Le 8 mars moment privilégié pour rappeler la lutte nécessaire au niveau mondial pour les droits des femmes est, cette année, en France, particulièrement impacté par la mobilisation contre le projet de réforme des retraites. La veille, le 7 mars, a été une journée de grève et de manifestation contre cette réforme. Un élément important de cette opposition est constitué par les effets qu’aurait la réforme sur les conditions de retraite des femmes qui déjà reçoivent des pensions 40% inférieures à celles des hommes. Cette période ravive le constat que rien n’avance rapidement du côté de l’égalité au travail entre les femmes et les hommes : des inégalités de salaires et de carrières, des inégalités de revenus et de charges familiales. Ce moment de lutte sociale en France engage les féministes à mettre tout leur poids dans l’action politique en faisant front uni et en cachant leurs différences d’analyses et leurs conflits. Il s’agit aussi d’éviter la violence dans les manifestations pour les droits des femmes (8 mars et 25 novembre) de plus en plus fréquente et unilatérale c’est-à-dire venant toujours du même camp, pro-prostitution notamment.
Je ne suis pas d’accord avec cette union au rabais.
Les deux grandes questions qui font problème et que l’on voudrait cacher sous le tapis sont la question du sexe et du genre et celle de la prostitution et pornographie. Pour certains groupes se disant féministes ou qui s’associent à des féministes, le genre peut se choisir et le sexe de naissance peut s’abolir et être éradiqué chirurgicalement pour en changer. Le mot femme recouvrirait ainsi plusieurs réalités physiques(anatomie, biologie) et pourrait donc être abandonné… quant à la prostitution, cette violence sexiste et sexuelle profondément inscrite dans le patriarcat (Christine Delphy) et l’appropriation du corps des femmes par les hommes (Colette Guillaumin), elle devient agentivité et empowerment pour celleux qui ont intérêt à cette marchandisation du corps des femmes et même pour les femmes courageuses et victimes de violences sexuelles qui ont rejoint Nous Toutes mais qui ne peuvent penser la prostitution comme violence intrinsèque – pourquoi ?- . Confondent-elles lutte pour l’autonomie et la liberté de vivre sa sexualité avec la marchandisation du corps devenu patrimoine exploitable ?
A la question de la prostitution doit être ajoutée celle de la GPA qui est fort heureusement interdite en France et qui est aussi une marchandisation, celle du ventre fécond de femmes.
L’oppression spécifique à laquelle doivent faire face les femmes
Le rapport social de sexe, inégalité entre les femmes et les hommes et domination des hommes – souvent en imbrication avec le rapport social de classe et rapport social racisé – concept français (Margaret Maruani, femmes, genre et société, l’état des savoirs) est aujourd’hui trop souvent remplacé par genre. Ce terme est devenu polysémique et est utilisé avec des connotations souvent fantaisistes selon la volonté des un·es de le fustiger et d’interdire son usage à l’éducation nationale par exemple, ou au contraire volonté des autres d’en faire une identité que l’on peut choisir ou performer selon l’envie du moment.
Rappelons ce que les femmes vivent concrètement.
5 ans après la vague MeToo (devenu Nous Toutes en France), une révolution féministe, d’innombrables injonctions hétéro-patriarcales continuent d’empoisonner, de contraindre la sexualité des femmes. Les constructions sociales sexistes s’imposent aux femmes et détruisent leur vie très souvent.
La libération de la parole des femmes, leur lutte pour l’égalité et leur émancipation, leur lutte contre le continuum des violences qu’elles subissent partout dans le monde se heurtent au masculinisme qui s’exprime de plus en plus à découvert, qui pénètre des problématiques sociétales ou qui massacre, enferme les femmes, cherche à annuler leur existence. Les Talibans en Afghanistan refusent aux femmes le droit d’une existence publique, celui de faire des études, celui de se déplacer seules, etc. Les femmes qui le peuvent s’exilent, celles qui résistent sur place sont enfermées ou assassinées. En Iran, Mahsa Amini 22 ans a été arrêtée et assassinée en septembre 2022 par la police des mœurs de Téhéran pour non-respect du code vestimentaire de la République. Ce crime de l’Etat a déclenché la révolte largement animée par les femmes et les jeunes. La répression est terrible et 5 000 filles aujourd’hui ont été empoisonnées dans leur école, une façon de les « remettre à leur place » et de les priver d’école.
