La Marche mondiale des Femmes (MMF) embrasse les peuples péruvien et brésilien et réitère notre solidarité féministe et de classe.
Au Pérou, nous voyons une fois de plus comment les oligarchies, les classes dirigeantes, les pouvoirs économiques nationaux et transnationaux s’attaquent aux décisions du peuple, lorsque les gouvernements ne leur sont pas serviles. (Plus d’informations ici)
Le 7 décembre dernier, le coup d’État contre le président paysan et syndicaliste Pedro Castillo a finalement eu lieu. Pendant l’année du gouvernement du professeur Castillo, il y a eu des tentatives constantes de le renverser, on ne l’a jamais laissé gouverner. Depuis lors, le peuple péruvien est dans les rues pour exiger le rétablissement de son président, dénonçant l’usurpation et l’instauration d’une dictature. À ce jour, on dénombre plus de 45 victimes de la répression de la dictature de Boluarte.
Les femmes de la MMF s’associent au deuil des familles et des communautés péruviennes, en particulier dans les villes de Puno, Ayacucho et Cusco, et se joignent aux dénonciations de l’utilisation d’armes à feu contre les manifestations pacifiques et aux arrestations illégales que subissent les citoyen·ne·s péruvien·ne·s. Les demandes de fermeture du Congrès, de démission de Dina Boluarte, de libération de Pedro Castillo et de l’Assemblée constituante formulées par les femmes, les paysan·ne·s, les ouvrier·ère·s, les étudiant·e·s et les travailleur·ses du Pérou sont les doléances légitimes d’un peuple dont les droits politiques ont été violés.
Malheureusement, ce n’est pas seulement au Pérou que le fascisme montre ses griffes dans notre Amérique. Une semaine seulement après l’investiture du président Luiz Inácio Lula da Silva, nous avons vu avec horreur comment l’extrême droite a tenté de monter un coup d’État au Brésil.
La joie que les citoyen·ne·s brésilien·ne·s nous ont donnée le 1er janvier lors de la prise de pouvoir du gouvernement engagé envers son peuple, dirigé par le camarade ouvrier président Lula, a été gâchée une semaine plus tard par les actes de vandalisme brutaux de l’aile d’extrême droite bolonariste contre les bâtiments qui abritent les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire à Brasilia.
Le même scénario se répète sur tout le continent américain lorsqu’un gouvernement engagé au bien-vivre (buen vivir) et à la souveraineté des peuples assume la tâche de gouverner. Nous ne doutons donc pas de la responsabilité du financement de ces mobilisations antidémocratiques provenant de l’impérialisme nord-américain et des entreprises transnationales, qui ne sont intéressés que par l’expropriation des biens communs et l’exploitation des peuples et de leurs territoires, comme le permet le génocidaire Bolsonaro.
Nous nous joignons à la demande de la MMF Brésil et du mouvement social brésilien de ne pas accorder d’amnistie, de mener une enquête approfondie et de punir les auteurs du coup d’État (putschistes). Nous appelons à l’unité du mouvement populaire et à rester soudé·e·s pour affronter le fascisme de Bolsonaro dans les rues, à se maintenir en mobilisation permanente.
Plus jamais de dictature au Brésil et en Amérique latine.
Nous serons en marche jusqu’à ce que nous soyons toutes libres.
Marche mondiale des femmes, janvier 2023.
https://marchemondialedesfemmesfrance.org/2023/01/17/solidarite-feministe-avec-les-peuples-du-perou-et-du-bresil/#more-3720
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Pérou. « Une protestation fondamentalement andine et paysanne »
Quarante et un jours après le début du gouvernement de la présidente Dina Boluarte [le 7 décembre 2022, suite à la destitution et à l’arrestation du président Pedro Castillo], 49 personnes ont été abattues par les forces de sécurité dans le cadre de la répression des manifestations antigouvernementales. Une statistique consternante [voir ci-dessous le rapport de la CIDH]. Parmi les victimes, un policier, qui a été tabassé et brûlé vif par une foule en colère après que la police a tué 18 personnes lors de la manifestation dans la ville andine de Juliaca. A cela s’ajoutent sept villageois qui n’ont pas pu atteindre un centre de santé ou qui ont été tués dans des accidents dus aux barrages routiers.
