Entre ombres et lumières, une révolution en marche ?

Contre l’usage du neutre-masculin-grammatical-imposé et l’invisibilisation des femmes, nos ami-e-s québécois-e-s emploient une graphie plus explicite et mettent un E (par exemple : salariéEs). J’adopte la même démarche.

Je reprend comme titre, celui de l’introduction des auteurs. Patrick Guillaudat et Pierre Mouterdepartent du contexte et soulignent deux éléments « d’un coté, l’ensemble des particularités de ce pays provenant de son héritage historique et, de l’autre, la dynamique du contexte géopolitique dans lequel il se trouve inséré ».

Deux points me semblent importants dans la démarche des auteurs : Continuer à lire … « Entre ombres et lumières, une révolution en marche ? »

Notre-Dame des Landes, Face aux expulsions – Manifestation de réoccupation !

Voir le blog : http://lutteaeroportnddl.wordpress.com/

 

Attac France exprime sa solidarité à celles et ceux qui luttent aujourd’hui à Notre-Dame-des-Landes, appelle les citoyen-ne-s à fonder, partout en France, des comités locaux en soutien à la mobilisation contre ce projet d’aéroport, et à un large rassemblement le samedi 17 novembre.


Notre-Dame-des-Landes devient le symbole d’un monde en crise profonde et des résistances qui opposent des alternatives de vie à des projets mortifères. “Tout y est, souligne Geneviève Azammembre du Conseil scientifique et de la commission écologie&société d’Attac France, accaparement et bétonnage des terres, destruction du bocage, des zones humides et de la biodiversité, le tout orchestré au profit d’une multinationale, Vinci, devenue grand aménageur et assurant la confusion entre intérêts publics et privés”.

Ce projet, conçu y a quarante ans, hors crise énergétique, hors crise climatique, hors crise alimentaire, hors crise financière, hors développement d’autres moyens de transport internes que l’avion, se voulait un projet de désenclavement d’une région, pointe occidentale d’une Europe à six membres.

Contre vents et marées, il s’accélère alors que l’Europe s’est élargie, que la globalisation est en crise et alors que l’avenir est à la relocalisation des activités. Une fois les milliards enfouis, ce projet risque bien de connaître le même sort que le paquebot France mis à l’eau une dizaine d’années auparavant, et qui a fini dépecé et envoyé à la ferraille.

Face à de telles passions destructrices, une résistance locale n’a cessé de dénoncer le projet et de produire une expertise attestant son irrationalité économique, sociale, environnementale. Le conflit prend désormais une dimension nationale et internationale, qu’il faut renforcer autant que nous le pouvons. “C’est pourquoi, le 17 novembre, nous serons présents à Notre-Dame-des-Landes pour la manifestation de réoccupation, décidée après l’expulsion manu militari des occupants de la ZAD [zone d’aménagement différé, rebaptisée zone à défendre] et la destruction des expériences collectives d’occupation des sols” affirme Aurélie Trouvé, co-présidente d’Attac France.

Nous avons en mémoire le conflit qui a opposé les paysans du Larzac et des citoyens venus du monde entier à l’extension du camp militaire” rappelle Geneviève Azam. Au-delà des différences d’époque et de contexte, ces luttes ont en commun une résistance contre des décisions politico-administratives et une fuite en avant dangereuse : au Larzac contre une militarisation pensée comme au temps de la guerre froide, des guerres coloniales et de l’affrontement des blocs, à Notre Dame des Landes contre un projet démentiel d’aéroport international imaginé à la fin des Trente Glorieuses. Le Larzac est un symbole d’une convergence des luttes, des paysans travailleurs aux ouvriers des Lip, des associations non-violentes et antimilitaristes aux associations kanakes. L’annulation du projet a été obtenu en 1981 après une mobilisation très large, locale, nationale et internationale.

C’est la même ambition que nous avons pour Notre-Dame-des-Landes. C’est pourquoi, Attac appelle à développer, partout où c’est possible, des comités locaux contre cet aéroport. Et nous nous engageons, dans le mouvement altermondialiste, à internationaliser ce conflit qui fait écho à bien d’autres grands projets inutiles et imposés. Dès la fin de cette semaine, à Florence (Italie), lors de la rencontre des mouvements sociaux européens du 8 au 11 novembre, où les forces mobilisés contre ces grands projets inutiles et imposés se rassembleront.

Pour en savoir plus sur la mobilisation :

L’apport de la force de travail des femmes a toujours été massif et indispensable

L’objet du livre est de « compter le nombre de femmes au travail de 1901 à 2011 et conter l’histoire de ces chiffres ».

Contre la naturalisation de situations, la construction de catégories ou d’appréciations hors du temps, et il en sera de même plus avant sur les constructions des statistiques, les auteures nous rappellent que « Chaque société, chaque époque, chaque culture produit ses formes de travail féminin et sécrète ses images et ses représentations ».

L’ambition des auteures est de « reconstituer l’histoire des comptes de l’activité professionnelle des femmes au cours du XXe siècle, sans regarder le monde d’hier en l’ajustant aux lunettes d’aujourd’hui – c’est à dire avec une ferme volonté d’historicité ».

Margaret Maruani et Monique Meron ajoutent « Ce livre se veut une réponse sociologique et statistique au brouillage idéologique qui, de manière récurrente, occulte l’importance du travail professionnel des femmes, minimise le poids de leur contribution à l’activité économique du pays – et dévalorise par là même leur statut dans la société ».

Alors que pèse  toujours sur les femmes « le soupçon rampant de l’inactivité », les données disponibles ne sont pas toujours directement lisibles et interrogent sur « la visibilité du travail des femmes ».

Par ailleurs « l’observation est indissociable de la façon d’observer, la mesure, inséparable de l’instrument de mesure. Or le regard dépend du contexte, des valeurs et des représentations du moment ; les définitions et les classements utilisés vont opérer comme autant de filtres pour mettre en lumière certains aspects de la réalité et en laisser d’autres dans l’ombre ». Ainsi, contrairement à la légende de la neutralité de la science, l’apport des chercheuses féministes a permis, et permet, de soulever des problèmes poussés en silence sous le tapis, sexuellement tissé, du travail.

Le travail justement. Le travail et l’activité. « Le fait de déclarer ou non une activité rémunérée ou une profession, de nommer travail un labeur nécessaire à l’entretien du ménage, qu’il soit à domicile ou ailleurs, de distinguer la fonction sociale de travailler, d’avoir un emploi, un métier, des autres fonctions plus domestiques ou strictement familiales, c’est s’affirmer comme membre d’une société économique ». Je reviendrai en « conclusion » sur le « domestique ». Il ne s’agit pas ici de questions techniques ou comptables mais de questions fondamentalement sociologiques : « Il se joue dans ces décisions statistiques d’apparence technique un conflit entre des représentations de la société, et plus particulièrement du rapport des hommes et des femmes à la famille et au travail » ( Christian Topalov cité par les auteures).

Les auteures soulignent donc le pari du livre : « en regardant comment se construisent au fil des ans les statistiques de l’activité professionnelle des femmes, on peut raconter quelque chose de l’histoire de leur statut. Car le travail féminin est un fil rouge pour lire la place des femmes dans la société, dans toutes les sociétés contemporaines ».

Compte tenu de la richesse des propos sur les constructions sociales et l’ampleur des analyses, je n’aborderai que certains points, en laissant souvent la parole aux auteures.

Sommaire :

  • Introduction
  • Première partie : Paysages et contours de l’activité
  • Deuxième partie : Ages de la vie et sexe de l’emploi
  • Troisième partie : Les pénuries d’emploi : chômage, sous-emploi et travail à temps partiel
  • Quatrième partie : Métiers d’antan, professions d’aujourd’hui
  • Conclusion : Ce que compter veut dire…

Soupçon d’inactivité et développement du salariat féminin

Début du vingtième siècle. Et un premier constat, tiré des données statistiques, « la France est et a été un des pays où les femmes travaillent le plus. Ou bien un de ceux où l’on a le plus su enregistrer leur travail comme de l’activité professionnelle ».

Données statistiques. Une rupture en 1954, une modification de la mesure de l’activité dans l’agriculture. Résultat : une diminution de la population active agricole d’environ 1.200.000 personnes (230.000 hommes et 970.000 femmes), « la métamorphose est brutale. Or ce grand coup de balai sur les comptes du travail féminin dans l’agriculture repose de fait, sur une hypothèses forte mais jamais énoncée : le soupçon de l’inactivité qui pèse sur les femmes, ici celles d’agriculteurs » .

Les auteures soulignent que dans les recensements, la situation générale est « neutre », c’est-à-dire « à l’aune des hommes ». Ou pour le dire autrement « pour voir les grandes tendances de l’activité, on regarde du coté des hommes, transformant le masculin en neutre, et ensuite on regarde dans une case à part les  »spécificités féminines » dont on calque les évolutions sur celles des hommes ». Ce n’est d’ailleurs pas le seul cas ou la construction du « neutre » pare les dominants d’un habit dit universel et étouffe les dominées sous une spécificité inventée comme contrepoint à ce neutre inexistant.

Mais les statistiques révèlent que, contre l’image « imprimée durablement dans l’histoire statistique du travail des femmes » d’une baisse continue de l’activité féminine des années 20 aux années 60, c’est plutôt sur la stabilité qu’il faudrait insister. La « métamorphose que les définitions statistiques ont fabriquée de toutes pièces » en 1954 ont servies de soubassement à cette soit disant baisse…

Quoiqu’il en soit de la relativisation du travail féminin au premier demi-siècle, « la seconde moitié du XXe siècle a connu une croissance sans précédent du travail et de l’emploi des femmes ». Et il est possible d’aller au delà de cette constatation, de ce « saut quantitatif » : « les chiffres nous disent le rééquilibrage de la répartition des sexes sur le marché du travail sur un fond de généralisation du salariat. Ils nous suggèrent également le poids de l’activité féminine dans les recompositions du monde du travail : depuis près d’un demi-siècle, les femmes constituent l’essentiel de l’extension des forces de travail de ce pays ». Deux éléments sous-tendent la croissance du travail professionnel des femmes : « la salarisation de la main d’œuvre et la continuité des trajectoires professionnelles ». L’extension du salariat ne doit pas, cependant être confondu avec la « croissance de l’emploi »

Plus largement, il faut ajouter que « Le salariat devient majoritaire puis dominant à la fin du XXe siècle ». C’est, là aussi, un imposant autre changement qualitatif.

Concernant plus particulièrement les femmes, Margaret Maruani et Monique Meron en concluent que « Dans l’histoire de l’activité féminine, la nouveauté n’est donc pas tant le travail qui, sous des formes diverses, a toujours existé, mais plutôt l’emploi salarié, c’est-à-dire une forme de travail instituée et reconnue, autonome, clairement identifiable et extérieure à l’univers domestique ». (Sans négliger la note de bas de page : « jusqu’en 1965, les femmes mariées devaient obtenir l’autorisation de leur mari pour travailler ». 1965, hier en somme).

Les comportements d’activité des femmes ou la « norme » mise en question

« Les femmes se distinguent notamment par leurs interruptions : s’arrêter de travailler quelques années ou plus lorsque l’enfant paraît est une particularité de l’activité féminine qui la différencie du  »modèle » masculin, la rend  »spécifique » et par là même perméable aux discriminations. Or cette discontinuité, visible sur les courbes statistiques, a commencé à s’estomper dans les années 1970 pour être aujourd’hui tout à fait résiduelle ». Les auteures ne mésestiment pas le temps partiel et indiquent son traitement plus avant dans le livre.

Avant de poursuivre, je reprends la citation et l’exprime autrement : les hommes se distinguent notamment parce qu’ils ne s’arrêtent pas de travailler quelques années ou plus lorsque leurs enfants naissent, ce qui est une particularité de l’activité masculine…..

Margaret Maruani et Monique Meron indiquent que dans cette partie, « il s’agira de délimiter les contours de la  »spécificité » de l’activité féminine, de la dater, de la situer dans le temps, de repérer les âges où elle se construit et ceux où elle se défait ».

En 2010, le taux d’activité des femmes de 25 à 49 ans dépasse 85% (contre 40% en 1960). « Autrement dit, l’écrasante majorité des femmes cumulent activité professionnelle et vie familiale ». Les auteures prolongent : « Le fait que, ces dernières décennies, la discontinuité des trajectoires professionnelles des femmes soit devenue minoritaire – pour ne pas dire résiduelle – marque une véritable rupture par rapport aux normes sociales antérieures ». Les courbes d’activité des 25-49 ans montrent « une mer d’huile du coté des hommes, une lame de fond chez les femmes ». Le comportement d’activité professionnelle « des femmes en âge d’avoir et d’élever des enfants ont changé », ou pour poursuivre l’idée énoncée plus haut, le comportement d’activité professionnelle des hommes en âge d’avoir et d’élever des enfants n’a pas changé.

Les analyses par tranches d’âges sont particulièrement éclairantes et ramènent les auteures à une question fondamentale « qu’appelle-t-on avoir un travail, que désigne-t-on comme emploi, ici et maintenant ? »

Les tendances décrites s’inversent au siècle nouveau « Au commencement du XXIe siècle, l’évolution des taux d’activité par sexe et par âge donne à voir un nouveau revirement : une remontée des taux d’activité parmi les plus jeunes comme parmi les plus âgés », effet des politiques néolibérales sur les retraites, l’école, etc…

Il faut souligner la portée de ces analyses. Contrairement à une idée rabâchée « la discontinuité de l’activité des femmes ne constitue pas la norme traditionnelle ». Et les trajectoires étaient plus discontinues entre 1946 et 1968 qu’au début du vingtième siècle.

En fait, « De la  »spécificité » des comportements d’activité des femmes, il ne reste plus grand chose – à ce niveau d’observation et sur ce plan-là en tous cas. On verra plus loin que cela ne signifie en rien une place égale des femmes et des hommes sur le marché du travail. Ni dans les emplois ni dans les métiers exercés ».

Carence d’emplois, chômage et prolifération du temps partiel

De nouveau, des problèmes de définition. « Chômage, sous-emploi et travail à temps partiel existent tout au long du XXe siècle, mais avec des appellation, des désignations et des définitions très diverses ». Sous emploi caché, sous emploi nié et leur corollaire les temps partiels dit  »choisis »…

« Plus que jamais, c’est l’histoire de la façon de compter que nous contons ici ». N’en déplaisent à ceux et celles qui pensent qu’une statistique n’est qu’une vérité chiffrée, « au-delà des chiffres, ce sont des choix politiques que nous voyons à l’œuvre ».

Si l’armée de réserve (des travailleuses et des travailleuses) existe depuis très longtemps, « ce sont les politiques sociales qui ont contribué à inventer le chômage », ou dit autrement « Définir ce qu’est le chômage et dire qui sont les chômeurs est une décision politique ». En effet, il ne suffit pas pour une personne de se dire  »au chômage » pour être comptée comme telle. La question concerne plus particulièrement les femmes car « la porosité des frontières statistiques entre le chômage et l’inactivité les touche tout particulièrement ». Ou pour conter une autre histoire, les hommes ne sont que peu touchés par la porosité des frontières statistiques entre le chômage et l’inactivité.

« Car être chômeur, ce n’est pas seulement être privé involontairement d’emploi. Ce n’est pas uniquement être à la recherche d’un travail rémunéré. C’est être reconnu comme tel et légitimé dans cette quête ». Il y des chômeurs/chômeuses reconnu-es comme tel-les et d’autres qui ne le sont pas, des « faux/fausses » chômeurs/chômeuses, en somme, des in-comptables, des invisibilisé-es. Entre emploi et chômage, il y a en fait un troisième terme « l’inactivité, qui vient brouiller les cartes et autour duquel se déclinent toutes sortes de situations intermédiaires : chômage découragé ou révélé, sous-emploi, inactivité contrainte, etc. ». Les auteures ont raison de souligner que « L’inactivité, tout comme le chômage, est donc une convention statistique ».

Et dès lors est-il surprenant que « plus on s’éloigne du chômage  »officiel » pour regarder du coté du chômage de l’ombre (les chômeurs découragés, indisponibles ou en sous-emploi), plus on rencontre de femmes ». Le chômage et les constructions statistiques sont bien sexués.

Margaret Maruani et Monique Meron mettent l’accent, contre les lectures habituelles, sur la pénurie d’emploi qui explique bien mieux la majorité des temps partiels que le masque du pseudo-choix.

Temps partiels. « Chez les hommes tout d’abord, le travail à temps partiel ne touche véritablement que deux catégories tout à fait spécifiques, les jeunes qui entrent sur le marché du travail et les plus âgés qui en sortent » et « Du coté des femmes, le temps partiel se pratique à tout âge, mais de façon plus accentuée chez les moins de 25 ans et les plus de 60 ans ». Le temps partiel a donc un « sexe » et des « âges », il n’a pas le même sens pour les femmes et pour les hommes. De plus, contre les idées répandues, « ce n’est pas dans les classes d’âge où il y a des enfants à élever que le travail à temps partiel est le plus fréquent ».

