricole et alimentaire et protéger les intérêts de ses paysan·nes, sans nuire aux autres pays. L’utilisation de produits agricoles pour les agro-carburants doit être interdite. La Via Campesina a également appelé à stopper la spéculation.

« La réforme agraire est nécessaire pour construire la souveraineté alimentaire », a ajouté Zainal Arifin Fuat de Serikat Petani Indonesia et membre du Comité de Coordination International de LVC.
« Les gouvernements doivent mettre fin à l’accaparement de l’eau, des semences et des terres par les sociétés transnationales et garantir aux petit.es producteur·trices des droits équitables sur les biens communs. »

Nous, La Via Campesina, insistons pour que, dans le cadre de la pandémie et de la crise mondiale de l’approvisionnement, les gouvernements donnent la priorité aux marchés locaux.

Morgan Ody, paysanne en Bretagne, France, et coordinatrice générale de La Via Campesina, a déclaré au nom du mouvement paysan mondial :
« L’Organisation mondiale du commerce est un projet qui a échoué. Notre mouvement paysan mondial appelle tous les États, en particulier ceux du Sud, à quitter l’OMC immédiatement. Il faut créer un nouveau cadre international pour l’agriculture et le commerce fondé sur la souveraineté alimentaire. C’est seulement ainsi que nous pourrons défendre les intérêts des petits producteurs alimentaires. »

Pour toute question, écrivez à press@viacampesina.org

https://viacampesina.org/fr/la-via-campesina-appelle-les-etats-a-sortir-de-lomc-et-a-creer-un-nouveau-cadre-base-sur-la-souverainete-alimentaire/

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Plus de libre-échange ne résoudra pas la crise alimentaire.

Du 13 au 15 juin, l’OMC tiendra sa 12ème Réunion Ministérielle. La crise alimentaire mondiale occupera le devant de la scène dans les discussions. Une fois de plus, les leaders politiques du G7 et les pays riches encouragent plus de libre-échange comme solution pour assurer la sécurité alimentaire mondiale. Les petits producteurs alimentaires et les mouvements paysans mondiaux avertissent que ce n’est pas la bonne recette. Des décennies de mondialisation galopante et d’expansion du libre-échange ont décimé les économies locales, augmenté la pauvreté rurale, généré des conflits agraires, des migrations et aggravé la faim et les inégalités. Il est temps de faire un changement radical visant à garantir la souveraineté alimentaire partout. 

Les changements climatiques, la pandémie de COVID-19 et la guerre contre l’Ukraine ont créé des perturbations massives sur les marchés agricoles internationaux et les systèmes alimentaires mondiaux. Les prix des intrants agricoles [1] et de certains produits alimentaires et agricoles de base ont grimpé [2]. L’inflation alimentaire croissante [3] dans les pays du monde entier menace de pousser davantage de personnes dans la faim. Plusieurs pays dépendants des importations ont du mal maintenant à importer [4] la nourriture nécessaire pour nourrir leur population.

Les multinationales agroalimentaires semblent désireuses de tirer parti de la crise. Elles préfèrent thésauriser et exporter plutôt que de répondre à la demande intérieure, obligeant parfois les gouvernements nationaux à imposer des interdictions d’exportation [5] pour contrôler la hausse des prix intérieurs. Une enquête récente [6] a révélé que la spéculation excessive des entreprises et des fonds d’investissement sur les marchés des produits de base a contribué à la montée des prix.

Bref, le système alimentaire mondial, soutenu par les Accords de libre-échange et les traités bilatéraux d’investissement, échoue une fois de plus face à d’importantes perturbations. Pourtant, tout ce que nous entendons, ce sont des appels en chœur des pays riches pour plus de libre-échange ! C’est un déjà-vu. En 2008, lors de la crise alimentaire mondiale, le commerce international a été présenté comme la pilule magique pour résoudre l’insécurité alimentaire dans le monde. Cela s’est avéré être une histoire qui pourrait coûter la vie à des centaines de millions de personnes dans le monde.

De vraies solutions étaient toujours à l’horizon.
Depuis près d’un quart de siècle, La Via Campesina, le mouvement paysan mondial, continue à préconiser que des politiques publiques nationales fondées sur les principes de la souveraineté alimentaire peuvent construire des systèmes alimentaires stables et relocalisés. De tels efforts locaux peuvent résister à la tempête de perturbations massives dont nous sommes témoins aujourd’hui. Au lieu de mondialiser le commerce alimentaire par le biais de l’OMC et d’autres accords de libre-échange, les pays devraient avoir le droit de protéger et de promouvoir la production alimentaire locale, de réguler les marchés agricoles et de développer le stockage public.

