Face à la violence d’État, défendons nos droits partout

La répression des contestations écologiques, sociales et démocratiques a atteint un niveau rare, inédit depuis 60 ans et la guerre d’Algérie. À l’heure où les urgences sociales et climatiques se font plus pressantes, et poussent à multiplier des actions qui réveillent, les gouvernements récents banalisent la violence d’État.

Les mois prochains, nous qui signons ce texte organiserons ensemble des Assises citoyennes pour les libertés publiques et la défense de nos droits individuels et collectifs.

Pourquoi maintenant ? Parce qu’il y a des effets cliquets. La restriction des droits s’opère de façon cumulative par touches successives. À force, l’inacceptable d’hier semble ordinaire. Sans plus tarder, il est urgent d’agir pour retrouver des droits qui libèrent, des moyens pour les appliquer.

Les manifestant-es sont systématiquement « nassé-es », brutalisé-es, matraqué-es. Que vaut le droit de manifester, s’il signifie se faire frapper, gazer, mutiler, intimider, humilier ? Qui, encore, va joyeusement manifester sans avoir la peur au ventre ? C’est d’ailleurs pour cela que nous appelons aussi à une force de frappe juridique pour répondre aux éventuelles exactions policières, lors des mobilisations sur les retraites qui arrivent.

Les règles de l’état d’exception ont été transposées dans la loi ordinaire. Résultat : des assignations à résidence, des perquisitions abusives, des interpellations préventives, la liberté d’expression des associations étouffée, voire pire des dissolutions, à l’encontre d’une jeunesse révoltée par les injustices sociales et l’inaction écologique. Est-ce ainsi que l’État entend les préoccupations légitimes concernant l’avenir ?

De plus en plus de syndicalistes sont interdit-es d’exercer et renvoyé-es devant les tribunaux. Loi après loi, les compétences des instances représentatives du personnel sont partout rétrécies, amoindries. Depuis les lois Pénicaud et El Khomri, ce sont des millions de salarié-es qui voient leurs recours laminés. Les ordonnances Pénicaud abaissent tant les sommes obtenues pour licenciement abusif que les recours aux Prud’hommes ont massivement chuté ; les salarié-es n’ont presque plus de ressources face à l’arbitraire patronal. Surtout les jeunes, les femmes, les employé-es les moins payé-es, contraint-es d’obéir et de se taire. 

Ce sont les réformes de l’assurance chômage qui culpabilisent les chômeur-ses, et veulent les forcer à accepter n’importe quel boulot pénible, sous payé, sous peine de réduction des indemnités ou de radiation. Alors même qu’une grande partie, déjà, n’est pas indemnisée et vit dans la pauvreté.

Ce sont des femmes victimes de violences patriarcales mal accueillies dans les commissariats, les tribunaux, et la stigmatisation permanente des mouvements féministes. 

Ce sont des écologistes de terrain brutalisé-es, sans qu’aucune enquête sérieuse ne soit diligentée contre les violences policières. L’IGPN dépend du ministère de l’Intérieur.

Ce sont les jeunes perçus comme arabes, noirs, roms, gitans qui sans raisons subissent des contrôles au faciès répétés et d’autres violences policières, comme l’indique le Défenseur des Droits (« Discriminations et origines : l’urgence d’agir », 2020). Les constats des organismes protecteurs des droits sont invariablement méprisés.

Ce sont les prisons surpeuplées où les conditions d’existence sont indignes, les droits des détenus bafoués.

Ce sont aussi des aides aux migrant-es en détresse de plus en plus criminalisé-es, jusqu’à cinq ans de prison, 30 000 euros d’amende. Et que dire du sort des migrant-es eux-mêmes, pourchassés, parqués, désignés à la vindicte, victimes de traitements dégradants ? 

