Qui est Amira Osman ?
Amira Osman Hamid est une militante féministe, membre du Parti communiste soudanais et lauréate du prix « Frontline Defender » en 022. Elle est présidente de l’initiative « Non à l’oppression contre les femmes », un mouvement indépendant qui s’est créé contre la Loi sur l’ordre public établie par le précédent régime islamiste pour opprimer et limiter le rôle des femmes dans tous les aspects de la vie : sociale, économique politique. La loi sur l’ordre public est une loi qui a été appliquée au Soudan depuis 1996 et qui criminalise les comportements personnels en contrôlant notamment la façon dont les femmes agissent et s’habillent en public.
Elle était candidate du Parti communiste soudanais aux élections locales en 2010. En 2010, elle a participé à des conférences de l’Union africaine en Gambie où elle a présenté un rapport contre la loi sur l’ordre public. Elle a également rédigé un rapport sur la question des femmes dans le programme du Parti communiste soudanais en 2015.
Elle est membre du comité de résistance de son quartier.
Par ailleurs, elle est athlète professionnelle, membre de l’Union soudanaise de tir, et médaillée d’or en tir au championnat national depuis plusieurs années.
Amira Othman a été arrêtée et condamnée pour infraction à la loi sur l’ordre public à plusieurs reprises. Elle a été arrêtée pour la première fois en 2002, puis lors de manifestations organisées par le mouvement¿ : « NON à l’oppression des femmes ». En juin 2012 elle a été détenue pendant 52 jours par les forces de sécurité, et torturée. Elle a comparu devant la justice pour infraction à la loi sur l’ordre public en 2013, suite à une plainte portée contre elle par le procureur général. Elle a à nouveau été détenue pendant une période de près de deux mois en 2013. Heureusement, à la suite de la révolution soudanaise de 2018, la loi sur l’ordre public a été abrogée.
Au début de l’année 2022, à cause de ses activités politiques, une trentaine d’hommes armés masqués, en civil et armés de kalachnikovs, ont fait irruption chez elle, terrorisant sa famille et l’emmenant vers une destination inconnue pendant plus de deux semaines.
Êtes-vous affiliée à un parti politique spécifique ?
Je suis membre du parti communiste soudanais.
Pouvez-vous nous présenter l’initiative « Non à l’oppression des femmes » dont vous faites partie ?
« Non à l’oppression des femmes » est un mouvement politique qui défend les droits des femmes et s’oppose à toutes les lois et les politiques qui oppriment les femmes, qu’elles soient économiques, sociales, culturelles, etc.
C’est un mouvement composé de personnes des deux sexes et de toutes les couleurs de l’échiquier politique soudanais, à l’exception du Congrès national et populaire.
Quels sont les apports historiques des mouvements de femmes au Soudan ?
Le mouvement féministe soudanais est un mouvement organisé et ancien qui bénéficie d’un grand héritage. Ses réalisations ont été pionnières à l’échelle de cette région du monde et des peuples voisins. Dans les années 1960, les femmes soudanaises ont obtenu de nombreux droits : le droit d’être élues en 1964 (la première femme soudanaise à entrer au Parlement était Fatima Ahmed Ibrahim en 1965, NDLR), l’égalité des salaires en 1969, le droit à l’allaitement durant les heures de travail, le droit à l’éducation, et le droit à occuper des postes dans les domaines exécutif et judiciaire.
Quel rôle a joué l’initiative « Non à l’oppression des femmes » dont vous faites partie, dans le mouvement révolutionnaire depuis 2019 ?
L’initiative « Non à l’oppression des femmes » a joué un rôle essentiel dans le mouvement révolutionnaire porté par la rue soudanaise. Avant la révolution de décembre [2018], nous organisions des rassemblements de protestation. Nous avons également été l’une des premières associations de femmes à avoir rejoint et signé la charte de la Déclaration des libertés et du changement [en 2019].
Quels sont les autres organisations féministes qui existent en dehors de l’initiative « Non à l’oppression des femmes » ?