Plus de 600 personnes ont été blessées, dont beaucoup par des tirs. Les revendications – la démission de Dina Boluarte, accusée des décès causés par la répression, la tenue cette année 2023 des élections prévues pour avril 2024 et le rejet du Congrès contrôlé par la droite – unifient une protestation de nombreux leaders locaux qui ne répondent pas aux partis politiques. Il s’agit d’une protestation fondamentalement andine et paysanne.
La répression sanglante, l’état d’urgence, les arrestations, les accusations de terrorisme visant les manifestant·e·s et la campagne menée par le gouvernement, le Congrès et les médias pour les criminaliser n’ont pas mis fin aux manifestations massives exigeant la démission de Dina Boluarte. Elles ont commencé dans la région andine du sud – la zone la plus pauvre et la plus discriminée, et aussi la plus identifiée à l’ancien président déchu et emprisonné Pedro Castillo – où elles sont massives et ont paralysé la région. Elles se propagent au reste du pays. Une grève illimitée a été appelée dans plusieurs régions. Lundi 16 janvier, les blocages de routes, nombreux dans le sud, ont atteint le nord. L’autoroute panaméricaine Nord a été bloquée dans la région de La Libertad, à quelque 500 kilomètres au nord de Lima. Les régions amazoniennes ont également rejoint les protestations.
La prise de contrôle de Lima
Depuis les Andes, où les mobilisations contre le gouvernement sont quotidiennes, les communautés paysannes et les citadins annoncent « la prise de Lima ». Autrement dit, une marche massive vers la capitale afin d’intensifier et d’élargir la contestation dans le centre politique et économique du pays. Ils ont déjà commencé à se diriger vers Lima depuis différentes régions. Craignant que les manifestations massives à Lima ne constituent le dernier moment d’un gouvernement qui fait étalage de la force répressive mais d’une grande faiblesse populaire et politique, les autorités ont menacé de ne pas les laisser atteindre Lima, où la population de la capitale se mobilise déjà pour exiger la démission de Boluarte. Selon une enquête de l’Instituto de Estudios Peruanos (IEP), la présidente a un taux de rejet de 71% et seulement 19% d’approbation. Le Congrès, qui la soutient et qui fait également l’objet de protestations, a un taux de rejet de 88% et seulement 9% d’approbation.
Dans un climat détresse et d’indignation, les rues des villes andines telles que Juliaca – une ville de la région montagneuse de Puno – et Ayacucho – où les forces de sécurité ont abattu respectivement dix-huit et dix villageois – se sont remplies d’immenses processions funéraires pour dire adieu à leurs morts. Ces derniers jours, à Cusco, on a rendu des adieux massifs au leader paysan Remo Candia Guevara, président de la Fédération paysanne de la province d’Anta. Il a été abattu mercredi dernier lors de la répression d’une manifestation dans cette ville. Des groupes musicaux se sont joints aux manifestations quotidiennes de protestation, lors desquelles les rythmes andins scandent « Dina, asesina, el pueblo te repudia » (« Dina, assassine, le peuple te rejette »).
Le prêtre argentin Luis Humberto Bejar était l’une des personnes présentes lors des adieux massifs aux 18 morts de Juliaca sur la place principale de la ville. C’était sa dernière activité publique à Juliaca après plus de 25 ans de sacerdoce dans cette ville andine. L’Eglise catholique lui a ordonné de quitter sa paroisse pour avoir soutenu les manifestations exigeant la démission de Dina Boluarte et qualifié d’« assassinats » les décès causés par les forces de sécurité. Luis Humberto Bejar affirme que la hiérarchie catholique a commencé à le harceler après ces déclarations. L’évêque de Puno, Oscar Carrión, lui a retiré son statut de curé de Pucará, où il officiait, et lui a demandé de se retirer pendant un an « pour réfléchir ». Dans une lettre adressée à Mgr Carrión, le prêtre argentin remet en cause la répression, affirme que Juliaca « sent la mort » et défend son intervention lors des manifestations en se disant proche des familles des victimes et en défendant « les droits fondamentaux des peuples quechua et aymara ».