Encore une fois, l’inégalité de droit, du droit à travailler professionnellement et d’avoir une rémunération assurant une certaine autonomie. « La plupart des femmes n’ont pas choisi de travailler à temps partiel – ou, plus exactement, c’est sous la pression du chômage qu’elles  »choisissent » le temps partiel : d’un sous-emploi pour ne pas rester sans emploi ». Il faudrait compléter ces analyses par l’absence de partage du travail domestique, le manque d’équipement sociaux, l’idéologie toujours prégnante du salaire d’appoint, soutenue, entre autres, par les pouvoirs publics, avec le maintien du quotient familial et l’absence d’imposition unipersonnelle, etc.

Les auteures complètent leurs analyses sur ce que sont aujourd’hui les travailleuses et les travailleurs pauvres. Et en premier lieu « quel est donc ce raisonnement qui conduit à exclure de l’étude de la pauvreté laborieuse une grande partie des salarié(e)s payés en dessous du SMIC ? ». Elles ajoutent « L’approche familiale du salaire rend compte d’un certain état du niveau de vie des ménages. Mais elle contribue à masquer des pans entiers de la pauvreté issue du travail. La famille, de fait, agit comme cache-sexe et cache-misère ».

Plus généralement la multiplication des travailleuses et travailleurs pauvres est très liée à l’essor du travail à temps partiel. « Regarder du coté du temps partiel, de son essor et de sa prolifération dans les segments peu qualifiés de l’emploi féminin, c’est tenter de comprendre les mécanismes qui ont conduit à la paupérisation invisible d’une frange du salariat féminin ». Et comme cela avait déjà été le cas pour l’appréciation du chômage « la disponibilité est érigée en ligne de démarcation ».

Margaret Maruani et Monique Meron soulignent ce règne de l’absurde « la  »non-disponibilité » efface le sous-emploi – tout comme elle gomme le chômage ».

Le temps partiel favorisé à partir des années 1970 « s’est construit comme une forme d’emploi spécifiquement féminine ». Ou pour le dire autrement, les pouvoirs publics ont « construit une forme d’emploi spécifiquement féminine qui vient contrecarrer la tendance à l’homogénéisation des comportements d’activité masculins et féminins observées depuis les années 1960 ». Les auteures concluent ce chapitre : « Mais de là à raconter qu’il sied bien aux femmes, c’est une autre histoire. Ce serait entrer dans le registre de la fable, du mythe, de la légende. Ou peut-être du mensonge social ».

Métiers d’hier et professions d’aujourd’hui (je conserve le titre bien parlant de la quatrième partie)

L’histoire des secteurs d’activité, des secteurs d’emplois : agriculture, usine puis bureaux (tertiaire) est une aussi une histoire sexuée. Et au-delà des évolutions « lorsqu’on recense les métiers réservés à l’un ou à l’autre sexe, on constate au fil des ans le maintien de domaines qui restent presque exclusivement féminins ou masculins. Mais d’autres activités réservent des surprises, soit parce qu’elles sont moins mixtes qu’auparavant, soit parce qu’elles le sont devenues, soient encore parce qu’elles ont clairement changé de sexe ».

Ces ouvrier-e-s que l’on dit disparu-e-s, disparition accentuée par les externalisations, l’intérim et le reclassement de secteur comme les transports par exemple, sans oublier la variation des définitions. « Présentes dans le travail ouvrier, les femmes le sont également dans le chômage ouvrier. Rappelons que, toutes catégories sociales confondues, ce sont les ouvrières qui connaissent les taux de chômage les plus élevés. Ce surchômage semble pourtant frappé d’une double invisibilité : parce que femmes et parce qu’ouvrières ».

J’ajoute, pour élargir le propos que la visibilité et l’invisibilité sont socialement construites dans/par de multiples dimensions (classe, genre, nationalité, processus de racialisation, âge, territorialisation ségrégative, etc.)

J’ai particulièrement apprécié les passages sur le sexe des professions, ces infirmiers qui sont très majoritairement des infirmières, ces instituteurs qui sont majoritairement des institutrices, et plus généralement les analyses sur la mixité, y compris cette interrogation que je souligne : « régulièrement, ce sont les choix féminins que l’on interroge et que l’on met en cause : pourquoi refusent-elles tel ou tel métier, pourquoi cette allergie à la technique ? Mais, à y regarder de près, la question se pose exactement dans les mêmes termes pour les hommes. : pourquoi sont-ils si peu nombreux auprès des nourrissons et des vieux, pourquoi ce rejet du ménage et de ses soins ? »

Il y a là quelque chose à voir avec le « couple » socialement construit entre féminisation et dévalorisation.

En guise de conclusion

Il me semble qu’il convient de compléter l’analyse du travail salarié des femmes, par celui des tâches domestiques, au sens le plus large, auxquelles la société les assigne. Non seulement du à cause du doublement de leurs journées de travail («une énorme masse de travail, le travail domestique, est effectuée gratuitement par les femmes, que ce travail est invisible, qu’il est réalisé non pas pour soi mais pour d’autres et toujours au nom de la nature, de l’amour ou du devoir naturel » Danielle Kergoat, Se battre disent-elles…,La Dispute, Travailleuse n’est pas le féminin de travailleur ) mais aussi parce que cela allège considérablement le travail des hommes.

De ce point de vue s’il est exact que « Pour les femmes, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, il (le travail salarié) constitue un marchepied vers l’autonomie économique – un grand pas vers la liberté », la non remise en cause de la division sexuelle globale du travail, pris au sens de la  »production du vivre » (« travailler, c’est se transformer soi-même et transformer la société et la nature », Danielle Kergoat, idem) reste un obstacle majeur à la modification en profondeur des rapports sociaux de sexe (système de genre). « Pour s’émanciper, les femmes doivent combattre l’oppression et l’exploitation, celles qu’elles partagent avec les hommes, mais aussi celles qu’elles subissent de façon spécifique, dans le travail salarié et dans le travail domestique. Or ces deux derniers sont liés, ainsi que les rapports de domination qui leur sont afférents. » (Danielle Kergoat, Se battre disent-elles…, La Dispute, Travailleuse n’est pas le féminin de travailleur).

Ce n’était pas l’objet du livre, mais le rappeler me semble nécessaire.

Il n’en reste pas moins que les auteures soulignent, à très juste titre, une des dimensions du salariat, celle de l’émancipation contre les statuts : « Avec la diffusion du salariat, leur labeur est désormais devenu visible et autonome, déconnecté de leur statut familial. Les femmes salariées travaillent et gagnent leur vie, quelles que soient leur situation familiale et la profession du conjoint. Le salariat consomme le divorce entre statut professionnel et familial ».

Des analyses et des sources documentaires indispensables pour dénaturaliser les conventions sociales, la construction de l’asymétrie sexuelle, la domination des hommes sur les femmes. Car l’égalité n’est pas encore ici.

En complément possible :

Sous la direction de Jacqueline Laufer, Catherine Marry et Margaret Maruani : Le travail de genre – les sciences sociales à l’épreuve des différences de sexe, La Découverte, 2003, La « variable sexe » n’est pas contingente, elle est nécessaire

Margaret Maruani et Monique Meron : Un siècle de travail des femmes en France 1901-2011

La Découverte, Paris 2012, 230 pages, 24 euros

Didier Epsztajn

Autour de Thelonious (2)

Les thèmes inoubliables d’un des grands du piano, Thelonious Monk, sont repris, réappropriés, redessinés ou déconstruits par d’autres musicien-ne-s. Variations, au hasard de ré-écoutes récentes.

Voir précédente note : Autour de Thelonious

Autour de quatre pianistes : Muhal Richard Abrams, puis Barry Harris, Anthony Davis et Mal Waldron, des concerts enregistrés à l’université Columbia en novembre 1981.

Des musiciens ayant participé aux aventures monkiennes : Don Cherry (trompette), Steve Lacy (soprano sax), Charlie Rouse (tenor sax), Rosewell Rudd (trombone), Richard Davis (bass), Ed Blackwell ou Ben Riley (drums). 

Un hommage, très (trop ?) respectueux dans l’ensemble, mais beaucoup de moments magiques, en particulier dans les « unissons » ou comme par exemple dans le premier cd l’interprétation en solo de « Gallop’s gallop » par Steve Lacy, le réjouissant « Bye-ya » ou les interventions de Roswell Rudd dans le second cd, ou dans le dernier cd le début de « Friday the 13th ».

Chaque cd débute par une pièce en piano, et deux des cd se terminent par « Epistrophy », fenêtres ouvertes sur des variations possibles autour d’une œuvre phare de la musique du vingtième siècle.

Manque cependant peut-être un grain de folie…

Une invitation à réécouter les cd de Thelonious.

4 Cd, DIW Records, 1984

Un Cd de quartet mais pour « Round About Midnight » la seule présence envoûtante d’une trompette (Enrico Rava) et d’un trombone (Roswell Rudd). Une interpénétration de deux plans, plus qu’un duo, pour cette recréation du thème de Thelonious Monk. Quelques minutes de bonheur.

Enrico Rava Quartet (avec J.F. Jenny-Clark à la contrebasse et Aldo Romano à la batterie), un Cd ECM, 1978

Hommage :

Une pièce écrite par Steve Lacy « Monk’s dream », non seulement une thématique proche de l’univers de Thelonious mais deux superbes interprètes, Steve Lacy au soprano et Roswell Rudd au trombone, et avec l’accompagnement de Jean-Jacques Avenel (contrebasse) et de John Betsch (drums).

L’ensemble de ce disque est de très bon niveau dont un bien beau « Koko »

Cd Verve : Monks’dream, enregistré en juin 1999

Sans oublier « Off minor » interprété par Tineke Postma, voir Elles soufflent

Didier Epsztajn

Femmes en résistance

Avez-vous eu des informations sur la blogueuse syrienne Razan Ghazzawi ? Sur l’avocate chinoise Ni Yulan ? Sur les activités de la maison des femmes de Saint-Martin d’Hères ? Sur la résistance des Congolaises face aux violences sexuelles ? Sur les questions concernant les droits des femmes en France, Belgique ou Suisse ?…

Dans les médias, moins de 24% de l’information est consacrée aux femmes. Et encore, elles sont souvent cantonnées à des thèmes dits “féminins”, quand elles ne sont pas présentées comme victimes. Afin de contrer cette image stéréotypée, l’association Femmes ici et ailleurs, en collaboration avec le photojournaliste Pierre-Yves Ginet, s’attèle depuis dix ans à faire connaître celles qui écrivent l’Histoire de notre temps. Tout en agissant en faveur de l’égalité, diffuser ce type d’informations permet de changer le regard et incite à l’engagement citoyen.

Aujourd’hui, nous lançons le magazine « Femmes en résistance ». Ce trimestriel met en lumière ces femmes, d’ici ou d’ailleurs, anonymes ou connues, qui font bouger les lignes. Dénoncer les atteintes aux droits des femmes, souligner les bonnes pratiques en faveur de l’égalité, révéler les violences et les avancées, qu’elles soient domestiques, économiques ou sociétales, témoigner de la force des victimes qui ont su se relever et s’engager… Telle est aussi notre démarche.

Vous trouverez ci-joint le n°0 de Femmes en résistance de mars/mai 2012 (exceptionnellement en numérique) Femmes en résistance . Nous joignons également un bulletin d’abonnement ou de soutien ( Abonnement et Soutien Femmes en résitance), pour les prochaines publications. Nous vous remercions de transmettre ce message le plus largement possible autour de vous (vos amis, les établissements scolaires, les médiathèques…). Le premier numéro (septembre/novembre 2012) sera envoyé par voie postale en décembre.


Pour une consultation en ligne : http://femmesenresistancemag.wordpress.com/

« Femmes en résistance » est un magazine publié par une association, qui ne contient aucune publicité payante. Il ne perdurera qu’avec vos abonnements ou vos soutiens, que nous espérons nombreux.

Vous en remerciant par avance,

la rédaction de Femmes en résistance magazine
Association Femmes ici et ailleurs

Morts sans visage, sans nom, sans décompte et survivant-e-s d’une « odyssée » africaine : histoire d’un saute-frontières

« L’histoire de Mahmoud Traoré est celle de milliers de jeunes Africains qui, attirés par le chant des sirènes du mode globalisé, se lancent sur les routes de l’exil en taxi-brousse, en train, en camion à bestiaux, en pirogue, à pied… A travers le Sahel, le Sahara, la Libye et le Maghreb, Mahmoud a mis trois ans et demi pour parcourir la distance qui sépare Dakar de Séville – quand un touriste européen aurait à peine mis plus de trois heures en avion ».

Un parcours migratoire de plus de trois ans.

Dakar, Bamako, Niamey, Agadez, Ghat, Sebha, Tripoli, Ghadamès, Ouargla, Alger, Maghnia, Melilla, Ceuta et certains parcours faits à plusieurs reprises.

Sénégal, Burkina Faso, Niger, Algérie, Libye, Algérie, Maroc et Espagne. Sans oublier les traversées dans les déserts.

Voyage en taxi-brousse ou en minibus, voyage en 4×4, voyage à pied.

Accrochages, incidents, rackets, échecs de franchissement de la frontière, relégations et abandons dans le désert….

Temps d’attente dans les villes traversées : pour certaines, de simples passage ; pour les autres : une semaine, un mois, deux mois, trois mois, six mois ou 15 mois.

Les deux cartes en couvertures intérieures sont très utiles pour percevoir, au delà du texte, les grandeurs des espaces et du temps.

« Tu es là avec les mains vides et tu en as marre de galérer et d’attendre quelque chose qui, tu le sais bien, ne viendra jamais à toi si tu ne vas pas le chercher avec tes pieds. Alors un beau jour tu secoues ta carcasse et tu tentes ta chance, en te disant que si ça tourne mal, il sera toujours temps de rebrousser chemin ».

Ce récit est issu d’une trentaine d’heures de conversation enregistrée avec un homme construit institutionnellement comme « clandestin », comme « saute-frontières ».

Un-e de ces immigré-e-s montré-e-s du doigt parce qu’irrégulier-e (mais qu’est ce que la notion de régularité pour un-e être humain-e ?), et potentiel-le « bouc émissaire » de politiques racistes, volet intime des politiques coloniales et aujourd’hui des politiques néolibérales.

Une histoire de refus, de parcours, de frontières fermées et de refus de la résignation.

Je souligne la qualité des pages sur l’organisation des ghettos, comme « La république clandestine de Gourougou » et les relations de domination internes.

Le monde de la clandestinité est parcouru, comme les autres relations humaines, de tensions entre les femmes et les hommes, entre histoires et constructions « imaginaires » (pays, régions, langues ou « ethnies »).

Contre une vision artificiellement unifiée, l’auteur montre bien la « ligne de séparation » entre le Maghreb et le reste de l’Afrique, ligne cependant quelque fois floue, en pointillés, grâce à des solidarités humaines concrètes.

Une histoire racontée sans cacher des réalités difficiles, des « démerdes » des un-s-s contre les autres », la corruption de représentants des institutions, l’économie, pas si secondaire, du trafic et du passage, mais aussi l’amitié, la méfiance, la violence, la mort des moins résistant-e-s ou « chanceux ou chanceuses », les espaces de solidarités et l’aide malgré le dénuement.

Le livre se termine par un texte « La frontière, c’est un bizness » de Bruno Le Dantec. Il nous rappelle entre autres, le rôle des pouvoirs publics européens, de l’agence Frontex (« Frontex : l’externalisation de la guerre »), la criminalisation de l’émigration, l’utilisation de la main d’œuvre sans droit et sous-payée (« Du sang neuf pour le marché espagnol » et « Du sang neuf pour le marché européen »), etc.

Il souligne que « La mondialisation par le haut se hérisse de barbelés et de contrôles chaque jour plus paranoïaques » ou que « Circuler sans entraves dans le  »village global » est aujourd’hui le privilège des marchandises, des capitaux et des citoyens occidentaux – dont beaucoup, malgré des revenus modestes, peuvent aller jouer aux riches dans les pays du Sud, grâce aux vols low cost et à l’industrie des vacances à bas prix ».

A cela, je pourrais ajouter les soldats de l’armée de l’État français faisant soit la « police » soit la guerre hors du territoire « national » et les français-e-s, jamais désigné-e-s comme immigré-e-s, car nommé-e-s expratrié-e-s. Le nom est aussi une forme de domination.

Contre les barbelés, les frontières, un véritable plaidoyer pour la libre circulation à l’opposé de cette circulation réelle, lente, difficile, coûteuse et dangereuse.

