J’ai honte d’avoir eu honte de moi

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« De toute la quincaillerie de cette civilisation, Sandrine a fait du petit bois, pour notre plus grande joie » (Serge Quadruppani dans sa préface)

Errance personnelle dans et par un texte.

Pays connu seulement par des images, pays étranger, « ô lumière blanche d’Algérie », histoire personnelle de territoires, mémoire…

Rire, éclats de rire, rires de femmes, « Lancez-vous dans la lumière sortie de son écrin », refus des enfermements, « Ne rasez les murs d’aucune citée », seins dressés sous les chemisiers, cheveux détachés, hourras victorieux…

« Me vider de ton sang / Le tien, qu’il me faut pourtant reconnaître / Et que des hommes me battent à mort / Qu’ils prennent eux, ce sang /Qu’ils le sucent, oui… » Continuer à lire … « J’ai honte d’avoir eu honte de moi »

(Re)découvrir une romancière oubliée

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Claire de Duras, duchesse de son état, a été longtemps ignorée par sa postérité. Elle fut pourtant une gloire littéraire des années 1820 avec son premier roman « Ourika » copié tant et plus par des plumitifs et des éditeurs à la marge de toute légalité et de toute morale. La duchesse tint aussi salon – que fréquenta Madame de Staël -, évoluant dans cette « bonne » société royaliste du règne de Louis XVIII, réactionnaire à tout crin. Le futur Charles X, dit le simple à cause de ses idées étroites et imbéciles, frère cadet de Louis, imposait un mode de pensée contre révolutionnaire qui signera sa chute en 1830. La duchesse ne partage pas ces positions, partagée qu’elle est entre une mère royaliste et un père qui a participé à la Convention et à la Révolution et perdit la tête sous le couperet de la guillotine pour avoir refusé de voter la mort de Louis XVI. Elle essaie de résoudre toutes ses contradictions sans renier ce père breton. Continuer à lire … « (Re)découvrir une romancière oubliée »

Du coté du polar (mai 2023)

Colères ouvrières

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Pascal Dessaint, auteur de romans « noirs », a voulu comprendre une image récente de deux cadres d’Air France qui, lors d’une occupation des salarié.e.s du siège de l’entreprise avait perdu leur chemise restée dans les bureaux. Image commentée forcément défavorablement, fustigeant comme il se doit la violence sauvage de ces contestataires. Etait-ce, se demanda l’auteur, la première fois que ces débordements de colère désespérée contre la morgue patronale de droit divin avaient lieu ? Continuer à lire … « Du coté du polar (mai 2023) »

Poésie noire et lumineuse

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Nelly Sachs, en compagnie de sa mère, sortira in extremis de l’Allemagne nazie le 16 mai 1940, alors qu’elle a reçu l’ordre de rejoindre un camp d’extermination, pour se réfugier à Stockholm. Se pose alors pour elle la question qui agite les rescapé.e.s, comment écrire ? Que devient la poésie face à cet effondrement de toutes les valeurs humaines ? La poésie est-elle possible pour dire l’indicible ? Elle répondra de deux façons. D’abord en se plongeant dans la tradition juive, particulièrement le Talmud, un recueil d’interrogations, qui fournit des bribes de réponses – le rire en est une – qui suscitent de nouvelles questions et le rythme – à l’instar du jazz qui transforme un thème par l’accélération ou le ralentissement du tempo – pour provoquer un tremblement de la pensée en le transformant en une force de vivre inaltérable. Continuer à lire … « Poésie noire et lumineuse »

Pour ne plus croiser…

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Un fils, un père. Une histoire étrange ou commune, selon le vécu de la lectrice ou du lecteur. L’enfance, les attachements ou les arrachements. La fragilité acceptée ou non. Des traits communs et des différences.
Des images, la tendresse et la pudeur, la dureté et l’affection, les décors et les vêtures. Les secrets et la honte. L’être en transparence. Les plaisirs partagés. Les odeurs. La mort.
Continuer à lire … « Pour ne plus croiser… »

Du coté du polar (avril 2023)