Toujours plus nombreux-ses, ce sont des sans-logis qui, plutôt que de mourir à petit feu sur un trottoir, occupent un logement vide parmi les 3,1 millions que compte notre pays, et des locataires qui ne quittent pas leur logement après un jugement d’expulsion, par peur de se retrouver à la rue : locataires et squatteur-ses pourront être condamné-es à 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende, selon une proposition de loi votée le 2 décembre 2022. La notion de domicile pourra être étendue aux « locaux à usage économique », ce qui facilitera l’expulsion des grévistes. Rappelons que 72% des logements locatifs sont détenus par de gros bailleurs, et que les loyers sont plus élevés que jamais.

Ce sont des journalistes et des lanceur-ses d’alerte régulièrement menacés de poursuite judiciaire.

Ce sont des personnels de l’éducation, rétif-ves à une sélection sociale accrue, suspendu-es ou muté-es dans « l’intérêt du service », sans même, parfois, l’énoncé du motif. Ce sont les inspecteur-trices du travail et les contrôleur-ses des fraudes fiscales d’entreprise, mis-es structurellement en sous-effectif, parfois sanctionné-es s’iels effectuent leur mission. D’ailleurs partout sont bloqué-es, écarté-es (récemment une préfète), les agent-es de service public soucieux de l’intérêt général plutôt que de plaire aux puissants.

C’est aussi la logique du soupçon envers les personnes de religion musulmane, ou renvoyées à cette assignation, qui est devenue l’une des obsessions des gouvernements successifs.

Le tout-sécuritaire, pour paraître justifié, suppose d’exaspérer continuellement les peurs. Elles alimentent les votes Le Pen. Le tout-sécuritaire débride aussi tous les « petits porteurs » d’autorité qui se sentent encouragés à être encore plus arbitraires : managers tyranniques, policiers par trop prompts à tirer, vigiles privés, dans telle université, qui font vider trois fois par jour leurs sacs aux étudiantes voilées, etc.

Ce sont tous ces faits et d’autres encore, invisibles, dont on dressera l’inventaire complet lors des Assises citoyennes pour les libertés, qui s’appuieront sur un large audit citoyen. Nous discuterons aussi des voies et moyens à mettre en œuvre pour qu’une vaste mobilisation populaire puisse transformer une situation de plus en plus inquiétante. 

