Pérou : nous demandons l’intervention des mécanismes de protection des droits humains de l’ONU (+ autres textes)

  • Pérou : nous demandons l’intervention des mécanismes de protection des droits humains de l’ONU 
  • Une mobilisation à la croisée des chemins. La menace du camp militariste. La détermination populaire. Entretien avec Hernando Cevallos
  • Carlos Noriega Une intervention policière dans l’Université San Marcos: une action plus vue depuis la dictature d’Alberto Fujimori
  • Carlos Noriega : Dans la foulée de Lima, les « marches nationales » se propagent au sud
  • Carlos Noriega :« Boluarte dit que nous sommes des paysans ignorants, nous ne sommes pas ignorants, elle est ignorante, elle ne comprend pas ce pour quoi nous nous battons »
  • Communiqué de solidarité à l’égard des Péruviennes et Péruviens et de la communauté universitaire de San Marcos 
  • CGT – Note de l’espace international – Amériques : Mobilisations au Pérou : soutien au peuple Péruvien face à la répression sanglante !

Pérou : nous demandons l’intervention des mécanismes de
protection des droits humains de l’ONU 

La Coordination Latino-Américaine des Organisations Rurales CLOC – Via Campesina, exprime sa préoccupation quant aux violations des droits humains au Pérou dans le contexte de la crise politique générée par la destitution du Président Pedro Castillo.

La répression et la criminalisation de la contestation sociale s’intensifient dans le pays. À la suite du décret d’état d’urgence pris par l’exécutif le 14 décembre 2022, l’usage excessif de la force par les agents de l’État utilisant des armes à feu pour contenir les mobilisations sociales a entraîné jusqu’à présent la mort d’au moins 49 manifestants, dont des mineurs, et près de 500 blessés. La répression par les forces de l’ordre atteint un tel niveau d’intensité que 17 manifestants ont été tués en une seule journée le 9 janvier.

De graves actes de criminalisation et de délégitimation du mouvement paysan et populaire ont lieu, comme ce qui s’est passé le 17 décembre, lorsqu’un groupe de quatre-vingts membres de l’unité anti-terroriste de la police nationale péruvienne a fait une descente au siège de la Confederación Campesina del Perú (CCP) à Lima, une organisation membre de La Via Campesina et de la CLOC, arrêtant 26 dirigeant·es et paysan·nes de l’organisation. Ces paysan·nes, pour la plupart originaires de la région andine, étaient à Lima pour exercer pacifiquement leur droit à la liberté d’expression et d’association politique. En plus d’avoir été détenus plus longtemps que la loi ne l’autorise, ils n’ont eu qu’un accès limité à des avocat·es et à des interprètes, et après leur libération, ielles font toujours l’objet d’une enquête pour « terrorisme ».

Nous demandons la fin de la violence et de la répression de l’État contre le mouvement social qui revendique légitimement ses exigences, ainsi que le rétablissement de l’ordre démocratique et légal dans le pays, garantissant la participation populaire aux processus politiques et à la prise de décision actuelle et future.

Nous demandons une enquête sur la situation des droits humains au Pérou, en particulier des communautés paysannes et autochtones qui mènent les protestations.

Nous demandons l’intervention des mécanismes et instances de l’ONU pour garantir la protection des droits des paysan·nes et autres civils qui se mobilisent dans le pays.

Globalisons la lutte, globalisons l’espoir !

https://viacampesina.org/fr/perou-nous-demandons-lintervention-des-mecanismes-de-protection-des-droits-humains-de-lonu/
Perú: solicitamos la intervención de los mecanismos de protección de derechos humanos de la ONU
https://cloc-viacampesina.net/solicitamos-proteccion-de-derechos-humanos-peru
Peru: We request the intervention of UN human rights protection mechanisms
https://viacampesina.org/en/peru-we-request-the-intervention-of-un-human-rights-protection-mechanisms/

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Une mobilisation à la croisée des chemins.
La menace du camp militariste. La détermination populaire.
Entretien avec Hernando Cevallos

Hernando Cevallos, un médecin de 66 ans, a été le premier ministre de la Santé du gouvernement de Pedro Castillo. Il s’est attaqué avec succès à la pandémie de Covid et a mené la campagne de vaccination, ce qui a fait de lui le ministre le plus reconnu de ce gouvernement. Toutefois, il a quitté ce poste un peu plus de six mois après son entrée au gouvernement en raison de la pression exercée par le Perú Libre (PL), le parti qui a porté Castillo au pouvoir, pour qu’il place un de ses militants au ministère. Hernando Cevallos, un dirigeant de gauche de longue date, n’est pas un militant du PL. Il a étudié la médecine à l’Universidad Nacional de La Plata (Buenos Aires, Argentine). Il a ensuite vécu pendant plusieurs années en Argentine, où vit aujourd’hui l’un de ses fils. Il a commencé à étudier en 1975 et a dû vivre sous la dictature [des militaires argentins]. Il affirme que plusieurs de ses camarades ont disparu et qu’il a témoigné devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme pour dénoncer ces disparitions. Lorsqu’il est retourné au Pérou dans les années 1990, il a rejoint le secteur de la santé publique et la gauche. Leader syndical, il a été élu en 2016 député du Frente Amplio (gauche), poste qu’il a quitté en 2019 lorsque Martín Vizcarra [président de la République du Pérou de mars 2018 à novembre 2020] a dissous le Congrès [en septembre 2019]. Il a participé à la mobilisation massive dans les rues de Lima jeudi dernier pour exiger la démission de Dina Boluarte. Nous nous sommes entretenu avec lui.