Pourtant, depuis la Réunion Ministérielle à Bali en 2013, l’OMC se traîne les pieds sur la recherche d’une solution permanente au stockage public à des fins de sécurité alimentaire. Une proposition déposée par le groupe G-33 de l’OMC est profondément gelée depuis 2013, malgré le soutien de la majorité des pays en développement.

Les pays à revenu faible et intermédiaire ont également demandé un mécanisme de sauvegarde spéciale (MSS) pour empêcher le dumping alimentaire, leur permettant d’augmenter les tarifs d’importation lorsqu’ils sont confrontés à une poussée des importations. Pourtant, aujourd’hui encore, aucune solution ne semble être en vue, alors même que l’Accord sur l’Agriculture de l’OMC n’autorise que 39 pays, dont 17 pays développés et seulement 22 pays en développement, à recourir à une Sauvegarde Spéciale [7]. Les règles du commerce international concernant les importations alimentaires obligent également les pays à revenu faible et intermédiaire à rester obligés de respecter un système commercial de marché libre, à interdire toute politique protégeant les économies locales, et parfois même à les forcer à reformuler leurs lois nationales.

Pourquoi avons-nous besoin d’une institution mondiale comme l’OMC qui ne défend que les riches et les puissants ? Le monde ne peut plus attendre que l’OMC se réforme et trouve des solutions qui comptent. L’Afrique de l’Ouest fait face à sa pire crise alimentaire depuis dix ans, avec plus de 27 millions de personnes souffrant de la faim. La prévalence de la faim en Amérique Latine et dans les Caraïbes s’élève maintenant à 9,1%, son niveau le plus élevé des 15 dernières années. Les troubles sociaux auxquels nous assistons au Sri Lanka, au Liban, en Égypte et ailleurs exigent une attention urgente de la part de la société mondiale.

Il y a des étapes concrètes qui peuvent ouvrir la voie à la souveraineté alimentaire.
Toutes les règles existantes de l’OMC qui empêchent les pays de développer des systèmes publics de stockage alimentaire et de soutenir leurs agriculteurs locaux devraient être immédiatement suspendues. La spéculation sur les produits agricoles de base devrait être interdite et les pays exportateurs-importateurs devraient mener des négociations transparentes pour garantir des prix accessibles aux pays dépendants des importations. L’utilisation de produits agricoles pour faire des agrocarburants devrait être interdite. La dette publique des pays les plus vulnérables devrait être abolie.

À plus long terme, la stabilisation du système alimentaire mondial nécessite un changement significatif de la gouvernance et des politiques alimentaires. Les petits producteurs alimentaires devraient être au cœur de la gouvernance alimentaire mondiale, et non les entreprises agroalimentaires. Les droits des paysans, tels que ceux énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Paysans, devraient être mis en œuvre en tant qu’instrument juridiquement contraignant. L’agroécologie paysanne et la réforme agraire doivent devenir les moyens essentiels d’une production alimentaire durable, tout en faisant face aux défis environnementaux.

L’OMC a perdu la confiance des citoyens et tous les gouvernements doivent exclure les questions agricoles des Accords de Libre-Échange. Le moment est venu de construire un cadre international alternatif pour les politiques commerciales et agricoles, fondé sur les principes de la souveraineté alimentaire. Plusieurs gouvernements, confrontés à une crise sociale importante chez eux, pourraient être disposés à prendre ces mesures radicales vers la souveraineté alimentaire. Ils seront confrontés à une résistance massive de la part des pays riches et des puissances exportatrices qui ne veulent pas perdre la poule aux œufs d’or. Face à la gravité de la situation, des batailles importantes sont à prévoir lors de cette réunion ministérielle de l’OMC. Nous restons vigilants.

Morgan Ody (France), Zainal Arifin Fuat (Indonésie) et Jeongyeol Kim (Corée du Sud) sont des paysan·ne·s et membres du Comité de Coordination Internationale de La Via Campesina.