Où, dans quels pays, les femmes ne sont pas discriminées, exclues, surveillées, « protégées » par les hommes, vendues, esclavagées, trafiquées ? Viols, féminicides, exploitation sexuelle (prostitution et pornographie qui est de la prostitution filmée) sont partout, armes d’une guerre contre les femmes. Les droits des femmes à leur intégrité physique, reproductive et sexuelle sont souvent non respectés et remis en question (avortement aux Etats-Unis par exemple). Dans beaucoup de pays encore les femmes subissent un véritable apartheid sexuel.
En France où la priorité présidentielle devait être l’égalité entre les femmes et les hommes, le rapport du Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes (janvier 2023) sidère. Le sexisme y progresse en particulier au sein des plus jeunes générations : 23% des hommes de moins de 35ans estiment qu’il faut parfois se montrer violent pour se faire respecter contre 11% tous âges confondus. L’éducation à l’égalité et à la sexualité n’est pas dispensée faute de volonté politique contre les oppositions masculinistes et réactionnaires ou par l’indifférence du corps enseignant.
Les femmes subissent ces violences masculines et d’un ordre social qui organise la domination masculine, parce qu’elles sont des femmes. C’est leur corps-être de femme qui est visé, contraint, violenté et assigné. Dans l’ordre patriarcal le corps des femmes est un corps soumis à la production d’enfant·es approprié·es par le père, un corps sexuel voué au plaisir des hommes, un corps qui sert à l’entretien matériel, aux soins apportés aux autres, qui fournit un travail gratuit ce qui s’appelle l’exploitation. Il n’est donc pas acceptable d’édulcorer, de travestir, voire de supprimer l’identité (anatomique et biologique) des femmes puisque c’est elle qui les inscrit dans la valence différentielle des sexes (Françoise Héritier) et dans un système d’oppression généralisée. Il n’est en tout cas pas temps de le faire puisque cela n’aboutirait pas à supprimer la hiérarchie et la domination mais à rendre invisibles les femmes et leur combat, rendre invisibles leurs empêchements et leurs difficultés. La recherche scientifique, en particulier sur la santé, a été très longtemps complètement androcentrée avec des effets négatifs pour les femmes. Le gouvernement français découvre la précarité menstruelle et le programme d’aide ne se mettra en place qu’en 2024. Les progrès sont trop lents.
Le féminisme radical (extirper à la racine et supprimer le patriarcat) et universaliste doit abolir le genre.
Sexe et genre
Le sexe est une réalité biologique, le mot femme désigne les femelles adultes humaines. A la naissance médecin·es et sages femmes constatent le sexe qui est déclaré dans la plupart des pays. Le sexe n’est pas assigné, il est constaté sur des critères partagés. Sauf de très rares exceptions, les êtres humains naissent avec des organes sexuels, soit masculins, soit féminins : pénis, testicules, prostate pour les hommes ; vagin, clitoris, utérus, ovaires pour les femmes. Quand il y a indétermination des caractères sexuels primaires et secondaires se posent des questions pour la vie et le développement des personnes intersexes dans une société qui privilégie le binaire. Les médecins et les parents voulant éviter des difficultés aux enfants et futur·es adultes intersexes ou ne supportant pas eux-mêmes cette indétermination, décident d’interventions chirurgicales et donc par ce geste assignent un sexe, ce qui pourra être rejeté, remis en question par l’enfant ou l’adulte plus tard. Ne conviendrait-il pas d’attendre que les principaux·ales intéressé·es soient en âge de décider. Faut-il créer et reconnaître comme c’est demandé par les personnes intersexes cette catégorie ? Pour moi la discussion est ouverte et doit avoir lieu hors de toute violence. Mais est-ce que la société est prête à reconnaître cette différence, l’intersexualité, sans que cela produise des rejets et des souffrances pour les personnes concernées ?