Quel bilan faites-vous des mobilisations populaires qui ont organisé la présence de personnes de tout le pays à Lima jeudi dans « la prise de Lima » [voir à ce sujet l’article publié sur ce site le 20 janvier] ?
C’est un véritable mouvement social, les gens veulent être entendus et ils ne le sont pas. Les mobilisations sont massives. Les gens se sentent complètement abandonnés. Cela s’est aggravé. Ces mobilisations ont des leaders régionaux. La mobilisation à Lima a été massive. Malgré les énormes difficultés, elle a été l’expression de la présence d’importantes délégations venues de différentes régions du pays. Cela nous montre aussi que le camp populaire doit améliorer son organisation, mieux centraliser son leadership. Cette mobilisation a montré l’intransigeance de la police, qui a entravé en permanence toute la marche. La stratégie contre les marches a été de tirer pour tuer afin de démobiliser la population de la manière la plus brutale, pour diminuer l’intensité de la réponse sociale et populaire. Mais ils n’ont pas réussi. Au contraire, ils ont suscité un niveau d’indignation croissant. Les médias tentent de minimiser ces marches et parlent à longueur de journée de manifestant·e·s violents, essayant de faire en sorte que les actes de violence qui ont eu lieu soient considérés comme une généralité.

Pensez-vous que derrière ces actions violentes dans les manifestations il y a des infiltrés qui répondent à la droite, au fujimorisme [en rapport avec Keiko Fujimori, dirigeante de Force populaire, parti libéral conservateur, et fille d’Alberto Fujimori] ?
Je n’ai aucun doute là-dessus. Il existe un mouvement violent d’extrême droite lié au fujimorisme appelé La Resistencia (La Résistance), qui est très organisé et possède une capacité opérationnelle. Il s’infiltre dans les marches et organise des initiatives violentes afin de casser toute sympathie de l’opinion publique pour ces protestations.

Que pensez-vous du message de Boluarte, jeudi soir, 19 janvier, dans lequel elle applaudit la répression et criminalise les manifestations?
C’est un message irresponsable, qui nous montre le désespoir du gouvernement qui ne peut pas contrôler la situation. Il révèle qu’il a le sentiment de ne pas avoir de solution. Ce message reflète leur crainte des luttes populaires qui se développent. Leurs tenants justifient la violence de la répression parce qu’ils savent que leur démission du gouvernement implique d’être poursuivis pour crimes contre l’humanité. Les secteurs qui représentent les groupes de pouvoir savent que s’ils perdent ce bras de fer face aux protestations populaires, ce qui est en jeu, ce sont des changements fondamentaux et structurels. Ils savent que l’enjeu est bien plus important que le destin de la présidente par intérim Dina Boluarte. La présence d’un secteur militariste pour lequel la « solution » doit s’imposer par le sang et le feu a été vérifiée.

Après le message de Dina Boluarte, reste-t-il une place pour le dialogue ou a-t-on atteint un point de non-retour ?
Je ne vois pas de sortie de crise avec Dina Boluarte. Je pense qu’il y a un point de non-retour. Il y a des revendications du peuple qui ne peuvent pas être abandonnées. Ce que le peuple ne pardonnera pas, c’est le nombre de morts. Des manifestant·e·s qui n’avaient pas d’arme à la main ont été tués. Les protestations continueront parce que les blessures sont trop graves et les niveaux de mobilisation trop élevés. Ce problème ne sera pas résolu tant qu’il y aura de l’impunité. Il n’y a pas d’issue qui permette à ce gouvernement de continuer avec le poids de ce fardeau de morts. La démission de Boluarte est inévitable.

Dina Boluarte a insisté sur le fait qu’elle ne démissionnera pas.
Si la mobilisation est maintenue et que davantage de secteurs sociaux se joignent à la lutte, au-delà d’une déclaration provocatrice, le gouvernement pourrait faire marche arrière et Boluarte pourrait démissionner. L’une des raisons pour lesquelles elle ne démissionne pas est qu’elle sait qu’il n’y a pas de renouveau politique possible pour elle. Si elle démissionne, elle sera certainement poursuivie pour les meurtres de manifestant·e·s et finira en prison.

Si Boluarte ne démissionne pas et que le Congrès n’avance pas à cette année les élections prévues pour 2024, que pourrait-il se passer ?
Cela ouvre un scénario très risqué pour le pays, avec la possibilité d’un affrontement beaucoup plus grand, avec des conséquences terribles, beaucoup plus graves que ce qui se passe actuellement. Les gens sont très indignés.

Si Boluarte démissionne, elle sera remplacée par le président du Congrès, le général à la retraite d’extrême droite José Williams, qui a été accusé par le passé de violations des droits de l’homme. Au lieu de résoudre la crise, cela ne va-t-il pas l’aggraver ?
La démission de Boluarte ne suffira pas à résoudre la crise; la population exige également la démission de José Williams afin qu’un nouveau conseil du Congrès puisse entrer en fonction et qu’un nouveau président remplace Dina Boluarte. La démission de José Williams est également indispensable. Le peuple a une position très claire, il vient d’une expérience de répression très dure, il veut que Boluarte et Williams partent. Il veut des élections cette année, il veut que tous les assassins de manifestant·e·s soient jugés et il veut qu’un référendum soit organisé pour une Assemblée constituante.

Comment interprétez-vous les accusations de liens avec le terrorisme portées par le gouvernement et la droite contre les manifestations ?
Les partisans du pouvoir doivent dire quelque chose pour justifier la barbarie qu’ils infligent. Ces affirmations ne résistent pas à la moindre analyse, il n’y a aucun moyen de les justifier. Aucune des personnes tuées n’a été trouvée en possession d’une arme, il n’y a aucun moyen de dire que les forces de sécurité se sont défendues. Selon les experts, les coups de feu ont été tirés pour tuer. Il y a un vrai plan politique.

Quel est ce plan politique ?
… mettre en place un régime policier, un régime dictatorial, probablement avec des caractéristiques populistes. Ce plan implique que la droite gagne les élections et reste au pouvoir. C’est pourquoi ils ont mis tant d’énergie à démobiliser les gens.

La gauche a-t-elle un choix à faire lors des prochaines élections ?
Ce que l’expérience de ces deux derniers mois nous montre, c’est que le désir de changement, la clarté avec laquelle notre peuple identifie les ennemis de classe, les groupes de pouvoir, la nécessité de lutter contre la corruption et pour des changements profonds, sont plus vivants que jamais. La droite n’a pas été capable de tuer cela. La gauche a le défi d’ajuster son programme à ce que veut le Pérou, de rechercher les niveaux de coordination et d’unité nécessaires parce que la droite dispose d’une force qui ne peut être affrontée par un parti de gauche isolé. La gauche a un capital énorme, qui réside dans l’espoir du peuple, et cela se manifeste par ces mobilisations massives de personnes qui ne se sont pas laissées duper par la droite.

