« Le sexisme, on ne sait pas toujours comment ça commence,
mais on sait comment ça se termine… »[1]
Le sexisme ne recule pas en France. Au contraire, certaines de ses manifestations les plus violentes s’aggravent [2], et les jeunes générations sont les plus touchées. Tel est le constat inquiétant du 5ème rapport annuel sur l’état du sexisme en France que, depuis la loi relative à l’égalité et la citoyenneté du 27 janvier 2017, le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) a la mission d’élaborer et de remettre à la Première ministre et à la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité, et de l’Égalité des chances.
Ce rapport repose sur les résultats du « Baromètre Sexisme » mené avec l’institut Viavoice. En interrogeant un échantillon représentatif [3] de 2 500 personnes âgées de 15 ans et plus, ce sondage rend compte des perceptions de l’opinion face aux inégalités entre les femmes et les hommes, évalue le degré de sexisme de la population, mesure l’adhésion aux outils existants de lutte contre le sexisme et restitue les situations vécues par les femmes. À travers ce travail, le HCE a pour ambition de mieux mettre en lumière le sexisme, pour mieux le combattre.
Malgré des avancées incontestables en matière de droits des femmes, la situation est alarmante. Des progrès ont été enregistrés en 2022 notamment avec des nominations significatives en politique (Première ministre, Présidente de l’Assemblée nationale) et en économie (présidente de l’Autorité des marchés financiers, directrice générale du groupe Orange). De nouveaux moyens de lutte contre les violences ont été mis en place (budget et moyens de la police et de la justice affichés en hausse, implémentation des mesures du Grenelle des violences conjugales [4]) et de nouvelles dispositions favorables aux femmes ont permis des avancées importantes (contraception gratuite pour les moins de 25 ans, délai d’IVG allongé, PMA pour toutes, entrée en application de la loi Rixain, extension des domaines de l’éga-conditionnalité dans la culture). Enfin, de nouvelles prises de parole des victimes, dans les mondes universitaire ou politique par exemple, ont permis la mise en retrait de personnalités publiques, y compris de premier plan.
Mais cinq ans après #MeToo, le rapport dresse le constat d’une société française qui demeure très sexiste dans toutes ses sphères : les femmes restent inégalement traitées par rapport aux hommes, et elles restent victimes d’actes et propos sexistes dans des proportions importantes. De fait, le nombre et la gravité de ces actes augmentent, dans l’espace public, professionnel, privé, numérique… Les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur, par exemple, indiquent une augmentation de 21% du nombre de victimes de violences conjugales entre 2020 et 2021 [5].
En dépit d’une sensibilité toujours plus grande aux inégalités et aux violences depuis #MeToo, les biais et les stéréotypes de genre, les clichés sexistes et les situations de sexisme quotidien continuent d’être banalisés. Ils restent de ce fait partiellement acceptés par une grande partie de la population. L’opinion reconnaît et déplore l’existence du sexisme mais ne le rejette pas en pratique, phénomène particulièrement prépondérant chez les hommes interrogés. Ce décalage entre perception, déclarations et pratique a des conséquences tangibles en termes de violence symbolique, physique, sexuelle, économique. Du sexisme quotidien, dit « ordinaire », jusqu’à ses manifestations les plus violentes, il existe uncontinuum des violences [6], l’un faisant le lit des autres.
Le rapport met enfin en évidence un manque de confiance important de la part des personnes interrogées à l’égard des pouvoirs publics portant la lutte contre le sexisme et l’inefficacité des outils mis en place, malgré les efforts consentis, manifestement insuffisants, pour répondre à une situation qui s’aggrave avec l’apparition de phénomènes nouveaux : violence en ligne, virulence accrue sur les réseaux sociaux, barbarie dans de très nombreuses productions de l’industrie pornographique, affirmation d’une sphère masculiniste et antiféministe. À cela s’ajoutent les signaux manifestes de recul pour les droits fondamentaux des femmes, notamment sexuels et reproductifs, à l’international – Iran, Afghanistan, États-Unis, Pologne, Hongrie, Italie. Partout, l’année 2022 est marquée par la réémergence d’un mouvement réactionnaire à l’égard des femmes, qualifié de « backlash » [7]. Face à ces évolutions inquiétantes, l’intervention des pouvoirs publics est tout particulièrement attendue par l’opinion, selon le sondage du HCE.
Le HCE propose des pistes d’action en urgence pour enrayer ce phénomène.