[1] https://www.business-standard.com/article/companies/fertiliser-companies-raise-dap-npk-rates-on-spike-in-input-costs-122040101222_1.html
[2] https://www.ifpri.org/blog/high-fertilizer-prices-contribute-rising-global-food-security-concerns
[3] https://www.fao.org/worldfoodsituation/foodpricesindex/en/
[4] https://www.downtoearth.org.in/news/food/food-crisis-food-insecure-population-doubled-in-2-years-says-un-secretary-general-82938
[5] https://www.reuters.com/markets/commodities/indonesia-mps-seek-palm-oil-export-ban-review-industry-warns-storage-2022-05-19/
[6] https://thewire.in/economy/speculation-is-contributing-to-global-food-insecurity-significantly
[7] https://twn.my/title2/briefing_papers/MC12/briefings/Agri%20factsheet%20TWNBP%20MC12%20Sengupta.pdf

https://viacampesina.org/fr/plus-de-libre-echange-ne-resoudra-pas-la-crise-alimentaire/

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Déclaration de LVC : Arrêtons la crise alimentaire ! La souveraineté alimentaire c’est maintenant !

« Globalisons la lutte, globalisons l’espoir » ; ce slogan nous a donné l’unité au cours de ces 30 années d’histoire de La Via Campesina. Elle nous a guidés dans la lutte sans relâche contre l’intervention de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), contre la commercialisation des aliments au service des grandes entreprises capitalistes qui ont transformé les aliments en marchandises, et dans la lutte pour la souveraineté alimentaire. Mais aujourd’hui, il y a de nouveaux défis. Des crises de la faim éclatent dans plusieurs pays. Face à cela, La Via Campesina souhaite partager son analyse de la situation et ses revendications pour un changement urgent et radical des politiques internationales et nationales.

Crise simultanée….
Nous vivons aujourd’hui, dans le monde entier, au milieu de crises simultanées, graves, intenses et prolongées, avec des changements très rapides dans la corrélation des forces et dans la lutte politique. Une crise économique profonde et structurelle qui touche les principaux pays du centre capitaliste ainsi que les pays pauvres et en développement. Nous appelons cette crise structurelle car elle est le résultat de l’organisation du système et il n’est pas possible de la surmonter sans s’attaquer aux fondements du capitalisme lui-même. Cette crise apparaît et s’approfondit dans l’économie, les inégalités sociales, les limites de la démocratie bourgeoise, l’inefficacité de l’État, le poids insoutenable de la dette publique, l’atteinte à la souveraineté des peuples et une véritable crise des valeurs civilisationnelles. Où la barbarie émerge dans diverses régions de la planète, sous forme de haine, de violence, de guerres et de prêches fascistes.

Crise environnementale
Nous vivons une crise environnementale qui fait partie de cette crise structurelle. Elle est aggravée parce qu’elle est une conséquence des agressions quotidiennes que les capitalistes mènent contre la nature, qui s’intensifient avec la crise, en essayant de privatiser les biens communs et, en particulier, en s’appropriant les minéraux, l’eau, les forêts, la biodiversité pour les transformer en marchandises et obtenir un profit extraordinaire, un revenu qu’ils n’auraient pas dans les usines, le commerce ou même avec la spéculation financière.

C’est pourquoi la conférence COP26, convoquée pour discuter de la crise climatique, a été un échec, car les capitalistes ne veulent pas renoncer à leurs profits pour sauver la nature et la planète. Au lieu de cela, la seule chose qu’ils veulent faire est de créer des mécanismes de crédit carbone pour augmenter encore leurs profits. Notre planète est déjà en état d’alerte, de nombreuses espèces disparaissent, et avec la hausse des températures et du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, les êtres humains eux-mêmes sont en danger.

Crise sanitaire
S’ajoutant à la crise structurelle du capitalisme qui était déjà en place, l’apparition du COVID-19 a généré d’énormes perturbations et accru les inégalités dans le monde entier.

Les personnes à faible revenu ont été les plus vulnérables au COVID-19, à la fois parce que la plupart des gouvernements n’ont pas fourni les moyens suffisants pour que les gens restent chez eux, de sorte que les personnes les plus pauvres ont dû continuer à travailler et affronter le virus, mais aussi en raison des énormes inégalités d’accès aux services de santé, aux dispositifs de protection tels que les masques ou le gel hydroalcoolique et aux vaccins. Cette inégalité s’est manifestée tant au sein des pays qu’au niveau international, car les grandes industries médicales et pharmaceutiques suivent la logique du simple profit et non celle de sauver des vies, et destinent les médicaments uniquement aux pays riches.

