Avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse
La politique israélienne vis-à-vis du territoire et du peuple palestinien fait régulièrement l’objet de condamnations internationales. Cela n’empêche pourtant pas de nombreux États et entreprises, en particulier en Europe, d’entretenir des relations économiques étroites avec l’État d’Israël et ses colonies de peuplement illégales.
Depuis plus de septante-quatre ans de colonisation sioniste-israélienne de la Palestine, le peuple palestinien subit une Nakba continue, faite de dépossession, de fragmentation, de persécution et de nettoyage ethnique. La ségrégation, l’occupation militaire prolongée, l’apartheid, les violations systématiques et généralisées des droits humains, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont autant de manifestations clés du projet d’Israël, un État intrinsèquement militarisé qui pratique un colonialisme de peuplement. C’est ainsi que le peuple palestinien s’est vu refuser le droit à l’autodétermination qui englobe naturellement le droit au retour des réfugié·es palestinien·nes.
À la suite de son occupation militaire de la Cisjordanie, en ce compris Jérusalem-Est, et de la bande de Gaza en 1967, régions qui constituent les territoires palestiniens occupés (TPO) bénéficiant d’une reconnaissance internationale, Israël s’est efforcé de poursuivre l’extension de son contrôle territorial, entre autres, en amplifiant son entreprise illégale de peuplement en Cisjordanie, y compris dans la partie orientale de Jérusalem. Le programme expansionniste d’Israël, l’annexion rampante et les mesures et actions qui y sont liées ont finalement amené la création, dans ces deux territoires, d’environ 300 colonies israéliennes illégales comptant plus de 720 000 colons juifs israéliens (OLP, 2021).
Ces peuplements coloniaux israéliens sont établis sur des terres palestiniennes privées et publiques détenues par des Palestinien·nes, que les autorités israéliennes s’approprient systématiquement et stratégiquement sous le prétexte qu’il s’agit de « terres abandonnées », de zones militaires et de zones de tir fermées, de réserves naturelles, de sites archéologiques ou de « terres étatiques ». Cet accaparement s’ajoute à l’appropriation de propriétés et de ressources naturelles palestiniennes, à la démolition d’habitations et aux restrictions imposées par Israël aux droits des Palestinien·nes en matière d’aménagement du territoire, de zonage et de résidence dans d’importantes parties des TPO, sans oublier l’institutionnalisation d’un environnement coercitif [1].
À travers son gouvernement et ses institutions, et avec la collaboration d’acteurs privés et intergouvernementaux, Israël facilite le transfert de colons juifs israéliens dans le territoire palestinien (et syrien) occupé. La politique de peuplement illégale appliquée par Israël viole les droits humains des Palestinien·nes de multiples manières, notamment en les privant du droit à l’autodétermination et à la souveraineté permanente sur leurs terres et autres ressources naturelles. Elle affaiblit et sape aussi le droit des Palestinien·nes à la liberté de mouvement.
Les colonies israéliennes, leur maintien et leur expansion sont illégales au regard du droit international et constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en vertu du statut de Rome de la Cour pénale internationale. L’illégalité des colonies de peuplement israéliennes établies dans les territoires occupés a été réaffirmée à plusieurs reprises, notamment, par la résolution 2 334 (2016) du Conseil de sécurité des Nations unies, la résolution 70/89 (2015) de l’Assemblée générale des Nations unies et la Cour internationale de justice (CIJ) en 2004. Le droit humanitaire international interdit à la puissance occupante de transférer sa population civile en territoire occupé et de transférer et de déplacer de force la population protégée, le contraire constituant de fait une violation grave de la 4e convention de Genève et un crime de guerre en vertu du Statut de la Cour pénale internationale (CPI).
La confiscation par Israël de terres et de biens palestiniens en vue de la construction de colonies de peuplement résidentielles, agricoles, touristiques et industrielles équivaut à une appropriation illégale, tandis que la destruction et l’appropriation massives de biens non justifiées par des nécessités militaires constituent une infraction grave et sont considérées comme des crimes de guerre par le statut de Rome. En outre, l’expropriation et l’exploitation des ressources naturelles en territoires occupés au profit de la puissance occupante, de son économie et de sa population contreviennent aux lois sur l’occupation et au droit humanitaire international et constituent un crime de guerre de pillage.
Il n’empêche que le gouvernement israélien a continué à soutenir et à faciliter la construction et l’extension des colonies et des avant-postes israéliens dans les TPO. Il a pratiqué cette politique par le biais de mesures politiques, de lois et d’ordonnances militaires qui autorisent l’appropriation des terres palestiniennes, et a accéléré ainsi la construction de logements pour les colons et de bâtiments publics, en facilitant les plans et les appels d’offres en vue de l’expansion des colonies, en offrant des incitants financiers et en assurant la sécurité et la protection des colons et des colonies de peuplement.
Implication des entreprises dans la colonisation, l’occupation et l’apartheid
De nombreuses sociétés israéliennes et multinationales ont joué un rôle clé dans le maintien et la croissance de l’entreprise de peuplement illégale menée par Israël. Elles ont contribué à de graves violations des droits humains et en ont tiré profit. Des centaines d’entreprises opèrent dans les colonies israéliennes de peuplement établies en Cisjordanie, fournissant des emplois et des revenus à des dizaines de milliers de colons israéliens, et permettant de maintenir et de normaliser leur présence. L’implication des sociétés commerciales pour ce qui est de permettre, faciliter et exploiter directement et indirectement l’établissement et l’extension des colonies de peuplement est avérée [2], comme l’illustreront quelques exemples tout au long de cet article.
Des entités privées, commerciales et industrielles ont joué un rôle central, directement et indirectement, dans la création, la mise en œuvre et le maintien du projet de colonisation d’Israël en Palestine. En fait, dès avant la création de l’État d’Israël en 1948, les dirigeants et hommes d’affaires sionistes établissaient déjà des plans d’annexion et de domination à travers des projets visant à contrôler les terres, les ressources en eau et les réseaux électriques [3]. Ces projets sont allés de pair avec la dépossession massive et le meurtre de Palestinien·nes par les milices sionistes et les groupes terroristes, qui ont composé plus tard l’armée israélienne.