[1] – Slogan de la campagne nationale du HCE de lutte contre le sexisme du 23 au 27 janvier 2023. Pour plus d’information, rendez-vous sur https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/
[2] – Augmentation de 21% du nombre de victimes de violences conjugales entre 2020 et 2021 selon Les violences conjugales enregistrées par les services de sécurité en 2021 ; En 2021, 143 morts violentes au sein du couple ont été recensées par les services de police et les unités de gendarmerie, contre 125 l’année précédente (18 victimes en plus, soit +14%), Les femmes représentant 85% de ces morts, on compte 122 femmes victimes de féminicide conjugal en 2021 contre 102 en 2020, soit une augmentation de 20%, selon Morts violentes dans les couples : augmentation des homicides conjugaux en 2021.
[3] – Représentativité assurée par la méthode des quotas appliquée aux critères suivants : sexe, âge, profession, région et catégorie d’agglomération.
[4] – Rapport d’information déposé par la Délégation aux droits des femmes sur le projet de loi de finances pour 2023 ; voir également : Grenelle des violences conjugales, 3 ans d’action et d’engagement du gouvernement.
[5] – Les violences conjugales enregistrées par les services de sécurité en 2021. Il est important de noter que le SSMSI précise à ce sujet « le nombre d’enregistrements a pratiquement doublé depuis 2016, dans un contexte de libération de la parole et d’amélioration des conditions d’accueil des victimes par les services de police et de gendarmerie ». Il est en effet important de rappeler, comme le fait le précédent rapport du HCE sur l’état du sexisme en France (2022) : Les données sur les violences sexistes sont toujours délicates et complexes à interpréter car elles résultent à la fois de l’évolution du phénomène en lui-même, de la perception qu’en ont les victimes et de leur propension à porter plainte. Par ailleurs, comme il est précisé chaque année dans l’état des lieux du sexisme en France, les données sont éparses, incomplètes et difficilement lisibles. Elles reposent principalement sur les enquêtes de victimation, les chiffres enregistrés par le Ministère de l’Intérieur dans le cadre d’un dépôt de plainte, ou concernant le nombre de mis en cause, et les données du Ministère de la Justice sur le nombre de personnes condamnées.
[6] – Concept issu des recherches féministes des années 1970, notamment à travers l’article fondateur de Liz Kelly, « Lecontinuum de la violence sexuelle », Le continuum de la violence sexuelle, Liz Kelly, traduit de l’anglais par Marion Tillous, Cahiers du genre 2019/1 (n°66), pages 17 à 36
[7] – Pour reprendre l’expression et le processus décrit par Susan FALUDI dans Backlash : la guerre froide contre les femmes, Éditions des Femmes, 1991.
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10 recommandations pour un plan d’urgence de lutte contre le sexisme
N°1 : Augmenter les moyens financiers et humains de la justice pour former plus et en plus grand nombre les magistrat·es au sein des juridictions chargées de traiter les violences intrafamiliales, à l’instar de l’investissement espagnol ;
N°2 : Instaurer une obligation de résultats pour l’application de la loi sur l’éducation à la sexualité et à la vie affective dans un délai de trois ans, et prévoir une sanction financière en cas de non-respect de cette obligation dans ce délai ;
N°3 : Réguler les contenus numériques pour lutter contre les stéréotypes,r eprésentations dégradantes, et traitements inégaux ou violents des femmes, en particulier les contenus pornographiques en ligne ;
N°4 : Rendre obligatoires les formations contre le sexisme par les employeurs ; N°5 : Généraliser l’éga-conditionnalité (qui conditionne l’argent public à une contre-partie en terme d’égalité) et la budgétisation sensible au genre ;
N°6 : Créer une Haute Autorité indépendante pour lutter contre les violences sexistes en politique ;
N°7 : Conditionner les aides publiques à la presse écrite à des engagements en matière d’égalité ;
N°8 : Rendre obligatoire un système d’évaluation et une publication annuelle sur la part de représentation des femmes dans les manuels scolaires, informant voire conditionnant leur mise sur le marché, sur le modèle belge ;
N°9 : Interdire la publicité pour les jouets genrés sur le modèle espagnol ;
N°10 : Institutionnaliser la journée nationale de lutte contre le sexisme le 25 janvier.
Télécharger HCE – Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France : hce_-_rapport_annuel_2023_etat_du_sexisme_en_france
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Victoire pour le collectif Ensemble contre le Sexisme
La journée du 25 janvier est déclarée « Journée nationale contre le sexisme »
Le collectif Ensemble Contre le Sexisme (ECLS) est constitué d’associations, d’instances en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, de réseaux de femmes et d’hommes d’entreprises engagé.e.s pour la mixité, la défense de l’égalité professionnelle et des droits des femmes, toutes et tous mobilisé.e.s pour lutter contre le sexisme sous toutes ses formes et dans tous les secteurs. Rendre visibles ses manifestations partout où elles se trouvent est l’objectif premier de l’association.