Avez-vous été surpris par le niveau de soutien à Pedro Castillo après sa chute ?
Même s’il n’a pas tenu ses promesses, il continue d’être une référence populaire, les gens ont toujours le sentiment qu’il est l’un des leurs. Il y a un secteur qui vient défendre Castillo parce qu’il a été maltraité [arrêté et incarcéré] et cela a suscité l’indignation de la population. J’ai l’impression que cela va au-delà de Castillo. Les gens ne se concentrent pas sur le retour de Castillo comme moyen de résoudre la situation. C’est un phénomène qui résulte de nombreuses années de désintérêt des dominants pour le peuple péruvien. Le Pérou n’est jamais devenu une nation, vous parcourez le pays et vous voyez des endroits où l’Etat n’existe pas. Les personnes qui se sentent négligées se sont identifiées à la candidature de Pedro Castillo parce qu’elles l’ont vu comme un homme des hauts plateaux, comme un cholo, mais un humble cholo comme eux, pas un cholo comme Alejandro Toledo [président de 2001 à 2006, son épouse, Eliane Karp, anthropologue de nationalités belge, états-uniennes, ayant fait ses études à l’Université de Stanford]. Et c’est pourquoi il l’a fait sien. On peut l’accuser d’être un voleur, de ne pas bien faire les choses, de ne pas bien parler, mais le peuple a le sentiment qu’il est l’un des leurs et qu’on le lui a enlevé.

Comment évaluez-vous le gouvernement de Castillo maintenant ?
C’était un gouvernement contradictoire, qui est difficile à définir. Il a progressé dans certains ajustements à la crise, mais il n’a jamais osé toucher aux principaux intérêts du pays. Il n’a pas rompu le contact avec le peuple, mais il perdait du terrain, désenchantant de nombreuses personnes, mais le peuple continuait à attendre de Castillo qu’il soit capable de prendre des décisions fondamentales. Nous n’étions pas à un point de rejet, nous étions à un point où les gens disaient « président, quand allez-vous vous y mettre ». Les gens savent que la droite l’a bloqué, menacé, acculé, que les médias l’ont attaqué. La Constitution est une camisole de force pour tout gouvernement. Elle ne permet pas de toucher aux intérêts des entreprises, les contrats ne peuvent pas être discutés, l’Etat ne peut pas planifier ou diriger les affaires. J’ai senti que Castillo était sous pression et que cela générait beaucoup d’insécurité. Il y a eu beaucoup de va-et-vient. Nous parlions de prendre des décisions qui n’ont pas été prises.

Que pensez-vous des accusations de corruption contre Castillo ?
Les médias sont plus préoccupés par quelqu’un qui vole un bonbon que par ceux qui ont volé le pays. Mais ça ne l’excuse pas. Je ne peux pas porter de jugement sur ces accusations, mais il y a des signes inquiétants.

Carlos Noriega (Lima)

Entretien publié sur le site du quotidien argentin Pagina/12, le 21 janvier 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/ameriques/amelat/perou/perou-une-mobilisation-a-la-croisee-des-chemins-la-menace-du-camp-militariste-la-determination-populaire-entretien-avec-hernando-cevallos.html

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Une intervention policière dans l’Université San Marcos :
une action plus vue depuis la dictature d’Alberto Fujimori

Dimanche soir 22 janvier, le ministère public a ordonné la libération de 192 manifestant·e·s et étudiant·e·s arrêtés samedi à l’Universidad Nacional Mayor de San Marcos [à Lima]. L’un d’entre eux a été détenu pour avoir été destinataire, selon les autorités, d’un acte d’accusation. Parmi les détenus se trouvait une fillette de huit ans, qui avait été emmenée au poste de police avec sa mère. Au moment de la mise sous presse, les détenus n’avaient pas encore été libérés. Ils sont détenus dans les locaux de la police, une partie dans ceux de la direction de l’antiterrorisme et un autre auprès de la direction de la criminalistique.

La Coordination nationale des droits de l’homme (CNDDHH) et l’Institut de défense juridique (IDL) avaient présenté une pétition d’habeas corpus demandant la libération des 200 personnes qui ont été détenues samedi lors d’une opération de police dénoncée comme illégale. L’habeas corpus alléguait que des droits constitutionnels avaient été violés et que les détentions étaient illégales. Les détenus, qui ont été traités comme de dangereux criminels lors de l’opération de police à l’université [en Amérique latine, ces dernières jouissent d’un statut d’autonomie, la police habituellement ne peut y entrer], auraient été maltraités, menacés, auraient reçu des insultes racistes, auraient été battus et harcelés.

Intervention illégale à l’université
Les images de chars défonçant les portes de la plus ancienne et de la plus grande université du pays, et de centaines de policiers pénétrant violemment dans le centre d’études pour procéder à des arrestations massives, ont ravivé les souvenirs de sombres périodes autoritaires. Une intervention policière dans une université comme celle de ce samedi à San Marcos n’a pas été vue depuis la dictature d’Alberto Fujimori dans les années 1990. Un pas de plus dans l’avancée autoritaire d’un gouvernement comme celui de Dina Boluarte, allié à l’extrême droite, et qui est soutenu par une répression qui a déjà fait 46 morts sous les balles de l’armée et de la police.

La plupart des personnes arrêtées à San Marcos étaient des manifestant·e·s venus de l’intérieur du pays pour protester dans la capitale en demandant la démission de Boluarte et qui logeaient dans l’école. Les étudiant·e·s qui se trouvaient avec les manifestant·e·s de l’intérieur du pays au moment de l’opération de police ont également été arrêtés. Cette action policière avait clairement pour objectif d’intimider les manifestant·e·s anti-gouvernementaux de l’intérieur du pays qui s’étaient rassemblés à Lima [et dont une partie avait trouvé les locaux universitaires pour se loger momentanément], de les démobiliser, de les pousser à retourner dans leurs régions. Mais les protestations anti-gouvernementales continuent.