En possible complément :

La Cimade : Migrations : État des lieux 2012, Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays (article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme)

 

Migreurop (Emmanuel Blanchard et Anne-Sophie Wender coord.) : Guerre aux migrants. Le livre noir de Ceuta et Mellilla, Editions Syllepse 2007

Mahmoud Traoré, Bruno Le Dantec : « Dem ak xabaar » Partir et raconter. Récit d’un clandestin africain en route vers l’Europe

Editions Lignes, Paris 2012, 318 pages, 23 euros

Réédition en mars 2017 en format de poche, 11 euros

Didier Epsztajn

Un acte à l’aune de l’audace et de la liberté dont elle fit preuve toute sa vie

« Je soussignée Rosalie-Marie, dite Rosa Bonheur, artiste peintre, saine de corps et d’esprit, exprime ici librement mes dernières volontés, ne devant rien à personne, et n’ayant pas la moindre dette, libre de ma volonté et de ce que seule j’ai gagné par mon travail, n’ayant jamais eu ni amants ni enfants. «  Continuer à lire … « Un acte à l’aune de l’audace et de la liberté dont elle fit preuve toute sa vie »

Je suis ta négation

Chèr(e) homophobe,

Cela fait des mois main­te­nant que tu peux déver­ser ta haine dans la presse, à la télé­vi­sion et à la radio. C’est devenu une sorte d’espace accepté de haine : tu as le droit de me cra­cher à la gueule, c’est la liberté d’expres­sion. Je vais te dire : ça ne me dérange pas. Et puis le cou­ra­geux gou­ver­ne­ment actuel vient de te donner du temps en plus pour que tu t’amuses.

Que tu me vois comme un(e) chien(ne), comme un sous-homme ou autre ne me pose pas plus de pro­blème que cela. La chance que tu as avec nous autres les trans pédés goui­nes, c’est que tu peux nous insul­ter sans qu’on ait réel­le­ment le droit de bron­cher en théo­rie. Bon, on peut t’atta­quer en jus­tice, c’est vrai, cette jus­tice bour­geoise qui te condam­nera à quel­ques euros et à dire pardon.

Mais t’es loin d’être un imbé­cile : tu sais polis­ser ton dis­cours, faire en sorte que tu sois à la limite de la loi mais pas trop quand même. Pare que t’es un bon par­leur, et que t’es conseillé par des gen­tils avo­cats gras­se­ment payés.

Alors t’y vas de ton « mais je ne suis pas homo­phobe, j’ai des amis homos » comme d’autre y vont de leur « je ne suis pas raciste, mon chien est noir ». On l’entend tel­le­ment cette phrase qu’elle nous fati­gue, tu ne peux pas savoir … Elle ne nous fati­gue pas parce qu’on l’a trop entendu, mais parce qu’on sait ce qu’elle intro­duit : la haine !

Alors je vais te dire : t’as le droit de jacter autant que tu veux, c’est normal, je ne suis pas du genre à deman­der qu’on inter­dise des trucs, j’aime bien l’idée qu’on l’ouvre, qu’on ait le droit de dire ce qu’on veut. Mais s’il te plait : com­mence à avoir un peu plus de cran ! Arrête les faux sem­blants, cesse de faire avec nous ce que tu fais déjà avec les juifs, les musul­mans ou autres métè­ques qui te déran­gent. Commence à t’assu­mer : fait ton coming out de haine ! Sort de ton pla­card, et soit ouver­te­ment hai­neux ! Fait toi du bien, libère-toi !

Parce que, vois-tu, on a com­pris ce que tu étais. On a com­pris com­ment tu nous voyais. On sait que tu nous détes­tes, que tu veux qu’on dis­pa­raisse, et d’ailleurs cer­tains d’entre vous le disent, fau­drait rou­vrir les fours ! Tu peux bien être tout bien habillé dans un débat sur France Télévision et dire que tu deman­de­ras à d’autres de célé­brer nos maria­ges parce que toi non, on sait que sous le cos­tume se cache celui du fas­cisme crasse, du vieux pétai­nisme rance.

Alors je vais te dire, ça va peut être te sur­pren­dre, mais non, tu ne nous fais pas peur. Oui, tu nous auras tou­jours dans les pattes, tou­jours face à toi, on sera tou­jours là pour te com­bat­tre, toi et tes idées de haine. On sera dressé(e) et fort(e) face à toi, parce que non, tu ne nous fait plus peur, nous sommes fier(e)s et nous n’avons plus envie de subir. Mais ne viens pas te plain­dre, c’est toi qui a com­mencé.

Alors, cher(e) homo­phobe, sache que je te méprise du plus pro­fond de ce que je suis. Et que la haine ne m’habite pas contrai­re­ment à toi. Mais ne va pas croire que sous ce pré­texte je serais sans défense.

Bien face à toi et à ta couar­dise.

P.-S. : Ce texte est de moi, mais vous pouvez le reprendre à votre convenance.

Fablyon, http://rebellyon.info/Je-suis-ta-negation.html

Le caractère charnel des réminiscences terrestres

Un livre divisé en deux ou deux livres. Deux faces ou l’invention d’un récit et d’histoires complémentaires et contradictoires. Un renvoi au coté gris d’images mémorisées, d’une existence contrainte, d’une vie lente et peu colorée, et de l’autre la dispersion des inventions clinquantes de la célébrité, du consummérisme ou de la liberté des inégaux. Les deux cotés d’un mur…

Rana Dasgupta nous dresse le portrait d’un homme qui n’a pu être ce qu’il souhaitait. Bifurcations et réductions de l’existence au gré des événements du siècle vingtième au cœur de l’Europe centrale.Ulrich, comme un autre homme sans qualité.

L’auteur dessine à la fois le personnage, sensible et quelconque et le paysage bousculé ou absurde, aux teintes délavées avec le temps qui passe, puis tirant vers le gris et enfin vers le noir de la cécité ou la blancheur des rêves éveillés.

« Lorsqu’il repense au passé, il est surpris de voir combien de temps il a passé en rêves éveillés. Ses fictions privées l’ont soutenu jour après jour, tandis que le monde lui-même tournait à l’absurde. Jamais il ne lui est venu à l’idée que l’essentiel de son esprit s’est peut-être investi dans cette création. Mais ce n’est pas une conclusion pessimiste. Ses rêves éveillés sont en quelque sorte l’œuvre d’une vie et, maintenant qu’il s’est débarrassé de tout le reste, ils sont toujours à sa disposition ».

Un auteur, maniant la langue avec brio, pour nous conter le cours du siècle d’Ulrich, ex-musicien, ex-chimiste, ex-amoureux, ex-marié, ex-voyant, habitant de mondes ancrés dans le tumultueux et dramatique vingtième siècle. Un auteur, peut-être un peu moins inspiré, pour nous faire participer aux inventions, aux rêves éveillés, aux sordides, mais pleines de couleurs et de rythmes, des images du monde « moderne ».

Un double voyage ou un voyage en double…

Rana Dasgupta : Solo

Traduit de l’anglais par Francesca Gee

Gallimard, Paris 2012, 449 pages, 25 euros

Didier Epsztajn

Nous ne sommes pas des clients, nous sommes une communauté qui réclame des droits

« ARTICLE 4 : Par le présent traité, l’Union européenne s’engage à ne plus se foutre de la gueule des peuples en promettant une  » coordination des politiques économiques et convergence  » quand il n’est question que de stabilité des finances publiques. Soit on stabilise, soit on converge  : faire croire que l’un est la condition de l’autre est une farce que tous les chômeurs européens apprécient au quotidien. »

Le premier texte est une réjouissante version du traité (européen) retraité.

Comme l’écrivent les auteur-e-s « Comment peut-on lire un traité européen ? Un traité en cours de ratification dans toute la zone euro et dont on se sent d’avance complètement dépossédé. Un traité où souvent l’on ne comprend rien, et dont parfois, quand on croit comprendre, on ressort confondu par tant de bêtise et d’idéologie inassumée. Un traité dont la plupart des critiques officielles et autorisées nous enfoncent encore un peu plus dans notre non-savoir et notre illégitimité à le lire. Un traité qui écrase tout destin commun sous un même diktat économique et semble comme renoncer d’avance à être l’expression d’une âme, sinon commune au moins vivante. Un traité qui nous fait regretter de ne pas savoir être encore européen. Un traité dont on sait quoi penser mais que penserait-on s’il n’y avait pas de traité du tout, si tout le monde s’en foutait et vogue le naufrage ? Un traité qui donne envie d’être idiot, de faire l’idiot, mais toujours avec une pensée derrière la tête. Un traité qu’on peut suivre et tenter de réécrire avec l’insolence et l’aplomb des sans nom et des sans titre un certain temps, mais qui oblige à un moment à lâcher prise pour s’interroger au moins sur l’Europe en laquelle on peut encore croire. On s’y est essayé avec ce dernier traité européen. La preuve ». Entre rigolade, sarcasme et émancipation.

De nombreux textes et diverses illustrations poétiques, photographiques ou graphiques, je n’en souligne que certains.

Et en premier lieu une enquête sur l’autisme et l’antenne 110 à Bruxelles :

  • « un système d’antennes de sécurité né d’îles fabuleuses » d’Ariane Chottin et Aude Lalande, qui interrogent sur la « normalité » et les grandes violences « quand l’apprentissage par conditionnement se double de  »renforcements » par punition, ou plus simplement impose aux sujets d’abandonner des  »obsessions » et des objets de prédilection qui sont autant de défenses élaborées pour se protéger des agressions du monde extérieur ». Elles indiquent que « L’autisme n’est pas quelque chose qu’une personne a. C’est une manière d’être ».
  • « des enfants qui ne dérangeaient pas du tout les enseignants » rencontre avec Bruno de Halleux, Jean-Luc Gillet & Marie-Françoise Lisen, de l’Antenne 110 
  • « un bord comme protection » qui débute par « Pour vivre avec les autistes construisent un bord qui fait rempart contre le monde angoissant qui les entoure ».
  • « qu’est-ce que  »l’objet autistique » ? » de par Cédric Detienne qui analyse ces  »objets » « pris comme des appendices du corps », entre autres, comme solution problématique : « L’enfant doit sans cesse réitérer sa solution pour qu’elle continue à valoir. Ce qui en fait une solution particulièrement problématique car elle exclut l’enfant de tout lien social et de de toute forme d’apprentissage » et aussi comme « une solution problématique à cadrer » à travers l’exemple de Romain, ses bouts de bois et l’atelier Youtoube.

J’ai apprécié le « À nous donc de risquer » d’Emmanuelle Gallienne sur l’épreuve des frontières pour les émigrant-e-s. Je souligne ce qu’elle indique sur la situation en Grèce « l’atmosphère est si dense de haine ».

Le « Jouer/Déjouer » de Laure Gauthier donne envie de connaître le « W. (Der Fall W. », le Don Giovanni d’Olga Neuwirth et Elfride Jelinek, « Le rire doit ôter ses lettres de noblesses au concert afin de libérer la vigilance de l’auditoire. »

Cécile Boëx dans « Montrer, dire et lutter par l’image. Les usages de la vidéo dans la révolution en Syrie » amorce une réflexion sur l’usage de la vidéo dans un contexte de révolte et de répression.

Dans son avant propos, au « Chantier : La démocratie malade de son devenir universitaire », Sophie Wahnich montre pourquoi les « crises universitaires, sont aussi des crises de la démocratie », que « les questions en jeu dans l’éducation publique doivent être soustraites aux circuits marchands d’économie classique ». En citant les travaux de Mauss, elle ajoute « Il y aurait alors à distinguer, non pas entre échange utile et inutile, mais entre une utilité immédiatement instrumentale et une utilité sociale des objets échangés en tant qu’ils permettent de faire tenir une société, de faire société ». L’auteure termine par : « L’inventivité des mouvements étudiants, leur grande compétence à analyser les situations, leur volonté affirmée de maintenir un cadre de lutte non violent, témoignent d’une politique de la vie bonne face à ce pourrissement. Le silence mortifère qui leur répond ne permet pas de dire aujourd’hui si ces luttes participeront à court, moyen ou long terme à la victoire de l’éthos démocratique. »

Quatre pays, quatre articles :

  • « à bas l’excellence ! » de Julie Le Mazier, sur les luttes étudiantes en France
  • « de l’étudiant citoyen à l’étudiant consommateur » d’Andrew McGettigan sur la situation en Grande- Bretagne
  • « la génération étudiante du réveil démocratique » de Javiera Canales, Nadine Faure et Fernanda Uribe sur le Chili
  • et « carré rouge » de Marc-Antoine Lévesque sur le Québec

Un grand point commun, le néolibéralisme et la marchandisation des études. Il n’est pas inutile de rappeler que le Chili fut un laboratoire sous la dictature de Pinochet et … des « Chicago boys » de Milton Friedman. Mêmes politiques, mêmes rejets de masse, « Nous ne sommes pas des clients, nous sommes une communauté qui réclame des droits », auto-organisation et luttes des étudiant-e-s. Sans oublier que les étudiant-e-s chilien-ne-s manifestèrent leur solidarité lors de la grève des carrés rouges. La mise en perspective des mobilisations étudiantes dans plusieurs pays forme sens…

En complément, j’invite à lire André Frappier, Richard Poulin et Bernard Rioux : Le printemps des carrés rouges. Lutte étudiante, crise sociale, loi liberticide et démocratie de la rue. M éditeur, Québec, 2012, L’éducation est un droit, non un privilège réservé aux plus nantiEs, elle doit donc échapper à la sphère marchande

Vacarme 61 http://www.vacarme.org/

De nombreux textes disponibles en ligne, mais cela ne devrait pas dispenser les lectrices et les lecteurs d’acheter la revue.

Automne 2012, 252 pages, 12 euros

Didier Epsztajn

Lucie est sortie du rang où sa condition de femme, de mère, de veuve aurait dû la garder

Voici, un très plaisant ouvrage, une tentative de reconstituer l’histoire de Lucie Baud, soyeuse (« les soyeuses sont une aristocratie »), à partir d’une éventuelle photographie et d’un article « Les tisseuses de soie dans la région de Vizille » paru dans Le Mouvement socialisteen juin 1908 et republié dans Le Mouvement Social dans le numéro d’oct-déc. 1978 Continuer à lire … « Lucie est sortie du rang où sa condition de femme, de mère, de veuve aurait dû la garder »

Le présent de cette crise qui dure est la vengeance du futur sur le passé

Sommaire du numéro :

  • Présentation suivi de l’appel « sauvons la Grèce de ses sauveurs » :

Au moment où un jeune Grec sur deux est au chômage, où 25 000 SDF errent dans les rues d’Athènes, où 30% de la population est tombée sous le seuil de pauvreté, où des milliers de familles sont obligées de placer leurs enfants pour qu’ils ne crèvent pas de faim et de froid, où nouveaux pauvres et réfugiés se disputent les poubelles dans les décharges publiques, les « sauveurs » de la Grèce, sous prétexte que les Grecs « ne font pas assez d’efforts », imposent un nouveau plan d’aide qui double la dose létale administrée. Un plan qui abolit le droit du travail, et qui réduit les pauvres à l’extrême misère, tout en faisant disparaître du tableau les classes moyennes.

Le but ne saurait être le « sauvetage » de la Grèce : sur ce point, tous les économistes dignes de ce nom sont d’accord. Il s’agit de gagner du temps pour sauver les créanciers tout en menant le pays à une faillite différée. Il s’agit surtout de faire de la Grèce, avec la collaboration active de sa propre classe dirigeante, le laboratoire d’un changement social qui, dans un deuxième temps, se généralisera à toute l’Europe. Le modèle expérimenté sur les Grecs est celui d’une société sans services publics, où les écoles, les hôpitaux et les dispensaires tombent en ruine, où la santé devient le privilège des riches, où les populations vulnérables sont vouées à une élimination programmée, tandis que ceux qui travaillent encore sont condamnés aux formes extrêmes de la paupérisation et de la précarisation.

Mais pour que cette offensive du néolibéralisme puisse arriver à ses fins, il faut instaurer un régime qui fait l’économie de droits démocratiques les plus élémentaires. Sous l’injonction des sauveurs, on voit donc s’installer en Europe des gouvernements de technocrates qui font fi de la souveraineté populaire. Il s’agit d’un tournant dans les régimes parlementaires où l’on voit les « représentants du peuple » donner carte blanche aux experts et aux banquiers, abdiquant leur pouvoir décisionnel supposé. Un coup d’État parlementaire en quelque sorte, qui fait aussi appel à un arsenal répressif amplifié face aux protestations populaires. Ainsi, dès lors que les députés ont ratifié la convention dictée par la troïka (l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international), diamétralement opposée au mandat qu’ils avaient reçu, un pouvoir dépourvu de légitimité démocratique aura engagé l’avenir du pays pour trente ou quarante ans.