Il y a beaucoup d’organisation féministes au Soudan, je ne veux pas me limiter à en mentionner certaines et à en ignorer d’autres, mais il existe de nombreuses organisations de la société civile. L’organisation la plus impliquée dans le travail politique est l’Union des femmes soudanaises, et les groupes de femmes « Mansim ». Il existe également de solides organisations de femmes dans les différentes régions du Soudan, comme le « Forum des femmes du Darfour ». Les étudiantes ont également leurs propres organisations féministes. De plus, des mouvements de femmes ont commencé à apparaître aux côtés des comités de résistance.
Quels sont les problèmes des femmes soudanaises aujourd’hui, au niveau politique ou social ?
Les problèmes des femmes soudanaises aujourd’hui se situent aussi bien au niveau politique que social. Je pense que les deux sont inséparables l’un de l’autre, car la situation sociale limite la participation des femmes au travail politique.
Par exemple, nous entendons toujours dire que le travail politique n’est pas une affaire de femmes, mais une affaire d’hommes. Pour cette raison, nous organisons actuellement des séminaires dans les trois États de Nyala, Kassala et Damazin, pour convaincre de la nécessité et l’importance de la participation des femmes à la vie politique. Nous essayons de renforcer la capacité des femmes à prendre et à mettre en œuvre des décisions, à développer des projets et mettre en place des programmes, que ce soit au sein des partis politiques ou des comités de résistance, et aux niveaux local et national.
Quelle est la situation des femmes dans les zones rurales par rapport aux femmes dans les villes ?
Au Soudan, la situation des femmes dans les campagnes diffère d’une région à l’autre. Il y a des régions où le statut des femmes est un peu meilleur que d’autres. Par exemple au Darfour, les femmes ont un meilleur statut en termes de répartition du travail et d’accès à la propriété, mais d’un autre côté, à cause de la guerre, elles sont soumises à des violences extrêmes, telles que le viol et le déplacement forcé. Les femmes de l’État du Nil Bleu connaissent également ces problèmes de guerres, de déplacement, d’asile et de camps. Mais l’État soudanais est pauvre en termes de capacités, surtout dans le domaine de la santé, il est incapable de mettre en place une protection contre les dangers auxquels les femmes sont confrontées, comme le harcèlement et le viol. Dans ces régions, la violence généralisée aggrave la situation des femmes, mais malgré cela, les femmes soudanaises ne renonceront pas à réclamer leurs droits. Dans la région du Nord, les femmes travaillent dans l’agriculture et dans d’autres secteurs, mais elles sont absentes de la scène politique malgré leur influence au sein des familles. C’est une des régions où la participation des femmes au travail politique est la plus faible.
Existe-t-il un conflit au sein des sociétés soudanaises concernant le droit des femmes à travailler et à étudier, ou autour de la volonté de contrôler l’apparence des femmes, et comment pouvons-nous résoudre ou surmonter ce conflit ?
Selon moi, il n’y a pas de conflit dans la société soudanaise concernant ces différentes questions, mais le conflit est principalement entretenu par les gouvernements. Les problèmes liés au travail et à la situation économique des femmes sont largement dus à la mauvaise gestion de l’État, qui mène une politique d’appauvrissement de la population. Le Soudan est encore un pays pré-industriel où la majorité des femmes travaillent dans l’agriculture et le pâturage, [et cela est dû à l’absence totale de politiques de développement du pays.]
Quant à l’accès des femmes aux études, il y avait des obstacles autrefois, mais maintenant les perspectives sur l’éducation en général et sur l’éducation des femmes en particulier, sont en train de changer, notamment du fait des politiques de la Banque mondiale et l’augmentation du soutien du gouvernement à l’éducation.
En ce qui concerne le contrôle de l’apparence femmes, il faut noter qu’il existe de nombreuses modes au Soudan et des différences de normes en matière de beauté [selon les régions et les milieux sociaux]. Mais ce n’est pas vraiment un problème dans la société soudanaise en elle-même. Les problèmes que nous avons rencontrés à ce sujet étaient surtout liés au gouvernement d’islam politique [sous le précédent régime], et sa tentative de contrôler l’apparence des femmes s’inscrivait dans sa volonté de domestiquer la société toute entière au profité de son idéologie.
Quels sont les problèmes liés aux violences sexuelles et familiales ?