À cet effet, pendant sept décennies, Israël a institué d’innombrables politiques, lois et pratiques visant à contrôler, réglementer et entraver tous les aspects de la vie palestinienne, y compris les nécessités fondamentales de la vie humaine, tout en niant au peuple palestinien son droit inaliénable à l’autodétermination et à la souveraineté sur ses ressources et richesses naturelles. La maladministration illégale, par Israël, du territoire qu’il occupe, ainsi que son exploitation illégale et discriminatoire des ressources du peuple palestinien des deux côtés de la « ligne verte [4] », a fait de l’économie palestinienne une économie captive et paralysée, tandis que les Palestinien·nes sont de plus en plus tributaires de l’aide humanitaire et étrangère.
Dans le même temps, Israël a veillé à ce que les ressources qu’il exploite illégalement profitent à sa propre économie et soient investies dans celle-ci, ainsi que dans des projets de développement en sa faveur. L’appropriation des terres et des ressources trouve un bel exemple dans l’entreprise de peuplement illégale menée en Cisjordanie occupée, y compris la partie orientale de Jérusalem, et dans le Golan syrien occupé (Al-Haq, 2016). Des sociétés publiques et privées israéliennes ainsi que des multinationales y ont joué un rôle crucial, en permettant et exploitant ce régime basé sur des objectifs bien établis de conquête, d’élimination et de substitution.
Apartheid de l’eau
Les Palestinien·nes sont confronté·es à un système discriminatoire oppressif et à des acteurs, notamment les autorités, les institutions et les entreprises israéliennes, qui les ciblent, les marginalisent et les exploitent. Dans la bande de Gaza, seule une personne sur dix a accès à l’eau potable selon l’Unicef, alors que 96% de l’eau provenant de l’unique aquifère de Gaza est impropre à la consommation humaine, et ce en grande partie à cause du bouclage et du blocus imposés par Israël depuis quinze ans. En Cisjordanie et à Jérusalem, l’accès des Palestinien·nes à l’eau et à l’électricité est subordonné à celui des colons juifs israéliens résidant illégalement dans les TPO.
En plus de son contrôle institutionnalisé sur les ressources en eau présentes à travers la Palestine et sur leur exploitation, Israël a également construit un mur de séparation/d’annexion qui a été utilisé pour s’en approprier davantage, confisquer et détruire les infrastructures hydrauliques et empêcher la reconstruction et la rénovation des réseaux de distribution et des conduites. Il ne s’agit là que d’un exemple des méthodes, politiques et pratiques qui entravent le droit des Palestinien·nes à l’accès à l’eau. L’apartheid de l’eau pratiqué par Israël à l’encontre des Palestinien·nes dans les TPO (et au-delà) n’est en outre qu’un aspect du régime d’apartheid plus global qu’Israël a établi sur l’ensemble du territoire sous son contrôle (Amnesty International, 2022).
Mekorot, la Compagnie nationale des eaux d’Israël (créée en 1937) qui fournit 90% de l’eau potable d’Israël et 80% de ses approvisionnements, a joué un rôle central dans la mise en œuvre, par Israël, de l’apartheid de l’eau, de l’occupation et des violations permanentes des droits humains [5]. L’exploitation par Mekorot des ressources en eau palestiniennes dans les TPO, l’approvisionnement des colonies de peuplement israéliennes, le détournement et le transfert illégal de l’eau palestinienne vers Israël, équivalant à un pillage en vertu du Statut de Rome, ont également été reconnus comme tel par divers experts et organes des Nations unies. La société a été reprise dans la base de données des sociétés impliquées dans l’entreprise de peuplement illégale d’Israël, publiée par l’ONU en février 2020, et ce pour avoir permis et facilité l’exploitation de ressources au profit des colonies [6].
Mekorot exploite les sources palestiniennes et gère l’approvisionnement en eau des bases militaires établies dans l’ensemble des TPO. Elle fournit, en outre, de l’eau aux colonies de peuplement de la vallée du Jourdain, connues pour leurs activités et leur production agricoles intensives, dont une grande partie est exportée vers les marchés internationaux, notamment l’Europe et l’Union européenne (UE). En fait, la mise en place d’installations d’approvisionnement par Mekorot a permis le développement du secteur agricole des colonies israéliennes établies dans les TPO, contribuant ainsi à leurs bénéfices, à leur durabilité et à leur croissance, tout en encourageant le transfert illégal de colons dans les territoires occupés en leur fournissant des équipements publics, des services et des opportunités d’emploi.
Les agriculteur·trices israélien·nes des colonies (tout comme les colons actifs dans le secteur manufacturier ou dans les affaires, etc.) bénéficient des installations, services et équipements publics pris en charge par des entreprises comme Mekorot, tout en profitant d’un large éventail de privilèges et de subsides accordés par le gouvernement israélien, ainsi que d’un accès aux marchés internationaux. Les importations de l’UE en provenance des colonies étaient estimées à 230 millions d’euros par an il y a près de dix ans, les produits agricoles étant parmi les plus courants (FIDH, 2012) [7]. Pendant ce temps, les Palestinien·nes du même territoire sont gravement limité·es par les restrictions imposées par Israël, notamment dans l’accès aux ressources naturelles (terres et eau) et aux marchés, et subissent de ce fait des pertes systémiques qui paralysent leur économie et affectent leurs moyens de subsistance.
Il n’en demeure pas moins que, malgré son implication directe et indirecte dans des violations des droits humains et du droit humanitaire, dont certaines s’apparentent à des crimes internationaux, Mekorot est une entreprise viable qui a décroché des contrats lucratifs à l’échelle mondiale. L’entreprise a également participé à plusieurs projets en Europe et a bénéficié de financements par l’UE, y compris pour des programmes et des fonds de recherche et de développement.