Parallèlement l’Union européenne s’apprête à constituer un compte bloqué où serait directement versée l’aide à la Grèce afin qu’elle soit employée uniquement au service de la dette. Les recettes du pays devraient être en « priorité absolue » consacrées au remboursement de créanciers, et, si besoin est, directement versées à ce compte géré par l’Union européenne. La convention stipule que toute nouvelle obligation émise dans son cadre sera régie par le droit anglais, qui engage des garanties matérielles, alors que les différends seront jugés par les tribunaux du Luxembourg, la Grèce ayant renoncé d’avance à tout droit de recours contre une saisie décidée par ses créanciers. Pour compléter le tableau, les privatisations sont confiées à une caisse gérée par la troïka, où seront déposés les titres de propriété de biens publics. Bref, c’est le pillage généralisé, trait propre du capitalisme financier qui s’offre ici une belle consécration institutionnelle. Dans la mesure où vendeurs et acheteurs siégeront du même côté de la table, on ne doute guère que cette entreprise de privatisation soit un vrai festin pour les repreneurs (qu’ils soient grecs ou étrangers)…

Or toutes les mesures prises jusqu’à maintenant n’ont fait que creuser la dette souveraine grecque et, avec le secours de sauveurs qui prêtent à des taux usuraires, celle-ci a carrément explosé en approchant des 170% d’un PIB en chute libre, alors qu’en 2009 elle n’en représentait encore que 120%. Il est à parier que cette cohorte de plans de sauvetage – à chaque fois présentés comme « ultimes » – n’a eu d’autre but que d’affaiblir toujours davantage la position de la Grèce de sorte que, privée de toute possibilité de proposer elle-même les termes d’une restructuration, elle soit réduite à tout céder à ses créanciers sous le chantage de « la catastrophe ou l’austérité ».

L’aggravation artificielle et coercitive du problème de la dette a été utilisée comme une arme pour prendre d’assaut une société entière. C’est à bon escient que nous employons ici des termes relevant du domaine militaire : il s’agit bel et bien d’une guerre conduite par les moyens de la finance, de la politique et du droit, une guerre de classe contre la société entière. Et le butin que la classe financière compte arracher à « l’ennemi », ce sont les acquis sociaux et les droits démocratiques, mais au bout du compte, c’est la possibilité même d’une vie humaine. La vie de ceux qui ne produisent ou ne consomment pas assez au regard des stratégies de maximisation du profit, ne doit plus être préservée.

Ainsi, la faiblesse d’un pays pris en étau entre la spéculation sans limites et les plans de sauvetage dévastateurs, devient la porte dérobée par où fait irruption un nouveau modèle de société conforme aux exigences du fondamentalisme néolibéral. Modèle destiné à toute l’Europe et plus si affinités. C’est le véritable enjeu et c’est pour cela que défendre le peuple grec ne se réduit pas à un geste de solidarité ou d’humanité abstraite : l’avenir de la démocratie et le sort des peuples européens sont en question. Partout la « nécessité impérieuse » d’une austérité « douloureuse, mais salutaire » va nous être présentée comme le moyen d’échapper au destin grec, alors qu’elle y mène tout droit.

Devant cette attaque en règle contre la société, devant la destruction des derniers îlots de la démocratie, nous appelons nos concitoyens, nos amis français et européens à s’exprimer haut et fort. Il ne faut pas laisser le monopole de la parole aux experts et aux politiciens. Le fait qu’à la demande des dirigeants allemands et français en particulier la Grèce soit désormais interdite d’élections peut-il nous laisser indifférents ? La stigmatisation et le dénigrement systématique d’un peuple européen ne mériteraient-ils pas une riposte ? Est-il possible de ne pas élever sa voix contre l’assassinat institutionnel du peuple grec ? Et pouvons-nous garder le silence devant l’instauration à marche forcée d’un système qui met hors la loi l’idée même de solidarité sociale ?

Nous sommes au point de non-retour. Il est urgent de mener la bataille des chiffres et la guerre des mots pour contrer la rhétorique ultralibérale de la peur et de la désinformation. Il est urgent de déconstruire les leçons de morale qui occultent le processus réel à l’œuvre dans la société. Il devient plus qu’urgent de démystifier l’insistance raciste sur la « spécificité grecque », qui prétend faire du caractère national supposé d’un peuple (paresse et roublardise à volonté) la cause première d’une crise en réalité mondiale. Ce qui compte aujourd’hui ne sont pas les particularités, réelles ou imaginaires, mais les communs : le sort d’un peuple qui affectera tous les autres.

Bien des solutions techniques ont été proposées pour sortir de l’alternative « ou la destruction de la société ou la faillite » (qui veut dire, on le voit aujourd’hui : « et la destruction et la faillite »). Toutes doivent être mises à plat comme éléments de réflexion pour la construction d’une autre Europe. Mais d’abord il faut dénoncer le crime, porter au grand jour la situation dans laquelle se trouve le peuple grec à cause des « plans d’aide » conçus par et pour les spéculateurs et les créanciers. Au moment où un mouvement de soutien se tisse autour du monde, où les réseaux d’Internet bruissent d’initiatives de solidarité, les intellectuels français seraient-ils donc les derniers à élever leur voix pour la Grèce ? Sans attendre davantage, multiplions les articles, les interventions dans les médias, les débats, les pétitions, les manifestations. Car toute initiative est bienvenue, toute initiative est urgente.

Pour nous, voici ce que nous proposons : aller très vite vers la formation d’un comité européen des intellectuels et des artistes pour la solidarité avec le peuple grec qui résiste. Si ce n’est pas nous, ce sera qui ? Si ce n’est pas maintenant, ce sera quand ?

Vicky Skoumbi, rédactrice en chef de la revue « αληthεια », Athènes, Michel Surya, directeur de la revue « Lignes », Paris, Dimitris Vergetis, directeur de la revue « αληthεια », Athènes.

Et : Giorgio Agamben, Diamanti Anagnostopoulou, Enzo Apicella, Albena Azmanova, Daniel Alvara,Alain Badiou, Jean-Christophe Bailly, Etienne Balibar, Fernanda Bernardo, David Berry, Sylvie Blocher, Laura Boella, Carlo Bordini, Hervé le Bras, Roberto Bugliani, Daniela Calabro, Claude Cambon, Maria Elena Carosella, Barbara Cassin, Bruno Clément, Danielle Cohen-Levinas, Christiane Cohendy, Yannick Courtel, Martin Crowely, Rolf Czeskleba-Dupont, Michel Deguy, Michel Didelot, Didier Deleule, Claire Denis, Georges Didi-Huberman, Costas Douzinas, Riccardo Drachi-Lorenz, Marie Ducaté, Leili Echghi, Les Economiste Atterrés, Roberto Esposito, Camille Fallen, Celine Flecheux, Chiara Frugoni, Ivetta Fuhrmann, Enzo Gallori, Jean-Marie Gleize, Francesca Isidori, Clio Karabelias, Jason Karaïndros, Stathis Kouvelakis, Pierre-Philippe Jandin, Fréderic Lordon, Jeremy Leaman, Jérôme Lèbre, Marie-Magdeleine Lessana, Jacques Lezra, Gianna Licchetta, Marco Mamone Capria Jean-Clet Martin, Pr. Jobst Meyer, Pierre Murat, Jean-Luc Nancy, Maurizio Neri, Gloria Origgi, Marco Palladini, Timothy Perkins, Matthaios Petrosino, Nicola Predieri, Stefano Pippa, Philippe Rahme, Jacques Rancière, Haris Raptis, Judith Revel, Elisabeth Rigal, Franco Romanò, Avital Ronell, Jacob Rogozinski, Alessandro Russo, Hugo Santiago, Ingo Schmidt, Beppe Sebaste, Giacomo Sferlazzo, Amalia Signorelli, Michèle Sinapi, Maria Giulia Soru, Benjamin Swaim, Bruno Tackels, Enzo Traverso, Gilberte Tsaï, Catherine Velissaris, Frieder Otto Wolf.

  • Claude Calame, Les marchés financiers et le politique : l’anthropologie néolibérale contre la Grèce et l’Europe
  • Alain Badiou, La Grèce, les nouvelles pratiques impériales et la ré-invention de la politique
  • Étienne Balibar, De la crise grecque à la refondation de l’Europe ?
  • Frédéric Lordon, Euro, terminus ?
  • Dimitris Vergetis, Les nouveaux noms séparateurs du biopouvoir et les populations superflues
  • Kostas Vergopoulos, L’Europe s’installe dans la spéculation
  • Stavros Tombazos, L’esprit et les fétiches. Réflexions sur la situation grecque
  • Savas Michael-Matsas, Grèce générale
  • Enzo Traverso, Le comité d’affaires de la bourgeoisie. L’Italie de Mario Monti
  • Livio Boni, Mois d’aplomb en Italie
  • Manuel Cruz, Le monstre vorace où nous habitons
  • Amador Fernández-Savater, Le 15-M et la crise de la culture consensuelle en Espagne
  • Cristina Semblano, Le Portugal à l’heure de la troïka ou l’élève modèle de la Grèce
  • Élisabeth Gauthier, Europe : risques existentiels ; nouveaux défis politiques
  • Frieder Otto Wolf, Pourquoi il faut sauver le peuple Grec de ses sauveurs. Perspectives d’une alternative au sein de la grande crise
  • Maria Kakogianni, Crises du capitalisme, crises du libéralisme, et le parti fasciste
  • Vicky Skoumbi, Réécrire le vocabulaire de la crise 

La multiplicité des points de vue sur la situation grecque et sur l’appréciation des politiques néolibérales européennes, permet d’élargir les débats. Je n’évoque que certains articles et quelques points traités.

Personnellement je ne goutte que peu l’hypothèse communiste, aux relents staliniens, d’Alain Badiou ni le centrage sur la bio-politique de Michel Foucault par d’autres. Je ne partage pas non plus les conclusions de Frédéric Lordon sur la nécessaire sortie de la Grèce de l’euro mais au moins cet auteur développe-t-il ses analyses avec un humour bien venu, tout en nous rappelant que « La science économique n’existe pas. Il n’y a que de l ‘économie politique », qu’il « est inepte de parler de  »faillite » à propos d’un État » ou en soulignant le nécessaire, pour la survie de la Grèce, « défaut complet de sa dette souveraine » et d’une reconstruction d’une « économie politique du prélèvement fiscal ». Il ajoute, entre autres « Car, charme particulier des dynamiques du marché, un événement donné ne déploie ses conséquences qu’au travers de la médiation du jugement et de l’opinion collective de la finance -imprédictible ex ante… » Frédéric Lordon n’hésite pas, à juste titre, à parler de violence en réponse aux violences expropriantes des droits « Jusqu’à ce que les  »intéressés », on veut dire les préposés au chômage, au suicide et à la vie raccourcie, finissent par rappeler leur présence, matériel humain ordinairement tenu pour quantité négligeable mais qui, de temps à autre, recouvre sa qualité de sujet politique, et réaffirme ses intérêts vitaux, avec parfois une violence en proportion des négations dont elle a fait l’objet ».

Sur la Grèce, parmi les différents articles, j’ai notamment apprécié ceux de Claude Calame, très complet dans la description des marchés financiers et des politiques déployées, d’Etienne Balibar, sur la refondation de l’Europe, qui se conclut par « De plus, il faudrait inventer la forme politique (et pas seulement juridique) qui  »combine » une autorité sociale et une capacité de gouvernement par temps d’incertitude avec une extension maximale de la conflictualité démocratique et de l’expression des tendances hétérogènes de la société européenne – condition même de la légitimité » (souligné par moi) ou de Frieder Otto Wolf sur « pourquoi sauver le peuple grec de ses sauveurs ».

Je souligne l’intérêt de l’article de Stravos Tombazos et sa critique de « l’esprit et les fétiches ». Le titre de cette note lecture est extraite de son texte. L’auteur souligne, entre autres que « L’universel est une réalité processuelle dont la volonté est le moteur ». Il termine ses propos par : « Certes, l’avenir est fort incertain et le pari avec l’histoire reste toujours mélancolique, mais le spectre peut de nouveau sourire. L’esprit ne s’incline plus devant les fétiches ».

Au total de multiples entrées sur la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou l’Italie, et sur l’Europe néolibérale. Ne nous y trompons pas, d’une certaine façon, une bonne partie des européen-ne-s sont potentiellement des grecs et des grecques en devenir, sans oublier les populations immigrées directement menacées par les politiques de repli nationaliste plus ou moins musclées et par les exactions de groupe néo-nazis, qui ne sont plus des groupuscules comme le montre Aube dorée en Grèce.

Comme trop souvent, les conséquences aggravées pour les femmes, des politiques mises en place, ne sont pas analysées. Et je m’étonne d’un lourd silence des auteur-e-s français-e-s et allemand-e-s particulièrement sur l’annulation unilatérale des dettes portées par les banques françaises et allemandes sur les États grecs, espagnol ou portugais. Ces dettes sont largement illégitimes dans les pays débiteurs, elles le sont aussi dans les pays créanciers !

Sans conclure, un paragraphe extrait de l’article de Savas Michael-Matsas : « Des tendances d’atomisation du  »sauve-qui-peut », mais aussi des contre-tendances de résistance sociale, d’auto-organisation collective et de constitution de réseaux de solidarité, comme on en a vu ces dernières années en Grèce (assemblées populaires, services médicaux, et  »soupes populaires », etc.). Aux courants individualistes et de dé-subjectivation s’opposent des contre-courants d’une nouvelle subjectivation collective, sociale et politique, encore hésitante, voir embryonnaire ».

Lignes N°39 : Le devenir grec de l’Europe néolibérale

Editions Lignes, Paris 2012, 228 pages, 20 euros

Didier Epsztajn

Notre horizon : l’égalité réelle pour toutes et tous

Une nouvelle fois – mais peut-on encore s’en étonner ?–, le Parti socialiste de gouvernement piétine devant l’obstacle de l’extension du droit de vote à toutes et tous les habitant-es, qu’elles et ils soient nommé-es français-es ou étranger-es. Un tel droit permettrait une nouvelle avancée vers l’universalisation réelle de la citoyenneté.

Nous pouvons d’ailleurs remarquer qu’il piétine devant bien des obstacles et qu’il met la pédale douce ou enclenche la marche arrière sur bien des questions. Son action étant, par ailleurs, réduite à des mesures de « gouvernance », écartant la construction de débats démocratiques, d’interventions participatives, directes ou non, des citoyen-nes.

Les questions sont là, nombreuses, qui méritent d’être traitées avec courage et détermination, en rompant avec les soi-disant « intérêts communs », pour dire aux Bernard Arnaud, aux Unilever et aux PSA et autres Medef, aux Le Pen et à l’UMP que Sarkozy chassé, c’est leurs politiques qu’il est temps de changer.

Prenons une question, une seule. Celle de l’Égalité qui trône sur les frontons entre la Liberté et la Fraternité. Pour mémoire, cette égalité signifie l’égalité des êtres humains. Ni seule égalité abstraite, ni juste égalité de traitement, ni simple égalité d’accès aux droits, ni équité de traitement (comme la prônent les néolibéraux). La question de l’égalité est une question concrète. La rhétorique égalitaire républicaine, plus ou moins sincère, ne suffit pas à lutter contre les inégalités réellement existantes.

La gauche de transformation, celle qui prétend participer à changer le monde, devrait mettre en avant des mesures qui modifient immédiatement les conditions de vie des exploité-es et des opprimé-es.

En partant des situations réelles, des ségrégations territoriales, sociales et « ethno-raciales », les politiques d’égalité supposent de prendre à bras-le-corps les discriminations liées au genre, à la couleur de peau, à l’étrangeté du patronyme, à la ghettoïsation de résidence, à la religion, etc. Plus généralement, ces politiques à mettre en œuvre impliquent de dénaturaliser les pratiques « majoritaires ».

Les faits sont là : la société sécrète et reproduit des inégalités et des ségrégations qui sont à la fois de classe, de genre et de « race » (au sens de processus de racialisation). L’acquisition de la nationalité française ne fait pas disparaître ipso facto les obstacles spécifiques que rencontrent sur le marché du travail ou de l’habitat non seulement les Étranger-es mais aussi les Français-es considéré-es comme pas tout à fait français-es, car d’origine étrangère. Le traitement de ces discriminations ne relève donc pas uniquement de mesures politiques générales (universelles) fortes – par ailleurs indispensables (droit de vote, naturalisation massive, politique de la ville, lutte contre le chômage, etc.). « Ne compter que sur des politiques générales de croissance économique équitable pour éliminer ces inégalités collectives prendrait un temps insupportablement long », constate d’ailleurs le PNUD dans un rapport. 

Pour sortir de l’abstraction (in)égalitaire, de nouveaux droits sont à inventer, à mettre en mouvement, à construire. En effet, l’expérience montre que pour gripper la machine à reproduire les discriminations, les indispensables politiques économiques et sociales redistributives ne suffisent pas. 

Il convient donc proposer et d’animer des politiques dites de « correction des inégalités », d’« action positive », d’« accommodement raisonnable », de « discrimination positive » – peu importe le nom qu’on leur donne – qui visent à combler le gouffre séparant l’inégalité réelle de l’égalité proclamée et à construire l’Égalité. Les moyens institutionnels et la volonté de favoriser l’auto-organisation des groupes sociaux concernés peuvent être des leviers pour des mesures spécifiques immédiates pour « réparer », « corriger », « compenser », « contrebalancer », « inverser » les effets des discriminations dans toutes leurs dimensions (de classe, de genre et de « race »). Dans cette optique, l’égalité est donc à la fois un principe et un objectif, un mot d’ordre d’action et un projet, inséparables par ailleurs de la Liberté des individu-es. 