Criminaliser la protestation
Dans sa volonté de discréditer et de criminaliser les manifestations, Dina Boluarte a déclaré que les fusils et les munitions destinés aux manifestants avaient été introduits en contrebande depuis la Bolivie. Elle accuse l’organisation bolivienne des « ponchos rojos » (ponchos rouges) de ce prétendu trafic d’armes et le met en relation avec une initiative de l’ancien président bolivien Evo Morales. Une accusation grave lancée sans présenter la moindre preuve, mais reprise en boucle par les médias. Les preuves manquent complètement, ce qui enlève toute crédibilité à l’affirmation de la présidente. Elle n’a pas été en mesure d’expliquer comment – dans l’hypothèse où les manifestants auraient été armés comme le prétend maintenant le gouvernement – tous ceux et celles qui ont été tué·e·s et blessé·e·s par des tirs sont les manifestant·e·s. Et il n’y a pas un seul policier tué ou blessé par des armes à feu. Les autopsies des 18 morts de Juliaca ont permis de retrouver des projectiles dans neuf corps – les neuf autres ont également été tués par des armes à feu, mais aucune trace des projectiles n’a été relevée ! – et les résultats confirment qu’ils ont tous reçu des projectiles provenant d’armes utilisées par la police, dans six cas des fusils AKM-47, dans deux cas des balles de fusils de chasse et dans un cas d’un tir de pistolet. Il existe des vidéos montrant des policiers et des militaires tirant sur des manifestants à Juliaca et ailleurs.
Détentions arbitraires
Des arrestations arbitraires sont signalées. Plus de 300 personnes ont été arrêtées depuis le début des protestations. A Ayacucho, Rocio Leandro, présidente du Front populaire de défense d’Ayacucho, et sept autres dirigeants ont été arrêtés, accusés d’avoir des liens avec le Sendero Luminoso (Sentier lumineux), une organisation armée maoïste active dans les années 1980 et 1990, neutralisée en tant que groupe armé depuis plus de 20 ans – à l’exception d’une colonne dissidente isolée dans une zone montagneuse – et qui a pour héritiers un groupe marginal qui agit désormais sur le plan politique plutôt que militaire. Dans les années 1990, Rocio Leandro a purgé une peine pour avoir fait partie du Sendero Luminoso, mais l’acte d’accusation de la police justifiant son arrestation actuelle ne présente pas de preuves qu’il ait encouragé des actions terroristes pendant les manifestations. Cette affaire vise à établir un lien entre les manifestations dans leur ensemble, le Sentier Lumineux et le terrorisme. La police présente comme « preuve » du terrorisme visant les détenus des livres de Marx, de Lénine ou de Mao qui ont été trouvés chez eux. En cela c’est aussi absurde que dangereux.
Carlos Noriega (Lima)
Article publié dans le quotidien argentin Pagina12 le 17 janvier 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/ameriques/amelat/perou/perou-une-protestation-fondamentalement-andine-et-paysanne.html
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CIDH: Une ambiance de stigmatisation généralisée et de racisme
La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) n’a trouvé aucune preuve au Pérou que les manifestants qui occupent les rues du pays depuis la chute du président Pedro Castillo font partie d’« une quelconque organisation », comme le prétend le gouvernement de Dina Boluarte. « Nous n’avons rien trouvé qui confirme une telle chose, mais plutôt une authentique manifestation de mécontentement face à la négligence, au désintérêt dont cette région (Puno) a historiquement souffert », a déclaré le chef de la délégation de la CIDH, Stuardo Ralón, qui s’est rendu à Juliaca, la ville qui a accumulé le plus de décès dus à la répression étatique depuis l’arrivée au pouvoir de Boluarte.
Pour Stuardo Ralón, ce qui se passe à Juliaca est « une véritable démonstration de l’abandon » de la ville, à laquelle la classe politique promet « beaucoup de choses » au moment des élections mais « ne tient pas ses promesses par la suite ». « C’est toujours une région qui semble très déconnectée, avec un niveau de pauvreté très différent de celui que l’on trouve dans la capitale », a déclaré Stuardo Ralón, cité par le quotidien péruvien La República.
Stuardo Ralón a déclaré qu’au lieu de voir une « manipulation » par des « éléments extérieurs» [Evo Morales et les ponchos rojos !], il a constaté « beaucoup de douleur et de tristesse » chez les gens. Il a également perçu « une ambiance de stigmatisation généralisée », dans laquelle « on tente d’indiquer que toutes les personnes qui manifestent leur mécontentement pourraient être qualifiées de terroristes », faisant appel à une ressource discursive qui invalide les manifestants de manière arbitraire.
« Ce qui est dans l’air, c’est une généralisation dans le discours, dans les déclarations de certains fonctionnaires qui alimentent une atmosphère d’agacement, d’indignation, qui ne contribue pas à pacifier la situation, mais alimente au contraire la violence », a affirmé Stuardo Ralón, en opposition au discours du gouvernement.