Union européenne-Israël : des relations fortes en faveur de la colonisation
L’Union européenne et ses États membres ont largement négligé de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à la colonisation de la Palestine par Israël, tant sur les fronts politique, économique et commercial que sur le plan de la fourniture d’armes et de la sécurité. Au contraire, ils jouent un rôle crucial dans le maintien du statu quo en termes d’oppression et de fragmentation du peuple palestinien, notamment en persistant à prôner une « solution à deux États » qui a échoué.
Cette position s’est accompagnée de l’instrumentalisation de prétendus plans de paix intrinsèquement injustes et largement orientés vers l’économie, tels que les accords d’Abraham (signés entre Israël, Bahreïn et les Émirats arabes unis, sous l’égide de l’administration américaine de Donald Trump, NDLR), approuvant ainsi – sous le couvert des droits humains, de la paix et de la démocratie – le renforcement de la coopération militaire, et en matière de surveillance des citoyen·nes, avec des régimes autoritaires, répressifs et coloniaux à travers la région (IMEU, 2022). Cette attitude soulève de sérieuses questions non seulement sur le rôle que l’UE et ses États membres prétendent eux-mêmes jouer dans le « processus de paix », mais aussi sur leur positionnement et leur rôle vis-à-vis d’autres conflits et injustices prévalant à travers la région.
Plutôt que de respecter leurs obligations découlant du droit international, l’UE et ses États membres ont essentiellement permis et toléré la poursuite de l’oppression, de l’assujettissement, de la déshumanisation et de la fragmentation du peuple palestinien pratiqués par Israël depuis des décennies. Cela a favorisé pour ce pays une culture d’impunité omniprésente et de mépris inégalé des principes des droits humains et du droit international humanitaire dans le cadre de son processus continu d’élimination de l’identité et de la présence palestiniennes et de modification de la composition démographique de la Palestine.
Coincée dans la poursuite non viable d’une solution à deux États, l’UE a vu son rôle se réduire à fournir une aide humanitaire aux Palestinien·nes (ce qui a sans aucun doute enraciné la dépendance économique de ces dernier·ères et paralysé leur mouvement de libération) [8] et à financer la constitution d’institutions étatiques pour l’Autorité palestinienne, cet État policier autoritaire que l’UE et la plupart de ses États membres ont refusé jusqu’à présent de reconnaître en tant qu’État. Cela s’ajoute aux déclarations de préoccupation et de condamnation européennes de plus en plus critiquées, largement creuses et incapables de modifier de manière constructive la réalité vécue par des millions de Palestinien·nes en quête de liberté et de justice.
Les exemples incompréhensibles cités ci-dessous illustrent le type de soutiens, de ressources et de « récompenses » que l’UE a accordés à Israël, un État militarisé, colonial et pratiquant l’apartheid. Alors que l’UE et ses États membres souhaitent continuer à soutenir Israël, il y aurait lieu de mettre en question et de critiquer l’incidence négative d’un tel engagement sur les droits humains, leur rôle dans la prolongation et le maintien d’une réalité injuste et violente vécue par des millions de personnes, ainsi que les ramifications directes et indirectes dans la région.
Un partenaire économique incontournable
L’Union européenne est le plus grand partenaire commercial d’Israël, représentant d’importants marchés d’importation (34,4 %) et d’exportation (21,9 %). En 2020, le commerce total de marchandises entre Israël et l’UE a atteint un montant de 31 milliards d’euros. Ces chiffres incluent les échanges commerciaux avec les colonies de peuplement illégalement implantées dans les territoires occupés, en dépit des clauses établies en la matière, qui devraient en théorie entraîner l’exclusion de ces colonies des accords passés entre l’UE et Israël. Or, en réalité, il en va tout autrement.
Dans la vallée du Jourdain occupée, par exemple, l’agriculture constitue la principale source de revenus des colonies de peuplement illégales. Elle est à l’origine d’une des principales exportations des colonies israéliennes vers les marchés européens et internationaux. Il s’agit de fruits frais, comme les raisins et les dattes, de légumes comme les tomates cerises, d’agrumes, de poivrons et d’herbes. Il faut y ajouter les autres entreprises de services opérant notamment dans des secteurs tels que l’emballage, la réfrigération ou le transport, qui sont liés au secteur agricole. Ces produits, par exemple les dattes, qui sont cultivés sur des terres palestiniennes occupées et accaparées, sont irrigués avec de l’eau volée, dépendent de réseaux d’eau, d’électricité et d’égouts établis sur des terres palestiniennes confisquées, et aboutissent dans les rayons des supermarchés à travers l’UE sous la mention « Produit d’Israël ».
Malheureusement, les consommateur·trices européen·nes sont ainsi induit·es en erreur quant à l’origine des produits des colonies de peuplement et se trouvent donc dans l’impossibilité de faire des choix éclairés quant aux produits fabriqués dans l’illégalité qu’ils et elles trouvent dans les rayons de leurs magasins. En conséquence, l’incapacité des États européens à mettre en œuvre les politiques et les lois pertinentes amène les consommateur·trices à acheter des produits fabriqués dans l’illégalité [9].
De cette manière, et malgré un consensus solide entre les États européens et l’UE concernant l’illégalité des colonies de peuplement israéliennes, ces derniers continuent à contribuer activement à l’économie des colonies, entre autres, par le biais d’activités commerciales et de relations menées par des acteurs étatiques et non étatiques relevant de leur juridiction.
En 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée sur l’étiquetage obligatoire des produits provenant des colonies de peuplement israéliennes en territoires occupés, en sanctionnant la communication interprétative de la Commission relative à l’indication de l’origine des marchandises provenant des territoires occupés par Israël depuis 1967 [10]. En réalité, cependant, les échanges de l’UE avec les colonies israéliennes illégales se poursuivent sans tenir compte de cette communication de la Commission et de l’arrêt de la CJUE et sans les mettre en œuvre. Les produits des colonies continuent d’inonder les marchés internationaux et européens, tandis que les institutions financières et les entreprises continuent sans relâche de s’engager dans des activités et des relations avec les colonies israéliennes (DBIO, 2021).