Pourquoi ne prendrait-on pas des mesures correctrices et « égalisatrices » permettant le recrutement et la formation de salarié-es et de fonctionnaires issu-es des minorités visibilisées et invisibilisées par le fait majoritaire? Ne pourrait-on pas pratiquer sur les chaînes de télévision ce qui se fait en Grande-Bretagne où les sociétés qui sont candidates à la gestion des chaînes doivent présenter les « engagements pris pour promouvoir au sein du personnel l’égalité des chances entre hommes et femmes et entre personnes de différents groupes « ethniques » ? Ne pourrait-on pas envisager des politiques similaires à France Télécom, dans la Fonction publique et ailleurs ? Ne pourrait-on pas renforcer et étendre les dispositions qui permettent aux comités d’entreprise de peser sur l’égalité hommes/femmes ? Dans toutes les entreprises de plus de cinquante salariés, l’employeur est dans l’obligation de soumettre une fois par an au comité d’entreprise un rapport comparatif sur les conditions générales d’emploi et de formation des hommes et des femmes au sein de l’entreprise. Ce document permet d’apprécier pour chacune des catégories professionnelles la situation respective des femmes et des hommes en ce qui concerne l’embauche, la promotion, la classification, la qualification, la rémunération. Il recense les mesures prises en vue d’assurer l’égalité et énumère les objectifs prévus. La loi du 9 mai 2001 stipule d’ailleurs que les partenaires sociaux doivent négocier périodiquement des objectifs chiffrés et des mesures de rattrapage. Reste évidemment à assortir ces dispositions d’une obligation de résultat avec sanction financière et pénale. Il s’agirait d’un véritable engagement contre le « communautarisme » majoritaire, contre les « quotas » des dominations invisibles.

Ne pourrait-on pas envisager enfin la mise en place, sous contrôle des citoyen-nes, des usager-es et des salarié-es, de comités d’« égalité des droits » dans les villes, les départements, dans les administrations, des Pôles emploi? Ils auraient pour fonction d’examiner les embauches et les promotions, de rappeler que la discrimination est interdite, de recueillir les doléances, de les examiner, de faire si possible œuvre de conciliation, de recommander des sanctions et surtout d’établir des objectifs chiffrés, seuls critères objectifs qui permettent d’évaluer les efforts déployés. Ainsi, par exemple, la CGT illustre sa prise en compte de la problématique quand elle évoque les moyens de lutter contre les discriminations : « Le préjudice est évalué et un système de rattrapage est mis en route ».

Notre gauche doit donner un signal fort – plus fort que les sempiternels effets de manche rappelant le principe d’égalité – montrant la volonté de notre rassemblement d’enrayer concrètement la spirale infernale de la ségrégation et de la discrimination.

Aux inégalités et asymétries existantes, nous pouvons opposer un universalisme concret, mobilisateur et non réduit à la « communauté majoritaire », un universalisme préoccupé de l’histoire et des dynamiques sociales. Cet universalisme n’est pas encore advenu, c’est un projet en construction, en devenir et, d’une certaine façon, une utopie, un horizon pour le rassemblement que nous construisons.

Il est temps que soit organisé un véritable débat contradictoire, public et citoyen sur les hypothèses d’une politique de construction de l’égalité ici et maintenant. Quels en seraient les principes ? Qui en seraient les bénéficiaires ? Quels en seraient les critères d’application ? Quelles en seraient les obligations ? Quels en seraient les fondements juridiques et constitutionnels ? Quels en seraient les « effets pervers » éventuels ?

Notre horizon : l’égalité réelle pour toutes et tous.

La gauche qui se réclame de l’auto-organisation des dominé-es, de la réorientation du fonctionnement de la société, de la transformation des rapports sociaux, ne peut plus contourner ces débats et cet objectif. Il en va de la possibilité même de construire un bloc social et politique moteur de la transformation sociale.

Jérôme Anciberro, rédacteur en chef de Témoignage chrétien 

Jean Bauberot, professeur émérite de l’École pratique des hautes études 

Tarek Ben Hiba, militant associatif de l’immigration, conseiller régional Ile-de-France

Saïd Bouamama, revue Les Figures de la domination 

Christine Delphy, féministe, directrice de publication de Nouvelles questions féministes

Didier Epsztajn, animateur du blog Entre les lignes entre les mots

Sabine Lambert, féministe, rédactrice du site Les Entrailles de Mademoiselle.

Stéphane Lavignotte, pasteur, Christianisme social

Danièle Obono, militante altermondialiste et antiraciste

Patrick Silberstein, éditeur aux éditions Syllepse 

Première publication sur Médiapart : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-batailles-de-legalite/article/041012/notre-horizon-l-egalite-reelle-pour-toutes-et-

L’abandon à la mort… de 76 000 fous sous le régime de Vichy, réponse à quelques historiens qui le nient

L’abandon à la mort…

Sous le régime de Vichy (1940-1945, 76.000 malades mentaux sont morts dans les hôpitaux psychiatriques français. Morts de faim.

 

Dans une tribune du Monde (26.07.2012), un journaliste –Thomas Wieder – énumérait les pièges de l’histoire attendant François Hollande : « … les critiques qui ont accompagné son hommage à Jules Ferry et son discours du Vél d’Hiv apparaîtront sans doute bien fades. D’ici à 2017, trois dossiers historico-mémoriels autrement plus délicats attendent en effet le chef de l’État.

Le premier, par ordre croissant d’intensité, concerne la Grande Guerre, dont on célébrera le centenaire en 2014. […] Autre dossier sensible : le génocide des Arméniens, dont le centenaire tombera en 2015 et dont  M. Hollande s’est engagé à en pénaliser la négation. […] Dernier dossier, enfin : la guerre d’Algérie. C’est à la fois le plus urgent et le plus explosif ».

Un historien (Henry Rousso, qui publia en 1994 Vichy, un passé qui ne passe pas) déclare, dans le même article : « Désormais, ce passé est passé : non pas qu’il soit oublié, mais parce qu’il a enfin trouvé sa place ». Faut-il rappeler la conclusion de son livre ? « Le devoir de mémoire donne-t-il le droit d’ouvrir un procès perpétuel à la génération de la guerre ? D’autant que, pour la nôtre, l’obsession du passé, de ce passé-là n’est qu’un substitut aux urgences du présent ». Pour Henry Rousso aussi, la mort des 76.000 fous pendant la guerre est un non-événement ne méritant aucune attention mémorielle.

Dans cette analyse du journaliste, pas trace de cet autre dossier sensible : l’abandon à la mort par le régime de Vichy, le seul État français d’alors, des dizaines de milliers de fous (76.000 plus précisément). Oubli ou, censure ? Ceci dans le même temps où le même État français arrêtait des juifs de France (76.000 également) et les chargeait dans des trains allant vers les camps de la mort.

 Pétain, Darlan, Laval connaissaient-ils les dangers auxquels les fous étaient exposés ? OUI, dès le printemps 1941. Étaient-ils en mesure de leur accorder quelques suppléments alimentaires représentant pour chaque Français une ou deux miettes de pain par jour ? OUI, puisque cela a été fait en décembre 1942. Trop tard cependant et en quantité insuffisante pour inverser le cours des événements. La population française aurait-elle été mise en danger par une telle action ? NON, bien sûr. Ces trois questions, et les réponses apportées, définissent précisément la notion de non-assistance à personne en danger, notion inventée par Vichy et maintenue depuis dans le code pénal français.

Non-assistance que certains historiens nient. Ce qui autorise un journal d’extrême-droite à s’écrier : « Le régime de Vichy est enfininnocenté… ». Après la reconnaissance par le président Chirac de la complicité active de l’État français de Vichy dans la déportation des juifs de France, la responsabilité directe de ce même régime dans la famine mortelle sévissant dans les hôpitaux psychiatriques doit, elle aussi, donner lieu à une reconnaissance officielle. L’histoire de l’hôpital de Montdevergues-les-Roses par André Castelli est un exemple, au jour le jour, de l’abandon à la mort des fous sous Vichy.

Avec le livre L’abandon à la mort…, et le document ci-joint, où il s’agit de quelques coups de projecteur sur le contenu de celui-ci, c’est de ça qu’il s’agit : l’abandon à la mort par Vichy des malades mentaux sera-t-il exclu de l’histoire comme le préconise certains historiens ? Effacé ? Ou sera-t-il inscrit dans les manuels destinés aux étudiants et reconnu par les plus hautes autorités de l’État d’aujourd’hui ?

Armand Ajzenberg, André Castelli, Michaël Guyader

Les auteurs :

 Armand Ajzenberg : autodidacte, il est l’auteur de Quand 40.000 êtres humains risquent de passer du statut de « malades sans intérêt » à celui de « morts sans intérêt », in Le train des fous de Pierre Durand, préfaces de Lucien Bonnafé et Patrick Tort, Syllepse, 2001.

André Castelli : ancien infirmier psychiatrique du Centre Hospitalier Spécialisé de Montfavet (Vaucluse), aujourd’hui vice-président du Conseil général du Vaucluse et Conseiller municipal d’Avignon.

Michaël Guyader, psychiatre et psychanalyste, ancien Chef de service du 8e secteur de psychiatrie générale de l’Essonne.

Pour en savoir plus…

Voir note de lecture : Abandon à la mort, non assistance à personne en danger et « génocide doux »

L’éducation est un droit, non un privilège réservé aux plus nantiEs, elle doit donc échapper à la sphère marchande

« Ce petit livre entend dresser à la fois un portrait des événements, tel qu’il nous a été permis de les comprendre à travers le récit de plusieurs des acteurs et actrices de ce grand moment historique, et une analyse des conditions ayant permis à la lutte étudiante de devenir un mouvement d’une ampleur telle qu’il a été le ferment d’une crise sociale sans précédent au Québec depuis les années 1970-1980 ».

Au delà de l’avertissement des auteurs sur le vocabulaire utilisé par le gouvernement qui soutient que « la grève étudiante n’est pas une grève, mais un boycottage des cours. En utilisant boycottage plutôt que grève, le gouvernement préparait une stratégie juridique lourde de conséquences, ce que nous mettrons en lumière », une remarque. L’enjeu de la dénomination des faits sociaux n’est pas un enjeu secondaire. Nommer à des effets matériels. Il convient donc, non seulement d’essayer d’utiliser le vocabulaire le plus adéquat, mais de questionner en permanence nos propres expressions qui masquent, invisibilisent ou naturalisent les rapports sociaux, gommant les asymétries et plus généralement les rapports de pouvoir.

C’est, entre autres, une des raisons, pour lesquelles l’emploi du « féminin » et du « masculin » et non du neutre-masculin-grammatical-imposé sont nécessaires, comme le font nos ami-e-s québécois-e-s. La graphie utilisée dans le livre est de mettre un E (par exemple : étudiantEs).

La lutte étudiante au Québec ne saurait être comprise hors de son contexte international et du cours néolibéral poursuivi malgré la crise économique engendré par ce cours.

Si « Les revendications du mouvement interpellent non seulement sur la question des droits et des frais de scolarité, mais également sur la mission même de l’université et sur sa gouvernance », plus globalement elle interpelle chacun-e « sur le type de société dans lequel il ferait bon vivre ».

Sommaire :

  1. Le contexte international
  2. L’offensive néolibérale
  3. L’éducation à l’ère néolibérale
  4. Des occasions manquées
  5. La dynamique sociale et politique
  6. Négociations et affrontement
  7. Judiciarisation et répression
  8. Appuis à la lutte et crise sociale
  9. Et maintenant ?

Il y a d’un coté l’approfondissement des politiques néolibérales, avec un accent cynique mis sur la crise de la dette publique. Celle-ci a été construite par la défiscalisation des revenus des plus riches et des entreprises et les « politiques de soutien aux banques et aux grandes entreprises privées ont transformé la dette privée en dette publique, laquelle est à la charge désormais des citoyenNes… ». De l’autre des résistances difficiles comme « la guerre de l’eau » en Bolivie, les renversements de pouvoirs en Amérique Latine, les mouvements étudiants dans de nombreux pays contre les processus de privatisation de tout ou partie des systèmes éducatifs (« En Europe, c’est à travers le processus de Bologne et la stratégie de Lisbonne que les principales réformes sont imposées depuis un peu plus d’une dizaine d’années »), les mouvements de grève de salarié-e-s en Inde, Chine et dans d’autres pays asiatiques, les révolutions arabes, les mouvements contre les remises en cause des droits à la retraite (et l’allongement des durées de travail) ou du droit à l’avortement ; sans oublier le mouvement des indignéEs aux États-Unis, en Espagne, en Grèce et ailleurs, etc…

La « politique anti-population travailleuse » pourrait être constitutionnalisée en Europe au moyen d’une règle d’or limitant les déficits publics. De l’or pour ceux qui bénéficient déjà des privilèges fiscaux…

« Les mesures néolibérales ont servi à l’affaiblissement croissant et au démantèlement des services publics, à la suppression de subventions, notamment pour les biens de première nécessité, tout en accélérant les processus de privatisation…. » Les attaques contre l’éducation postsecondaire sont nombreuses. La mise en perspective internationale est donc nécessaire. Les raisons du mouvement étudiant au Québec ne peuvent être isolées de la marche imposée au tout marché par les institutions étatiques dans tous les régions du monde.

Les auteurs consacrent un chapitre sur les formes prises par l’offensive néolibérale au Québec.

Ils soulignent « La criminalisation de la grève étudiante avec l’adoption du projet de loi 78 (devenu la loi 12) découle des mêmes principes : la liberté des individus prédateurs a préséance sur les droits collectifs et les intérêts du 1% l’emportent sur ceux du 99% de la population ».

Ils nous rappellent que « A l’ère néolibérale, l’éducation est considérée de façon utilitariste. Elle est fondé sur la notion de  »capital humain ». Dans ce cadre, l’éducation a pour fonction de renforcer les potentialités économiques de l’individu… »

Pour compléter, voir aussi :

Robert Cadotte : Lettre aux enseignantEs. L’école publique va mal ! Les solutions dont on ne veut pas parler (M éditeur, Ville Mont-Royal (Québec) 2012) On peut toujours jouer à l’autruche, mais être neutre, c’est préserver le statu quo et le désordre établi

Francis Vergne : Mots et maux de l’école. Petit lexique impertinent et critique (Armand Colin, Paris 2011) Les mots trompeurs masquent les maux dont souffre réellement l’école et brouillent la perception des enjeux

Christian Laval, Francis Vergne, Pierre Clément, Guy Dreux : La nouvelle école capitaliste (Editions La Découverte, Paris 2011) Compétence contre qualification, compétition contre solidarité, marchandisation contre gratuité

Ils ajoutent « Dans la nouvelle mouture du capitalisme, le contrôle de soi est la condition à la vente de soi, laquelle est elle-même une condition de la réussite sociale ».

Il s’agit donc d’une réduction utilitariste de l’éducation tant dans les formes que dans les contenus de l’enseignement. Les élèves-étudiant-e-s sont transformé-e-s en individu-e-s client-e-s responsables de leurs propres situations, indépendamment du fonctionnement inégalitaire de la société et de l’école, des rapports sociaux.

D’un coté « une fragmentation des savoirs au détriment d’une formation humaniste généraliste apte à développer l’esprit critique et innovateur », de l’autre une « vision consumériste de l’éducation ».

C’est dans ce contexte, que les gouvernements décident de hausse importante des droits de scolarité. Dont un effet, souvent négligé est, outre l’expulsion de groupes sociaux entiers, la création de l’endettement des étudiant-e-s… « Les frais de scolarité sont un instrument de régulation de l’offre éducative. L’endettement personnel est désormais une dimension essentielle de la stratégie de construction de soi et de son avenir. L’endettement permet d’introduire une discipline dans les orientations des étudiantEs, car un choix qui aboutit au non emploi s’avère une catastrophe ». Ici, endettement pour se payer des études qui devraient être gratuites, demain endettement pour pallier des niveaux de salaires insuffisants pour faire face aux besoins réels ou artificiellement multipliés par la publicité, et endettement pour se loger puisque les locations à prix modérées n’existent pas ou plus et que la société valorise la petite « propriété » comme marquage social positif.

Il ne s’agit donc pas simplement des frais de scolarité, les étudiant-e-s ne sont pas les seul-e-s concerné-e-s. Le gouvernement ne s’y trompe pas. « Sa stratégie de dénigrement du mouvement étudiant relève d’une volonté de l’écraser et d’éliminer toute perspective de lutte de la part des autres mouvements sociaux, dont les syndicats, qui subiront les uns après les autres les mêmes attaques. Pour vaincre, la riposte doit non seulement être unitaire, mais également combative ».