Note publiée dans le quotidien argentin Pagina 12, le 18 janvier 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/ameriques/amelat/perou/perou-une-protestation-fondamentalement-andine-et-paysanne.html
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Quand la majorité populaire, indigène, est qualifiée de terroriste et réprimée
« Dina [Boluarte] meurtrière, le peuple te rejette », a scandé une foule bruyante qui a manifesté dans les rues de Lima jeudi 19 janvier : le slogan a été repris dans différentes villes du pays. Munis de drapeaux péruviens – dont plusieurs avec des bandes noires remplaçant les bandes rouges en signe de deuil pour les victimes de la répression – des milliers de personnes sont descendues dans les rues du centre de la capitale. La journée de protestation a commencé vers midi et s’est prolongée dans la nuit. La police, qui avait investi le centre-ville, a réprimé les manifestant·e·s. Des affrontements ont eu lieu entre la police et les manifestants, ils se poursuivaient au moment de la mise sous presse.
Au milieu de ces affrontements, un énorme incendie s’est déclaré dans la soirée dans un vieux bâtiment du centre historique, près de la place San Martin, le cœur de la manifestation. Les flammes atteignaient plusieurs mètres de haut et la fumée commençait à recouvrir la zone. Le bâtiment était vide, mais les voisins ont dû évacuer les lieux avec ce qu’ils pouvaient emporter rapidement en raison du risque de propagation de l’incendie. Il y avait du désespoir. Lors de la mise sous presse, la cause de l’incendie n’avait pas été signalée.
De nombreux manifestants aymara de la région de l’altiplano de Puno ont brandi le drapeau wiphala [drapeau en damier aux couleurs de l’arc-en-ciel] des peuples indigènes. Ils ont également brandi des pancartes et scandé des slogans exigeant la démission de la présidente Dina Boluarte, ainsi que la tenue des élections cette année [et non pas en 2024], la révocation du Congrès contrôlé par la droite, la revendication d’une Assemblée constituante et la condamnation des responsables des morts causées par la répression. D’autres manifestants ont également demandé la libération de Pedro Castillo.
Un lent massacre populaire
Dans la plupart des régions du pays, au milieu de manifestations antigouvernementales massives, deux nouveaux morts ont été ajoutés à la liste noire de la répression. Dans la province de Macusani, dans la région de Puno, la paysanne Sonia Aguilar est morte mercredi 18 janvier d’une balle dans la tête, tirée par la police. Plusieurs personnes ont été blessées, dont Salomón Valenzuela, qui a reçu une balle dans la poitrine et est décédé jeudi 19.
Plus de 500 personnes ont été tuées par la répression, dont 44 ont été abattues par les forces de sécurité. Le gouvernement et la droite parlementaire et médiatique soutiennent les forces de sécurité accusées d’avoir tiré sur les manifestant·e·s et criminalisent ceux qui se mobilisent pour demander la démission de Dina Boluarte, les accusant d’être « violents » et « terroristes ».
Dans la nuit de jeudi à vendredi, alors que les affrontements entre la police et les manifestant·e·s se poursuivaient dans le centre de Lima et qu’une victime était déjà signalée à Arequipa, la présidente Dina Boluarte a diffusé un message dans lequel elle a qualifié le comportement de la police d’« irréprochable ». Elle a parlé de « protestations violentes » et a accusé les manifestant·e·s de vouloir « générer le chaos et le désordre pour prendre le pouvoir » et de chercher à « briser l’Etat de droit ». Faisant référence aux actions de protestation contre son gouvernement, elle a déclaré, sur un ton menaçant, que « les actes de violence perpétrés en décembre et janvier ne resteront pas impunis ». Mais elle n’a pas dit un mot sur les personnes abattues par les forces de sécurité, qu’elle a à nouveau soutenues, et sur les revendications pour que ces crimes ne restent pas impunis. A propos de la violence officielle meurtrière qui a causé les décès qui ont indigné la population contestataire, elle n’a pas parlé de sanctions. Une confirmation que le gouvernement mise sur l’impunité des forces de sécurité qui ont tiré sur les manifestant·e·s.