Il est donc impératif que les États prennent des mesures plus strictes pour interdire totalement le commerce de biens et de services avec les colonies de peuplement israéliennes illégales, conformément à leurs obligations en vertu du droit international, à savoir la 4e convention de Genève (Moerenhout, 2017).
En février 2022, une large alliance d’ONG, de mouvements populaires, de syndicats et de responsables politiques a lancé l’Initiative citoyenne européenne (ICE) [11] demandant à la Commission européenne d’adopter une législation visant à interdire les échanges commerciaux entre l’UE (importations et exportations) et les colonies établies dans des territoires occupés à l’échelle mondiale et notamment en Palestine. Cela signifie que les citoyen·nes européen·nes pourraient individuellement exiger de l’UE qu’elle concrétise son opposition à l’annexion de territoires par Israël et aux colonies illégales, en procédant aux actions nécessaires afin de mettre fin une fois pour toutes au commerce avec les colonies de peuplement illégales israéliennes ou autres.
Il convient de noter qu’au fil des ans, et en l’absence d’application de la loi, certains États membres de l’UE ont publié des avis officiels avertissant leurs entreprises des conséquences sur les plans juridique, financier et de leur réputation que pourraient entraîner leur implication dans le processus de colonisation de peuplement en Palestine. Ces avis restent non contraignants et les États les appliquent rarement, voire pas du tout, ce qui n’est pas surprenant lorsqu’il s’agit d’une action européenne dans le contexte de la Palestine. Les États ne devraient pas se contenter de prodiguer des conseils aux entreprises, mais ils devraient également s’acquitter de leur devoir de protection des droits humains dans le cadre des activités commerciales qui relèvent de leur juridiction, et ce par le biais de leurs législations, de leurs politiques et leurs lois nationales, comme le prévoient les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains (UNGP).
Reprise des réunions du Conseil d’association UE-Israël
En juillet 2022, les vingt-sept ministres des affaires étrangères de l’UE ont convenu de reprendre les réunions du Conseil d’association UE-Israël, suspendues depuis près d’une décennie. Cette décision et la relance qui ont eu lieu début octobre survient en dépit des crimes récents perpétrés par Israël, tels que le meurtre de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, la poursuite du blocus de la bande de Gaza et des agressions militaires à son encontre, la progression accélérée des colonies de peuplement, les démolitions en cours et le transfert forcé de Palestinien·nes (comme à Masafer Yatta), l’augmentation de la violence des colons sous la protection de l’Etat et de ses appareils… – pour ne citer que quelques-unes des violations systématiques perpétrées contre les Palestinien·nes des deux côtes de la « ligne verte ».
Celles-ci n’ont pas empêché les vingt-sept États membres de l’UE de s’accorder sur un renforcement des relations économiques et diplomatiques avec Israël, récompensant ainsi et contribuant activement à renforcer un système d’oppression et de persécution. Cette attitude est le reflet du modèle au sein duquel l’UE et ses États membres ont mené leurs relations avec Israël au fil des ans, depuis sa création. Au lieu de prendre des mesures, l’Europe a joué le rôle de chef de file dans la légitimation des actes illégaux d’Israël, en pratiquant l’impunité et la complicité et en adoptant une approche intrinsèquement sélective en matière de droits humains et d’État de droit.
La position européenne a, en outre, consolidé la capacité d’Israël à poursuivre son colonialisme de peuplement et sa persécution du peuple palestinien, sans devoir affronter trop de questions posées par les États dominants de la communauté internationale. En tant que « valeurs partagées » du plan d’action UE-Israël et du partenariat renouvelé avec le voisinage méridional, les relations UE-Israël doivent être conditionnées au respect des droits humains et du droit international. Or, contrairement au reste des pays partenaires méditerranéens, l’UE n’a pas avec Israël un sous-comité dédié aux droits humains.
Il convient de noter que l’accord d’association UE-Israël fait partie des accords de la Politique européenne de voisinage et est considéré comme le fondement des relations entre l’UE et Israël, notamment sur les plans commercial et politique. Il a été signé en 1995 et est entré en vigueur en 2000. En principe, l’accord couvre le dialogue politique, les droits humains et la démocratie, ainsi que le libre-échange. Plus important encore, il donne à Israël un certain nombre d’avantages commerciaux dont les colonies de peuplement israéliennes sont censées être exclues, compte tenu de leur présence illégale en territoires occupés.
Complicité par le biais de l’énergie
Interconnexion Eurasie
Au début de 2022, l’Union européenne a annoncé un financement de plus d’un milliard de dollars en faveur de projets d’énergie verte dans le cadre de la transition vers l’énergie propre, notamment l’interconnexion Eurasia, un câble sous-marin qui reliera l’Europe au réseau électrique israélien, lequel englobe des territoires occupés internationalement reconnus comme tels et les colonies de peuplement illégales.
En allouant 657 millions d’euros à ce « pont énergétique entre l’Asie et l’Europe », la Commission européenne contribuera également à l’entreprise de peuplement menée par Israël (actes illégaux parmi d’autres). L’entité israélienne impliquée dans ce projet soutenu par l’UE est l’Israel Electric Corporation (IEC), une entreprise publique dont l’infrastructure et les opérations électriques couvrent les colonies de peuplement israéliennes illégales, qui en profitent.