Le chapitre sur « La dynamique sociale et politique » est central, en particulier par les analyses sur le fonctionnement du mouvement étudiant « Le mouvement étudiant a été un exemple de démocratie participative et directe qui va bien au-delà de la démocratie restreinte qui caractérise notre société. Cette démocratie participative directe génère une capacité d’éducation et de mobilisation incroyablement fertile, créatrice, massive », sur la dimension féministe de la lutte étudiante, dont la situation des femmes autochtones « moins susceptibles d’obtenir un diplôme universitaire : en 2006, 9% des femmes autochtones âgées de vingt-cinq ans et plus détendaient un diplôme universitaire contre 20% chez les femmes non autochtones ».

J’ai aussi apprécié la partie sur « Négociations et affrontement ».

Si l’État néolibéral doit, pour ses disciples, être amaigri, ce n’est pas le cas de ses fonctions régaliennes et en particulier de ses appareils de répressions. « Plus l’État suit une cure d’amaigrissement (retrait des programmes sociaux, coupes dans les services publics, etc.), plus il engraisse en raison de ses investissements importants dans les appareils nécessaires à l’imposition de politiques antisociales et en raison également de sa criminalisation de la résistance sociale ». Outre l’adoption de la loi 12 (ex loi 78) déjà indiquée, les auteurs nous informent aussi sur l’utilisation par le Service de Police de la Ville de Montréal de l’artillerie lourde « en utilisation d’une disposition antiterroriste du Code Criminel ».

Criminalisation des mouvements sociaux et lois liberticides sont des conjugaisons spécifiques de la démocratie néolibérale.

Le livre se termine par des interrogations sur l’avenir…

Contre les discours sur la division avancée par les médias et le gouvernement, les auteurs soulignent que « la jeunesse québécoise n’a divisé que ce qui doit être divisé ».

Voir aussi, quelques articles publiés sur le blog :

Simone Landry : La génération A B C La génération A B C

Manifeste des professeur.e.s pour la protection de la démocratie et du droit de protestation étudiant Québec : Manifeste des professeur.e.s pour la protection de la démocratie et du droit de protestation étudiant

Coalition large de l’association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) :«Ensemble, nous sommes capables de beaucoup» «Ensemble, nous sommes capables de beaucoup»

Pierre Mouterde : Les origines d’une rébellion printanière Les origines d’une rébellion printanière (prise 1)…

Xavier Dolan : Nul n’est prophète en son pays (mais je vous écris de France) Nul n’est prophète en son pays (mais je vous écris de France)

André Frappier, Richard Poulin et Bernard Rioux : Le printemps des carrés rouges. Lutte étudiante, crise sociale, loi liberticide et démocratie de la rue.

M éditeur, Ville Mont-Royal (Québec) 2012, 159 pages

Didier Epsztajn

Pour la constitution d’un comité de secours à la population syrienne

Les manifestations pacifistes de jeunes dans toute la Syrie réclamant la démocratie depuis mars 2011 ont dévoilé la nature du régime syrien : rester au pouvoir en réprimant ces manifestations, et punir collectivement les millions de Syriens qui ont protesté quotidiennement contre lui. Le régime syrien a pris la responsabilité d’une répression criminelle et d’une confrontation armée. Depuis 18 mois, il a fait plus de 30 000 victimes – hommes, femmes et enfants –, dont plus de 5 000 pour le seul mois d’août, tout en expulsant de leurs foyers plus de 3,5 millions de Syriens (dont 500 000 ont pu s’échapper en Turquie, en Jordanie, au Liban ou en Irak), en bombardant les quartiers qu’il considère comme opposants, puis en y envoyant des mercenaires massacrer les familles.

         Le régime ne cessant pas ses bombardements et destructions, le nombre de Syriens sans toit risque d’augmenter dans les semaines à venir. La pluie et le froid vont aggraver l’insécurité de ces millions de victimes de la répression de masse du régime. Les considérant comme des ennemis, le régime bombarde, exécute ou enlève les déplacés, qui sont rassemblés de façon visible.

 Grâce à l’extraordinaire mobilisation de solidarité de la société civile syrienne, la plupart des déplacés sont hébergés, cachés et nourris jusqu’à ce jour par les autres familles syriennes : par exemple, à Deraa, au sud de la Syrie, 45 000 des 60 000 habitants déplacés, après 45 jours de bombardements continus, ont pu être accueillis par les familles des environs. Mais les 15 000 autres n’ont pu trouver de refuge, et restent exposés à la vengeance du pouvoir, dans des écoles, des mosquées, des églises, ou dans la rue.

         La population syrienne, dans toutes ses composantes, sociales, confessionnelles, ethniques et politiques, a pris en charge financièrement les blessés et les déplacés, depuis mars 2011. Des bénévoles ont constitué des réseaux d’entraide à travers toute la Syrie, et assuré les secours depuis le début de la révolution. Les milliers de jeunes des « coordinations locales », démocratiques et laïques, qui organisent les manifestations, sont également ceux qui, avec d’autres volontaires dans la population, collectent les dons auprès des habitants et organisent les secours.

         Mais, après 18 mois de blocus et de bombardements, les familles n’ont plus de moyens. Les réseaux militants et les associations de secours syriens à l’intérieur du pays, qui sont liées au mouvement révolutionnaire, et partagent ses objectifs de société démocratique, laïque et de justice sociale, ont réussi à collecter des dons pour nourrir les réfugiés qui ne sont pas pris en charge par d’autres familles, jusqu’au mois de septembre. Elles redoutent une forte détérioration de la malnutrition à partir d’octobre et l’apparition de la famine pour la plupart des déplacés sans toit.

         Face à cette urgence, les organisations et personnalité signataires de cet appel ont décidé :

– d’exiger des gouvernements et instances des Nations unies la mise en œuvre immédiate des moyens financiers, juridiques, diplomatiques et logistiques – sans intervention militaire étrangère –, nécessaires à l’entrée d’organisations de secours internationales ou toute autre organisation civile syrienne indépendante du régime pour permettre l’acheminement des secours directement aux millions de Syriens dans le besoin, victimes des bombardements, déplacés ou réfugiés, par les organisations de secours internationales, hors de tout contrôle du régime syrien ;

– d’expliquer à la population française la situation en Syrie et la nécessité de secourir la population syrienne, hors du contrôle du régime et par l’intermédiaire des organisations démocratiques laïques issues de la population (organisations de secours locales, coordinations locales et conseils municipaux et locaux indépendants du régime) ;

– de collecter dès maintenant en France des moyens financiers pour les faire parvenir aux organisations de secours démocratiques et laïques de l’intérieur indépendantes du régime. Les organisations de secours françaises et syriennes en France, agréées partenaires du collectif, garantissent l’acheminement des dons aux personnes qui en ont le plus besoin. Des rapports réguliers, ne mettant pas en danger la sécurité des bénéficiaires, seront fournis aux donateurs par ces associations partenaires ;

– d’appeler les organisations progressistes et des droits de l’homme dans les autres pays à constituer des collectifs semblables.

 

Pour vous joindre à cet appel, envoyez votre signature à : secourssyrie@inter-co.fr

 

A l’initiative du Comité de secours à la population syrienne – Ile de France

Meeting de solidarité avec le peuple syrien

 

Lancement de la campagne d’aide et de secours à la population syrienne

 

Vendredi 26 octobre 2012, de 19 h à 21 h 30

Bourse du travail, salle Ambroise-Croizat

3, rue du Château-d’Eau, 75010 Paris (métro République)

 

Liste actualisée des signataires de l’Appel pour la constitution d’un comité de secours à la population syrienne :

 

Inter-co (Inter-collectif de solidarité avec les luttes des peuples du monde arabe) – ACDA (Agir pour le changement et la démocratie en Algérie) – ADASK (Association des amis de Samir Kassir) – AMAL (Association pour la mémoire algérienne) – AMDH(Association marocaine des droits humains)-Paris – AMF (Association des Marocains en France) – Association Revivre (droits humains) – ATF (Association des Tunisiens en France) – ATMF (Association des travailleurs maghrébins de France) – ATTAC-France –  CEDETIM/IPAM – Collectif CAAC (Comores) – CGT (Confédération générale du travail) – CRLTDH (é pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie) – EELV (Europe Ecologie Les Verts) – ETM 31-46 – FCMA (Forum citoyen du monde arabe) – FCSME (Forum citoyen solidaire des Marocains en Europe) – Forum Palestine Citoyenneté – Forum démocratique syrien – FSU (Fédération syndicale unitaire) – FTCR (Fédération tunisienne pour la citoyenneté des deux rives) –Gauche révolutionnaire syrienne – Horan (Rencontre pour la citoyenneté) – Idéal 92 – LDH (Ligue des droits de l’homme) –Les Alternatifs – MIR (Maison Internationale de Rennes) – Manifeste des libertés – Revue Militant – Mémorial 98 –Mouvement de la paix – Mouvement du 20 février Paris/IDF (Maroc) – MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitiéentre les peuples) – NPA (Nouveau Parti anticapitaliste) – PADS (Parti d’avant-garde démocratique socialiste, Maroc)-Fédération d’Europe – PCF (Parti communiste français) – PDKS (Parti démocratique kurde de Syrie) – PG (Parti de gauche) – PSU (Parti socialiste unifié, Maroc)-Section France – REMDH (Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme) – SNESUP, Syndicat national de l’enseignement supérieur – Soriat pour le développement humain – Souria-Houria (Syrie Liberté) – UJFP (Union juive française pour la paix) – Union syndicale Solidaires – VD (Voie démocratique, Maroc)-Région Europe.

 

Guy Abisou, retraité – Nadia Leïla Aïssaoui, féministe algérienne – Hala Alabdalla, cinéaste syrienne – Tewfik Allal, syndicaliste – Samia Ammour, militante internationaliste – Sylvette Amestoy, adjointe au maire – Samir Arabi, enseignat – Soleïma Arabi – AïchaArnaout, poète syrienne – Clémence Avognon, maire adjointe – Michel Bafour, formateur retraité – Pascal Barbier, secrétaire régional adjoint – Alain Baron, syndicaliste – Pierre Barrat – Alain Billon, militant politique – Tarek Ben Hiba, conseiller régional – Michel Bock, conseiller régional – Sami Boumadjel, militant associatif – Michel Brehier – Marie-Georges Buffet, députée – JeanBurner, enseignant, syndicaliste – Claude Calame, chercheur – Alain Callès, conseiller municipal – Marie-Christine Callet, militante associative – Jean-Luc Carrier, conseiller municipal – Mathilde Caroly, conseillère municipale – Mouhieddine Cherbib, militant des droits humains – Christian Celdran, ATTAC – Jacques Couland, historien – Annick Coupé, syndicaliste – Nicole Cremel – Raymond Debord – Delphine de Boutray, metteuse en scène – Monique Delugin, militante politique – Michelle Demessine, sénatrice – Françoise Diehlmann, conseillère régionale – Ali El Baz, militant associatif – Driss El Kherchi, militant associatif – Mohammed-Lakhdar Ellala, militant associatif – Behrooz Farahany, militant franco-iranien – Fabrice Flipo, philosophe – Catherine Fusillier, citoyenne du monde – Gérard Gendre, enseignant syndicaliste – Jérôme Gleizes, militant politique – Mathias Guyard – Subhi Hadidi, écrivain syrien – Bachir Hilal, journaliste – Aziz Hmoudane, syndicaliste – Salem Hassan, militant politique syrien – Michel Husson, économiste – Naïssam Jalal, flutiste syrienne – Benjamin Joyeux, militant politique – Salameh Kaileh, écrivain et chercheur syrien – Panthéa Kian – Michel Kilo, opposant syrien – Saïd Laayari, militant associatif – Fahima Lahoudi, militante politique – GérardLauton, universitaire, coordinateur de Solidarité Syrie – Renée Le Mignot, militante associative – Nathalie l’Hopitault, militante associative – Monique Loubeyre-Brasquet, écrivain – Ilham Maad, réalisatrice – René Magniez, médecin – Christian Mahieux, syndicaliste – Zyad Majed, universitaire libanais –  Makinson, chercheur de l’IFPO à Damas – Alexandre Mamarbachi – GillesManceron, historien – Farouk Mardam Bey, écrivain syrien – Catherine Margate, maire de Malakoff – Jean-François Marx, militant associatif – Jean-Jacques Maset-Urpi, éditeur – Halima Menhoudj, conseillère municipale – Michel Morzière, militant des droits humains – Ghayath Naisse, militant – Raymonde Poncet, conseillère générale – George Pons, universitaire – Christine Poupin, militante politique – Gilles Poux, maire de La Courneuve – Marc Prunier, conseiller municipal – Yves Quintal, enseignant – CatherienRibes, conseillère régionale – Christian Ronse, professeur des Universités – Frédéric Sarkis, militant associatif – Michèle Sibony, militante associatif – Marcel Siguret – Jeannette Simon, enseignante – Marie-Claude Slick, journaliste – Dominique Vidal, historien et journaliste – Stephan Vignal-Naessens – Dominique Voynet, maire de Montreuil – Tarik Zouhri, militant des droits humains – Saâd Zouiten, militant des droits humains.

2032 – 2062. 30è anniversaire du Service Public Monétaire Mondial et de la fin de la dettscroquerie !

En 2032, le dett’système a été définitivement enterré et remplacé par le Service Public Monétaire Mondial.
30 ans plus tard, nous célébrons cet événement majeur, qui a signé la fin de la dettscroquerie installée depuis les années 1970 dans la plupart des pays, par les 1 % de trop-riches qui voulaient être encore plus trop-riches sur le dos des 99 % du reste de l’humanité.

Pour cela, les trop-riches et leurs alliés (banksters, traders-fous, éconalchimistes bornés persuadés qu’ils pouvaient transformer le papier en argent, médiacrates couchés…) avaient mis en place un système monstrueux, le dett’système, basé sur l’organisation d’un déficit croissant des budgets publics. Alors que les dépenses publiques n’ont, contrairement aux idées reçues, globalement pas augmenté, les recettes ont été très fortement diminuées par :

- les fisco-fuites (niches fiscales, paradis fiscaux, bouclier fiscal) au bénéfice essentiellement des trop-riches, leur laissant encore plus d’argent pour spécutricher,

- l’interdiction de création monétaire par les banques centrales (loi de Giscard-foirus en 1973, principe repris dans les traités européens, ceux de Maas-trop-la-triche et de Lispasbonne),

- et donc l’obligation d’emprunter aux banques privées, à des taux abusuraires variables (jusqu’à plus de 30 % !), dont profitaient les mêmes trop-riches qui plaçaient dans les banques privées les impôts qu’ils ne payaient plus !

Pour faire passer ce véritable pillage des richesses publiques au profit des 1 % de trop-riches, une forte propagandette a été diffusée par les médias dominants et les experts dominés, faisant croire aux citoyens qu’ils étaient « responsables » de cette dette, tellement ils auraient « vécu au dessus de leurs moyens », qu’il leur fallait « faire des sacrifices » pour rembourser une dette qui n’était pas la leur.
Une véritable culpabilidette a ainsi été construite sur la confusion entre une vraie dette personnelle qu’il peut arriver à certains de contracter puis rembourser et cette fausse dette publique correspondant en fait à des transferts massifs d’argent vers ceux qui n’en avaient déjà que trop.

La crise bancaire de 2008, due à l’effondrement des finan-bulles immobilières et spéculatives créées par les banques privées, n’a pas suffit à raisonner celles-ci. Elles n’ont dû leur salut qu’aux plans de sauvetage imposés par les politicrates amis des banksters. Payés par l’argent public, ces plans ont aggravé de façon colossale la dette publique construite.
Les enspéculés de banksters ont ainsi vu leurs banques sauvées sans contrepartie. Et ils se sont remis à se goinfrer de leurs bonus-dorés, leurs parachutes boucliers, leurs cash-options, leurs stocks-gloutons. Leurs marchés financiers et leurs agences de dénotation ont continué à augmenter les taux d’intérêt et à étrangler les États. Les dettscrocs du ’Fond Mortifère Impitoyable’ et de la ’Banque Mon-diable’ ont conseillé de véritables saignées, appliquées par des dirigeants aux ordres, quand ils n’étaient pas eux mêmes des anciens banksters issus de banques privées comme ’Saque-man-gold’. Ils ont imposé l’austéridette, afin de mieux privati-brader à leur profit ce qui restait d’organismes solidaires et de services publics.
Les pays européens souffraient donc énormément, les populations étaient découragées, poussées à la résignation ou à l’aveuglement, tentées par des dérives bouc-émissairisantes et xénophobes.