Les 214 signataires :
Ali Aït Abdelmalek (sociologue)
Michel 
Agier (anthropologue)
Bastien 
Amiel (politiste)
Ariane 
Ascaride (actrice)
Daniel 
Bachet (sociologue)
Étienne 
Balibar (philosophe)
Gilles 
Bataillon (sociologue)
Adda 
Bekkouche (juriste)
Fatima 
Benomar (féministe) 
Michel 
Bilis (directeur d’Hôpital)
Pascal 
Binet (prof de SES)
Jacques 
Bidet (philosophe)
Philippe 
Blanchet (sociolinguiste)
Loïc 
Blondiaux (politiste)
Arnaud 
Bontemps (Nos services publics)
Martine 
Boudet (didacticienne)
Gérard 
Bras (philosophe)
Vincent 
Brenghart (avocat)
Dany 
Brunet (Les Déconnomistes)
Jérôme 
Bourdieu (économiste, Raisons d’Agir)
Philippe 
Büttgen (philosophe)
Dominique 
Cabrera (cinéaste)
Patricia 
Caillé (sciences de l’information et de la communication)
Claude 
Calame (anthropologue)
Benjamin 
Caraco (historien)
Laurent 
Cesari (historien)
Francis 
Chateauraynaud (sociologue)
Isabelle 
Charpentier (politiste)
Sébastien 
Chauvin (sociologue)
Natacha 
ChetcutiOsorovitz (anthropologue)
Jeanne 
Chiron (littérature du XVIIIème siècle, université Rouen)
Olivier 
Christin (sociologue)
Françoise 
Clément (militante altermondialiste)
Anina 
Ciuciu (écrivaine)
Yves 
Cohen (historien)
Patrice 
CohenSéat (avocat honoraire) 
Geneviève 
ConfortSabathé (journaliste)
René 
Coucke (médecin)
Émilie 
Counil (épidémiologiste)
Marylene 
Courivaud (haut-fonctionnaire)
Pierre 
Cours-Salies (sociologue)
Alexis 
Cukier (philosophe)
Laurence 
De Cock (historienne)
Christian 
Delarue (militant antiraciste)
Alizée 
Delpierre (sociologue)
Emmanuel 
de Lescure (sociologue)
Christian 
de Montlibert (sociologue)
Sophie 
Desrosiers (anthropologue)
Rokhaya 
Diallo (journaliste)
Paul 
Dirckx (sociologue)
Christèle 
Dondeyne (sociologue)
Bernard 
Dreano (militant altermondialiste) 
Vincent 
Drezet (ATTAC)
Christelle 
Dormoy-Rajramanan (sociologue)
Etienne 
Douat (sociologue)
Claire 
Ducournau (sociologue)
Julien 
Dufour (sociologue)
Philippe 
Enclos (juriste)
Annie 
Ernaux (écrivaine)
Jean-Baptiste 
Eyraud (Droit au logement)
Guillaume 
Faburel (géographe)
Jean-Pierre 
Faguer  (sociologue)
Patrick 
Farbiaz (militant écologiste, Fondation Copernic)
Didier 
Fassin (sociologue)
Éric 
Fassin (sociologue)
David 
Flacher (économiste)
Alain 
Frappier (dessinateur)
Désirée 
Frappier (scénariste)
Nathalie 
Frigul (sociologue)
Bruno 
Gaccio (auteur)
Jean 
Gadrey (économiste)
Isabelle 
Garo (philosophe)
Clélia 
GasquetBlanchard (géographe)
Franck 
Gaudichaud (historien)
Jean-Luc 
Gautero (philosophe)
Bertrand 
Geay (sociologue)
Patrick 
Geffard (professeur en sciences de l’éducation)
Julie 
Gervais (politiste)
Laurent 
Grisel (écrivain)
Pierre-François 
Grond, (prof d’histoire-géographie)
Robert 
Guediguian (cinéaste)
François 
Guichard (magistrat en retraite)
Sylvain 
Gugger (Prof de SES)
Thierry Guilbert (linguiste)
Elie 
Haddad (historien)
Christelle 
Hamel (sociologue)
Kaoutar 
Harchi (écrivaine)
Ingrid 
Hayes (historienne)
Jacqueline 
Heinen (sociologue)
Gaële 
HenriPanabière (sociologue)
Marie-Antoinette 
Hily (sociologue)
Nicolas 
Hubé (sciences de l’information)
Sabina 
Issehnane (économiste)
Richard 
Jacquemond (traducteur)
Lionel 
Jacquot (sociologue)
Chantal 
Jaquet (philosophe)
Nicolas 
Jaoul (anthropologue)
Gisèle 
Jean (prof SES)
Aurélie 
Jeantet (sociologue)
Samy 
Joshua (professeur en sciences de l’éducation)
Véronique 
Kannengiesser (clinicienne de l’éducation) 
Danièle 
Kergoat (sociologue)
Pierre 
Khalfa (économiste)
Isabelle 
LabordeMilaa (linguiste)
Thomas 
Lacoste (réalisateur, La Bande Passante)
Rose-Marie 
Lagrave (sociologue)