Ainsi, alors que l’UE cherche à « se libérer de la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie », elle devrait également veiller à ne pas contrevenir à ses obligations de non-reconnaissance et de non-assistance en Palestine, obligations essentielles incombant aux États tiers dans le contexte des violations des droits humains fondamentaux. Comme l’ont demandé certains membres du Parlement européen, l’UE devrait s’assurer qu’elle ne fournit pas une aide financière ou une assistance technique, y compris par le biais d’appels d’offres et de contrats, qui impliquerait l’entreprise de peuplement et profiterait à celle-ci, ou qui concernerait d’autres violations liées à la colonisation en cours. En outre, l’UE devrait conseiller aux entreprises associées de respecter les droits humains et de s’abstenir de toutes activités liées à des violations graves et à des crimes, tout en garantissant le respect des UNGP et des plans d’action nationaux en la matière.
Contrat de gaz naturel
Au début de juin 2022, l’UE a signé avec l’Égypte et Israël un accord d’exportation de gaz naturel, inspiré par le projet de normalisation économique des accords d’Abraham échafaudés par les États-Unis. Alors qu’elle se diversifie pour trouver des alternatives aux combustibles fossiles provenant de Russie, l’UE devient davantage dépendante du gaz israélien – dont une grande partie est exploitée illégalement et/ou est associée à des violations et des crimes systémiques (Al-Haq, 2016). En signant un tel accord, et par le biais du secteur de l’énergie, l’UE devient volontairement impliquée, et complice, dans le pillage des ressources naturelles palestiniennes et dans la punition de deux millions de Palestinien·nes vivant dans la bande de Gaza, autant de manifestations de la colonisation, de l’occupation et de l’apartheid.
« Ciels ouverts »
En juin 2020, au moment même où Israël développait des projets visant à enraciner son annexion, le Parlement européen a approuvé la ratification de l’Accord aérien euro-méditerranéen UE-Israël (accord « ciels ouverts »), permettant notamment une exploitation plus facile des vols directs entre les aéroports de l’UE et Israël et contribuant aux secteurs israéliens du tourisme et de l’aviation. Malgré sa « préoccupation » concernant l’annexion effectuée par Israël à l’époque, une fois de plus, l’UE l’a hypocritement récompensé en toute impunité en renforçant les relations bilatérales.
Incohérences de l’UE favorisant l’impunité
Mesures effectives : annexion et colonies
Si l’UE souhaite rester un acteur clé dans la région méditerranéenne, elle doit reconnaître l’importance de renforcer sa crédibilité politique en démontrant son attachement à l’État de droit, aux droits humains et à la démocratie dans la région, sans parti pris ni exception. Au minimum, l’UE devrait garantir une approche cohérente quant à son attitude à l’égard d’actions internationalement reconnues comme illégales, telles que l’annexion et l’occupation, et par rapport à leurs conséquences juridiques. Un manque de cohérence apparaît, par exemple, si l’on compare les sanctions et mesures décrétées par l’UE à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie et ses réactions fragiles et futiles à l’annexion de facto et de jure, par Israël, de Jérusalem, de vastes parties de la Cisjordanie et du Golan syrien occupé.
En répondant à leurs obligations découlant des dispositions du droit international, l’UE et ses États membres devraient, comme mentionné précédemment, interdire l’entrée et la vente de produits et de services provenant de colonies de peuplement illégales. Cette interdiction devrait être assortie de l’adoption de mesures restrictives, telles que l’interdiction de voyager et le gel des avoirs à l’encontre de certaines personnes, par exemple les dirigeants des colonies et les hommes d’affaires impliqués dans l’appropriation et l’exploitation illégales des terres et des ressources palestiniennes, l’entreprise de peuplement, l’annexion et les violations des droits humains et du droit international. Les colons et les hommes d’affaires israéliens provenant des colonies et détenant la double nationalité et des passeports de l’UE devraient être particulièrement surveillés quant à leur implication dans les violations des droits et dans l’entreprise de colonisation.
Deux poids, deux mesures : mécanismes de responsabilisation
Malgré son engagement affiché en faveur de la responsabilisation et de la lutte contre l’impunité pour les crimes internationalement reconnus, l’UE a adopté une approche sélective qui a sapé le droit des Palestinien·nes au recours et à la justice, notamment par le biais de mécanismes internationaux tels que la Cour pénale internationale (CPI) et le Conseil des droits humains (CDH) de l’ONU. Cette approche a permis la persistance du cycle de l’impunité. Fait sans précédent, l’UE n’a pas publié de déclaration saluant l’adhésion de l’État de Palestine à la CPI en 2015. Elle n’a pas exprimé son soutien à l’ouverture d’une enquête de la CPI sur la situation dans l’État de Palestine. Au contraire, certains de ses États membres (Allemagne, Autriche, Hongrie et République tchèque) ont activement fait pression contre cette démarche.
De même, l’UE s’est abstenue de soutenir les résolutions sur la responsabilité et les droits humains en Palestine au sein du CDH de l’ONU. En mai 2021, certains États membres ont voté contre la résolution inédite du CDH des Nations unies tendant à établir une commission d’enquête permanente chargée d’enquêter sur les violations commises des deux côtés de la « ligne verte » et sur les causes profondes sous-jacentes, notamment la discrimination systémique, la répression, la persécution et l’apartheid.
Réticence à protéger la société civile palestinienne
Il conviendrait également de remettre en question le rôle de l’UE dans la protection et la promotion de la société civile palestinienne, en particulier à l’encontre des campagnes généralisées et coordonnées d’Israël ciblant les organisations et les défenseurs des droits humains, tout en reconnaissant la relation de longue date existant entre l’UE, les États membres et la société civile palestinienne.
En octobre 2021, le gouvernement israélien – dans le cadre de sa campagne élargie de sape de la société civile palestinienne – a désigné six organisations palestiniennes de premier plan comme « terroristes » et « illégales », en prétextant de preuves secrètes et en utilisant le logiciel espion Pegasus pour espionner les employé·es de ces organismes. Alors qu’un rejet européen d’une telle décision était immédiatement nécessaire pour protéger la sécurité physique des employé·es et assurer la poursuite du fonctionnement de ces organisations, l’UE, malgré le manque de preuves et les affirmations non fondées d’Israël, n’a adopté une position claire et publique qu’avec un retard injustifié.