Protestations et barrages routiers
Des manifestations et des blocages de routes ont lieu quotidiennement dans différentes régions du pays. Ce dimanche 22 janvier, des affrontements ont eu lieu entre la police et des manifestant·e·s dans la région d’Arequipa, lorsqu’un poste de police a été attaqué dans la zone de La Joya. Les mobilisations se sont répétées à Lima. Elles y sont quotidiennes depuis jeudi, lorsque la dite « prise de Lima » a commencé par une mobilisation anti-gouvernementale massive dans les rues du centre de la capitale – qui a été interrompue par la répression – avec la participation active de délégations des provinces. Celles-ci ont été attaquées lors de l’opération policière à l’Université San Marcos. Ce dimanche, les manifestations anti-gouvernementales se sont répétées dans différentes rues de Lima. Au moment de la mise sous presse, elles se déroulaient sans incident notable.

Tôt le matin, un groupe important s’est rassemblé devant le poste de police où sont détenus les prisonniers du San Marcos, pour demander leur libération. Ils sont restés là pendant plusieurs heures. Des manifestations de célébration ont eu lieu lorsqu’ils ont appris la décision du ministère public de les libérer, qu’ils espéraient voir exécutée.

« Cette opération de police à San Marcos a été illégale et arbitraire. Elle a commencé sans la présence des procureurs, ce qui a ouvert un scénario de violations des droits fondamentaux des détenus. Ils ont été jetés à plat ventre sur le sol, menottés, maltraités, insultés, harcelés, certains battus, privés de l’assistance en temps voulu d’avocats, et montrés à la télévision comme des criminels. Il s’agit d’une violation très grave de la légalité, quelque chose que nous n’avions vu que sous l’ère Fujimori [1990-2000] », a déclaré Carlos Rivera, avocat de l’Institut de défense juridique (IDL).

Carols Rivera a souligné que l’état d’urgence, utilisé par les autorités comme excuse pour justifier l’intervention de la police, ne donne pas le feu vert à ce type d’action. « Il s’agit d’une action irrationnelle et disproportionnée qui enfreint même ce qu’autorise l’état d’urgence. » L’avocat a annoncé de dépôt de plaintes légales contre le ministre de l’Intérieur, Vicente Romero, et les chefs de la police responsables de cette opération policière et de ces arrestations. « Nous allons déposer les plaintes pénales et constitutionnelles correspondantes. Nous ne pouvons pas permettre que les humiliations à la dignité et à la liberté des personnes passent inaperçues. »

Une « marche nationale » avec le mot d’ordre « Dina démissionne maintenant » a été convoquée pour mardi 24 janvier. La plate-forme des protestations exige également la démission du président du Congrès, le général d’extrême droite José Williams, au passé chargé d’accusations de violations des droits de l’homme, qui devrait [selon les normes constitutionnelles] remplacer Dina Boluarte si elle démissionnait – ce qui n’est pas accepté par la mobilisation populaire. Les autres revendications qui stimulent les protestations – que la répression brutale n’a pas réussi à arrêter – sont les suivantes : la condamnation des responsables des morts par la répression, des élections anticipées cette année, un référendum pour une Assemblée constituante et, dans une moindre mesure, la libération de Pedro Castillo

Carlos Noriega (Lima)
Article publié par quotidien argentin 
Pagina/12, le 23 janvier 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/ameriques/amelat/perou/perou-une-intervention-policiere-dans-luniversite-san-marcos-une-action-plus-vue-depuis-la-dictature-dalberto-fujimori.html

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Dans la foulée de Lima, les « marches nationales » se propagent au sud

Ce mardi 24 janvier, il y aura une « grande marche nationale » exigeant la démission de la présidente Dina Boluarte [voir l’article ci-dessous]. La veille, un groupe important a manifesté dans les rues du centre-ville de Lima [voir les articles publiés sur ce site en date du 20, 21 et 23 janvier]. Comme lors des précédentes manifestations, la police a réprimé les manifestant·e·s. Ils ont tiré des grenades avec gaz lacrymogène pour les empêcher de se déplacer. Ces derniers ont répondu en lançant des pierres et des bâtons. A l’heure où nous mettons sous presse, la répression se durcit. Jusqu’à présent, aucun blessé n’a été signalé. Les protestations qui ont éclaté en décembre dans le sud des Andes se sont étendues à une grande partie du pays et ont pris le devant de la scène à Lima depuis jeudi 19 janvier, où une manifestation massive a été durement réprimée, faisant plusieurs blessés et plus de trente arrestations. Cette répression s’est poursuivie les jours suivants, mais elle n’a pas mis fin aux manifestations, qui se répètent quotidiennement dans la capitale depuis lors.

Mardi, une grande mobilisation de protestation devrait rassembler dans le centre de Lima les différents groupes mobilisés qui, ces derniers jours, ont manifesté sans grande coordination entre eux. Des villageois de l’intérieur du pays sont venus dans la capitale pour manifester dans les rues de la ville, dans ce qui a été appelé « la prise de Lima ». Le gouvernement les harcèle, cherchant à faire pression sur eux pour qu’ils retournent dans leurs régions. Mais ils disent qu’ils n’abandonneront pas la lutte tant que Dina Boluarte ne démissionnera pas. Ils ont été à l’avant-garde des protestations à Lima ces jours-ci. Les organisations qui les soutiennent et les accueillent disent qu’ils sont « plusieurs milliers ». De nouveaux groupes se préparent à se rendre à Lima.

Le ministre de l’Intérieur, Vicente Romero, devra se présenter devant le Congrès pour répondre de l’intervention policière de ce samedi à l’Université de San Marcos – dénoncée comme illégale [voir sur ce site l’article du 23 janvier] – pour arrêter environ 200 résidents venus à Lima pour rejoindre les manifestations et qui y logeaient. Mais le soutien de l’aile droite le protège d’une éventuelle sanction qui pourrait l’obliger à quitter ses fonctions. Les détenus de San Marcos ont été libérés le lendemain par le ministère public au motif que leur arrestation n’avait pas de raison d’être, ce qui confirme le caractère arbitraire de ces détentions. Leur arrestation, les mauvais traitements et les menaces dont ils ont fait l’objet font partie de l’intimidation visant ceux qui se mobilisent pour exiger le départ de Dina Boluarte et la tenue d’élections cette année.