Depuis 2017, Ensemble contre le Sexisme organise chaque année, le 25 janvier, « la journée nationale contre le sexisme » et demande que cette journée soit inscrite dans l’agenda du pays comme « Journée nationale ». La 6e édition vient de se dérouler. À cette occasion, Ensemble contre le Sexisme a organisé le procès du sexisme devant une audience très large (près de 1 000 personnes en présentiel et distanciel).
Le jury était appelé à se prononcer sur trois questions :
Le sexisme tue-t’il le talent, la créativité et le désir ?
Les hommes sont-ils engagés dans la lutte contre le sexisme ?
Les institutions peuvent-elles et veulent-elles lutter contre le sexisme ?
Témoins et expertes se sont succédé à la barre afin d’éclairer la Cour et les juges, procureures et avocates de la défense, toutes bénévoles, issues du collectif. Les célèbres avocates du sexisme étaient Maîtres Phallocrata Patriarchos, Macha Misogyno et Désirée de Naguère. (Replay sur Facebook et sur le site d’Ensemble contre le Sexisme)
La Journée nationale contre le Sexisme est enfin institutionnalisée le 25 janvier
Hier, lors de sa rencontre avec le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Emmanuel Macron, Président de la République, a officialisé la création d’une Journée nationale contre le Sexisme à la demande de Sylvie Pierre-Brossolette, Présidente du HCE. Cette reconnaissance officielle est l’aboutissement de la démarche entreprise par l’association Ensemble contre le Sexisme depuis la création de cet événement annuel.
« L’institutionnalisation d’une Journée nationale contre le Sexisme est défendue par notre collectif depuis sa création. C’est une mise à l’agenda indispensable pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes, rendre visibles toutes les humiliations et les violences que le sexisme inflige aux femmes au quotidien. Le mouvement féministe saura faire bon usage de cette journée pour éradiquer le sexisme ! » explique Yseline Fourtic-Dutarde, co-présidente d’Ensemble contre le Sexisme.
« Nous nous réjouissons de cette reconnaissance de notre engagement face au sexisme. Nous saluons la décision du chef de l’État et le remercions de son soutien. C’est pour notre association une avancée considérable qui permettra de mobiliser chaque année un plus large public dans cette lutte indispensable contre le sexisme à mener dans tous les secteurs de la société : écoles, universités, collectivités territoriales, administrations, entreprises, associations, syndicats, tribunaux, partis politiques… Nous remercions par ailleurs Madame Isabelle Rome, Ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité, pour sa présence en clôture de notre procès et son soutien constant à nos actions. » ajoute Catherine Ladousse, co-présidente d’Ensemble contre le Sexisme.
Suite au verdict et à la condamnation du sexisme au bannissement, le procès s’est conclu par une démonstration de solidarité et de sororité à l’attention des femmes qui se révoltent contre le sexisme dans le monde, et en Iran en particulier sous la bannière FEMME VIE LIBERTÉ.
Les membres du collectif
AAFA-Tunnel des 50 – Administration Moderne – Assemblée des femmes – Astrea – BECOMTECH – BPW France – CentraleSupélec au Féminin – Cercle InterElles – Chiennes de garde – COM EGALITE – Conseil national des Femmes Françaises – Coordination française pour le Lobby Européen des Femmes (CLEF) – Dans le genre Egales – Excision, parlons-en ! – Femmes à la Une – Femmes de justice – Femmes du monde et réciproquement – Femmes ici et ailleurs – Femmes pour le Dire Femmes, pour Agir (FDFA) – Femmes Ingénieures – Femmes solidaires – Fédération Nationale des CIDFF (FN-CIDFF) – Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) – Fondation des Femmes – Global Contact – Grandes Ecoles au Féminin – Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) – JUMP – Laboratoire de l’Egalité – Mouvement HF – Mouvement français pour le Planning familial – Observatoire de la qualité de vie au travail – ONU Femmes France – Sciences-Po au féminin – Social Builder – Women in Networking (WIN), Women Safe
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Sexisme, les pouvoirs publics aux abonnés absents
Le rapport du HCEFH 23 Janvier 2023 sur l’état du sexisme en France est mortifère. Où est la grande cause du quinquennat ? Combien de rapports, de chiffres, de mortes, faudra-t-il encore pour que le gouvernement mette en face de ses annonces les moyens réclamés depuis des années par les associations féministes et les syndicats ?
