Avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse
« Je suis de la colonne Pasionaria, mais je préfère rester avec vous. Jamais ils n’ont voulu donner de fusils aux filles. On était bonnes pour la vaisselle et la lessive. […] J’ai entendu dire que dans votre colonne les miliciennes avaient les mêmes droits que les hommes, qu’elles ne s’occupaient ni de lessive ni de vaisselle. Je ne suis pas venue au front pour crever, un torchon à la main. J’ai assez récuré de marmites pour la révolution !
Elle a gagné, gagné par la grâce de son parler madrilène le droit de mourir pour la révolution, et les hommes ont applaudi en lui lançant un Ole tu madre ! »
Ma guerre d’Espagne à moi (1976), de Mika Etchebéhère, combattante argentine à la tête d’une colonne du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM).
La guerre d’Espagne a pris fin il y a plus de trois-quarts de siècle avec la victoire des troupes franquistes soutenues par les fascismes allemand et italien. Cette guerre civile révolutionnaire a marqué de son empreinte l’histoire du mouvement ouvrier français au-delà des générations. Les républicains espagnols, pourtant parqués dans des camps de concentration à leur arrivée dans le sud de la France, ont poursuivi leur combat dans la Résistance, ils ont été déportés, à Mauthausen notamment, et sont entrés avec la Nueve libérer Paris.
Le soulèvement du général Franco contre la 2e République espagnole, le 18 juillet 1936, avait déclenché une résistance populaire dans tout le pays, avec une dynamique révolutionnaire particulièrement forte en Catalogne. Une guerre civile de trois ans commençait : la démocratie affrontait le fascisme, prélude et banc d’essai du conflit mondial de 1939-1945. Cette période a été aussi marquée par l’apparition d’un engagement nouveau, celui des brigades internationales, des combattantes et des combattants venu·es participer à la révolution et au combat qui se livrait en Espagne. Ces hommes et ces femmes ont accouru en Espagne, tout à la fois porté.es par l’espoir révolutionnaire et conscient·es que c’était au-delà des Pyrénées que l’on pourrait arrêter la barbarie.
Les femmes, même si l’histoire officielle les oublie souvent, ont tenu un rôle important dans cette révolution et dans cette guerre. Mais que sait-on de l’engagement et des motivations de ces centaines de républicaines espagnoles qui ont combattu les armes à la main dans les Milices antifascistes de l’armée républicaine ? Elles ont été très vite reléguées –dès 1937, alors que les milices elles-mêmes étaient « militarisées » et intégrées à l’armée régulière de la République – des tâches « féminines » d’intendance (cuisinières, infirmières, aides-soignantes…) ou renvoyées à l’arrière du front. Que sait-on de ces brigadistes étrangères venues participer au combat, suite logique pour certaines d’un engagement contre le fascisme montant dans leur propre pays ou, pour d’autres, tout simplement, d’un engagement internationaliste ? En effet, nombre de militantes et militants internationalistes avaient rejoint le front espagnol non seulement pour y défendre la République espagnole, mais aussi parce que la révolution mondiale, pour elles et pour eux, se jouait dans les rues de Barcelone.
Le livre de Gonzalo Berger et Tània Balló a l’immense mérite de présenter, pour la première fois à notre connaissance, un panel de témoignages et de récits sur ces combattantes, devenues dans leurs récits bien réelles, en « chair et en os ». En effet, l’auteur et l’autrice leur ont, en quelque sorte, redonné vie dans la mémoire de leurs familles, de leur descendance et dans la mémoire collective. Ce livre, publié en Catalogne et en langue catalane, a reçu un bel accueil alors que l’Espagne n’en finit pas de régler ses comptes avec un passé et une mémoire étouffés par le franquisme dans des fosses communes où finirent des milliers de républicain·es. Le régime de Franco avait ainsi tenté d’enterrer tout espoir avec « le silence des autres », comme le rappelle le film documentaire coréalisé aussi par une femme, Almudena Carracedo.
La récupération de la mémoire de ces femmes, de leurs paroles, de leurs espoirs, de leurs vies : voilà le mérite de ce livre. Elle s’appuie sur les recherches, pour certaines décrites par le menu dans ces pages, des descendantes et des descendants ou des personnes les ayant connues ainsi que sur des recherches documentaires aussi vastes que complexes. Un travail de limiers passionnés qui est une réussite.
Ces Combattantes sont portées par des récits de destinées ordinaires devenant extraordinaires dans le contexte social, politique et idéologique de cette période historique exceptionnelle de 1936-1939. Tout un peuple, dans toutes ses composantes républicaines (anarchistes, socialistes, nationalistes catalans ou basques, communistes antistaliniens du POUM, communistes partisans de l’URSS de Staline…) s’était mis en mouvement pour lutter contre le soulèvement fasciste. Par tous les moyens, dont les Milices antifascistes de Catalogne, avec lesquelles, pour la première fois, on vit des femmes partir sur le front.
Toutes ces femmes, jeunes et moins jeunes, témoignent de la diversité des opinions qui existaient dans le camp antifasciste et de l’idéal qui les animait dans ce combat pour la transformation de leur pays, qui passait par un bouleversement de leur propre condition.
Le récit de leurs vies, avant l’engagement dans la lutte armée contre le fascisme, pendant ce combat et après la défaite, pour celles qui ont survécu, témoigne de la charge historique que revêtait leur engagement en Espagne, à ce moment-là, comme au niveau international. Il témoigne aussi de la « charge d’humanité » de ces figures si éloignées et si proches de nous, qui avons traduit ce livre et qui signons ces lignes, car elles auraient pu être nos mères, nos sœurs, nos filles, nos nièces, nos épouses, nos compagnes, nos amies.
Ce livre fait écho, en l’amplifiant, en le resituant dans un contexte exceptionnel et dans des trajectoires individuelles qui le sont tout autant, avec ce que les trajectoires de nos propres familles nous ont permis d’entrevoir de cette histoire et de cette guerre qui les a marquées. Les récits qu’elles nous en faisaient, comme les silences qui les ponctuaient, nous ont marqué.es, nous aussi, enfants et petits-enfants de républicain·es. Cette guerre, qui a poussé nos parents ou nos grands-parents vers la retirada puis l’exil, a façonné nos propres destins, nos mémoires. Tous ces engagements ont marqué nos propres trajectoires militantes, que nous essayons de prolonger aujourd’hui aux côtés du peuple catalan et de tous les peuples de l’État espagnol dans un combat pour l’émancipation qui se poursuit.
Mariana Sanchez et Armand Creus
Berger Gonzalo et Balló Tània : Les combattantes
L’histoire oubliée des miliciennes antifascistes dans la guerre d’Espagne
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