Blocages de routes
La « grande marche nationale » sera répétée dans différentes régions, où les manifestations n’ont pas cessé un seul jour depuis leur reprise le 4 janvier, après une brève trêve de Noël. Les blocages de routes se poursuivent. Selon un rapport officiel publié lundi 23 janvier, plus de 70 piquets de grève bloquent les routes dans 10 des 25 régions du pays. Les autoroutes panaméricaines Sud et Nord et l’autoroute centrale menant aux régions andines, les trois principales autoroutes du pays, ont été bloquées sur différents tronçons. Lundi, des affrontements ont eu lieu dans la région de Huanuco, dans le centre du pays, lorsque la police a attaqué un piquet de grève sur l’autoroute centrale. Les affrontements sur les routes sont devenus fréquents, la police attaquant, débloquant une route, puis cette dernière est bloquée à nouveau. Des centaines de véhicules, principalement des camions transportant de la nourriture, sont arrêtés sur différentes routes en raison des blocages. Dans différentes régions, il existe des problèmes d’approvisionnement.

Le sud, paralysé
Le sud andin du pays, où sévit une grève illimitée, reste paralysé. C’est la zone où les protestations sont les plus fortes et où la répression a été la plus dure. C’est là que la plupart des quelque cinquante personnes ont été tuées par des tirs de la police et de l’armée. A Arequipa, à quelque 900 kilomètres au sud de Lima, un policier capturé par des manifestants dimanche a été libéré. Le policier a été capturé lors d’une attaque contre le poste de police du district de La Joya. Selon des témoignages de manifestants, cités par le journal d’Arequipa El Búho, ils manifestaient pacifiquement lorsque la police a arrêté deux personnes. Les manifestants se sont rendus alors au poste de police pour demander leur libération et ils ont été réprimés par la police. Des coups de feu ont été tirés et des personnes ont été blessées. Cela a déclenché l’indignation populaire et l’attaque du poste de police a eu lieu. La police a fini par s’enfuir. C’est dans ces circonstances que le policier a été capturé et relâché quelques heures plus tard. Dans la région côtière d’Ica, à quelque 300 kilomètres au sud de Lima, des manifestants ont pénétré lundi dans des fermes appartenant à des sociétés d’agro-exportation.

Ministère public et militarisation
Dans une nouvelle étape de la militarisation du pays, le président du pouvoir judiciaire, Javier Arévalo, a demandé aux forces armées de prendre le contrôle de la sécurité des tribunaux dans tout le pays. Il a justifié sa demande en rappelant que depuis décembre, lors des manifestations, quatorze tribunaux ont été attaqués en divers endroits.

Le chef du cabinet ministériel, Alberto Otárola, a témoigné lundi devant le ministère public dans le cadre de l’enquête sur les plus de quarante décès causés par la répression. Alberto Otárola est la figure la plus influente et autoritaire derrière Dina Boluarte. Il a justifié la répression sanglante et a soutenu à plusieurs reprises les forces de sécurité accusées d’avoir tiré sur les manifestants.

La réaction contre la présidente Boluarte est de plus en plus forte. La ministre du Logement, Hania Pérez de Cuéllar, qui a gardé un profil bas dans cette crise, a été chassée à coups de pierres d’un village de la région de Piura, dans le nord du pays, où les protestations ne se sont pas exprimées jusqu’à présent. Elle est allée inspecter les travaux d’assainissement, il n’y avait aucun problème, jusqu’à ce qu’elle mentionne Dina Boluarte dans son discours louangeux. Alors, la colère des personnes présentes s’est déchaînée. La colère des citoyens et citoyennes contre le gouvernement Boluarte, soutenu par la droite, ne faiblit pas. 

Carlos Noriega (Lima)
Article publié dans le quotidien argentin 
Página/12 le 24 janvier 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/ameriques/amelat/perou/perou-dossier-dans-la-foulee-de-lima-les-marches-nationales-se-propagent-au-sud.html

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« Boluarte dit que nous sommes des paysans ignorants,
nous ne sommes pas ignorants, elle est ignorante,
elle ne comprend pas ce pour quoi nous nous battons »

« Allez les gens, bordel, le peuple n’abandonne pas, bordel », a crié la foule en réponse aux gaz lacrymogènes et aux plombs tirés par la police pour l’empêcher d’avancer dans les rues de Lima. Le centre de la capitale a été envahi mardi 24 janvier par des manifestant·e·s réclamant la démission de la présidente Dina Boluarte, des élections anticipées cette année, une Assemblée constituante et la dissolution du Congrès discrédité et contrôlé par la droite. Dans ce qui a été appelé la « grande marche nationale », des personnes de différentes régions du pays ont joué un rôle de premier plan dans la manifestation. Les hommes et les femmes qui avaient fait un long voyage jusqu’à Lima depuis différentes régions, notamment les Andes, marchaient avec détermination. Beaucoup d’entre eux et elles portaient des vêtements traditionnels de leur région, ajoutant à la manifestation couleur, détermination et courage.

Le centre de Lima en ébullition
Comme à d’autres occasions, la manifestation a commencé de manière pacifique, jusqu’à ce que la police attaque pour établir un barrage et les disperser. Les manifestant·e·s ont répondu en lançant des pierres, des bâtons et tout ce qui leur tombait sous la main. La place San Martin, point de rencontre traditionnel des manifestations sociales et politiques, a été le théâtre principal de la répression policière. La police s’est acharnée à déloger les manifestants. Certains manifestant·e·s se sont protégés, sur la ligne de front, avec des boucliers en bois faits maison, essayant de stopper l’avancée de la police.

Les grenades de gaz lacrymogène ont recouvert l’endroit de fumée et l’ont rendu irrespirable. La police tirait sans cesse des chevrotines. La confrontation a été inégale et la police a réussi à faire sortir les manifestants de la place San Martin. La répression s’est poursuivie dans d’autres rues du centre et était toujours en cours au moment de la mise sous presse. Jusqu’à présent, il n’y a eu aucun rapport de blessures ou d’arrestations.