Le genre, masculin et féminin, est une construction sociale et psychologique. A la fois le genre est constitué par le rapport de domination des hommes sur les femmes (appropriation, hiérarchie, assignations aux places, aux rôles) et se traduit par des comportements, attitudes, attentes, pratiques différenciés. S’il y a des différences de pratiques et culturelles dans le monde sur la représentation et sur le vécu du genre, la hiérarchie entre les sexes et l’oppression des femmes sont partout.
Si des personnes considèrent ou ressentent que leur sexe ne correspond pas à leur identité de genre, cela n’efface pas la réalité biologique du sexe. Mais cela interroge la façon dont les identités de genre sont vécues parce que la société patriarcale les impose. Bien sûr il y a du « trouble dans le genre » puisque c’est un rapport social qui peut être remis en question et doit l’être, c’est une idéologie contestable et à contester, des assignations à rejeter. Il n’est pas à choisir, le genre, il est à supprimer contre justement celleux qui voudraient protéger un ordre social et familial traditionnel basé sur l’hétérosexualité et la soumission des femmes.
Le féminisme se constitue sur le projet de l’émancipation de toustes et donc de remettre en question les assignations de genre. Le féminisme ne peut que refuser l’essentialisation du genre soit par les réactionnaires (une femme doit être soumise, se comporter comme ceci ou comme cela parce que c’est sa nature) soit par celleux qui en font une caractéristique comportementale ou de situation sociale hors des rapports sociaux et à s’approprier, croyant qu’ainsi iels transgressent l’ordre social alors qu’ils figent les rôles et les pérennisent.
Certes ce n’est pas facile de se départir du genre puisque nous en avons intériorisé les stéréotypes et les représentations au cœur de nos vies affectives et professionnelles et que l’éducation donnée ne les remet toujours pas vraiment en question. Pourquoi les femmes et les hommes ne s’habilleraient pas de la même manière, pourquoi iels n’auraient pas les mêmes métiers, pourquoi les hommes ne s’occuperaient pas de leurs enfants dès leur jeune âge et ne feraient pas le ménage ou la lessive ? On notera que si les métiers dits masculins se féminisent lentement mais de façon visible, les métiers féminins n’attirent pas encore beaucoup d’hommes parce qu’ils sont dévalorisés, vécu comme dévirilisant et moins payés. Tout cela il faut le rendre visible et le combattre avant de pouvoir éventuellement « neutriser » la société.
Pour Lila Braunschweig (ouvrage : « Neutriser, émancipations par le neutre », 2021, et interview par Stéphanie Dupont) : « Le neutre ne propose pas une nouvelle identité mais invite à se défaire du besoin de fixer une identité de genre ». Mais neutriser, pour la philosophe, n’est pas le synonyme de neutraliser parce que neutraliser est une prise de position qui se range de fait du côté des dominants (un gouvernement neutre au sujet des violences dans le couple par exemple serait de fait complice de cette violence et de leurs auteurs) et conforte tous les conformismes. Être neutre, c’est aussi souvent être indifférent·e. « Neutriser, ce n’est donc pas rester impartial en face d’un conflit ou les forces sont inégalement réparties, ce n’est pas laisser se reproduire l’ordre social, c’est bien au contraire chercher à altérer, transformer les inégalités en s’attaquant à une chose tout à fait particulière. Cette chose c’est la reproduction continuelle de la frontière entre les groupes et les identités ». Cette proposition du neutre est aussi une autre lecture des rapports de genre qui ne remet pas en question la lecture en termes de violence et de domination mais qui s’intéresse à la reproduction sociale et culturelle des différences et des codes de la féminité et de la masculinité. Je ne peux développer ici cette potentielle piste constructive.