Il a fallu près de neuf mois aux ministères des affaires étrangères de l’Allemagne, de la Belgique, du Danemark, de l’Espagne, de la France, de l’Irlande, de l’Italie, des Pays-Bas et de la Suède, pour rejeter publiquement et conjointement les accusations de juillet 2022, en invoquant l’absence de preuves substantielles, et pour confirmer leur coopération et soutien à la société civile en Palestine. Peu de temps auparavant, la Commission européenne avait, après treize mois, levé sa suspension arbitraire de l’octroi de fonds à Al-Haq, l’une des six organisations.
Le 18 août 2022, les forces d’occupation israéliennes ont fait une descente et fermé les bureaux des six organisations et des comités des travailleurs de la santé. Si l’UE [12] et certains États membres ont rapidement réagi en publiant des déclarations d’inquiétude et en jugeant une telle action inacceptable, et si plusieurs représentant·es européens sont allé·es participer à la réouverture symbolique de ces bureaux, il reste à voir dans quelle mesure ces mêmes acteurs contribueront à la protection de ces organisations, de leur personnel, de leur travail et de leur viabilité contre les attaques et les tentatives d’assèchement de leurs ressources.
Embargo militaire sur les armes
Il est également important de relever les incohérences de l’UE dans l’imposition d’un embargo sur les armes. Dans différents contextes, l’UE (et ses institutions) a appelé à un embargo sur les armes, alors que ses États membres ont continuellement fourni à Israël des armes et une assistance militaire, contribuant ainsi aux graves violations, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par Israël. En août dernier encore, Israël a lancé un assaut militaire contre la bande de Gaza assiégée qui a entraîné la mort de quarante-quatre Palestinien·nes, dont quinze enfants, et en a blessé des centaines d’autres. Eu égard aux actes illicites et aux agressions mortelles systématiques perpétrés par Israël contre les Palestinien·nes, l’UE devrait encourager ses États membres à mettre fin au commerce d’armes avec ce pays et à toute coopération militaire et sécuritaire.
Conclusion
À ce jour, l’UE, de concert avec le reste de la communauté internationale, n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin à la colonisation de peuplement menée par Israël, à son occupation militaire prolongée et aux violations associées, ainsi qu’à ses crimes internationalement reconnus tels que l’apartheid envers le peuple palestinien et la persécution de celui-ci. Au contraire, l’UE et les États membres ont récompensé à plusieurs reprises Israël pour son projet de colonisation, y compris son entreprise de peuplement illégale dans les TPO, sous la forme d’un soutien sans équivoque et de ressources financières. Il est urgent que l’UE et ses États membres comblent le fossé entre leur discours sur les actes illégaux commis en Palestine et leur pratique.
Il est nécessaire que l’UE et les États membres adoptent des mesures significatives non seulement pour mettre fin à l’occupation et à la colonisation illégales de la Palestine par Israël, mais aussi pour examiner leurs propres participation, implication et complicité dans les actions illégales d’Israël et la colonisation de la Palestine, notamment par le biais de leurs institutions gouvernementales, projets et accords de coopération, et pour veiller à ce que ceux-ci soient véritablement fondés sur des références en matière de droits humains.
Il est tout aussi important que l’UE et les États européens prennent des mesures efficaces pour lutter contre la complicité et l’implication des entreprises et des acteurs privés relevant de leur juridiction dans la myriade de violations des droits humains et du droit international perpétrées par Israël. Cependant, dans les contextes de conflits internationalement reconnus comme celui qui sévit en Palestine, les moyens de responsabilisation concernant les violations liées aux entreprises sont souvent restreints ou insuffisants, ou tout simplement inexistants, pour remédier au préjudice et garantir un recours aux victimes.
En effet, en tant que puissance occupante et principal auteur de violations, Israël, s’agissant du peuple palestinien, n’est manifestement pas disposé à utiliser les outils nécessaires pour assurer la responsabilisation ou la protection des droits humains, y compris dans le contexte d’activités commerciales. À ce titre, il incombe aux États tiers de la communauté internationale et aux États d’origine des sociétés multinationales liées à ces violations d’offrir les protections nécessaires et l’accès aux recours et à la justice aux victimes et aux personnes affectées.
À cet égard, les États sont tenus de prévenir, d’investiguer, de punir et de réparer les violations des droits humains dans le cadre des activités commerciales exercées sur leur territoire et/ou dans leur sphère de compétence. Les États sont également liés par leurs obligations, en tant qu’États et par l’article 1er commun aux conventions de Genève, de garantir le respect du droit international humanitaire dans les TPO, notamment par les acteurs commerciaux relevant de leur juridiction. Conformément aux UNGP, les États devraient refuser l’accès au soutien et aux services publics aux entreprises relevant de leur juridiction en raison de leur implication dans des violations flagrantes des droits humains et de leur refus de coopérer pour y remédier.
Alors que l’UE et ses États membres s’efforcent de renforcer les cadres réglementaires nationaux et régionaux pertinents pour les entreprises, il faudrait accorder une attention particulière aux entreprises opérant à l’étranger et dans les zones touchées par des conflits, en particulier pour garantir que des procédures de « due diligence » (devoir de vigilance) obligatoires et renforcées soient mises en œuvre, afin de protéger les droits humains et l’environnement. La proposition de directive de la Commission européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de développement durable offre une occasion cruciale de mettre fin à l’impunité des entreprises, ce qui pourrait également concerner principalement les zones touchées par des conflits et garantir la protection du droit des peuples autochtones et des communautés locales à l’autodétermination et à la souveraineté sur les ressources naturelles – conformément aux normes et responsabilités internationales déjà existantes.