Bernard 
Lahire (sociologue)
Frédéric 
Lebaron (sociologue)
Catherine 
Leclercq (sociologue)
Michèle 
LeclercOlive (sociologue)
Olivier 
Le Cour Grandmaison (historien)
Hervé 
Le Crosnier (éditeur)
Sébastien 
Ledoux  (historien)
Cécile 
Lefèvre (sociologue)
Claire 
Lemercier (historienne)
Tristan 
Leperlier (sociologue)
Serge 
Le Quéau (membre du CESE)
Thérèse 
Levené (sciences de l’éducation)
Michael 
Löwy (sociologue)
Corinne 
Luxembourg (géographe)
Fanny 
Madeline (historienne)
Noël 
Mamère (député honoraire)
Gilles 
Manceron (historien)
François 
Marthouret (acteur)
Gilles 
Martinet (géographe)
Maurin 
Masselin (prof de SES)
Gustave 
Massiah (économiste)
Nicolas 
Mathieu (écrivain)
Caroline 
Mécary (avocate)
Georges 
Menahem (économiste)
Denis 
Merklen (sociologue)
Bertrand 
Mertz (avocat)
Christophe 
Mileschi (professeur d’études italiennes)
Serge 
Morand (écologue de la santé)
Gérard 
Mordillat (écrivain)
Anas 
Moutabarrik (Coudes à Coudes)
Danielle 
Moyse (philosophe)
Arnaud 
Muyssen (médecin hospitalier)
Corinne 
Nativel (politiste)
Mame-Fatou 
Niang (professeure de littérature francophone)
Julien 
O’Miel (politiste)
Philippe 
Olivera (historien)
Claude 
Paraponaris (économiste)
Dominique 
Paturel (militante écologiste, Fondation Copernic)
Willy 
Pelletier (sociologue)
Bruno 
Péquignot (sociologue)
Gwenaëlle 
Perrier (politiste)
Dominique 
Plihon (économiste)
Monique 
Pinçon-Charlot (sociologue)
Michel 
Pigenet (historien)
Rémy 
Ponge (sociologue)
Vincent 
Porhel (historien)‌‌
Raphaël 
Porteilla (politiste)
Emmanuelle 
Posse (professeure de philosophie)
Michel 
Potoudis (prof de SES)
Jérôme 
Prieur (documentariste)
Laurence 
Proteau (sociologue)
Aude 
Rabaud (sociologue)
Robin 
Renucci (directeur Théâtre national de Marseille)
Kim 
Reuflet (présidente du syndicat de la magistrature)
Emmanuelle 
Réungoat (politiste)
Carole 
ReynaudPaligot (historien)
Fabrice 
Riceputi (historien)
Nicolas 
Roinsard (sociologue)
Denis 
Robert (Blast)
Daniel 
Rome (enseignant retraité)
Olivier 
Roueff (sociologue)
Gaëlle 
Rougerie (Coudes à Coudes)
Michel 
Rousseau (co-président de Tous Migrants)
Bernard 
Sabathé (IPR-EPS)
Arnaud 
SaintMartin (sociologue)
Jean-Marc 
Salmon (sociologue)
Catherine 
Samary (économiste)
Gisèle 
Sapiro (sociologue)
Manuel 
Schotté (sociologue)
Sébastien 
Shulz (sociologue)
Mariette 
SibertinBlanc (urbaniste)
Evelyne 
Sire-Marin (ancienne magistrate)
Omar 
Slaouti (militant antiraciste)
Anthony 
Smith (inspecteur du travail)
Maboula 
Soumahoro (Présidente association Black History Month)
Alfred 
Spira (épidémiologiste)
Alexis 
Spire (sociologue)
Jan 
Spurk (sociologue)
Vanessa 
Stettinger (sociologue)
Emmanuel 
Sulzer (sociologue)
Philippe 
Tancelin (philosophe)
Annie 
ThébaudMony (Fondation Henri Pézerat)
Claude 
Thiaudière (sociologue)
Martin 
Thibault (sociologue)
Jacques 
Testart (biologiste)
Éric 
Toussaint (Cadtm international)
Assa 
Traoré (Comité justice et vérité pour Adama)
Henri 
Trubert (éditeur)
Fabien 
Truong (sociologue)
Patrick 
Vassalo (Pour une ESS d’émancipation)
Martine 
Vasselin (historienne de l’art)
Pierre 
Verdrager (sociologue)
Bernard 
Vernier (anthropologue)
Christiane 
Vollaire (philosophe)
Anita 
Weber (haut-fonctionnaire)
Tassadit 
Yacine (anthropologue)
Youlie 
Yamamoto (ATTAC)
Caroline 
Zekri (études italiennes)
Zaihia 
Zéroulou (sociologue)

https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/200123/face-la-violence-d-etat-defendons-nos-droits-partout

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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