S’il y a de la souffrance et de la dysphorie de genre, c’est parce qu’il y a du genre et des fonctionnements psychiques largement conditionnés par l’environnement social et les diktats sexuels entre autres. Il faut les prendre en compte. Pour cela il faut commencer par des études scientifiques sérieuses sur le vécu des personnes transgenres et transidentitaires, sur les origines de leurs malaise et mal être dans cette non-correspondance ressentie entre leur sexe, leur corps et le genre envié ou espéré, sur les effets à moyen et long terme des interventions de transformation anatomique et hormonale. Je ne conteste pas les interventions sur le corps voulues par des adultes à condition qu’une éthique solide les encadre. Ce qui fait question c’est la déclaration ou le vouloir être femme ou homme après une transformation chirurgicale (ablation, greffe) ou hormonale. Plutôt que de légiférer à la va-vite, d’imiter les pays anglo-saxons et de laisser le champ libre aux excès de la chirurgie et l’industrie pharmaceutique, il aurait mieux valu ouvrir un débat approfondi et partager la compréhension du phénomène tout en prenant les mesures nécessaires à la protection des enfants. Il faudrait se demander par exemple pourquoi aujourd’hui, il y a de plus en plus de filles qui affirment ne pas se sentir femme mais homme et vouloir changer de sexe pour mettre en conformité leur corps avec le genre souhaité. Ces demandes augmentent alors que les cas d’anorexie – une pathologie liée au rapport au corps – diminuent. Les transformations sociales, les études et les luttes féministes ont ouvert les possibles pour les femmes, c’est une réalité, elles ont engendré des aspirations au changement. Mais en même temps l’ordre patriarcal résiste et les filles dès leur jeune âge (avec des variantes selon le pays, le milieu et l’attitude des parents) prennent vite conscience que leur liberté est entravée, leur soumission attendue, leur avenir en grande partie assignée (se marier, avoir des enfants, soigner, servir…) leur sexualité décidée (homophobie). Pas étonnant qu’elles cherchent à fuir ce modèle et adopter celui qui semble apporter pouvoir, aisance et liberté plus grande. Une adolescente qui est attirée par les femmes étant donné le contexte encore très homophobe pourra voir le changement de son sexe comme une solution.
On peut en parler, on peut se rencontrer, on peut échanger, réfléchir au lieu de laisser monter en violence des confrontations souhaitées et organisées par des transactivistes. On peut faire mieux que le relativisme et l’intolérance qui suppriment ou raréfient la construction des savoirs et contrecarrent les émancipations réelles. Il est vrai que le libéralisme total et délétère dans lequel nous vivons ne facilite pas la tâche et que le féminisme libéral qui se cale sur les « valeurs du genre masculin » dont la liberté de dominer, de prostituer, entame nos forces.
A la question : « Est-ce que cela implique de se passer de la notion de genre ? » Lila Braunschweig répond « Ça dépend de ce qu’on entend par genre. Car le genre a été et continue d’être un prisme de lecture crucial pour comprendre le monde tel qu’il est aujourd’hui. Il ne suffit pas de déclarer que la différence de genre n’est pas pertinente pour qu’elle cesse effectivement de l’être. Il faut surtout tenter inlassablement de repérer les endroits où elle se reproduit pour essayer de transformer ces lieux et ces moments de reproduction, trouver des façons de faire autrement ».
La densité et l’effet de rupture de la phrase de Simone de Beauvoir : « on ne naît pas femme, on le devient » est toujours à interroger, à expliquer. Dès qu’un·e enfant·e est conçu·e se pose la question de son sexe. On peut le découvrir tôt par l’échographie. Ce sexe en fabrication, mâle ou femelle, garçon ou fille, fait l’objet de préférences, d’attentes, d’un collage du genre qui se révèlera très vite à la naissance : regardez ce petit garçon comme il est fort, déjà volontaire, regardez ce beau zizi ! versus regardez cette petite fille si mignonne et tranquille ! C’est en ce sens que l’on ne nait pas femme (le genre), on nait femelle, mais qu’on le devient, femme, par le genre, et qu’on n’en veut plus (les féministes radicales universalistes) de ce façonnage qui nous enferme dans une place et des rôles. C’est pour cela aussi que des hommes ne veulent pas des rôles que la société leur impose même s’ils sont souvent plus avantageux pour eux. Alors ensemble mettons fin à ce totalitarisme du genre. Une amie féministe s’interrogeant sur la partition CIS et Trans maintenant enseignée par certaines associations dans les interventions sur la sexualité auprès des scolaires, me disait : « finalement les trans c’est nous puisque nous ne voulons pas du genre » … à méditer en ajoutant aussi les analyses de Monique Wittig….