Compte tenu de l’impunité dont jouissent depuis longtemps les entreprises et Israël quant aux violations des droits humains et du droit international, ainsi que de l’incapacité délibérée du système judiciaire israélien à offrir un recours efficace aux Palestinien·nes, les États devraient activer et soutenir la compétence universelle pour les infractions graves et les crimes liés aux entreprises, comme moyen de responsabilisation. Par exemple, les juridictions nationales allemandes, françaises, néerlandaises et luxembourgeoises pourraient investiguer et poursuivre les infractions graves et les crimes internationaux commis extra-territorialement par des ressortissant·es étranger·ères, y compris les entreprises et leurs dirigeant·es.
En même temps, dans leurs opérations et relations, les entreprises privées ont la responsabilité de respecter le droit international en matière de droits humains et de droit humanitaire, notamment par le biais d’un devoir de vigilance renforcé et en se désengageant, de manière responsable, de certaines activités et relations commerciales, en les cédant et les arrêtant lorsque les violations des droits humains ne peuvent pas être atténuées.
Certains acteurs privés, notamment des entreprises commerciales, des banques et des fonds de pension, ont assumé les responsabilités qui leur incombaient en vertu du droit international (et d’autres lois et politiques), en se retirant des activités et des relations liées aux violations commises en Palestine, en particulier celles liées à l’entreprise de peuplement. Par exemple, en juillet 2021, KLP, le plus grand fonds de pension norvégien, s’est désengagé de seize entreprises et banques, en raison de leurs activités exercées dans les colonies israéliennes et en collaboration avec celles-ci. En 2022, la société de crème glacée Ben & Jerry’s a décidé d’exclure les ventes de ses produits aux colonies israéliennes, les estimant incompatibles avec ses valeurs, malgré des désaccords entre Ben & Jerry’s et la société mère Unilever.
Au niveau international, de nombreuses initiatives directes et indirectes ont vu le jour sous la forme de résolutions et d’actions d’organes de l’ONU créés pour lutter contre les violations du droit international perpétrées en Palestine à l’encontre du peuple palestinien. Spécifiquement liée aux colonies de peuplement, aux droits humains et aux entreprises israéliennes, la résolution 2 334 (2016) du Conseil de sécurité des Nations unies appelle Israël à geler toutes les activités de colonisation et à démanteler tous les avant-postes de peuplement établis depuis mars 2021.
La résolution appelle également les États à faire, dans leurs échanges en la matière, la distinction entre les TPO et Israël, notamment dans leurs relations économiques. Cependant, en dehors des rapports réguliers soumis au Conseil de sécurité, la communauté internationale n’a consenti aucun effort véritable pour faire appliquer cette résolution. Pour assurer le respect de celle-ci, l’UE et ses États membres pourraient adopter des mesures plus fortes afin d’opérer cette différenciation et limiter leur implication dans l’entreprise de peuplement, notamment dans les domaines du commerce et des affaires.
Entre-temps, l’UE et ses États membres devraient également soutenir activement l’Office du Haut-Commissaire aux droits humains (HCDH) dans la mise à jour de la base de données des Nations unies sur les entreprises impliquées dans les colonies de peuplement israéliennes, comme il en a été mandaté en 2016 par le Conseil des droits humains. En outre, l’UE devrait s’engager plus activement dans le processus en cours visant à faire adopter par les Nations unies un instrument juridiquement contraignant concernant les entreprises et les droits humains.
En effet, les Nations unies ont le potentiel pour combler le manque de responsabilisation et aider à prévenir les abus des entreprises dans les zones touchées par des conflits, notamment dans des situations d’occupation où les entreprises sont responsables d’incitation ou d’aggravation des violations et complices de crimes internationaux, et ont ainsi provoqué et contribué à provoquer de graves impacts sur les plans social, économique, culturel, et sur les droits civils et politiques des populations locales et autochtones [13].
En résumé, il ne fait aucun doute qu’Israël, État militarisé pratiquant un colonialisme de peuplement et l’apartheid, dépend fortement du soutien politique, économique et militaire de l’UE et de ses États membres, ainsi que d’autres acteurs puissants de la communauté internationale. En tant que tels, l’UE et les États membres devraient reconnaître qu’ils ont eux-mêmes contribué à la détérioration des droits humains en Palestine et envers le peuple palestinien, notamment par des moyens économiques, dont certains ont été énumérés dans cet article.
Cette reconnaissance devrait s’accompagner d’efforts réels susceptibles de permettre les changements structurels nécessaires pour garantir le respect des droits, des libertés et de la dignité des personnes. Il est temps que l’UE cesse de parrainer le colonialisme de peuplement, la persécution, l’apartheid et l’autoritarisme prévalant en Palestine. Il est temps de reconnaître les aspirations du peuple palestinien à l’unité et à la libération, et d’agir en conséquence.
À ce stade, il est devenu clair que ni l’UE ni ses États membres ne sont sérieux, désireux ou même capables de prendre les mesures nécessaires pour encourager une solution juste pour la Palestine. Les intérêts et priorités européens, tels que l’obtention de nouveaux approvisionnements en gaz naturel, sont très éloignés de ceux des Palestinien·nes qui cherchent à se libérer de décennies de persécution et d’une domination étrangère brutale.
Alors que l’UE continue à se bercer d’illusions en maintenant le « statu quo » et en continuant de prôner une solution à deux États (par le biais d’une aide financière pour les Palestinien·nes et d’une coopération et de récompenses croissantes pour Israël), et jusqu’à ce qu’elle ait le courage de reconnaître l’échec des accords d’Oslo, il est peut-être temps pour les Palestinien·nes (représentants officiels et société civile) de remettre en question sa foi dans la volonté politique et les capacités de l’Europe, et de cesser de déployer autant d’énergie dans la recherche de justice et de solutions politiques basées sur ces prémisses. C’est aussi l’occasion de raviver, de renforcer et d’établir de nouveaux liens avec d’autres acteurs et alliés au sein de la communauté internationale, en particulier dans les pays du Sud.
