Nommons cette nouvelle vague de chaleur « canicule Total Energies n°2 » (+Analyse du projet de loi « Pouvoir d’achat » sur les articles concernant les enjeux énergétiques)

Lors de la canicule du mois de juin 2022, de nombreux chercheurs et militants du climat ont proposé de nommer les vagues de chaleur, en s’inspirant de ce qui est fait pour les cyclones. Objectif : mieux identifier les phénomènes climatiques extrêmes pour mieux s’en rappeler et faciliter la compréhension des enjeux. Au milieu de ces nombreuses propositions (voir ici ou ici par exemple), plusieurs, dont moi via ce post Médiapart et ce thread twitter, ont suggéré de les nommer du nom des responsables du réchauffement climatique, en commençant par TotalEnergies et en lui accolant l’occurrence du phénomène. Ainsi, le nom « canicule Total Energies n°1 » a-t-il commencé à être utilisé pour la vague de chaleur du mois de juin 2022, ainsi que repris dans plusieurs articles de presse

Avant d’expliciter pourquoi il est proposé de conserver le nom TotalEnergies (cette suggestion est aussi celle de BonPote), précisons que cette nouvelle vague de chaleur pourrait approcher l’intensité de « la canicule de 2003, voire peut-être la dépasser », selon le climatologue Christophe Cassou : vers dix jours au-dessus de 35-40 °C ? Pour le dire trivialement, si vous avez eu chaud au mois de juin, vous allez suer avec la vague de chaleur qui vient. Pour tout comprendre à son origine et à sa dynamique (intensité, durée, etc), lisez donc ce long thread explicatif de Christophe. Les climatologues sont formels : le réchauffement climatique, généré principalement par la combustion des énergies fossiles, augmente la fréquence, l’intensité et la durée des vagues de chaleur. Ce résultat, comme le montre le dernier rapport du GIEC, est très robuste. 

Cette canicule va nous frapper alors que la situation est déjà critique : 

  • les sols sont secs, les rivières asséchées
  • les feux de forêts et de culture se multiplient
  • les rendements agricoles sont en baisse
  • les glaciers fondent et s’effondrent
  • l’eau potable commence à manquer en certaines régions
  • etc etc

A l’échelle de notre siècle, la situation ne fait que se dégrader : alors que 44 vagues de chaleur ont été observées depuis 1947, à peine 9 ont eu lieu avant 1989. Les 35 autres, soit 80%, ont eu lieu depuis 1989 : on compte « 3 fois plus de vagues de chaleur ces 30 dernières années que durant les 42 années précédentes » selon MétéoFrance. Cela ne devrait qu’empirer : selon une étude publiée par la revue Science en septembre 2021, les enfants nés en 2020 subiront 7 fois plus de vagues de chaleur, 2 fois plus de sécheresses et incendies de forêts, 3 fois plus d’inondations et mauvaises récoltes qu’une personne née en 1960. 

Pourquoi conserver le nom TotalEnergies plutôt que choisir un autre nom parmi les innombrables candidats (#Engie #BNPParibas #Renault #Stellantis #AirFrance pour les français, ou #Chevron #Exxon #Gazprom #Shell #BP à l’international) ?

D’abord, parce qu’il faut installer l’idée : donner aux vagues de chaleur le nom des responsables du réchauffement climatique nécessite de pratiquer l’art de la répétition. Nommer les responsables est une exigence du temps présent. Pire entreprise française en matière d’émissions de gaz à effet de serre, TotalEnergies est donc le meilleur véhicule pour tenter d’imposer cette idée dans l’espace public selon laquelle il faut donner aux vagues de chaleur, et peut-être à chaque catastrophe climatique, le nom des responsables du réchauffement climatique. Le chaos climatique n’est ni un accident ni une fatalité : les responsabilités sont inégalement partagées. 