Les manifestations de jeudi dans la capitale, les principales villes et les provinces du pays ont eu lieu au cours d’une journée de grève nationale à l’appel de la Centrale générale des travailleurs du Pérou (CGTP) – la principale confédération syndicale du pays – et d’organisations sociales. De plus, les barrages routiers continuent.
« Prendre le contrôle » à Lima
Le point central de la journée était une grande marche à Lima, qui est placée sous l’état d’urgence, dès lors dès jeudi, les principales places et rues du centre-ville étaient cernées par des contingents de police. Le Palais du gouvernement et le Congrès sont encerclés par la police et les chars. Selon les informations officielles, le gouvernement a mobilisé 11 000 policiers dans la ville pour surveiller la marche de protestation. Ils ont lancé des grenades lacrymogènes sur des groupes de manifestant·e·s. Les affrontements entre la police et les manifestant·e·s se sont répétés tout au long de la journée et se sont intensifiés dans la soirée. La police a lancé des grenades lacrymogènes, des groupes de manifestant·e·s ont répondu en jetant des pierres, des bouteilles et des pavés qui ont été arrachés aux trottoirs.
Des milliers de personnes sont arrivées dans la capitale depuis différentes régions – notamment des Andes – pour se réunir dans une mobilisation massive dans le centre politique et économique du pays lors d’une marche appelée « la prise de Lima ». Ils se sont déplacés pendant des jours dans des caravanes de camions et de bus avec des encouragements massifs dans leurs lieux d’origine. Dans les villes qu’ils ont traversées, ils ont été accueillis par des applaudissements, des cris d’encouragement et des dons d’eau, de fruits et de nourriture.
Les manifestant·e·s, arrivés dans la capitale depuis l’intérieur du pays, sont descendus dans la rue jeudi à partir de midi. Ils ont séjourné dans deux universités [le mouvement étudiant soutenait la mobilisation], dans les locaux d’organisations sociales et chez des proches. Ils ont marché vers le centre de la ville, se réunissant sur le chemin. Plus tard, des personnes vivant à Lima les ont rejoints. Il n’y a pas eu de direction unifiée et les différents groupes ont pris des chemins séparés, ce qui a éparpillé la foule dans différentes rues du centre de Lima.
« Dina Boluarte meurtrière »
Une banderole indiquait « Dina Boluarte meurtrière, démissionne. Elections de cette année ». Sur un autre on pouvait lire : « Faites taire le Congrès corrompu ». Une femme portait une banderole avec une photo de la présidente et l’inscription « DiNazi ». Sur une autre était écrit « Dina Balearte » [balear renvoie au verbe tirer, abattre]. Alors qu’elle traversait le centre-ville, sous le regard menaçant d’un grand nombre de policiers, la foule scandait « Pérou, je t’aime, c’est pourquoi je te défends ».
« Il n’y aura pas de démocratie, il n’y aura pas de paix, si Dina Boluarte n’écoute pas les gens qui demandent sa démission», nous a déclaré le secrétaire général de la CGTP, Gerónimo López. Tous les manifestant·e·s consultés s’accordent à dire qu’outre Boluarte, le président du Congrès doit démissionner, car si la présidente démissionne il lui appartient formellement de la remplacer : il s’agit du général à la retraite, de tendance d’extrême droite, José Williams, accusé de violations des droits de l’homme contre les paysans dans les années 1980. Une personnalité qui est inacceptable pour les foules qui se mobilisent dans le pays. « La lutte continuera si Boluarte démissionne et si Williams veut rester. Il doit partir aussi », ont répété en chœur les manifestant·e·s.
Un « dialogue »placé sous la menace des tirs
Dina Boluarte a proposé un dialogue avec ceux qui sont venus à Lima pour demander sa démission, mais elle a en même temps déclaré que leurs revendications étaient « irréalisables ». Elle les a accusés de « vouloir briser l’institutionnalité du pays ». Leonela Labra, étudiante en histoire et présidente de la Fédération des étudiants de Cusco, a répondu : « Depuis le premier jour de votre gouvernement, vous nous avez criminalisés, vous avez assassiné nos camarades qui sont descendus dans la rue, en en ayant le droit, pour manifester contre ce gouvernement. Comment Dina Boluarte peut-elle dire qu’elle veut dialoguer alors que les forces de sécurité pointent une arme sur nos camarades ? Comment pouvez-vous appeler au dialogue alors qu’ils tiennent une arme sur nos têtes ? Dans ces conditions, il ne peut y avoir de dialogue avec ce gouvernement. »
L’appel à une Assemblée constituante est une autre revendication qui se fait entendre avec force dans les rues. « Il doit y avoir un référendum pour que le peuple décide s’il veut ou non une Assemblée constituante. Parce que les membres du Congrès sont opposés à cette solution démocratique », dit Leonela. Un récent sondage montre que 69% des personnes interrogées sont favorables à une Assemblée constituante.