« 37%, des Françaises interrogées ont déjà vécu une situation de non-consentement
33% des femmes interrogées ont déjà eu un rapport sexuel suite à l’insistance de leur partenaire alors qu’elles n’en avaient pas envie
9 femmes interrogées sur 10 affirment anticiper les actes et les propos sexistes des hommes et adoptent des conduites d’évitement pour ne pas les subir, 57% des femmes ont déjà subi des blagues ou remarques sexistes, 29% des remarques faites sur leur tenue ou physique, 16% des hommes pensent encore qu’une femme agressée sexuellement peut en partie en être responsable ».
Ces chiffres sont éloquents.
En 2023, la domination masculine reste une réalité que les femmes subissent au quotidien, elles sont toujours victimes d’une oppression spécifique où qu’elle soient, dans la sphère privée ou publique.
Les discours ne suffisent pas pour que l’égalité devienne réelle dans les consciences. Ce sont les lois et les actions publiques qui sont les premières garantes des droits qui ont été conquis. L’égalité de droits doit devenir une égalité de faits.
En 2023, quand 23% des hommes de moins de 35 ans considèrent qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter, éduquer à l’égalité est un enjeu de société.
La problématique des rapports de domination entre les hommes et les femmes et de la construction sociale des rôles féminins et masculins doit être prise en compte à l’école qui doit remplir sa mission d’émancipation individuelle et collective des stéréotypes. Aujourd’hui, les moyens publics ne sont pas à la hauteur des enjeux dénoncés par le rapport.
La solution est pourtant simple : donner des moyens pour un plan de formation des personnels à court terme et pour financer les interventions des associations dans les établissements scolaires.
La formation des personnels doit inclure la question des violences sexistes et sexuelles et les enjeux de la lutte contre le sexisme dans la protection de l’enfance et de l’adolescence. Les séances d’éducation à la vie affective et sexuelle doivent aussi concerner la relation affective, le désir, le respect entre partenaires.
Nous voulons une véritable politique éducative nationale non sexiste, luttant contre les LGBTPhobies, à tous les stades de la socialisation, faisant partie intégrante de l’emploi du temps annuel des élèves.
Nous soutenons les recommandations du HCEFH qui sont celles que nous réclamons depuis des années.
Nous demandons une Loi-Cadre contre les violences faites aux femmes, des tribunaux dédiés aux violences sexistes et sexuelles, deux milliards tout de suite, et une véritable volonté politique pour l’application stricte des lois existantes sur les violences faites aux femmes avec la mise en place d’une commission de contrôle multipartite, la formation de l’ensemble des professionnel-les, d’accueil et de soutien, de santé, sociaux, d’éducation, d’hébergement, de police et de justice et des campagnes publiques permanentes de prévention.
Nous demandons des mesures et des moyens d’urgence immédiats.
Nous voulons que le gouvernement, sourd à nos revendications, nous reçoive rapidement.
Aujourd’hui un énième rapport, demain combien de femmes victimes ?
Communiqué du 29 janvier 2023
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Proposition d’un éclairage sur le bilan alarmant du HCE sur le sexisme en France
L’impact de la pornographie sur les comportements sexuels des adolescents et la forte augmentation des demandes de changement de sexes chez les adolescentes méritent une analyse approfondie des mécanismes d’asservissement des femelles dans le système de colonisation sexiste
L’enquête annuelle sur le sexisme en France qui vient d’être publiée par le HCE alerte sur la persistance et même l’aggravation des réflexes machistes en particulier chez les enfants et les jeunes. Elle souligne l’impact de leur éducation pornographique via internet sur leurs comportements envers les filles. Ces données méritent d’être mises en relation avec une autre donnée à savoir l’augmentation assez sidérante des demandes de changement sexes chez les filles, au niveau du collège, que ce soit en ville ou en milieu rural.
Cette augmentation ne résulte pas seulement d’un un phénomène de mimétisme ou de l’accélération de l’acceptation sociale de la trans-identité. Elle est aussi fortement liée à l’augmentation des violences sexistes dès l’école et au refus des filles pubères ou pré-pubères de les subir. Les jeunes filles d’aujourd’hui éprouvent une dissonance grandissante entre leur adhésion spontanée au discours féministe et leur confrontation quotidienne à la violence effective des rapports de sexes entre les jeunes. Cette dissonance ne trouve pas à s’exprimer du fait d’une absence de lieu de parole et de personnes prêtes à les entendre et du fait plus généralement d’un processus permanent d’inconscientisation collective des rapports de sexes que j’ai analysé dans mes livres comme faisant partie intégrante du fonctionnement du système de colonisation sexiste.