Heureusement, à partir de 2012 (il y a cinquante ans, déjà !), les prises de consciences ont déferlé par dessus la propagandette, la mobilisation des citoyens s’est amplifiée.
Des Collectifs pour l’Audit Citoyen de la dette publique se sont montés partout pour analyser les comptes publics et dénoncer les emprunts toxiques distribués sans informations par les banques privées aux collectivités locales, aux hôpitaux, aux particuliers, les précipitant ensuite dans la faillite.
En 2013, un mouvement de dett’sobéissance (appelé aussi grève générale de la dette) a fait tomber le masque de la dett’scroquerie : plus personne ne payant ses dettes, les banksters se sont écroulés.
La protestation a contraint Papa Hollandréou à combattre vraiment la finance (il l’avait proclamée comme son ennemie avant de bien vite l’oublier).
De nombreux événements qui sont maintenant dans les livres d’histoire post-moderne ont progressivement rogné le dett’système, jusqu’à la grande ’crise dé-financière de 29’ (enfin, 2029), qui a été sans gravité pour les populations préparées par leurs monnaies complémentaires, mais fatale pour les derniers banksters qui se sont enfuis dans leur folie. Les banques ont été transformées en cafés-citoyens, leurs immenses sièges en mémorials des dettofolies où d’ex-banksters hagards ont été recyclés en gardiens de musée.

L’argent a été enfin compris comme un bien public mondial, et le Service Public Monétaire Mondial a été créé.
Aujourd’hui, il n’y a plus de prêts toxiques, plus d’austérité, les richesses sont distribuées dans la justice sociale pour qu’il n’y ait plus de trop-riches ni de personnes vivant sous le seuil de dignité.

Merci à nos anciens qui, dans les années 2012, se sont battus pacifiquement mais radicalement pour dénoncer la dettscroquerie et mettre à bas le dett’système !
Prenons exemple sur eux pour rester vigilants et mobilisés, informés et combatifs, afin d’éviter le retour de la dette immonde dont la rente plaît toujours aux cons !

Désiré Prunier

(ancien membre de feu-CADTM, organisation auto-dissoute le 29 septembre 2032 dans la joie, le soulagement et le bon vin)

Texte issu de la Conférence gesticulée de ’Désiré Prunier’ au 2ème Forum sur la désobéissance, le 29 septembre à Grigny (Rhône), publié sur le site du CADTM le 22 octobre 2012

L’arbitraire d’une naissance, d’un chemin ou d’une fuite nous a portés dans ces lieux

Poésie politique, écriture viscérale, chant anti-identité nationale, autant d’expressions qui peuvent désigner ce livre, dont l’iconographie (collages, photos, dessins) et la maquette répondent à la puissance d’un texte fort, sans compromis. Ce livre est accompagné d’un disque audio de onze titres rap qui s’articule, prolonge, fait écho aux textes du livre.

La force des mots, des sons, des images contre les assignations identitaires.

Oui, le lieu de naissance n’est qu’un arbitraire qui ne devrait entraîner aucune idéalisation, aucune identité, aucune nationalisation, ni l’oubli des mémoires réelles ou imaginaires « Pas d’oubli ni de perfectionnement, mais des traces et des failles au fond desquelles on s’engouffrera, sans regret de s’être perdu parmi eux ».

Être d’ici ou d’ailleurs et le « refus d’être raffiné, d’affiner ses traits, de se laisser dépouiller ».

Être d’ici ou d’ailleurs. « Identité ; Essence, transhistorique, réductrice, totalisante, fixée par lois ou par injonctions. S’oppose à nos identifications, processuelles, contextuelles, évanescentes ». Contre « ceux » qui voudraient qu’on soit comme « eux, » essentialisé-e-s, éternisé-e-s, naturalisé-e-s ou nationalisé-e-s, « Nous le refusons ».

Être d’ici ou d’ailleurs et il faudrait « leur » fournir pour être « français-e » les « preuves jusqu’à la mort. Et en tant que métèque, des preuves ostensibles, pour dissiper les soupçons ».

Non, « Nous n’avons pas de comptes à rendre, ni d’effort à faire : nous sommes ici ».

« Alors ici où je suis nous sommes des

multiples aux racines à fleur de terre, au

cas où. »

Je souligne les beaux paragraphes contre le nationalisme, contre l’idée de France.

Pour secouer la « francité » comme grisaille dissolvante, comme imposition réductrice et négatrice des individu-e-s, des groupes sociaux, des rapports asymétriques de domination et d’exclusion.

L’invention poétique et révoltée contre l’écriture d’une fausse histoire « républicaine » des dominants…

Des extraits de textes de Pierre Goldman, Albert Memmi, Glenmor, Jean Genet, Richard Wright, Léo Ferré, Arm, Mahmoud Darwich, Aimé Césaire, Angela Davis, Bachir Hadj Ali, Malcom X, Richard Linhart, Daniel Timsit, Mesa Selimovic, An Touseg. « Ma vie me remonte à la gorge et je ne suis pas simplifiable ».

« Nos sœurs, nos frères, se faufilant entre les lignes.

Les lignes de nos mains, enfermées dans leurs grilles. Les lignes de front, creusées par leurs guerres. Les lignes de partage, séparant leurs camps. Les lignes de démarcation, bornant leur identité.

Qu’entre les lignes, où l’on nous a perdus, nous dessinons nos centres. Et traçons nos lignes de fuite.

Avant que leurs lignes ne deviennent des murs. »

Ancrages : Leur laisser la France

Editions Syllepse, Leur-laisser-la-FranceParis 2012, 127 pages, avec un cd, 15 euros

Didier Epsztajn

Entendre le murmure du temps…

Au saxophone ténor

Lenny Popkin, né en 1941, est saxophoniste. Ce devrait suffire pour le définir. Ajouter qu’il a fait partie des élèves de Lennie Tristano – comme Lee Konitz ou Wayne Marsh -, pianiste aveugle promoteur du free jazz à partir de la grammaire et du vocabulaire parkérien ne peut qu’ajouter au mystère. Qu’il ait constitué un groupe avec la fille de Tristano, Carol – batteure – ne peut que laisser rêveur. Pour construire des filiations imaginaires, d’autant plus fortes qu’elles sont imaginaires. Une sorte de mémoire ambulatoire comme possible délimitation du jazz.

La quête de Lenny se trouve dans sa volonté d’être lui-même, de se construire. Cette posture a un prix, celui de la marginalité. Son nom ne sonne pas immédiatement familier aux amateur(e)s de jazz. C’est dommage. Faire un détour vers son œuvre – oui, il faut utiliser ce terme plus que celui de « travail » – permet de découvrir ces chemins de traverse qui savent tout sur tout y compris des grandes routes. Ces mémoires et souvenirs se combattent tout en construisant un mouvement, un processus font le miel de sa musique. Cet album a un air d’essentiel. « Time set », nous dit-il, mettre les montres à l’heure en remontant le temps si nécessaire.

Il nous ballade entre Bach, Johannes Ockeghem (né en 1425 en Flandres, de culture française) et ses propres compositions qui sont autant de réflexions sur les standards du jazz, sur la culture, sur l’héritage et dessinent les contours évolutifs de sa personnalité. Les arrangements qu’il propose pour plusieurs saxophones – magie du re recording – ont été enregistré en 1972 et 1976 et laissent comme un goût de violon – premier instrument de Lenny -, le reste, en trio avec Gilles Naturel à la contrebasse, datent de 2006.

Une sorte de voyage dans le temps et l’espace à la vitesse d’un son qui prend son temps.

Lenny Popkin : Time set, Paris Jazz Corner, www.parisjazzcorner.com

Au piano

Bill Carrothers, pianiste, n’en finit pas de visiter et de revisiter les thèmes liés à la guerre civile américaine (1861-1865), sous le titre « Civil War Diaries ». Une première fois en 1993 pour son label « Bridge Boy Music », la deuxième en 2004 pour « Illusions », le label de Philippe Ghielmetti qui prenait la suite de « Sketch » et la troisième pour ce concert de 2006 que nous livre le label « Sans bruit » – disponible sur le net, www.sansbruit.fr – pour se rendre compte de la richesse du jeu, un jeu avec la mémoire, avec l’Histoire mais aussi avec des souvenirs de westerns, de films plus ou moins réussis – dont le chef d’œuvre du raciste Griffith – comme de l’imagination flamboyante du pianiste. Une visite guidée de cette histoire américaine peu connue en France mais qui structure les racines de l’identité de cette Amérique qui n’a jamais su très bien ce qu’elle était.

L’auditeur(e) qui connaît ces chansons sera pris d’un malaise. Il les reconnaîtra sans vraiment les reconnaître faisant cette étrange familiarité dont parle Freud. En même temps, il ne pourra que constater l’étonnante palette de couleurs du pianiste, capable de conserver l’attention du public seul devant son piano et sans effets de manche. La comparaison avec les versions précédentes permettra de saisir le « work in progress » de Bill Carrothers, tel que cet enregistrement captivera et interrogera sur la mémoire et la place de la musique, histoire informulée, orale qui structure nos références communes.

Bill Carrothers : Civil War Diaries live, Sans Bruit, disponible aussi sur les plate-formes du net.

Avec un duo

Daniel Schläppi est Suisse – nul n’est parfait – et surtout contrebassiste. Et 30 CD à son actif… sans qu’il soit connu de ce côté de la frontière. En 2010, à New York – il fallait New York pour que cette rencontre soit possible – il fait la connaissance de Marc Copland, pianiste hors catégorie, et lui propose de jouer avec lui. Le résultat cet enregistrement réalisé à New York, sorte de dialogue intergénérationnel sur les standards, sur la ballade, sur ce temps immobile qui nous désespère dans son indifférence, sur notre histoire, sur l’amour, sur notre environnement qui change sans que changent les sentiments, les émotions. L’amour est toujours la question clé.

Ensemble, ils nous font tourner autour du pot, autour de la mémoire, autour de ces thèmes que nous connaissons, de ces sentiers que nous avons fréquentés et qui, soudain se transforment en chemins inconnus comme si la fée – bonne ou mauvaise, on sait que les deux existent, si l’on en croit Nerval la fée crie – les avait touchés de sa baguette forcément magique, comme si notre monde exigeait d’être redécouvert, comme si l’univers voulait changer, se transformer, se métamorphoser.

L’art du duo est difficile. Il suppose la conversation. Chacun doit écouter l’autre pour lui répondre. Cet art, Marc Copland le pratique avec volupté et le fait partager à la fois à Daniel Schläppi, fier d’être l’interlocuteur respecté et à l’auditeur(e) transporté(e), troisième comparse indispensable pour faire vivre la conversation, lui redonner vie. Le tout s’intitule « Essentials », on ne pouvait mieux trouver.

Daniel Schläppi, Marc Copland : Essentials, Catwalk, www.catwalkjazz.com, distribué par Coda Ex et sur les plates formes numériques.

Nicolas Béniès

Grèce-Allemagne : qui doit à qui ? (2) : Créanciers protégés, peuple grec sacrifié

Cet article fait suite à : Grèce-Allemagne : qui doit à qui ? (1) : L’annulation de la dette allemande à Londres en 1953 Voir texte

C’est une obligation morale que de s’élever contre les discours mensongers à propos de la prétendue solidarité dont feraient preuve les gouvernants des pays les plus forts de la zone euro à l’égard du peuple grec et d’autres pays fragilisés (Irlande, Portugal, Espagne…). Les faits contredisent leurs propos relayés de manière permanente par les médias dominants.

Commençons par une petite vérification pratique. Connectez-vous sur Internet et tapez « La Grèce a bénéficié » dans un moteur de recherche. Vous constaterez combien de médias reprennent la rengaine selon laquelle ce pays fait l’objet d’une aide considérable. Par exemple, Hans-Werner Sinn (Une biographie utile est publiée par wikipedia en anglais : http://en.wikipedia.org/wiki/Hans-Werner_Sinn), un des économistes les plus influents en Allemagne, conseiller du gouvernement d’Angela Merkel, n’hésite pas à affirmer : « La Grèce a bénéficié d’une aide extérieure de 460 milliards d’euros au travers de diverses dispositions. L’aide apportée jusqu’ici à la Grèce représente donc l’équivalent de 214 % de son PIB, soit environ dix fois plus que ce dont l’Allemagne a bénéficié grâce au plan Marshall. Berlin a apporté environ un quart de l’aide fournie à la Grèce, soit 115 milliards d’euros, ce qui représente au moins dix plans Marshall ou deux fois et demi un Accord de Londres. » (Le Monde, 1 août 2012, p.17 http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/31/pourquoi-paris-et-berlin-s-opposent_1740576_3232.html)

Tout ce calcul est faux. La Grèce n’a pas du tout reçu un tel montant de financement et ce qu’elle a reçu ne peut pas être sérieusement considéré comme de l’aide. Hans-Werner Sinn met de manière scandaleuse sur le même pied l’Allemagne à l’issue de la seconde guerre mondiale que les dirigeants nazis avaient provoquée et la Grèce des années 2000. En outre, il fait l’impasse sur les sommes réclamées à juste titre par la Grèce à l’Allemagne suite aux dommages subis pendant l’occupation nazie (Voir http://alencontre.org/europe/la-grece-et-loccupation-par-les-forces-du-iiie-reich-1941-1944-quels-dedommagements-la-dette-de-qui-envers-qui.html ainsi que http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-dette-allemande-envers-la-grece-96410 et http://cadtm.org/Declaration-de-Manolis-Glezos-a-l) ainsi que l’emprunt forcé que l’Allemagne nazie a imposé à la Grèce. La dette de l’Allemagne à l’égard de la Grèce s’élève au bas mot à 100 milliards d’euros. Comme l’écrit le site A l’encontre sur la base des travaux de Karl Heinz Roth, historien du pillage de l’Europe occupée par l’Allemagne nazie (Voir note biographique en allemand : http://de.wikipedia.org/wiki/Karl_Heinz_Roth) « L’Allemagne n’a payé à la Grèce que la soixantième partie (soit 1,67%) de ce qu’elle lui doit comme réparation des dévastations de l’occupation entre 1941 et 1944. »

Une série d’arguments solides doivent être avancés pour démontrer la malhonnêteté intellectuelle du propos de Hans-Werner Sinn, des gouvernants allemands et des médias à leur service. Ce qui va suivre ne vaut pas seulement pour la Grèce, on pourrait mener un exercice en certains points comparables à propos de la supposée aide apportée aux pays de l’ex bloc de l’Est qui font partie de l’Union européenne, du Portugal, de l’Irlande, de l’Espagne… Mais comme on le verra dans la troisième partie de cette série d’articles, les relations entre l’Allemagne et la Grèce ont une histoire qui mérite d’être prise en compte.

I. Les plans d’« aide » servent les intérêts des banques privées, pas ceux du peuple grec

Les plans d’« aide » mis en place depuis mai 2010 ont d’abord servi à protéger les intérêts des banques privées des pays les plus forts de la zone euro qui avaient augmenté énormément leurs prêts tant au secteur privé qu’aux pouvoirs publics grecs au cours des années 2000. Les prêts accordés à la Grèce par la Troïka depuis 2010 ont servi à rembourser les banques privées occidentales et à leur permettre de se dégager en limitant au minimum leurs pertes. Ils ont aussi servi à recapitaliser les banques privées grecques dont certaines sont des filiales des banques étrangères, françaises en particulier.

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Encadré : Les plans d’« aide » ont servi à protéger les intérêts des banques privées des pays les plus forts de la zone euro

La dette du secteur privé grec s’est largement développée au cours des années 2000. Les ménages, pour qui les banques et tout le secteur commercial privé (grande distribution, automobile, construction…) proposaient des conditions alléchantes, ont eu recours à l’endettement massif, tout comme les entreprises non financières et les banques qui pouvaient emprunter à bas coût (taux d’intérêts bas et inflation plus forte que pour les pays les plus industrialisés de l’Union européenne tels que l’Allemagne, la France, le Benelux). Cet endettement privé a été le moteur de l’économie de la Grèce. Le tableau ci-dessous montre que l’adhésion de la Grèce à la zone euro en 2001 a boosté les entrées de capitaux financiers qui correspondent à des prêts ou à des investissements de portefeuille (Non-IDE dans le tableau, c’est-à-dire des entrées qui ne correspondent pas à des investissements de longue durée) tandis que l’investissement de longue durée (IDE – Investissement direct à l’étranger) a stagné. 

Source: FMI (Tableau repris de C. Lapavitsas, A. Kaltenbrunner, G. Lambrinidis, D. Lindo, J. Meadway, J. Michell, J.P. Painceira, E. Pires, J. Powell, A. Stenfors, N. Teles : « The eurozone between austerity ans default », September 2010. http://www.researchonmoneyandfinance.org/media/reports/RMF-Eurozone-Austerity-and-Default.pdf. Voir également le résumé en français (rédigé par Stéphanie Jacquemont du CADTM) de cette étude : http://www.cadtm.org/Resume-de-The-Eurozone-between)

Avec les énormes liquidités mises à leur disposition par les banques centrales en 2007-2009, les banques de l’ouest européen (surtout les banques allemandes et françaises, mais aussi les banques belges, néerlandaises, britanniques, luxembourgeoises, irlandaises…) ont prêté massivement à la Grèce (au secteur privé et aux pouvoirs publics). Après 2001, l’adhésion de la Grèce à l’euro lui a valu la confiance des banquiers, pensant que les grands pays européens leur viendraient en aide en cas de problème. Ils ne se sont pas préoccupés de la capacité de la Grèce à rembourser le capital prêté à moyen terme et ont considéré qu’ils pouvaient prendre des risques très élevés en Grèce. L’histoire leur a donné raison jusqu’ici : la Commission européenne et, en particulier, les gouvernements français et allemands ont apporté un soutien sans faille aux banquiers privés d’Europe occidentale.