Les mutilations génitales féminines, les mariages précoces, la violence domestique et le harcèlement sont des problèmes réels auxquels nous sommes toujours confrontées. Ils nécessitent des efforts médiatiques et éducatifs pour sensibiliser l’opinion publique, ainsi que des lois qui protègent les femmes, interdissent ces actes et punissent les auteurs de ces crimes.
Considérez-vous la religion comme un obstacle à la réalisation des aspirations des femmes ?
Ce n’est pas la religion n’est pas un obstacle, c’est son instrumentalisation qui l’est. Notamment quand il s’agit d’utiliser la religion comme une arme pour entraver les droits humains. Mais quand la révolution gagnera et amènera le changement radical, les juristes religieux seront réduits au silence, toutes ces idioties disparaîtront et les politiques iront dans le sens des intérêts du peuple.
Quelles sont les revendications des femmes dans le mouvement révolutionnaire actuel ?
Les revendications des femmes dans le mouvement révolutionnaire ne diffèrent pas des revendications générales pour une vie décente, pour la sécurité et un meilleur niveau d’éducation pour tous, en plus de l’accès à la santé et des politiques qui protègent les citoyens sur le plan économique, contre l’appauvrissement continu de notre pays.
Une fois ces demandes satisfaites, nous pourrons réclamer plus que cela, notamment l’établissement d’une politique budgétaire stable et une amélioration de la situation économique qui prenne en compte les intérêts des femmes, ce qui sert d’emblée l’intérêt de toute la famille. Enfin, nous demandons l’abrogation des lois qui sont discriminatoires à l’égard des femmes.
Quel est le niveau de sensibilisation des femmes soudanaises aujourd’hui ?
Honnêtement, le niveau de sensibilisation des femmes soudanaises est très élevé, surtout en ce qui concerne leurs droits et leur capacité à diriger des mouvements et être à l’initiative pour avancer dans les rangs des organisations politiques et gagner. Malheureusement, une fois qu’elles ont pris la tête de mouvements politiques, elles sont confrontées à des difficultés pour mettre en œuvre des projets, et c’est sur ce point que nous cherchons à les soutenir et les renforcer.
En termes de politique, quel changement souhaiteriez-vous voir pour les femmes et les filles au Soudan ?
Les femmes sont devenues plus fortes et plus courageuses pour revendiquer leurs droits. Le changement que j’espère voir dans la sphère politique est que les femmes occupent des postes décisionnels et élaborent les politiques économiques, la justice, les médias, les politiques culturelles et sociales. J’espère également les voir élaborer les programmes des partis politiques. Nous sommes des sujets agissants, pas des objets.
La participation des femmes à la révolution de décembre était-elle satisfaisante pour vous en tant que dirigeante d’un mouvement, au-dessus ou en-dessous de vos attentes ?
La participation des femmes à la révolution est grande et efficace, mais le défi auquel les femmes sont confrontées, c’est d’arriver à être à une position de dirigeante dans le monde politique. Les femmes ont peur d’entrer officiellement en politique, c’est le résultat de la pauvreté de la vie politique des dernières années au Soudan et du manque d’expérience. Nous constatons que les femmes représentent plus de 60% des manifestant-e-s, mais leur présence dans les bureaux pour faire le travail d’organisation est beaucoup plus faible. Cela est dû à de nombreux facteurs : par exemple, les réunions ont souvent lieu à des heures tardives et parfois dans des quartiers excentrés ou peu sécurisés. [NDLR : la participation des femmes est dès lors rendue difficile par le fait que les transports sont très chers ou inexistants. Alors qu’il est socialement accepté et facile pour un homme de dormir hors de chez lui, c’est plus compliqué pour les femmes qui ont plus d’obligations familiales, ou bien parce qu’elles ont des enfants dont elles doivent s’occuper à la maison, ou bien parce que leur famille contrôle plus leur mobilité.]
En tant qu’homme, comment puis-je participer au soutien et à l’autonomisation des femmes au Soudan, ce qui relève de notre devoir et de notre responsabilité ?
La question des femmes est une question de société qui doit être traitée par les femmes et les hommes, et c’est la base pour créer une famille décente et une société saine, et c’est pourquoi c’est l’affaire de chaque être humain.