En conséquence, les filles ne trouvent pas d’espace pour expliciter et symboliser leur révolte contre les agressions verbales ou physiques qu’elles endurent et cela les incite à tenter d’échapper au destin de corps violables tels que les représente la pornographie et pour ce faire elles demandent à devenir des garçons. Leur aspiration à l’émancipation se cristallise ainsi dans un passage à l’acte techno-médical synonyme de modernité, qui signifie qu’elles ne veulent pas rester des victimes, avec l’illusion qu’elles se mettront ainsi alors à l’abri des agressions. Ce qui est grave c’est que tout pousse les adultes embarrassés par cette demande à la prendre au mot, sans faire le lien entre le malaise des filles vis à vis de leur corps femelle et la violence imbécile qui intoxique les rapports sexués dès l’enfance. Le prix que paient ces filles pour échapper à l’humiliation de leur corps femelle c’est finalement une castration de leur femellité [1]. Or la castration symbolique mais aussi physique du corps sexué femelle au travers des amputations sexuelles est une des pratiques du colonialisme sexiste pour subordonner les femmes. Le paradoxe actuel, c’est que ce sont les filles elles-mêmes qui souhaitent leur castration pour clamer leur droit à choisir leur sexualité et leur droit à échapper à l’humiliation. Ce paradoxe est significatif du niveau de sexisme atteint dans notre société où chaque poussée d’émancipation déclenche une augmentation de la violence colonisatrice [2].
Face à l’accroissement de la haine antifemelle, les mouvements féministes ont le devoir de défendre la dignité de femelle des filles, leur droit d’exister et leur liberté d’être. Et cela passe par un grand mouvement de décolonisation qui touche aussi bien les corps, les fécondités que les dimensions existentielles, socio-économiques, politiques et spirituelles de la vie commune.
Pour revenir au constat de l’impact de l’industrie du porno sur l’aggravation des violences contre les femmes, précisons que sa fonction dans une société sexiste est de mettre en œuvre concrètement la destruction de la dignité femelle, la falsification des interactions jouissives en pratiques coutumières du viol et finalement la sous-humanisation des personnes sexuées femelles. Bref cette industrie hautement rentable est l’instrument de ce que j’ai nommé comme le premier acte de la construction de l’hégémonie des mâles, à savoir l’éviction du corps sexué femelle hors de l’horizon humain [3] qui le prive de son humanité et le condamne au mépris. C’est assez hallucinant de voir, malgré les discours officiels contre les violences faites aux femmes, que cette industrie jouit d’une totale impunité. Faute d’analyser la production de la violence sexiste, la prévention des violences contre les femmes se réduit trop souvent à réclamer des subventions auprès de l’état pour pallier aux conséquences des agressions. C’est certes nécessaire mais tragiquement insuffisant comme le constate aujourd’hui le bilan du HCE. L’action féministe doit aujourd’hui dépasser ses limites conceptuelles en se confrontant aux obstacles réels à la libération des femmes, pour proposer une stratégie et méthodologie pour que les femmes prennent en main leur démarche de décolonisation, c’est ce que je me suis efforcée de faire dans le livre paru dernièrement : La démarche autogérée de décolonisation [4].
[1] Roelens N., La Femellité et le réel prosaïque de la vie humaine L’Harmatten 2013
[2] Roelens N., Poussées d’émancipation et violences colonisatrices , L’Harmattan 2014
[3]Roelens N., Comment se fabrique l’hégémonie de l’humanité mâle ?, L‘Harmattan 2016
[4] Roelens N., La démarche autogérée de décolonisation , L’harmattan 2002
En complément possible :
Le HCE alerte sur le sexisme ? Le système d’ignorance s’emballe
https://www.lesnouvellesnews.fr/le-hce-alerte-sur-le-sexisme-le-systeme-dignorance-semballe/
« face à nous, féministes, le système se défend »
banalisation du sexisme, violences sexuelles, affirmation du masculinisme… pour raphaëlle rémy-leleu, conseillère eelv à la mairie de paris et militante féministe, l’état des lieux du baromètre sexisme 2023 du haut conseil à l’égalité est alarmant mais pas surprenant.
https://www.politis.fr/articles/2023/01/face-a-nous-feministes-le-systeme-se-defend/