« Dina, meurtrière, tu as tué nos enfants », a crié la foule alors que la répression s’intensifiait. « Le sang versé ne sera jamais oublié », était un autre slogan qui résonnait fortement. « Nous sommes des paysans, pas des terroristes », scandait un groupe de femmes vêtues de larges jupes andines colorées. Un peu plus loin, un groupe de jeunes a suivi : « Nous sommes des étudiants, pas des terroristes. » C’était une réponse au gouvernement, à la droite et aux médias, qui les accusent d’être des terroristes. « Amigo, étudie, ne sois pas un policier », a-t-on scandé devant la police. « Mettez-lui une balle dans la tête », a crié un policier. « Assassins, assassins », ont répondu les gens, au milieu des gaz et du bruit des tirs de chevrotines. La revendication de démission de la présidente est reprise. C’était le sixième jour consécutif de manifestations à Lima. Une fois encore, la réponse du gouvernement a été la répression.

A travers le Pérou
Ce mardi, l’épicentre des manifestations était Lima, mais des protestations ont également eu lieu dans des villes de l’intérieur du pays. Le sud des Andes, où elles sont quotidiennes depuis qu’elles ont repris le 4 janvier après une trêve de Noël, reste presque paralysé. L’aéroport de Cusco a suspendu ses activités et le flux de touristes a été réduit à presque zéro depuis le début des protestations.

Sur l’autoroute Panamericana Sur, à 290 kilomètres de Lima, de violents affrontements ont eu lieu entre la police et les manifestant·e·s qui bloquaient la route. Le gouvernement a reconnu qu’une route était débloquée, puis à nouveau bloquée. Depuis des semaines, des blocages ont lieu sur plusieurs routes: on dénombre plus de 70 piquets de grève dans dix régions du pays. Dans certaines régions, il y a déjà des problèmes d’approvisionnement en nourriture et en carburant.

Une trêve inhabituelle
Quelques heures avant le début de la mobilisation à Lima et le déclenchement de la répression, Dina Boluarte a appelé à une trêve avec les manifestants. Elle l’a fait dans des déclarations à la presse étrangère. Mais elle a elle-même mis à mal un « dialogue » en les qualifiant de « violents » et de « radicaux ». Elle les a accusés, sans preuve, d’être financés par « le trafic de drogue, l’exploitation minière illégale et la contrebande, pour générer le chaos, l’anxiété et l’anarchie afin de pouvoir profiter de ces trafics illégaux pour mener leurs activités illicites sans contrôle ». Ces accusations visent à criminaliser et à discréditer les manifestations afin de leur ôter tout soutien, ce qu’elles n’ont pas réussi à faire. Le pouvoir cherche ainsi à justifier la répression qui a fait 46 morts à la suite de tirs de la police et de l’armée. Le nombre total de morts depuis le début des protestations en décembre est de 56, dont un policier. Dina Boluarte a de nouveau défendu les forces de sécurité accusées d’avoir tiré sur les manifestant·e·s. Dans ces conditions, son appel à la « trêve nationale » n’avait aucune chance d’aboutir. Peu après cette déclaration avortée, les rues du centre-ville de Lima ont retenti des cris de « Dina asesina, renuncia » (Dina, meurtrière, démissionne). Et la répression s’est à nouveau déchaînée.

Les fausses balles boliviennes
Face aux preuves que son gouvernement est responsable d’une répression brutale, la présidente a répété une explication qui a révélé une fois de plus la facilité avec laquelle le gouvernement lance des accusations sans fondement. Elle a accusé les manifestant·e·s d’avoir causé ces décès en tirant « des balles qui sont entrées depuis la Bolivie» . Il n’y a pas l’ombre d’une preuve de l’existence de ces prétendues balles boliviennes. Elle a assuré aux médias étrangers qu’existaient des vidéos prouvant sa grave accusation et qu’elle les remettrait, mais cela ne s’est pas produit. « Nous devons déterminer d’où viennent les balles. Qu’elles proviennent de la police ou du côté des violents et des radicaux », a insisté la présidente. Ce qui est certain, c’est que les 46 morts et les dizaines de blessés par balles sont tous des manifestant·e·s. Il n’existe pas un seul policier tué ou blessé par ces prétendues « balles boliviennes » que le gouvernement prétend avoir été tirées par les manifestants dans le sud de la région andine. Aucune photo ou vidéo ne montre des manifestants armés de fusils ou de pistolets. Et les résultats connus des autopsies des victimes confirment que les projectiles qui les ont tuées correspondent au type d’armes utilisées par les forces de sécurité. Se rangeant du côté de l’extrême droite, Dina Boluarte a accusé Pedro Castillo de promouvoir des « protestations violentes » depuis la prison. Encore une fois, elle n’a pas montré une seule pièce à conviction.

Les Andes sur le « champ de bataill »
Les mobilisations anti-gouvernementales ont une forte présence andine. La région montagneuse de Puno est l’épicentre des plus grandes manifestations et de la répression la plus dure. Plus de vingt personnes y ont trouvé la mort. Dina Boluarte a reconnu que Puno est paralysée depuis des semaines et que la mobilisation est presque totale dans cette région. Et elle a prononcé une phrase regrettable mais révélatrice, qui renforce le sentiment d’exclusion du Pérou officiel du monde andin. « Puno n’est pas le Pérou », a-t-elle déclaré. De telles déclarations alimentent l’indignation populaire dans les régions andines qui se sont soulevées contre le pouvoir officiel, désormais aux mains de l’extrême droite qui gouverne avec Dina Boluarte, et contre la discrimination historique dont elles sont victimes.