Mais ce n’est pas le terrorisme qui va nous aider à réfléchir, ni l’affirmation de légitimité d’un travail du sexe qui enferme les femmes, et toutes les femmes, dans leur chosification et l’esclavage sexuel.
La prostitution à abolir
Camille Froidevaux-Metterie : dans « Un corps à soi » Seuil, 2021 (Chap. Le corps objectivé p.141) écrit pour rendre compte du passage du sexe au genre : « Si les corps féminins et masculins sont toujours conçus à travers le prisme de leur sexuation, dans le cadre de la binarité à perpétuer, l’opération ne revêt absolument pas le même sens pour les uns que pour les autres. On peut dire que les corps des femmes deviennent et demeurent sexués-sexuels quand les corps des hommes s’imposent comme sexués universels. C’est au moment de la puberté que s’enclenche cette construction différenciée. L’apparition des marqueurs sexués renvoie les filles à une immédiate objectivation qui place leur corps sous le signe de la disponibilité sexuelle (c’est moi qui souligne) quand elle initie chez les garçons un processus d’incarnation-subjectivation annonciateur de leur future autonomie. Si des deux côtés, les mécanismes de l’enfermement dans les rôles de genre fonctionnent à plein, les effets produits quant aux possibilités d’action dans le monde et aux potentialités d’épanouissement des corps-sujets sont diamétralement opposés ».
Oui les femmes dans ce régime de genre sont assignées à la disponibilité sexuelle et à ne pas revendiquer d’être sujet de leur sexualité. Que signifie être féministe si on ne combat pas cela ?
L’excision est un exemple extrême de la contrainte et de la violence masculines sur le corps des femmes, elle est l’expression barbare de la peur des hommes face à leur liberté et à leur plaisir sexuel potentiels. Hélas, cette amputation, cette répression à l’encontre des femmes, est aujourd’hui promue par des « néo-féministes » comme une liberté au même titre que le voile… comment accepter une telle dérive ?
Pour la prostitution, d’où vient ce droit d’accéder au corps d’un·e autre et de le chosifier en pratiquant des actes sexuels non désirés par la victime ? J’appelle la prostitution un viol tarifé comme le font un certain nombre de survivantes de la prostitution. Qui croit encore à la pulsion sexuelle irrépressible des hommes qui justifierait la prostitution des femmes et de certains hommes et qui du coup assigne une catégorie d’êtres humains au vidage de leurs couilles ? Certainement celleux qui pensent qu’ils n’ont pas de cerveau…Comment peut-on accepter une société – et pire la promouvoir- où les besoins des uns s’imposent aux autres en les chosifiant ? Promouvoir la prostitution c’est mettre le corps des femmes à disposition des hommes ; c’est barrer leur désir pour la satisfaction des désirs masculins. Et on veut- qui ? ceux qui usent et s’enrichissent de cette forme de domination – banaliser et nous imposer la prostitution comme la quintessence du choix et de la liberté ?
On peut craindre que plus les femmes se battront pour obtenir et faire appliquer les lois nécessaires à leur émancipation contre les violences sexistes et sexuelles (viol, violence conjugale, harcèlement sexuel) que personne n’ose aujourd’hui publiquement légitimer et revendiquer (le rapport du HCEFH montre cependant que dans l’anonymat, la légitimation masculine de la commission de la violence contre les femmes est toujours là), plus les clients-prostitueurs soutenus par les trafiquants et les proxénètes feront pression pour conserver cet accès payant au corps des femmes. Ils y réussissent dans les pays réglementaristes comme l’Allemagne ou les Pays-Bas ; ils y réussissent par l’organisation d’un colonialisme prostitutionnel qui abonde les caisses de certains pays et qui profite de la vulnérabilité des femmes en projet de migration ou migrantes. En France la loi d’abolition de 2016, nécessaire et incontournable pour assurer l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et donc faire disparaître la prostitution, ne pénalise pas suffisamment les clients pour réduire leur demande. C’est leur demande qui fait la prostitution.