Maha Abdallah
Avocate palestinienne des droits humains, ex-chargée de plaidoyer international au Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS) et à Al-Haq, actuellement assistante doctorale à la faculté de droit de l’Université d’Anvers.
Traduction de l’anglais : Maurice Hérion
https://www.syllepse.net/multinationales-en-finir-avec-l-impunite–_r_22_i_924.html
Bibliographie
Al-Haq (2016), « Business and Human Rights in Palestine », Al-Haq, Ramallah.
Amnesty International (2022), « Israel’s apartheid against Palestinians : Cruel system of domination and crime against humanity », Londres.
DBIO (2021), « Exposing the financial flows into illegal Israeli settlements », Don’t Buy into Occupation Coalition.
FIDH (2012), « Trade Away Peace : How Europe helps sustain illegal Israeli settlements », ACT Alliance EU.
IMEU (2022), « Abraham Accords Isolate Palestinians, Solidify Israel’s Apartheid Rule », Policy Analysis, n° 5.
Moerenhout T. (2017), « The Consequence of the UN Resolution on Israeli Settlements for the EU : Stop Trade with Settlements », EJIL : Talk !, 4 avril.
OLP (2021), « Terrorizing a Nation : Israeli Settler Violence against the People of Palestine – A Year in Review (2021) », Negotiations Affairs Department, State of Palestine.
Notes :
[1] https://reliefweb.int/report/occupied-palestinian-territory/coercive-environments-israels -forcible-transfer-palestinians.
[2] Notamment grâce aux travaux du centre de recherche « Who profits » (www.whoprofits.org/).
[3] Lire notamment la « Déclaration des organisations sionistes sur la Palestine à l’occasion de la Conférence de la paix de Paris de 1919 » : https://www.jewishvirtuallibrary.org/zionist-organization-statement-on-palestine-at-the-paris-peace-conference.
[4] NDLR : ligne de démarcation entre forces israéliennes et arabes négociée à la fin de la guerre de 1948 et réaffirmée en 1967 comme « frontières » séparant Israël et un futur État palestinien.
[5] www.whoprofits.org/flash-report/mekorots-involvement-in-the-israeli-occupation/
[6] www.ohchr.org/sites/default/files/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session43/Docume nts/A_HRC_43_71.docx.
[7] Voir également : https://policy.trade.ec.europa.eu/eu-trade-relationships-country-and-region/countries-and-regions/israel_en#:~ :text=The %20EU %20is %20Israel’s %20biggest,amounted %20to %20%E2 %82%AC31.0 %20billion.
[8] https://al-shabaka.org/briefs/defeating-dependency-creating-resistance-economy/.
[9] https://dontbuyintooccupation.org/wp-content/uploads/2021/10/DBIO-report-DEF_aa ngepast.pdf.
[10] https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2019-11/cp190140en.pdf.
[11] Voir le site de l’initiative : https://stopsettlements.org/.
[12] www.eeas.europa.eu/eeas/israelpalestine-statement-high-representative-josep-borre ll-israeli-raids-six-palestinian_en.
[13] www.escr-net.org/sites/default/files/advocacy_paper_igwg_-_english_.pdf.
Le premier ministre israélien reçu à l’Elysée : la France ne doit pas être complice de la colonisation et des violations des droits du peuple palestinien
Communiqué LDH
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou est officiellement reçu par Emmanuel Macron ce jeudi 2 février 2023.
Benyamin Netanyahou vient de constituer le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël. « Un gouvernement aux valeurs fascistes » (selon l’ancien Premier ministre Ehoud Barak) qui comprend des ministres ouvertement racistes, homophobes et suprémacistes notamment en charge de la colonisation et de la police. Un gouvernement qui, en Israël même, veut s’affranchir du garde-fou que représente la Cour suprême. Un gouvernement qui veut accélérer la colonisation dans la perspective d’annexer la Cisjordanie. Un gouvernement qui veut mettre fin au statu quo (en place depuis 1967) concernant l’esplanade des Mosquées et les lieux saints de Jérusalem. Un gouvernement qui, à la suite des gouvernements précédents, entend poursuivre et amplifier une politique impitoyable de répression contre les populations palestiniennes à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et y compris contre les ONG de défense des droits fondamentaux.
Cette visite officielle du Premier ministre israélien a lieu au moment où se déchaîne, à nouveau, dans les Territoires palestiniens occupés et en Israël, l’engrenage de la violence : trente-sept morts Palestiniens, depuis le 1er janvier 2023, du fait des raids quotidiens de l’armée israélienne et des colons, sept Israéliens tués, par un jeune Palestinien, à Jérusalem-Est vendredi dernier.
Face à la violence de l’occupation militaire de la Cisjordanie et à la politique de fragmentation des Territoires occupés du fait de la colonisation, la France et l’Union européenne doivent passer aux actes.
La France doit reconnaître l’Etat de Palestine dans les frontières de 1967 ainsi que l’a voté l’Assemblée nationale en 2014, à la suite de l’admission, en 2012, par l’Assemblée générale de l’ONU, de la Palestine comme « Etat non membre observateur ».
Parce que l’Etat d’Israël est un Etat soumis aux mêmes règles de droit que les autres, la France et l’Union européenne doivent cesser de cautionner la politique israélienne de violation du droit international et agir pour que l’ONU fasse respecter ses résolutions.
L’Europe doit suspendre l’accord d’association qui la lie à Israël et pratiquer une interdiction totale et effective de toute entrée des produits des colonies israéliennes.
La France doit soutenir l’action de la Cour pénale internationale dans ses enquêtes pour des faits de crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Enfin la France doit protéger les défenseurs palestiniens des droits de l’Homme et notamment Salah Hamouri, avocat franco-palestinien expulsé de sa ville natale, Jérusalem.
Paris, le 2 février 2023
https://www.ldh-france.org/le-premier-ministre-israelien-recu-a-lelysee-la-france-ne-doit-pas-etre-complice-de-la-colonisation-et-des-violations-des-droits-du-peuple-palestinien/