De Cusco à Lima
L’avocate Florencia Fernández est également venue de Cusco pour protester à Lima. « Nous venons d’une ville historique comme Cusco où nous pensons que le cri libérateur de Tupac Amaru [fin XVIe siècle, soulèvement inca contre les conquérants espagnols] n’est pas terminé. Ils appellent la présidente «Balearte» parce qu’elle utilise des balles plutôt que des mots. Elle dit qu’elle est la première femme présidente du Pérou, mais nous lui disons qu’elle n’est pas une source de fierté pour les femmes car elle a tué nos enfants. » Elle fait une pause et ajoute : « Que la presse internationale sache que mon pays est au bord de la guerre civile à cause de cette classe politique qui n’a fait que détruire la démocratie. »
Eugenio Allcca est un agriculteur d’Apurímac, la région de Dina Boluarte. « C’est une meurtrière, ses mains sont souillées du sang de plus de cinquante Péruviens et Péruviennes, elle ne nous représente pas, elle est une honte pour le peuple d’Apurímac », dit-il avec une indignation qui devient plus perceptible lorsqu’il répond aux accusations de terrorisme lancées par le gouvernement contre les manifestants. « Ils nous appellent terroristes, trafiquants de drogue, ils nous appellent paysans ignorants, nous sommes le peuple qui se bat pour réclamer ses droits. Il n’y a pas de terroristes ici, le vrai terrorisme se loge au sein l’Etat. Nous devons continuer cette lutte avec force, nous ne devons pas avoir peur. »
De l’avis de Svetia Fernández, de l’Assemblée régionale des peuples de Tacna, une région frontalière avec le Chili, ce qui se passe au Pérou « est un moment historique, une étape importante pour la lutte populaire dans notre pays, où les classes les plus opprimées, qui ont été reléguées pendant de nombreuses années, manifestent après tous les outrages qui ont été commis au cours de l’histoire ».
Olga Mamani, une enseignante de la région de Moquegua, dans le sud du pays, a déclaré que « la mort de nos compatriotes nous a causé une douleur intense qui nous a poussés à nous mobiliser. Nous voulons la paix avec la justice. C’est un moment historique qui doit être un moment de triomphe. »
Ce sont ces voix qui protestent, ces voix que cachent les grands médias péruviens, dans lesquels les politiciens, les analystes et les ex-militaires criminalisent la protestation et appellent à davantage de répression. Un manifestant crie : « Le terruqueo (fausses accusations de terrorisme) ne va pas nous arrêter. » Un autre poursuit : « Nous, le peuple, sommes la majorité et la majorité gagnera. »
Carlos Noriega (Lima)
Article publié dans le quotidien argentin Página/12, le 20 janvier 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/ameriques/amelat/perou/perou-quand-la-majorite-populaire-indigene-est-qualifiee-de-terroriste-et-reprimee.html
En complément possible sur le Brésil :
Valerio Arcary : « Il est temps d’aller de l’avant contre les putschistes »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/01/13/il-est-temps-daller-de-lavant-contre-les-putschistes/
La Coalition Solidarité Brésil condamne les violences et attaques de l’extrême-droite au Brésil. Ensemble, restons vigilant·e·s !
Mobiliser les travailleurs pour affronter les putschistes de l’ultra-droite !
La Via Campesina répudie les actes anti-démocratiques
contre le gouvernement Lula
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/01/10/communique-de-la-coalition-solidarite-bresil-autre-texte/
En complément possible sur le Pérou :
Pablo Stefanoni : Pérou. « Qu’ils dégagent tous », encore une fois
Pérou : Déclaration de LVC contre la persécution des leaders paysan·nes et autochtones et les assassinats de manifestant·es
Face à la grave crise politique au Pérou, FAL solidaire du peuple péruvien (Communiqué)
La Marche Mondiale des femmes des Amériques se déclare solidaire du peuple péruvien
Soutien au peuple péruvien face à la répression sanglante
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/12/26/perou-quils-degagent-tous-encore-une-fois/