Comment ne pas voir la violence intrinsèque de la prostitution et ses effets destructeurs sur la santé physique, psychique et sexuelle des celles et ceux qui en sont victimes ? Un travail comme un autre ? alors il faut le supprimer ! Comment ne pas voir qu’elle commence souvent bien avant la majorité et qu’elle détruit un très grand nombre de vies ? Comment ne pas comprendre que c’est une atteinte profonde à l’intimité, à la dignité, que ce sont les clients-prostitueurs qui méprisent les personnes prostituées, qui les stigmatisent et pas les abolitionnistes ? Allez voir les commentaires des clients sur les réseaux sociaux et leurs appréciations sur la marchandise utilisée.
Par la resignification (Judith Butler, « Trouble dans le genre », 1989 ; Eric Marty, « Le sexe des modernes », 2021), un processus, celui ou celle qui a été ou s’est senti·e insulté·e « s’approprie les termes mêmes par lesquels il a été insulté afin de les vider de leur charge d’humiliation et d’en tirer une affirmation » (J. Butler « Le pouvoir des mots »,2017). Le « oui je suis une pute et fière de l’être ! » (le terme de pute étant une insulte qui veut humilier la personne prostituée) ne change rien à la réalité de la violence du système prostitutionnel, il peut donner l’illusion d’une maîtrise ou d’un choix, d’une agentivité dans le vocabulaire butlérien, et donc d’une autonomie là où il y a exigence de soumissions répétées par les prostitueurs proxénètes et clients. Ce ne sont pas les abolitionnistes qui sont violents et stigmatisants, ce ne sont pas elleux qui jettent des pierres sur les personnes prostituées dans les rues, qui les violent, qui les réduisent à des sexes achetés, qui les assassinent.
Quelques personnes en situation de prostitution affirment être des TDS (Travailleur·ses Du Sexe, catégorie sensée comprendre toustes celleux qui travaillent dans l’industrie du sexe) parce que cette situation est répétitive, pénible, procure de l’argent et donc leur semble être un travail. Nous le comprenons. Immergées dans la situation, et en difficulté d’envisager la sortie, elles souhaitent que leur activité se poursuive et se font le relais des clients et des proxénètes qui soufflent les mots d’ordre. Leur voix est particulièrement reprise et diffusée par des médias paresseux qui s’arrêtent à l’apparence des choses. Ces sorties médiatiques mettent le projecteur sur quelques dizaines de personnes mais ne doivent pas invisibiliser les milliers d’autres personnes que nous rencontrons et qui veulent sortir de l’enfer de la prostitution. Celles-là font un chemin difficile et souvent dangereux puisqu’elles échappent à des exploiteurs violents et ne peuvent s’exprimer totalement et dire leur vécu qu’une fois sortie de cet esclavage et une fois qu’elles ont recouvré leur intégrité physique et psychique et pu retrouver la maîtrise de leur vie. Le nom de survivantes que certaines se sont donné et leurs dires et écrits en disent long sur une des pires violences qui frappe les femmes de tous âges dans ce monde.
« C’est choquant qu’une partie du mouvement féministe, qui a fait de la revendication du droit au propre corps et la lutte contre la femme objet, une référence émancipatrice évidente, soit tellement désorientée quand elle aborde le thème de la prostitution » (Sylviane Dahan2009) et entretienne par sa violence anti abolitionniste ou son silence « une vision archaïque selon laquelle le corps des femmes serait un corps disponible » (Najat Vallaud-Belkacem, assemblée Nationale,2013).
La critique, la confrontation des idées, des projets et des modes de vie doivent être actives pour nourrir la démocratie dans le cadre des droits humains respectés. C’est un grand signe de faiblesse que de tenter de terroriser l’autre pour qu’il se taise.
Oui à l’union exigeante pour ce 8 mars et nos luttes tout au long de l’année qui ne fissure pas les fondements du féminisme. Oui à un mouvement autonome des femmes qui veille entre autres à la fin de cette période de mobilisation – et quel que soit le résultat de la lutte contre le projet gouvernemental de réforme des retraites – à ce que les droits des femmes et l’égalité F/H soient toujours une priorité dans les mouvements sociaux et politiques.
Femme, vie, liberté
Geneviève Duché, Mars 2023