Je ne veux pas que les questions féministes ne mobilisent que des groupes de femmes, et que seules les femmes soient responsables de résoudre les questions qui les concernent, car cela nous conduit à l’isolement. Nous ne voulons pas un modèle de lutte qui reproduise une division : une salle pour les hommes d’un côté, et une salle pour les femmes de l’autre. La question des droits et de la place des femmes doit être une question de société, à laquelle toute la société participe.
Vous avez reçu le prix « Frontline Defender Award ». Quelle est pour vous la signification politique de recevoir un tel prix ?
Le fait que j’aie reçu ce prix est un moyen de transmettre la voix des femmes soudanaises, ainsi que la voix du peuple soudanais et de sa révolution, qui est un réveil pour le monde entier. Ce prix, pour moi, honore l’ensemble des luttes des femmes soudanaises.
Sur le plan politique, je souhaite personnellement que le fait que nous, les femmes soudanaises de la révolution, ayons remporté ce prix, donne l’occasion à des acteurs internationaux comme le Parlement européen ou les Nations-Unies de réfléchir différemment aux enjeux de la révolution soudanaise. J’espère que cela les motivera à soutenir le peuple soudanais dans sa demande pour une vie digne sur cette planète, au lieu de soutenir les gouvernements militaires contre lesquels nous nous battons, comme le fait l’ONU jusqu’à maintenant.
Une interview par Rifat SheikhEldeen Ismail
Traduction : Equipe de Sudfa
Sudfa est un petit blog participatif franco-soudanais, créé par un groupe d’amis et militants français et soudanais. Nous nous donnons pour objectif de partager ou traduire des articles écrits par des personnes soudanaises, ou co-écrits par personnes soudanaises et françaises, sur l’actualité et l’histoire politiques, sociales et culturelles du Soudan et la communauté soudanaise en France. Si vous souhaitez nous contacter, vous pouvez nous écrire à sudfamedia@gmail.com, ou via notre page Facebook ou Instagram. Pour plus d’infos, voir notre premier billet « qui sommes-nous ». Vous pouvez aussi retrouver tous nos contenus, articles, chroniques et reportages, sur notre nouveau site : sudfa-media.com. A bientôt !
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Soudan : l’émergence d’une alternative
Le 25 octobre 2021 les généraux al-Burhan et Hemidti, par leur coup d’État, mettaient fin au gouvernement de transition issu de la révolution de 2019. Depuis, la mobilisation se maintient en dépit de la répression. Les comités de résistance, ossature de la lutte, se sont dotés d’une charte mentionnant la nécessité d’un pouvoir populaire partant de la base.
Un coup d’État désastreux
Pour contrer son isolement, la junte tente de s’appuyer sur les extrémistes musulmans de l’ancien régime dictatorial d’Omar al-Bechir. En 1989, celui-ci s’était emparé du pouvoir avec la complicité des intégristes conduits par al-Turabi. Ce dernier avait imposé un régime islamique particulièrement contraignant et avait été le chantre de la guerre contre les populations du Sud-Soudan en invoquant le djihad. Dix ans plus tard, al-Bechir se débarrassait d’al-Turabi mais gardait les intégristes, bien implantés dans l’appareil d’État et soutiens sans faille de la dictature. Ils ont été limogés lors de la révolution, mais al-Burhan vient de les réintégrer.
La situation économique est catastrophique, les prix des matières premières et de l’énergie ne cessent d’augmenter et les prêts occidentaux sont gelés. Seule solution pour la dictature, tenter de trouver d’autres bailleurs.
Le jour même de l’intervention russe en Ukraine, Hemidti se rendait à Moscou pour chercher un soutien diplomatique mais aussi financier. Au vu des déboires de Poutine, il n’est pas sûr que les généraux soudanais puissent compter sur l’aide financière de la Russie. Autre solution, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis intéressés par le maintien de la dictature. En effet, c’est par milliers que des combattants soudanais ont été envoyés par Hemidti au Yémen se battre contre les Houthis soutenus par l’Iran.
Le désastre diplomatique et économique est aussi politique pour la junte, laquelle tente en vain de mater les mobilisations populaires qui ne faiblissent pas. Les manifestations se succèdent avec comme seul mot d’ordre le départ de la junte.