Ainsi, la crise s’est aggravée dans toutes ses dimensions économiques, sociales et environnementales. Au lieu de s’attaquer aux causes réelles de la crise, le système lui-même, les capitalistes accélèrent la destruction de la nature pour produire davantage de biens et font payer la facture de la crise aux travailleurs et travailleuses en leur retirant leurs droits, en augmentant l’exploitation et la répression, en réduisant les salaires, etc.

Guerres et crise géopolitique
En plus de tout cela, nous sommes au milieu de plusieurs guerres, au Yémen, en Palestine, en Syrie, en Libye et, enfin, en Ukraine. Le déclenchement de la guerre en Ukraine crée des menaces géopolitiques majeures, tant en Europe que dans le monde.

Le plus important en temps de guerre pour La Via Campesina est de défendre les principes qui nous ont amenés politiquement jusqu’à aujourd’hui et qui sont déterminants et fondamentaux pour notre position. Ces principes sont inscrits dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales. Le premier est la défense intransigeante de la vie et de la paix. La seconde est la défense de la souveraineté des peuples contre les guerres et contre la destruction des structures sociales.

La principale conséquence de ces guerres est la perte de nombreuses vies humaines, prises pour des raisons presque toujours sans rapport avec leur vie quotidienne. Des millions de personnes sont mutilées par la guerre, tant physiquement que psychologiquement en raison du traumatisme lié à la perte de leur famille et de leurs ami.e.s, de la destruction de leur espace vital et du sentiment de peur et de frustration d’avoir quitté leur terre, sans rien, en laissant derrière eux tout ce qu’ils avaient construit pour fuir la guerre et tenter de sauver leur vie et celle de leur famille.

Le monde subira des conséquences à plusieurs niveaux, comme l’aggravation de la crise économique, que nous connaissons depuis 2008, mais qui, avec la guerre, tend à augmenter en intensité. Cela aura sans aucun doute des conséquences directes et indirectes dans de nombreux domaines, mais surtout dans la production alimentaire. Cela signifie une crise de l’approvisionnement, une augmentation des prix des denrées alimentaires, une hausse de l’inflation et une possible augmentation de la valeur du dollar. La tendance est que la crise économique s’étende à tous les pays à mesure que la guerre s’aggrave et se prolonge. On dit souvent que « nous savons quand une guerre commence, mais nous ne pouvons pas prédire quand, ni comment elle se terminera ».

vers une possible crise alimentaire mondiale
Il est encore trop tôt pour prédire quelles seront les conséquences de la guerre, en Europe et au-delà de l’Europe, en matière de politique, d’économie, de conflits géopolitiques et pour l’agriculture.

Cependant, ces différentes crises ont de graves conséquences sur les systèmes alimentaires du monde entier, principalement parce que les gouvernements, les sociétés transnationales et les institutions internationales ont donné la priorité au développement de l’importation et exportation de produits alimentaires et agricoles plutôt qu’au soutien de systèmes alimentaires locaux et nationaux stables visant à produire une alimentation saine pour les populations. Cela a créé une dépendance à l’égard des marchés internationaux.

Aujourd’hui encore, plus de 85% de la production agricole ne fait pas l’objet d’échanges internationaux. Ce que nous vivons, c’est une crise du système alimentaire capitaliste mondialisé et industrialisé, alors que les systèmes alimentaires paysans locaux font preuve de résilience.

Aujourd’hui, la crise n’est pas liée aux pénuries alimentaires mondiales, mais à la spéculation sur les prix. Les pays qui sont devenus dépendants des importations alimentaires sont désormais incapables de payer les prix très élevés auxquels les céréales sont actuellement vendues sur les marchés internationaux. Nous pouvons dire que malheureusement la convoitise du capital peut conduire à une crise dans la distribution des aliments dans le monde et certainement à une augmentation de la faim, surtout dans les pays qui souffrent déjà de la famine. L’agriculture mondiale produit suffisamment pour résister à une période de crise plus longue. Le problème n’est pas le manque de nourriture, mais le fait que les grandes sociétés capitalistes qui dominent le marché financier et de distribution mondial ont transformé le commerce des produits alimentaires et agricoles en un marché hautement spéculatif. La plupart des « matières premières » négociées au niveau international font désormais l’objet de contrats à terme qui peuvent être échangés sur le marché boursier plusieurs centaines de fois par jour. Le prix auquel ces produits sont finalement vendus aux pays qui en ont besoin pour nourrir leur population n’a aucun rapport avec les véritables coûts de production, ni avec le pouvoir d’achat des pays importateurs.