Valentina Churqui, une paysanne, est venue de Puno à Lima pour se joindre aux protestations. «J e suis ici parce que la police a tué mes enfants, mes petits-enfants, c’est pourquoi les habitants de Puno sont ici à Lima pour se battre. Il y a des morts qui ont disparu, il y a plus de morts qu’on ne le dit », a-t-elle déclaré, avec une émotion évidente. Elle a assuré qu’ils ne cesseront pas les protestations tant que Dina Boluarte ne démissionnera pas. « Elle dit que nous sommes des paysans ignorants, nous ne sommes pas ignorants, elle est ignorante, elle ne comprend pas ce pour quoi nous nous battons. De quoi allons-nous parler si elle ne nous estime pas. Nous voulons le respect, la reconnaissance de notre travail. S’ils veulent nous tuer, qu’ils nous tuent tous, nous n’avons pas peur. » 

Carlos Noriega (Lima)
Article publié dans le quotidien argentin 
Página/12 le 25 janvier 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/ameriques/amelat/perou/perou-dossier-dans-la-foulee-de-lima-les-marches-nationales-se-propagent-au-sud.html

*******

Communiqué de solidarité à l’égard des Péruviennes et Péruviens
et de la communauté universitaire de San Marcos 

1. Depuis la France, nous condamnons les dérives autoritaires du gouvernement actuel de la présidente Dina Boluarte et sa promulgation de l’État d’urgence. La répression policière et militaire des manifestations qui réclament la dissolution du Congrès, des élections générales anticipées et une assemblée constituante, après la destitution du président Castillo le 7 décembre 2022, s’est soldée à ce jour par la mort d’une cinquantaine de civils, celle d’un policier, et par plus de 1400 blessés. L’emploi démesuré de la force qui menace les principes de l’État de droit a amplifié la mobilisation de la société civile et risque de plonger le Pérou dans une spirale de violence. 

2. En tant qu’universitaires et chercheurs françaises et français ou basés en France, nous nous solidarisons avec les personnes venues de province participer à la « marche sur Lima », hébergées dans la cité universitaire de San Marcos, ainsi qu’avec la communauté étudiante et enseignante de la Universidad Nacional Mayor de San Marcos. Cette université a fait l’objet d’une intervention brutale et illégale des forces de police samedi 21 janvier 2023, qui a donné lieu à la destruction de la porte d’entrée par des tanks et l’intrusion de 400 policiers. Nous dénonçons la violation inadmissible des libertés académiques, qui a engendré des perquisitions injustifiées, la dégradation des locaux et la détention arbitraire de près de 200 personnes emmenées, pour la plupart, à la Direction contre le terrorisme (DIRCOTE). La Coordination Nationale des droits humains a dénoncé le refus d’accès aux avocats ainsi que les attouchements sexuels, la violence physique et psychologique dont ces femmes et ces hommes ont été victimes avant d’être libérés.

3. Nous dénonçons également avec force la stigmatisation de la population qui manifeste, qualifiée de « terroriste » dans nombre de médias et au plus haut niveau de l’État. Ces accusations indues participent de rouages politiques bien connus au Pérou, hérités de la période du conflit armé qui a opposé l’État aux guérillas du Sentier Lumineux et du MRTA (Mouvement Révolutionnaire Túpac Amaru). Cette assimilation au « terroriste », dramatiquement instrumentalisée depuis la fin du conflit armé, vise à disqualifier les revendications d’ordre politique de l’opposition au régime actuel. Ces accusations diffamatoires s’avèrent d’une efficacité tragique qui s’est traduite par l’usage disproportionné de la force par la police et l’armée, situation qui rend chaque fois plus précaire l’exercice de la démocratie. 

4. Dans la lignée du communiqué de l’Union Européenne qui condamne le recours à la violence et à l’usage excessif de la force et exprime sa préoccupation face à la mort de civils tués par arme à feu, nous exhortons les autorités politiques à cesser l’usage de la violence et à ouvrir un espace de dialogue pour résoudre au plus vite la crise profonde qui menace de fracturer le pays. Nous condamnons la militarisation de la répression et les méthodes antiterroristes employées par l’État, ainsi que la virulence du racisme et du classisme pour faire face aux mobilisations citoyennes massives. Alors que les souffrances liées au conflit armé interne sont encore tenaces dans la société, le mépris du droit à la vie frappe, une fois de plus, les populations les plus vulnérables.

5. Face à la polarisation politique en cours, les analyses des sciences humaines et sociales nous semblent plus utiles que jamais. A l’inverse, les prendre pour cible et les criminaliser renvoie aux heures les plus sombres de l’histoire du pays. Notre mobilisation pour le Pérou est totale pour défendre les libertés académiques, la liberté de pensée critique et la liberté d’expression.

Voir les signataire et signer : https://forms.gle/kSohjsEQE5UB95cK8
* Les signatures seront rajoutées au fur et à mesure.


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Mobilisations au Pérou : soutien au peuple Péruvien
face à la répression sanglante !

Depuis la destitution du président Pedro Castillo, le Pérou traverse une crise sociale et politique qui a déjà fait une cinquantaine de morts et plus de 600 blessés par les forces de répression, sans compter la persécution des leaders syndicaux, sociaux et politiques qui protestent.

Dans la journée du 7 décembre, Castillo essaie, dans l’incompréhension générale, de destituer le congrès pour mettre un terme à la paralysie institutionnelle qui étouffe la politique nationale de plus en plus instable depuis son élection en juillet 2021. La tentative va se retourner contre lui, le congrès – à majorité de droite et d’extrême-droite – scelle un accord politique avec la vice-présidente Dina Boluarte (du même parti que Castillo, Perù Libre), et prend la tête du pays. Castillo sera arrêté et emprisonné le jour-même alors qu’il se dirige vers l’ambassade du Mexique pour demander l’asile politique. L’armée et la police se sont immédiatement, et sans surprise, rangées derrière la coalition du Congrès.

Cet ancien syndicaliste, avait été élu avec l’appui massif des populations des régions andines, dont il est lui-même issu. Ces régions du Sud et de l’Est du pays, pauvres et rurales, sont historiquement sous-représentées dans le système politique péruvien en proie au racisme et au mépris de classe des élites de Lima. Son élection s’était faite sur fonds d’inégalités sociales et territoriales indécentes, et d’une épidémie de Covid violente avec le taux de mortalité le plus élevé de la planète (6,8 morts pour 1000 habitants). Mais Castillo ne parviendra jamais à stabiliser son pouvoir, il opérera plus de 70 changements de ministres et 5 premiers ministres se succèderont en à peine 18 mois – avec des alliances à géométrie variable, qui le conduiront à perdre une partie de ses soutiens initiaux.