Alternative politique
Cette exigence du départ de la junte ne correspond pas du tout à l’agenda des différentes médiations impulsées par les occidentaux via l’ONU ou l’Union africaine. Leur solution serait de revenir à la situation antérieure avec un partage du pouvoir entre militaires et civils. Cette proposition est inenvisageable pour ceux qui conduisent la lutte, en premier lieu les comités de résistance qui, à travers les quartiers des grandes villes du pays, structurent le mouvement. Ils jouent un rôle de premier plan dans les mobilisations, désormais ils sont présents dans le débat politique.
Dans ces colonnes, nous avions parlé de la charte de pouvoir populaire qui est soumise à la discussion. Les comités de résistance du grand Khartoum l’ont présentée lors d’une conférence de presse à la mi-mai.
Y figurent des revendications démocratiques comme l’égalité des droits quels que soient le genre, la race ou la religion, la rupture totale avec le régime militaire intégrant un volet judiciaire pour les responsables du coup d’État. Au niveau sécuritaire, la charte se prononce pour une refonte des instituions militaires, le retrait des troupes du Yémen. Est prévu un plan de relance économique contre la pauvreté, la lutte contre la corruption et l’arrêt de l’implication de l’armée dans les activités économiques. Enfin, et c’est peut-être une avancée majeure, la charte considère que la source du pouvoir doit être la base. La solution politique proposée par les comités de résistance est : « La formation d’un conseil législatif constitué des forces vives de la révolution, qui fonctionne de manière fédérale : conseils de quartier, fédérés au niveau des villes, fédérés au niveau régional et enfin national. Ce conseil législatif organisé du bas vers le haut, de manière fédérale, doit devenir l’organe politique principal du pays. L’objectif est de transférer le maximum de pouvoir du centre vers les régions, et vers le niveau local. »
Cette volonté d’organiser le contrôle populaire est le fruit de l’expérience récente. Celle des négociations après la révolution où les comités de résistance ont été écartés au profit de la classe politique. Fruit aussi de l’histoire plus lointaine où les mouvements populaires ont porté, contre les régimes militaires, les deux principaux partis soudanais issus des confréries religieuses. À chaque fois ces partis ont mené le pays à la faillite.
Une telle charte nous conforte à redoubler d’efforts pour mener les actions de solidarité concrètes comme le jumelage syndical, à l’image de nos amis anglais. En effet, le syndicat des enseignantEs, le National Education Union, a créé des liens avec les membres du Sudanese Teachers’ Committee, et les a soutenus pendant leur grève sur les questions salariales.
Paul Martial
https://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-est/soudan/article/soudan-l-emergence-d-une-alternative
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Des millions de Soudanais-e-s demandent la chute du régime
Le 30 juin, une journée de mobilisation historique au Soudan
Hier, des millions de soudanais-es sont sorti-e-s dans les rues dans la plupart des villes du Soudan, exigeant la fin du régime militaire et la remise du pouvoir aux civils. Cette manifestation du 30 juin à eu lieu en un jour de commémoration de deux événements importants de l’Histoire du Soudan. Le premier évènement était la prise de pouvoir des Frères musulmans au Soudan, le 30 juin 1989, lors d’un coup d’État militaire dirigé par l’ancien président déchu Omar Al-Bashir, après avoir renversé le gouvernement démocratique dirigé par Al Sadiq al-Mahdi. Le second évènement à être commémoré a eu lieu le 30 juin 2019, il s’agit d’immenses manifestations qui avaient pour objectif de contraindre la composante militaire à reprendre les négociations avec les forces de la Déclaration de liberté et de changement. Ces manifestations ont permis un accord stipulant la répartition du pouvoir entre les militaires et les composantes civiles pour une période transitoire de trois ans.
Pourquoi les Soudanais-e-s rejettent le gouvernement militaire ?