En outre, dans une tentative cynique de tirer profit de la guerre en Ukraine, les États-Unis, le Canada et l’UE appellent désormais à une augmentation sans précédent de la production céréalière, non pas autant pour nourrir les populations des pays importateurs de denrées alimentaires, sinon que pour conquérir de nouveaux marchés qui étaient auparavant approvisionnés par la Russie ou l’Ukraine.

La plupart des politiques qui assuraient une protection contre les crises internationales ou nationales (catastrophes naturelles, pandémies, guerres ou conflits internationaux…) telles que la constitution de stocks publics stratégiques, le contrôle réglementaire des stocks, la régulation des marchés ou d’autres politiques publiques nécessaires, ont été progressivement démantelées au cours de la dernière décennie sous la pression du FMI, de la Banque mondiale, de l’OMC et des accords bilatéraux de libre-échange. Ces stratégies de protection face aux crises alimentaires, qui font partie intégrante des procédures stratégiques de défense de la souveraineté nationale, ont toujours été la tâche des États. Cependant, le néolibéralisme, en tant que modèle de développement capitaliste, mis en œuvre dans la plupart des nations dans les années 1980 et 1990, a promu, au nom de la mondialisation économique, l’ouverture totale des frontières pour la libre circulation des marchandises contrôlées par les grandes entreprises capitalistes et la privatisation des structures de stockage et de distribution.

À la suite de ce processus, la plupart des nations sont devenues les otages du marché et des intérêts des grandes entreprises transnationales, qui contrôlent la production, le stockage, l’industrialisation, le financement et la distribution du marché alimentaire mondial. Le stockage et le contrôle des stocks alimentaires est désormais contrôlé par le marché, au service du capital, c’est pourquoi c’est notre défi de reprendre dans tous les pays la construction de stocks issus de l’agriculture paysanne, ainsi que la commercialisation des aliments entre les pays, qui doit se faire avec de nouveaux paramètres et réglementations.

Alors que l’agrobusiness s’oriente vers la digitalisation de l’agriculture avec la technologie 4.0, nous avons obtenu l’approbation en 2018 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et paysannes et autres personnes travaillant dans les zones rurales. Ce moment historique est l’occasion de dénoncer l’épuisement du modèle de production basé sur le paquet technologique, et de présenter les paysans et paysannes comme l’alternative pour le présent et l’avenir. Produire des aliments sains, protéger la nature et créer de nouvelles relations sociales dans les campagnes, une vie digne, la souveraineté alimentaire et la souveraineté des peuples. Nous devons garder à l’esprit que les nouvelles technologies entraînent le chômage et l’expulsion des paysannes et des paysans des campagnes, favorisant les migrations forcées et la misère.

Les propositions de La Via Campesina pour faire face à la crise alimentaire actuelle et aller vers la souveraineté alimentaire
Face à ce contexte dramatique, La Via Campesina exprime des exigences et des propositions fortes pour faire face à la crise, tant à court qu’à long terme.

Nous exigeons une action immédiate pour :

  • La fin de la spéculation sur les denrées alimentaires et la suspension de la cotation des denrées alimentaires en bourse. Les contrats à terme sur les matières premières agricoles devraient être interdits immédiatement. Le prix des denrées alimentaires faisant l’objet d’un commerce international doit être lié aux coûts de production et respecter les principes du commerce équitable, tant pour les producteurs, productrices que pour les consommateurs, consommatrices ;
  • La fin de l’OMC dans le contrôle du commerce alimentaire, ainsi que les accords de libre-échange. En particulier, les règles de l’OMC qui empêchent les pays de développer des réserves alimentaires publiques et la régulation des prix et des marchés doivent être immédiatement suspendues, afin que les pays puissent développer les politiques publiques nécessaires pour soutenir les petits producteurs et les petites productrices dans ce contexte difficile ;
  • Une réunion d’urgence du Comité de la sécurité alimentaire et la création d’un nouvel organisme international chargé de mener des négociations transparentes sur les accords de produits de base entre les pays exportateurs et importateurs, afin que les pays devenus dépendants des importations de denrées alimentaires puissent avoir accès à des aliments à des prix abordables ;
  • L’interdiction d’utiliser des produits agricoles pour produire des agrocarburants ou de l’énergie. La nourriture doit être une priorité absolue par rapport au carburant.
  • Un moratoire mondial sur le remboursement de la dette publique par les pays les plus vulnérables. Dans le contexte actuel, faire pression sur certains pays très vulnérables pour qu’ils remboursent leur dette est tout à fait irresponsable et conduit à une crise alimentaire. Nous demandons la fin des pressions exercées par le FMI pour démanteler les politiques publiques nationales et les services publics. Nous demandons l’annulation de la dette publique extérieure illégitime dans les pays en développement.

