Après avoir fait la pub du projet de contre-réforme des retraites, la plupart des commentateurs en poursuivent la défense, sans trêve ni repos. Dans de nombreux titres de presse, les chefferies médiatiques la disent « indispensable ». Du côté de l’audiovisuel (public comme privé), studios et plateaux sont modelés par et pour les professionnels du commentaire, qui en font « naturellement » leur terrain de jeu.
Partout, le reportage est réduit à peau de chagrin et les travailleurs ne sont généralement entendus que par le biais de micros-trottoirs, qui restreignent et individualisent la parole en écrasant le collectif.
Partout, les « débats » se font en vase clos ou dans des conditions iniques et inégales : face aux contestataires, les chefferies éditoriales déploient leur escadron de fast thinkers en défense de l’ordre établi. Éditorialistes, chefs de service politique, chroniqueurs et consultants économiques, sondologues, « spécialistes en communication » et autres experts patentés… tous se chargent de diffuser la bonne parole.
Le 7 février sur France Inter, sous le regard ébahi du duo Salamé-Demorand, le chercheur Michaël Zemmour démontait minutieusement le mensonge gouvernemental autour d’une prétendue « pension minimale à 1200 euros », repris en boucle par la quasi-totalité des médias dominants depuis un mois. Ce n’était là qu’un bug momentané dans la machine : dès le lendemain, sur la même antenne, Nicolas Demorand énumérait les « concessions » du gouvernement, « parmi lesquelles […] un élargissement de la pension minimum à 1200 euros pour tous les retraités ». Peu importe la fake news… pourvu qu’on ait la communication !
Journalisme de démobilisation
Jour après jour, le journalisme de démobilisation sociale est au beau fixe. Depuis 30 ans, celui-ci ne vise pas à informer mais à promouvoir la régression sociale et, comme son nom l’indique, à démobiliser celles et ceux qui la contestent. Incapable de rendre compte de la construction collective du combat social, syndical et politique, le journalisme dominant suit à la lettre sa feuille de route traditionnelle par temps de « réforme ».
• Pronostiquer l’étendue des « galères » du futur « jeudi » ou « mardi noir » ;
• Trier les « bons » manifestants des « mauvais » et enjoindre ceux que l’éditocratie aura décrétés « non concernés » (étudiants, salariés des régimes dits « spéciaux »…) à rester chez eux ;
• Amplifier le « désordre » des débats parlementaires en diffusant en boucle les coups de gueule à l’Assemblée nationale pour mieux s’indigner d’une « gauche irresponsable »;
• Scruter à grands coups de sonde l’état de « l’opinion » et diagnostiquer « l’essoufflement » de la mobilisation au doigt mouillé ;
• Rabâcher que « de toutes les manières, il passera ce texte » (Léa Salamé, 11/01) ou que « les Français [… ont] intégré que de toute façon, ça allait passer, avec une forme de fatalisme. » (Nathalie Saint-Cricq, 14/01).
« Fatalisme des Français »… ou détermination des chiens de garde ? Voyons plutôt : « Vous savez déjà que de toute façon, à la fin, vous perdez. » (Apolline de Malherbe à Philippe Martnez, RMC et BFM-TV, 13/01) Comment peut-on encore parler de « journalisme » ?
Il en va pourtant d’une routine parmi les intervieweurs, qui, toute chaîne confondue, n’aiment rien tant que garder à vue des représentants syndicaux et des dirigeants politiques de gauche : décrédibilisés, admonestés, ces derniers servent également de punching-ball. Sur Europe 1 le 19 janvier, au matin de la première grande journée de grèves et de manifestations, Sonia Mabrouk se livrait à un véritable jeu de massacre contre Marine Tondelier (EELV), l’interrompant à près de soixante reprises (soit une fois toutes les 15 secondes en moyenne) au cours d’un interrogatoire qui réussit le tour de force de battre des records dans presque toutes les catégories : morgue, mépris, injonctions, insinuations, mauvaise foi, humiliations et attaques ad hominem… Émission après émission, les petits soldats réactionnaires de Bolloré sont en tenue de combat. Mais ils sont loin d’être les seuls : chaque crise voit l’extrême droite médiatique assurer le maintien de l’ordre de concert avec les combattants de la « raison » macroniste et libérale.
Entre-soi et connivence
Les dix éditorialistes invités par Emmanuel Macron à déjeuner à l’Élysée en sont de parfaits prototypes. Tous se sont chargés de ventiler les éléments de langage du président, sans mentionner le président à la demande expresse… du président. Ils ne l’ont pas fait sous contrainte : la plupart d’entre eux avaient déjà chanté les louanges de la réforme en toute autonomie ! Ils se sont en revanche servilement pliés à une opération de communication décidée par l’Élysée.
Le résultat ? Un agenda médiatique polarisé par la parole gouvernementale à la veille de la première journée de grève et des médias reconvertis en caisse de résonance du pouvoir, livrant une série de comptes rendus que l’on peinait à distinguer des notes de communicants. Critiquer de tels procédés ? « Complotisme », « populisme », « couillonnade », « ignominie» répondent respectivement en chœur Ruth Elkrief, Sophia Aram, Jean-Michel Aphatie et Claude Askolovitch – entre autres !
Les leçons d’un tel cirque ? L’homogénéité sociale des journalistes-vedettes – et la solidarité de classe qui les unit fondamentalement à un gouvernement au service des élites économiques – n’en finit pas de miner le pluralisme d’un côté, et l’information de l’autre. Quant à l’auto-légitimation des pires pratiques journalistiques, elle a encore de beaux jours devant elle…
Ténacité des chiens de garde ? Ténacité de la critique des médias !
Tant qu’il le faudra, nous continuerons le combat : diffuser le plus largement possible une critique radicale des médias, qui appelle à leur transformation ! Depuis le début de la mobilisation, les chiens de garde se permettent tout. Comme de coutume, l’Arcom n’en a cure et ne trouve rien à redire, ni des biais massifs qui minent structurellement le traitement de l’information, ni du manque flagrant de pluralisme et d’impartialité parmi les commentateurs qui accaparent les micros.
Et pourtant, le mouvement social a le vent en poupe ! À la gauche sociale et politique d’en profiter pour politiser la question des médias et s’engager dans un rapport de forces collectif contre les chefferies éditoriales, en les considérant enfin pour ce qu’elles sont : des adversaires politiques, des militants mobilisés et aux yeux de qui tous les coups sont permis pour défendre leurs positions.
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Soutien à notre consœur, journaliste et membre de la SDJ de « Paris Match »
Une journaliste de « Paris Match », membre de la Société des journalistes (SDJ) de « Paris Match », a été convoquée jeudi 6 avril pour un entretien préalable à licenciement alors qu’elle subissait déjà des « pressions » pour s’être désolidarisée, au nom de la rédaction, d’un édito du directeur général de la rédaction Patrick Mahé.
https://blogs.mediapart.fr/la-sdj-de-mediapart/blog/110423/soutien-notre-consoeur-journaliste-et-membre-de-la-sdj-de-paris-match