Puisque nous devons supporter de plus en plus de phénomènes climatiques extrêmes, utilisons leur survenue pour marquer les esprits et organiser le débat public autour de la réponse à apporter face à l’urgence climatique. Il est temps de faire grandir la pression à la fois sur les pouvoirs publics et sur les entreprises qui refusent de transformer de fond en comble leur appareil productif. Nous sommes en effet confrontés à ce que j’ai appelé les double ciseaux de la catastrophe climatique : d’un côté les politiques climatiques que les pouvoirs publics devraient mener d’urgence sont toujours édulcorées, rendues inoffensives ou remises à plus tard ; de l’autre, les entreprises du secteur des énergies fossiles continuent d’explorer de nouveaux gisements, d’en exploiter plus et de refuser d’arrêter d’investir.

Puisque ce débat commence à se nouer à l’échelle française, voici un court et non exhaustif florilèges des raisons qui peuvent justifier d’appeler cette vague de chaleur « TotalEnergies n°2 » (#TotalEnergies2 sur les réseaux sociaux) : 

  1. Parce que depuis la canicule Total Energies n°1, le PDG de TotalEnergies s’est rendu en jet privé aux Rencontres économiques d’Aix pour un débat sur le mix énergétique où il nous a demandé des efforts en matière de sobriété énergétique. Cet aller-retour Paris-Marseille en jet privé est sans doute anecdotique du point de vue des émissions mondiales de gaz à effet de serre mais tellement révélateur de ces élites qui continuent comme si de rien n’était et n’envisagent de baisse de consommation que pour les autres. Il y a deux semaines à peine, les PDG de TotalEnergies d’ENGIEgroup & d’EDF publiaient une tribune nous demandant de limiter notre consommation, alors qu’ils continuent, notamment les deux premières, d’investir dans les énergies fossiles

  2. Parce que TotalEnergies bénéficie du projet de loi #Pouvoirdachat qui l’autorise à installer un terminal gazier au Havre pour importer du gaz de schiste sans respect des règles environnementales

  3. Parce que TotalEnergies fait partie des 20 entreprises qui ont le plus contribué au réchauffement climatique depuis 1965

  4. Parce que TotalEnergies était au courant de l’impact « potentiellement catastrophique » de ses activités sur le climat dès 1971, et n’a cessé depuis de nier, fabriquer du doute et freiner les politiques climatiques

  5. Parce que TotalEnergies s’apprête à ouvrir l’équivalent de 18 centrales à charbon rien qu’avec les projets pétro-gaziers qu’elle a dans les cartons d’ici 2025, alors que l’AIE a montré qu’il ne fallait plus investir dans de nouveaux projets gaziers ou pétroliers

  6. Parce que TotalEnergies et son PDG Patrick Pouyanné viennent ainsi d’annoncer « un jour historique » pour qualifier leur engagement dans le plus grand projet de gaz naturel liquéfié du monde, au Qatar.

  7. Parce que TotalEnergies continue de consacrer, selon ses propres données, plus de 70% de ses investissements au pétrole et au gaz, alimentant le réchauffement climatique et les vagues de chaleur ;

  8. Parce que TotalEnergies profite de milliards d’euros d’aides publiques (aides COVID19, aides BCE, plans de relance, plan France2030, aide inflation) mais refuse de s’engager dans la reconversion de son appareil productif

  9. Parce que TotalEnergies refuse d’envisager de fermer ses infrastructures dans les énergies fossiles alors qu’une étude récente montre qu’il faudrait en fermer la moitié pour conserver une chance raisonnable de ne pas dépasser 1,5°C.

  10. Parce que TotalEnergies profite de l’envolé des prix de l’énergie pour amasser des profits, augmenter la rémunération de ses actionnaires plutôt que d’investir massivement dans la transition énergétique

  11. Parce que TotalEnergies veut construire le plus grand oléoduc chauffé au monde (1 443 km), qui menace de nombreuses réserves et aires protégées et les deux plus grandes réserves d’eau douce d’Afrique de l’Est, les lacs Victoria et Albert (projets Tilenga et EACOP).

  12. Parce que TotalEnergies refuse d’enclencher une politique climatique digne de ce nom et continue de tergiverser et remettre à plus tard sa reconversion industrielle et technique, préférant faire voter à ses actionnaires des plans de greenwashing.

(cette liste est non exhaustive)

Cette proposition nous semble la plus opérationnelle à court-terme. Y compris parce que cette proposition a été reprise au sein de l’hémicycle de l’Assemblée nationale par Julie Laernoes, député écologiste-NUPES. 