Nous demandons des changements radicaux dans les politiques internationales, régionales et nationales afin de reconstruire la souveraineté alimentaire à travers :

  • Un changement radical de l’ordre commercial international. L’OMC doit être démantelée. Un nouveau cadre international pour le commerce et l’agriculture, basé sur la souveraineté alimentaire, doit ouvrir la voie au renforcement des agricultures paysannes locales et nationales et garantir une base stable pour la production alimentaire relocalisée et le soutien des marchés locaux et nationaux dirigés par les paysans et paysannes. Le système commercial international doit être équitable et basé sur la coopération et la solidarité plutôt que sur la concurrence et la spéculation ;
  • La mise en œuvre d’une réforme agraire populaire et globale, pour mettre fin à l’accaparement de l’eau, des semences et des terres par les sociétés transnationales, et pour garantir aux petits producteurs et petites productrices des droits équitables sur les ressources productives. Nous protestons contre la privatisation et l’accaparement des écosystèmes et des ressources naturelles par des intérêts privés sous le prétexte de protéger la nature, par le biais des marchés du carbone ou d’autres programmes de compensation de la biodiversité, sans considération pour les personnes qui vivent dans les territoires et prennent soin des ressources depuis des générations ;
  • Un changement radical vers l’agroécologie, afin de produire une alimentation saine en quantité et en qualité pour l’ensemble de la population. Nous devons garder à l’esprit que la crise climatique et environnementale est notre grand défi dans le contexte actuel et que nous devons relever le défi de produire suffisamment de nourriture de qualité tout en ravivant la biodiversité et en réduisant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre.
  • Une régulation efficace du marché des intrants (crédit, engrais, pesticides, semences, carburant…) pour soutenir la capacité des paysans et paysannes à produire des aliments, mais aussi pour assurer une transition équitable et bien planifiée vers des pratiques agricoles plus agroécologiques ;
  • Une gouvernance alimentaire basée sur les intérêts des peuples et non sur des entreprises transnationales. Aux niveaux mondial, régional, national et local, il faut mettre un terme à la mainmise des multinationales sur la gouvernance alimentaire et placer les intérêts des populations au centre. Les petits producteurs et les petites productrices doivent être reconnus comme ayant un rôle clé à jouer dans tous les organes de gouvernance alimentaire ;
  • La transformation de la déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et paysannes en un instrument juridiquement contraignant pour la défense des populations rurales.
  • Le développement des capacités de stockage public dans chaque pays. La stratégie de constitution de réserves alimentaires doit être mise en œuvre à la fois au niveau national et par la création et le soutien public de réserves alimentaires au niveau communautaire avec des aliments produits localement à partir de pratiques agricoles agro-écologiques ;
  • Un moratoire mondial sur les technologies dangereuses qui menacent l’humanité, comme la géo-ingénierie, les OGM ou la viande cellulaire. La promotion de techniques peu coûteuses qui augmentent l’autonomie des paysans et paysannes et les semences paysannes.
  • Le développement de politiques publiques pour assurer de nouvelles relations entre ceux et celles qui produisent les aliments et ceux et celles qui les consomment, ceux et celles qui vivent dans les zones rurales et ceux et celles qui vivent dans les zones urbaines, en garantissant des prix équitables définis sur la base du coût de production, permettant un revenu décent pour tous ceux et celles qui produisent dans les campagnes et un accès équitable à une alimentation saine pour les consommateurs et consommatrices ;
  • La promotion de nouvelles relations de genre basées sur l’égalité et le respect, tant pour les personnes vivant à la campagne que pour la classe ouvrière urbaine. La violence à l’égard des femmes doit cesser maintenant.

https://viacampesina.org/fr/declaration-de-lvc-arretons-la-crise-alimentaire-la-souverainete-alimentaire-cest-maintenant/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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