Le 25 octobre 2021, le chef du Conseil souverain du Soudan, le lieutenant-général Abdel Fattah al-Burhan, a annoncé la destitution du gouvernement, la déclaration de l’état d’urgence et la suspension d’articles du document constitutionnel. Les services de sécurité ont également arrêté durant la même période, un certain nombre de membres du gouvernement de transition soudanais et de dirigeants civils, dont l’ancien Premier ministre soudanais, Abdullah Hamdok. Le coup d’État d’octobre a provoqué des manifestations qui n’ont pas cessé pendant huit mois. Plusieurs pays, dont les États-Unis, ont critiqué le coup d’État et appelé à un retour à la voie démocratique. En juillet 2019, le Conseil militaire soudanais avait signé un accord avec les Forces de la Déclaration de liberté et du changement pour partager le pouvoir et mettre en place un plan pour la phase de transition. Cependant, la composante militaire a renversé l’accord et a complètement retiré la composante civile du pouvoir en octobre 2021.
Depuis, les Nations Unies et l’Union africaine tentent de superviser des négociations entre les partis soudanais en conflit dans le but de trouver une solution à la crise politique en cours dans le pays. Malgré la grande mobilisation des citoyen-ne-s et de toutes les forces d’opposition, les objectifs sont différents entre chaque partis. Certains groupes, parmi lesquels on compte les comités de résistance (comités populaires qui organisent la mobilisation par quartier), réclament le renversement complet du coup d’État et au procès de ses dirigeants, et restent attachés à leur slogan : « Pas de négociation, pas le partenariat et pas de légitimation ». D’autres tentent de profiter de l’élan populaire pour obtenir des concessions des militaires lors des négociations, comme c’est le cas pour les partis politiques représentés par les Forces de la liberté et du changement.
Appels et annonces pour les manifestations du 30 juin
Depuis une semaine, des appels à la mobilisation pour le 30 juin ont été lancés dans les quartiers. Les comités de résistance ont organisé des appels à manifestation quotidiens dans les quartiers, et ont distribué des banderoles et des tracts. Mercredi, la ville de Khartoum a été témoin de manifestations appelant les citoyens à participer à celles du lendemain, le 30 juin. Lors de ce cortège du mercredi, les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants dans les quartiers de Burri et de Omdurman, ainsi que dans le sud et l’est de la capitale. Le Comité central des médecins soudanais a annoncé la mort le 29 juin d’un manifestant ayant reçu une balle dans la poitrine tirée par les forces de sécurité dans la ville de Bahri, au nord de la capitale.
Mesures de sécurité renforcées avant le début des manifestations
Jeudi matin, la capitale soudanaise, Khartoum, a connu une interruption des services Internet. Ce n’est pas la première fois qu’internet est coupé avant des manifestations. Depuis la prise du pouvoir par l’armée, le pays connaît des coupures d’internet, pour tenter de perturber le mouvement quasi hebdomadaire de contestation par des manifestations. Les autorités ont également fermé des routes et des ponts reliant la ville de Khartoum, Omdurman et Bahri, arrêté un certain nombre de militant-e-s et de personnalités politiques avant le début de la manifestation, et fermé les marchés et les magasins.
Grandes manifestations dans les villes soudanaises
Khartoum n’est pas la seule à s’être prononcée hier pour exiger la fin du régime militaire et la remise du pouvoir aux civils ; un grand nombre de villes soudanaises ont dénoncé le coup d’État et exigé un régime civil et la justice pour les victimes. Les habitant-e-s de Darfour, El Fasher, Nyala et El Geneina sont sorti-e-s malgré la répression excessive contre les manifestants. Toutes les autres grandes villes comme Port Soudan, Atbara, Kassala, Gedaref, Al-Abyad et Wad Madani dans l’État d’Al-Jazirah ont également manifesté.
Le soir quand les manifestants ont été dispersés par les gaz et la répression, ils et elles ont organisé des sit-in dans certains quartiers qui ont duré jusqu’à très tard ans la nuit, notamment dans le quartier de Chambat à Bahri, dans le quartier de Buri à l’est de Khartoum avec les habitants de Khartoum-Sud. À Omdurman les manifestants sont restés devant le parlement soudanais jusqu’à très tard de la nuit avant d’être disperser par l’autorité.
Au moins dix morts et des centaines de blessés
Le Comité central des médecins soudanais a annoncé qu’au moins 10 manifestant-e-s ont été tués hier, jeudi, lors de la manifestation du 30 juin. Des centaines des manifestant-e-s ont été blessé-e-s dans la ville d’Omdurman, à l’ouest de Khartoum et les forces de sécurité ont dispersé une manifestation condamnant le régime militaire au Soudan près du palais présidentiel du centre de Khartoum. Plus tôt jeudi, le comité a annoncé dans un communiqué via Twitter que deux personnes étaient mortes lors des manifestations dans la ville d’Omdurman.