Puisque cette vague de chaleur intense devrait durer plusieurs jours, nous avons le temps d’installer cette idée et de marquer les esprits. Si cela fonctionne, nul doute que nous trouverons l’énergie, le temps et les moyens, avec toutes les autres bonnes volontés pour installer un processus plus participatif pour nommer les prochains phénomènes climatiques extrêmes auxquels nous allons nécessairement devoir faire face. 

A nous toutes et tous de jouer. 

Maxime Combes

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022). 

https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/130722/nommons-cette-nouvelle-vague-de-chaleur-canicule-total-energies-n-2

Rappel :
Alerte vague de chaleur ! Nommons-la « canicule TotalEnergies n°1 »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/06/17/alerte-vague-de-chaleur-nommons-la-canicule-totalenergies-n1/

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Analyse du projet de loi « Pouvoir d’achat » sur les articles concernant les enjeux énergétiques

[Surprise !] Le projet de loi #PouvoirDAchat prévoit d’alléger les règles environnementales pour accélérer la construction d’un terminal gazier au Havre afin d’importer plus de #GazDeSchiste des Etats-Unis, repoussant la sortie des énergies fossiles. 

Je vous explique
Ce même projet de loi #PouvoirDachat prévoit des dispositions nouvelles pour faciliter la relance des centrales à charbon 
Gaz de schiste + charbon : au motif de « protéger le pouvoir d’achat » Emmanuel Macron & Elisabeth Borne prolongent artificiellement notre ébriété énergétique 

6 juillet : « Nous serons la première grande nation écologique à sortir des énergies fossiles » dit Elisabeth Borne. 7 juillet, Elisabeth Borne transmet au Conseil d’Etat puis à l’Assemblée nationale un projet de loi qui augmente les importations de gaz et relance le charbon 

Vous trouvez surprenant qu’un projet de loi portant sur le « pouvoir d’achat », c’est-à-dire sur la capacité des ménages à maintenir leur niveau de vie, comporte une procédure visant à accélérer la construction d’un terminal d’importation de gaz de schiste ? 
Moi aussi. 
Le gouvernement le justifie au nom de la « souveraineté énergétique ».
Soit.
Mais pourquoi n’y a-t-il rien pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables (un projet de loi est prévu mais reporté), la sobriété et l’efficacité énergétiques, qui sont clés en la matière ? 

Depuis plusieurs jours, vous lisez des articles disant que le gouvernement s’est converti à la « sobriété ». Ce projet de loi qui comporte des mesures sur le gaz et le charbon n’en compte aucune en matière de sobriété et d’efficacité énergétiques : les termes en sont absents 

Venons-en au projet de loi lui-même.
C’est à l’article 13 que le gouvernement souhaite donner la possibilité au ministre de l’énergie d’autoriser la construction expresse d’un » »terminal méthanier flottant »
C’est à l’article 14 que le gouvernement propose des » »dérogations » aux règlementations environnementales en vigueur pour l’installation d’un terminal méthanier flottant dans le port du Havre et pour la construction des canalisations et autres aménagements nécessaires. 

N’étant pas juriste, mes excuses pour les approximations qui suivent 
Le projet de port méthanier au Havre pourrait être autorisé avant que toute étude d’impact environnemental ne soit menée à bien : le code de l’environnement ne doit pas « porter atteinte » à sa construction 
L’étude environnementale évalue les impacts sur 
– La population et la santé humaine 
– La biodiversité 
– Les terres, le sol, l’eau, l’air et le climat 
– Le patrimoine culturel et le paysage 
Tous ces impacts sont donc subordonnés à l’impératif d’un port méthanier de plus 
Ce même article 14 prévoit que le terminal méthanier puisse être construit avant même que les mesures pour compenser les impacts écologiques sur les espèces et leurs habitats ne soient définies

L’écologie est subordonnée à l’impératif de maintenir notre ébriété gazière.
Des dérogations sont également prévues pour la construction et l’exploitation de la canalisation de transport de gaz naturel qui relira le terminal méthanier à la terre ferme ainsi que pour la construction des équipements industriels nécessaires. 
C’est TotalEnergies qui doit installer le terminal flottant et Engie qui devrait le raccorder au réseau afin d’importer dès fin 2023 près de 5 milliards de mètres cubes de gaz par an (l’équivalent de 45 térawattheures par an), soit 10% de la consommation française. 