Des avancées importantes pour le monde du travail
Plusieurs promesses de campagnes majeures n’ont pas pu être menées à bien : la « Seconde réforme agraire » d’un marché agricole soumis aux diktats, insoutenables pour la paysannerie, des grands commerçants   ou encore le processus constituant qui devait revenir sur la constitution néolibérale instituée à l’époque de la présidence sanglante de Fujimori (70 000 morts dans les années 1990). Néanmoins, deux décrets lois, impliquant des avancées positives pour les travailleur.euses et les syndicats, ont été promulgués en 2022.

Le premier concerne la limitation des possibilités d’externalisation de l’activité des entreprises. Le patronat péruvien a recouru à outrance à ce procédé, allant jusqu’à externaliser une partie des effectifs liés à l’activité principale. Un puzzle de statuts introduisant toujours plus d’inégalités de salaires, d’accès aux droits – syndicaux notamment –, de contrats temporaires, entre salarié.es. Pour la CGTP Perù, ce décret a mis « un frein à la fraude à la loi et au recours abusif à l’externalisation ».

Le deuxième décret, plus important encore, permet l’accès plus large à un travail décent en débloquant l’exercice des libertés syndicales dans 3 aspects fondamentaux tels que : une plus grande facilité d’adhésion et de formation des syndicats (incluant la possibilité de former des syndicats à l’échelle d’un groupe et de ses sous-traitants) ; le renforcement de la négociation collective par branche d’activité et le droit d’information des salarié.es sur cette négociation ; la restauration du droit de grève et l’amélioration de la procédure d’arbitrage qui le limitait, face à une situation antérieure où 92% des grèves étaient considérées comme illégales.

Le patronat et la droite péruvienne ont été vents debout contre ces deux mesures et ont tenté, notamment à travers des lois au congrès, d’en limiter la portée. Une offensive qui avait déjà suscité d’importantes mobilisations à l’initiative d’une intersyndicale large en septembre dernier.

Après le coup d’Etat : une puissante mobilisation subissant une répression sanglante et tous azimuts
Si le niveau de désapprobation de Castillo était fort dans le pays (61% selon l’Institut statistique péruvien), son éviction par l’alliance entre sa vice-présidente et la majorité au congrès n’est pas passée auprès de larges secteurs de la population. Plus de 88% de la population rejette l’action du congrès et 71% souhaite la démission de Dina Boluarte. Une puissante mobilisation a d’abord commencé dans les régions Sud et orientale du pays (Puno, Cuzco, d’Apurimac, La Libertad, Junin, Arequipa et Ayacucho), avant de s’étendre progressivement au reste du pays. La réponse du gouvernement de transition sera d’une violence extrême, avec déjà plus de 50 mort.es et 600 blessé.es, faisant encore monter d’un cran la colère de la population. L’Etat d’urgence a été prononcé, limitant drastiquement les libertés démocratiques, et des dizaines de dirigeant.es du mouvement social ont été arrêtés arbitrairement.

Le mouvement syndical est aussi frappé de plein fouet : des ordres de rétention de locaux syndicaux hébergeant des « Assemblées Nationales des peuples » ont été lancés ; le secrétaire général de la CGTP San Martin, a été arrêté avec 14 dirigeant.es lors d’une manifestation contre le régime Boluarte ; ainsi que le secrétaire général de la Fédération départementale des travailleurs d’Arequipa (FDTA), José Luis Chapa, un dirigeant qui a mené la lutte des travailleurs de la vallée de Tambo contre le projet minier polluant de Tía María. C’est aujourd’hui les dirigeant.es nationaux de la CGTP Perù, principale organisation syndicale du pays, qui sont ainsi ciblés.

Le 19 janvier, une grande grève nationale a été convoquée par la CGTP et l’Assemblée Nationale des Peuples (coordination de divers secteurs du mouvement social et d’organisations paysannes). Plus d’une centaine de barrages routiers bloquaient la circulation à travers le Pérou, principalement dans le sud, épicentre de la contestation, mais également autour de Lima, pendant qu’une montée de dizaines de milliers de manifestant.es à la Capitale pour se joindre à la manifestation du 19 s’organisait un peu partout dans les communautés du Sud et de l’Est du pays.

La CGTP et l’Assemblée nationale des peuples (ANP) demandent la destitution de la présidente, la dissolution du congrès, des élections générales anticipées en 2023 et le lancement d’un processus constituant.

La CGT française apporte toute sa solidarité au peuple péruvien et au mouvement syndical face à la répression. La CGT soutient pleinement les justes revendications portées lors de la grève nationale du 19 janvier, seule à même de rétablir le calme et d’avancer vers plus de justice sociale. Nous nous tenons aux côtés des travailleuses et travailleurs péruviens et scandons avec nos camarades de la CGTP Perù : « Seule la force du peuple organisé, de la classe ouvrière organisée, des travailleurs organisés sera en mesure d’arrêter ce carnage. »

CGT – Note de l’espace international – Amériques
Montreuil, le 20 janvier 2023

Télécharger le document au format PdF : DOC-20230120-WA0003.


En complément possible :
Solidarité féministe avec les peuples du Pérou et du Brésil
Pérou. « Une protestation fondamentalement andine et paysanne »
CIDH : Une ambiance de stigmatisation généralisée et de racisme 
Carlos Noriega : Quand la majorité populaire, indigène, est qualifiée de terroriste et réprimée
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/01/21/solidarite-feministe-avec-les-peuples-du-perou-et-du-bresil-textes-sur-le-perou/
Pablo Stefanoni : Pérou. « Qu’ils dégagent tous », encore une fois
Pérou : Déclaration de LVC contre la persécution des leaders paysan·nes et autochtones et les assassinats de manifestant·es
Face à la grave crise politique au Pérou, FAL solidaire du peuple péruvien (Communiqué)
La Marche Mondiale des femmes des Amériques se déclare solidaire du peuple péruvien
Soutien au peuple péruvien face à la répression sanglante
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/12/26/perou-quils-degagent-tous-encore-une-fois/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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