Soutien aux manifestant-e-s à l’international
D’autre part, une déclaration conjointe des ambassades à Khartoum des États-Unis, de Grande-Bretagne, du Canada, de Norvège, de Suisse et du Japon, publiée par l’ambassade américaine via Twitter, indique que les manifestations pro-démocratie montrent que le peuple soudanais veut une transition démocratique. La déclaration appelle tous les partis à travailler ensemble dans le cadre du processus politique, pour trouver une voie vers une transition démocratique, tout en affirmant le droit du peuple soudanais à manifester sans peur ni violence. La déclaration a également exhorté tous les partis au Soudan à faire preuve de retenue et à protéger les civils.
Dans plusieurs villes à l’étranger, les soudanais-e-s ont manifesté en même temps pour montrer leurs soutien. En France, les soudanais-e-s ont manifesté devant l’ambassade soudanaise à Paris, où ils et elles ont affirmé leurs soutien aux manifestant-e-s. En Angleterre, les soudanais-e-s ont manifesté à Londres, à Birmingham, et à Manchester. Il y a eu des manifestations dans plusieurs villes aux Etats-Unis aussi.
Larges réactions des partis politiques et silence total de l’armée
Après la manifestation, à laquelle des millions de soudanais-e-s ont participé, un certain nombre de partis politiques ont publié des déclarations, ils ont salué les manifestants et les ont appelés à continuer à manifester jusqu’à ce que le coup d’État soit renversé. Dans ce contexte, le Parti communiste soudanais a publié une déclaration dans laquelle il a renouvelé sa position de refus de dialoguer avec la composante militaire et de continuer à manifester jusqu’au renversement des putschistes. Le Parti du Congrès soudanais, les comités de résistance et les syndicats professionnels ont également publié des déclarations confirmant leur poursuite sur la voie de la lutte. L’armée, elle, n’a fait aucune déclaration dans le contexte des manifestations d’hier.
Par Equipe de Sudfa
Sudfa est un petit blog participatif franco-soudanais, créé par un groupe d’amis et militants français et soudanais. Nous nous donnons pour objectif de partager ou traduire des articles écrits par des personnes soudanaises, ou co-écrits par personnes soudanaises et françaises, sur l’actualité et l’histoire politiques, sociales et culturelles du Soudan et la communauté soudanaise en France. Si vous souhaitez nous contacter, vous pouvez nous écrire à sudfamedia@gmail.com, ou via notre page Facebook ou Instagram. Pour plus d’infos, voir notre premier billet « qui sommes-nous ». Vous pouvez aussi retrouver tous nos contenus, articles, chroniques et reportages, sur notre nouveau site : sudfa-media.com. A bientôt !
En complément possible :
« Le pouvoir au peuple » : la construction démocratique dans la révolution soudanaise
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Mazen Nil :Le peuple du Soudan s’organise en défense de son droit à l’existence
Soudan : le rap et la révolution – interview avec Black Scorpion
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Premier numéro papier de Sudfa Media !
Les combats des femmes soudanaises
Urgence d’agir au Soudan
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2022/01/05/premier-numero-papier-de-sudfa-media/
Soudan. Une génération déterminée à poursuivre sa lutte
La répression continue. Les Comités de résistance appellent à la formation d’une « autorité populaire » pour renverser le régime du coup d’Etat
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Shadia Abdel Moneim : Les femmes ont toujours été à l’avant-garde de la résistance soudanaise
Coup d’État au Soudan : les femmes se battent pour la liberté, la paix et la justice
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Appel de l’Alliance des travailleurs soudanais contre le coup d’État
Paul Martial : Les dessous du coup d’État au Soudan
Joseph Daher : Coup d’état mortifère pour la révolution
Comités de résistance soudanais : « Cet accord ne signifie rien, la révolution continue »
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Augustine Passilly : Soudan. Ces femmes qui ont fait la révolution s’obstinent à réclamer leurs droits
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