Au nom de la « souveraineté nationale » & du « pouvoir d’achat » les multinationales, TotalEnergies et ENGIE qui font des superprofits gigantesques obtiennent le droit de développer un projet gazier d’envergure sans devoir respecter les normes environnementales. 
Ce projet de loi « Pouvoir d’Achat » prévoit aussi (art. 10) d’augmenter les objectifs de remplissage minimal des infrastructures de stockage de gaz gérées par les industriels 

Mais vous n’y lirez aucun objectif de réduction de la consommation de gaz 
L’ébriété oui. 
La sobriété non. 

Ce n’est pas tout. Ce projet de loi « Pouvoir d’Achat » prévoit des dispositions relatives à la relance des centrales au charbon pour permettre aux opérateurs d’utiliser des CDD ou contrats de mission pour réembaucher leurs salariés, en pleine dérogation avec le droit du travail 
Voilà donc un projet de loi « Pouvoir d’Achat » qui vise à accroître un peu plus encore les importations de #gazDeSchiste venant des Etats-Unis et de gaz venant du #Qatar. 
L’objectif est clair : remplacer notre dépendance au gaz russe par une dépendance au gaz US et qatari. 

Rappel : si la fracturation hydraulique, technique de production de #Gazdeschiste, est interdite en France, l’importation de #GazdeSchiste issu de cette technique nocive ne l’est pas et la France importe de plus en plus de gaz de schiste US.

Ce n’est pas fini. 
Les articles 11 & 12 étendent les possibilités de couper l’accès au gaz des consommateurs finaux, en cas de menace sur la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel ou en électricité, sans qu’il ne soit précisé les critères de mise en oeuvre. 
Il y a quelques jours, Emmanuel Macron affirmait qu’il n’y aurait « aucun risque de coupure » cet hiver. 
Si ce risque est nul, alors les dispositions des art. 11&12 sont inutiles. 
Si ce risque existe, alors le rationnement qu’il induit nécessite d’être débattu publiquement : quels sont les consommations indispensables et celles qui sont jugées inutiles ? 

Comme je l’ai expliqué à plusieurs journalistes (voir article chez Reporterre), le contenu de ce projet de loi traduit une forme de panique qui gagne le gouvernement et l’appareil d’État et qui ne sont pas certains, par manque d’anticipation de pouvoir garantir une sécurité d’approvisionnement. 

Loin d’assister à une « écologie de guerre » comme l’affirmait Pierre Charbonnier dans un texte récent, voici plutôt une « économie de guerre » qui écarte les règles environnementales, la sobriété & l’efficacité énergétiques pour prolonger artificiellement notre ébriété énergétique collective. 

Concluons en questions :
1. si des mesures sur gaz & charbon peuvent faire partie d’un projet de loi #Pouvoirdachat, pourquoi n’y a-t-il rien sur les ENR, la sobriété et l’efficacité énergétiques ? 
2. pourquoi renforcer notre dépendance au gaz de schiste US et au gaz qatari ? 
3. pourquoi déroger aux règles de l’environnement qui protègent la planète, notre bien commun à tous, et la possibilité d’y vivre : le gaz vaut-il plus que notre planète et nos vies ? Ce quinquennat ne devait-il pas être écologique ou ne pas être ? 
4. Si les risques de pénurie énergétique sont avérés, et les besoins de rationner l’électricité et le gaz confirmés, pourquoi cet exécutif dit-il publiquement le contraire de ce que dit ce projet de loi entre les lignes ? Pourquoi ne pas en débattre publiquement ? 
5. C’est pour quand la transition énergétique et la mise en oeuvre d’urgence des politiques de sobriété et d’efficacité énergétiques dont nous avons besoin pour réduire notre dépendance aux fournisseurs étrangers et limiter le réchauffement climatique ?

Maxime Combes

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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