Le graphique ci-dessous montre que les banques des pays de l’ouest européen ont augmenté leurs prêts à la Grèce une première fois entre décembre 2005 et mars 2007 (pendant cette période, le volume des prêts a augmenté de 50%, passant d’un peu moins de 80 milliards à 120 milliards de dollars). Alors que la crise des subprimes avait éclaté aux Etats-Unis, les prêts ont de nouveau augmenté fortement (+33%) entre juin 2007 et l’été 2008 (passant de 120 à 160 milliards de dollars), puis ils se sont maintenus à un niveau très élevé (environ 120 milliards de dollars). Cela signifie que les banques privées d’Europe occidentale ont utilisé l’argent que leur prêtaient massivement et à bas coût la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale des Etats-Unis pour augmenter leurs prêts à des pays comme la Grèce (Le même phénomène s’est produit au même moment envers le Portugal, l’Espagne, des pays d’Europe centrale et de l’Est). Là-bas, les taux étant plus élevés, elles ont pu faire de juteux profits. Les banques privées ont donc une très lourde part de responsabilité dans l’endettement excessif de la Grèce.

Evolution des engagements des banques d’Europe occidentale à l’égard de la Grèce (en milliards de dollars) 

Source: BRI – BIS consolidated statistics, ultimate risk basis (Tableau repris de C. Lapavitsas, op. cit .)

Comme le montre l’infographie ci-dessous, en 2008 (cela vaut jusque 2010 inclus), l’écrasante majorité des dettes grecques était détenue par des banques européennes, à commencer par des banques françaises, allemandes, italiennes, belges, néerlandaises, luxembourgeoises et britanniques.

Détenteurs étrangers (quasi exclusivement des banques étrangères et d’autres sociétés financières) des titres de la dette grecque (fin 2008) (Les principaux détenteurs (càd les banques des pays mentionnés) des titres de la dette grecque sont selon l’infographie présentée : la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Royaume Uni, les autres détenteurs sont regroupés dans la catégorie « reste du monde ». Cette infographie est reprise de C. Lapavitsas, op. cit., p. 11 Selon la BRI, en décembre 2009, les banque françaises détenaient la dette publique grecque pour un montant de 31 milliards de dollars, les banques allemandes en détenaient 23 milliards.) 

Les prêts accordés par les gouvernements de la zone euro (directement ou via le Fonds européen de stabilité financière mis en place à partir de 2010) visent en réalité notamment à garantir que la Grèce continue à rembourser les banques des pays d’Europe occidentale (les banques françaises et allemandes étaient les plus exposées en Grèce). En somme, l’argent prêté à la Grèce retourne dans les caisses des banques allemandes, françaises et autres au titre du remboursement des titres grecs que ces banques ont achetés en masse jusque fin 2009 (A partir de 2010, les banques occidentales ont arrêté ou diminué radicalement les achats de titres grecs et ont commencé à se défaire de ceux qu’elles avaient préalablement achetés. Elles les ont revendues à la Banque centrale européenne qui les achète sur le marché secondaire.). Il revient aussi dans la trésorerie des pays prêteurs, dans celle de la BCE, du FMI et du FESF (voir plus loin).

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2. Les prêts accordés à la Grèce rapportent de l’argent… hors de Grèce !

Les prêts accordés à la Grèce sous la houlette de la Troïka sont rémunérés. Les différents pays qui participent à ces prêts gagnent de l’argent. Quand le premier plan de prêt de 110 milliards d’euros a été adopté, Christine Lagarde, alors ministre des finances de la France (Christine Lagarde est devenue directrice générale du FMI en juillet 2011.), a fait observer publiquement que la France prêtait à la Grèce à un taux de 5% alors qu’elle empruntait elle-même à un taux nettement inférieur.

La situation est tellement scandaleuse (un taux élevé a aussi été appliqué à l’Irlande à partir de novembre 2010 et au Portugal à partir du mai 2011) que les gouvernements prêteurs et la Commission européenne ont décidé en juillet 2011 que le taux exigé de la Grèce serait en fait réduit (Voir Council of the European Union, Statement by the Heads of State or Government of the Euro area and EU Institutions, Bruxelles, 21 Juillet 2011, point 3, http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=DOC/11/5&format=HTML&aged=1&language=EN&guiLanguage=de.). Quel aveu ! Bien que cette décision soit entrée en pratique, la différence entre le taux d’emprunt auquel ces pays se financent et le taux qui est exigé de la Grèce est restée importante.

Sous les protestations du gouvernement grec et face au profond mécontentement populaire qui s’exprime par de fortes mobilisations sociales en Grèce, les pays prêteurs ont fini par décider de ristourner à la Grèce une partie des revenus qu’ils tirent des crédits octroyés à Athènes (Voir European Commission, Directorate General Economic and Financial Affairs, “The Second Economic Adjustment Programme for Greece”, Mars 2012, table 18, p. 45, “Interest rates and interest payments charged to Greece” by the euro area Member States”, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/occasional_paper/2012/op94_en.htm). Mais attention, les revenus ristournés serviront à rembourser la dette.

3. La crise de la zone euro fait baisser le coût de la dette pour l’Allemagne et les autres pays forts

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les pays qui dominent la zone euro tirent profit du malheur de ceux de la périphérie (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, pays de l’ex bloc de l’Est membres de l’UE). L’aggravation de la crise de la zone euro due à la politique menée par ses dirigeants et non à cause de phénomènes extérieurs entraîne un déplacement des capitaux de la Périphérie vers le Centre. L’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Finlande, le Luxembourg, l’Autriche et la Belgique en bénéficient grâce à une réduction très forte du coût du financement de leurs dettes.

Le 1er janvier 2010, avant que  n’éclatent la crise grecque et celle de la zone euro, l’Allemagne devait promettre un taux d’intérêt de 3,4% pour émettre des bons à 10 ans (avant la crise grecque et celle de la zone euro) alors que le 23 mai 2012, le taux à 10 ans était passé à 1,4%. Cela correspond à une diminution de 60% du coût du financement (Financial Times, “Investors rush for the safety of German Bunds”, 24 Mai 2012, p. 29). Selon le quotidien financier français Les Echos, « un calcul approximatif montre que les économies générées grâce à la baisse des taux du coût de financement depuis 3 ans s’élève à 63 milliards d’euros » (Les Echos, Isabelle Couet, « L’aide à la Grèce ne coûte rien à l’Allemagne », 21 juin 2012. La journaliste précise : « Les taux à 6 ans –ceux qui correspondent à la maturité moyenne de la dette allemande- sont en effet passés de 2,6% en 2009 à 0,95% en 2012. »). Somme à comparer aux 15 milliards (sur 110 répartis entre les différents créanciers) effectivement prêtés (avec intérêt – voir plus haut) par l’Allemagne entre mai 2010 et décembre 2011 à la Grèce dans le cadre de sa contribution au premier plan d’« aide » de la Troïka. Le total des engagements allemands envers la Grèce, si on additionne les décisions européennes prises entre 2010 et 2012, s’élève à 67 milliards d’euros. Mais attention, la majeure partie de cette somme n’est pas encore déboursée tandis que l’économie réalisée selon le calcul des Echos s’élève déjà à 63 milliards d’euros.

Nous avons évoqué les taux à 10 ans et à 6 ans payés par l’Allemagne pour emprunter. Si on prend le taux à 2 ans, l’Allemagne a par exemple émis des titres de cette maturité le 23 mai 2012 à un taux d’intérêt nul (Le Soir, Dominique Berns et Pierre Henri Thomas, « L’Allemagne se finance à 0% », 23 mai 2012, p. 21). Début 2012, l’Allemagne a emprunté à 6 mois la somme de 3,9 milliards d’euros à un taux d’intérêt négatif. A ce propos, Le Soir écrivait le 23 mai 2012 : « les investisseurs vont recevoir au terme de ces six mois un tout petit moins (0,0112%) que ce qu’ils ont prêté » (Idem).

S’il y avait une once de vérité de vérité dans le flot de mensonges à propos de la Grèce (du Portugal, de l’Espagne…), on pourrait lire que la Grèce permet à l’Allemagne et aux autres pays forts de la zone euro d’épargner des sommes considérables. La liste des avantages tirés par l’Allemagne et les autres pays du Centre doit être complétée par les éléments suivants.

4. Programme de privatisation dont bénéficient les entreprises privées des pays du Centre

Les politiques d’austérité imposées à la Grèce contiennent un vaste programme de privatisations (Voir le film documentaire Catastroïka http://cadtm.org/3-films-contre-l-austerite) dont les grands groupes économiques, notamment allemands et français, pourront tirer profit car les biens publics sont vendus à des prix bradés.

A l’encontre cite et commente une longue interview donnée par Costas Mitropoulos, un des personnages chargés du programme de privatisation en Grèce, au quotidien suisse francophone Le Temps le 7 avril 2012 : « Les bureaux du Fonds hellénique de développement des actifs («Hellenic Republic Asset Development Fund») jouxtent, à Athènes, un musée consacré à l’histoire de la capitale grecque. Un symbole, tant le processus de privatisations mené par une vingtaine d’experts, sous la direction de l’ancien banquier Costas Mitropoulos, doit changer à terme le visage de la Grèce » avant d’ajouter : « C’est à ce fonds, constitué à la demande de l’Union européenne (UE), que l’Etat grec transfère au fur et à mesure les propriétés, les concessions et les participations qui doivent trouver acquéreur. Avec pour objectif, selon les plans initiaux de l’UE, d’engranger au moins 50 milliards d’euros de recettes d’ici à la fin 2017. » Costas Mitropoulos, banquier, a été actif à Genève et souligne que « le transfert des propriétés à notre fonds, par l’Etat grec, s’est accéléré ». Ilpoursuit : « Notre premier message à faire passer est : nous ne sommes pas l’Etat grec. Nous sommes un fonds indépendant chargé des privatisations, désormais propriétaire de 3% du territoire grec. Nous avons un mandat de trois ans. Nous sommes protégés contre les interférences politiques. »

Le journaliste du Temps insiste : « L’êtes-vous vraiment? Les privatisations, partout dans le monde, sont toujours très «politiques» et l’Etat grec, qui demeurera présent au capital de nombreuses sociétés, a très mauvaise réputation… »

La réponse est sans équivoque : «J’ai, comme banquier d’affaires, présidé aux destinées de l’une des plus importantes fusions-acquisitions en Grèce : le rachat, par le groupe international Watson, du groupe pharmaceutique hellénique Specifa pour près de 400 millions d’euros. Je connais les règles : un investisseur, pour être aujourd’hui intéressé par une privatisation grecque, doit pouvoir espérer tripler ou quadrupler sa mise. Un euro investi doit en rapporter trois ou quatre. (Voir dossier déjà cité http://alencontre.org/europe/la-grece-et-loccupation-par-les-forces-du-iiie-reich-1941-1944-quels-dedommagements-la-dette-de-qui-envers-qui.html Concernant le processus de privatisation voir : European Commission, Directorate General Economic and Financial Affairs, “The Second Economic Adjustment Programme for Greece”, Mars 2012, p. 31 à 33, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/occasional_paper/2012/op94_en.htm)

5. Les sacrifices imposés aux travailleurs permettent de contenir une poussée revendicative dans les pays du Centre

Les reculs sociaux infligés aux travailleurs grecs (mais aussi portugais, irlandais, espagnols…) mettent sur la défensive les travailleurs d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Autriche, de France, de Belgique… Leurs directions syndicales craignent de monter au combat. Elles se demandent comment revendiquer des augmentations salariales si dans un pays comme la Grèce, membre de la zone euro, on diminue le salaire minimum légal de 20% ou plus. Du côté des directions syndicales des pays nordiques (Finlande notamment), on constate même avec consternation qu’elles considèrent qu’il y a du bon dans le TSCG et les politiques d’austérité car ils sont censés renforcer la saine gestion du budget des Etats.

De nouveau sur l’accord de Londres de 1953 sur la dette allemande et le plan Marshall

Comme indiqué dans l’article « Grèce-Allemagne : qui doit à qui ? (1) L’annulation de la dette allemande à Londres en 1953 » (Voir texte ), les termes de l’accord signé à Londres tranchent radicalement avec la manière dont est aujourd’hui traitée la Grèce. De multiples conditions ont été réunies pour permettre à l’Allemagne de l’Ouest de se développer rapidement en permettant la reconstruction de son appareil industriel. Non seulement la dette contractée par l’Allemagne en-dehors des deux guerres mondiales a été réduite de plus de 60%, mais le règlement des dettes de guerre et le paiement des réparations aux victimes civiles et aux Etats ont été reportés à une date indéterminée : de fait, à la réunification allemande qui est intervenue en 1990 et au traité de paix qui a été signé à Moscou la même année entre les autorités des deux Allemagnes en cours d’unification, les Etats-Unis, l’URSS, le Royaume-Uni et la France. Le poids des réparations sur l’économie allemande a donc été longtemps différé. Et dans le cas des réparations dues la Grèce, celles-ci n’ont pas représenté le moindre effort de la part de l’Allemagne puisque les autorités allemandes refusent de donner suite aux demandes grecques.

A la différence de ce qui s’était passé à l’issue de la première guerre mondiale, les puissances occidentales ont voulu après la seconde guerre mondiale éviter de faire peser sur l’Allemagne le poids de remboursements insoutenables car elles ont considéré qu’ils avaient favorisé l’accession du régime nazi au pouvoir. Les puissances occidentales voulaient également une Allemagne de l’Ouest forte économiquement (mais désarmée et occupée militairement) face à l’Union soviétique et ses alliés. Rien de tel n’est de mise avec la Grèce et les autres pays de la Périphérie au sein de l’Union européenne.

Pour atteindre cet objectif, non seulement le fardeau de la dette a été très fortement allégé et des aides économiques sous forme de dons ont été octroyées à l’Allemagne, mais surtout on lui a permis d’appliquer une politique économique tout à fait favorable à son redéploiement. Les grands groupes industriels privés ont pu se consolider, ceux-là mêmes qui avaient joué un rôle clé dans l’aventure militaire de la première guerre mondiale, dans le soutien aux nazis, dans le génocide des peuples juifs, tsiganes…, dans la spoliation des pays occupés ou annexés, dans la production militaire et l’effort logistique gigantesque de la seconde guerre mondiale. L’Allemagne a pu développer d’impressionnantes infrastructures publiques, elle a pu soutenir ses industries afin de satisfaire la demande locale et de conquérir des marchés extérieurs. L’Allemagne a même été autorisée à rembourser une grande partie de sa dette dans sa monnaie nationale. Pour rendre cela concret, il suffit de réfléchir à la situation qui a suivi l’accord de Londres de 1953. L’Allemagne rembourse par exemple à la Belgique et à la France une partie de ses dettes de l’entre deux guerres en deutsche marks. Ces deutsche marks qui n’avaient pas d’intérêt dans les échanges avec le reste du monde, Belges et Français ont essayé de s’en débarrasser rapidement en achetant des marchandises et des équipements fournis par l’économie allemande et contribué à refaire de l’Allemagne une grande puissance exportatrice.

De leur côté, la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne, l’Estonie, la Slovénie et les autres pays périphériques de la zone euro doivent rembourser leurs dettes publiques en euros alors qu’ils en manquent vu leur déficit commercial face aux pays les plus forts de la zone euro. Dans le même temps, les puissances qui dominent la zone euro les obligent, via la Commission européenne et les traités adoptés, à mener des politiques qui les empêchent tant de satisfaire la demande de leur marché que d’exporter. S’ils veulent quand même réussir à exporter, ils sont poussés à réduire encore plus les salaires, ce qui comprime un peu plus la demande intérieure et accentue la récession. Le programme de privatisation achève de porter des coups à leur appareil industriel, à leurs infrastructures et à leur patrimoine en général.

Pour sortir de cette impasse, il faut mettre en œuvre un ensemble de mesures économiques et sociales en rupture radicale avec les politiques menées aujourd’hui, tant dans le cadre national qu’au niveau européen. Il faut donc réaliser un programme d’urgence face à la crise (Voir Damien Millet – Eric Toussaint, « Europe : Quel programme d’urgence face à la crise ? », http://cadtm.org/Europe-Quel-programme-d-urgence.)

Eric Toussaint : maître de conférence à l’université de Liège, est président du CADTM Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org) et membre du conseil scientifique d’ATTAC France. Il a écrit, avec Damien Millet, AAA. Audit Annulation Autre politique, Seuil, Paris, 2012, Note de lecture : AAA : le ricanement des hyènes

Article publié sur le site du CADTM www.cadtm.org

Prochainement : Grèce-Allemagne : qui doit à qui ? (3) portera sur le refus des dirigeants allemands de verser les réparations dues au peuple grec suite à l’occupation nazie