La solitude du tueur de fond
« L’agent seventeen », un titre qui ne laisse pas planer de doute sur le héros, ou plus exactement sur le personnage central qui ne nous laissera rien ignorer de ses doutes, de ses questionnements divers concernant tous les aspects de sa vie qu’elle soit professionnelle ou privée. A proprement parler, il envahit toutes les pages. Le thème est connu depuis Freud : tuer le père pour exister. Ici, 17 doit tuer 16 sur ordre de son supérieur à la CIA. Pourquoi ce meurtre ? Le tueur à gage s’interroge, nous pas tellement. On voit venir le coup. Pourtant là n’est pas l’intérêt de cette chronique violente. Il se trouve dans les glissements, dans les clins d’œil, dans les fausses références mais aussi dans les héros des films et romans d’espionnage, à commencer par Jason Bourne citée par l’auteur plus que James Bond. Continuer à lire … « Du coté du polar (avril 2023) »

Le blanc vif des murs est devenu mauve en une seconde

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« A aucun moment, je ne me suis retrouvé face au vide, le souffle coupé, obligé de faire appel à un instinct de survie le plus primaire qui soit »

Par une subtile construction littéraire et temporelle Catherine Weinzaepflen nous plonge dans une réalité de Los Angeles peu prisée et loin des images idylliques. Elle nous fait toucher ce que l’exil fait aux êtres humains, ce que cet exil fait à Ismaëla.

« Ce n’est pas Ismaëla que j’ai vue dans ce lit d’hôpital, ce n’est pas celle que je connaissais ». La mort dans cet ailleurs, loin des aimé·es. Nous ne sommes pas ici dans une version linéaire du temps, mais dans les temporalités hachés du manque, de la mémoire cadenassée, du cœur serré. Continuer à lire … « Le blanc vif des murs est devenu mauve en une seconde »

Roman vrai

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David Joy trace les dessins de vies sans espoir autre que les paradis artificiels pour faire semblant de vivre. Comment survivre dans les Appalaches ? Le désespoir se niche dans les paysages, dans ces contrées étranges où le monde lui-même semble avoir disparu, englouti dans on ne sait quel puits dont la trace s’est perdue. La solidarité, l’amour n’ont pas perdu leurs droits mais ils restent dilués dans des silences serrés comme si les mots restaient collés à la terre, désespérés eux aussi. Continuer à lire … « Roman vrai »

Quelque chose se tait qui coupe en deux l’existence de ceux qui restent

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« revenant – venant de loin, du fonds des cartons, des mémoires – revenant par des chemins creux, des échappées – et ensuite, et encore »

Brigitte Mouchel tisse une histoire de famille avec des fils de prose-poèmes, « des silences et des plis », une histoire désaccordée à la chronologie dispersée. Des cartons ouverts, des documents jaunis, des photographies, des traces de vies, « les cailloux blancs sont restés au fond des poches ». Des enfants, des femmes, des hommes, quels liens pourraient être établis entre elles et eux ? Continuer à lire … « Quelque chose se tait qui coupe en deux l’existence de ceux qui restent »

Bulgarie, Corée, Afrique du Sud… trois livres

Comment peut-on être écrivain et musicien bulgare ?

Viktor Paskov est un des représentants de la littérature bulgare, qui a fait beaucoup d’émules, littérature qui reste à découvrir. « Allemagne conte obscène » baigne dans la désillusion combattue par une ironie grinçante et un humour triste et combatif, celui des exilés déçus par un pays d’accueil vu comme un Eden au départ. Continuer à lire … « Bulgarie, Corée, Afrique du Sud… trois livres »

Tu me rendais muette

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De courts chapitres, une histoire dessinée aussi par des descriptions de photographies, les années cinquante en France, le racisme « ordinaire », la misogynie, une femme et un homme, la dégradation d’un couple, les asymétries recomposées, le poids des contraintes sociales intériorisées et les espérances…

Cholon. Un mariage comme affront et déshonneur pour les familles. Myriam Dao fixe rapidement le « volet exotique de la première partie de leur existence ». L’histoire d’un couple, le défi des préjugés, la difficulté de s’insérer en métropole. Continuer à lire … « Tu me rendais muette »

Ce sourire des spectres entêtés qui jamais ne renoncent

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« Si le visible n’était pas déjà en même temps au-delà de la visibilité, nous ne pourrions pas le voir, et si la vie n’était pas déjà en même temps au-delà d’elle-même, nous ne pourrions pas la vivre ». (Hermann Broch)
Dix acryliques de Philippe Genette et des poèmes de Pierre Tréfois. Continuer à lire … « Ce sourire des spectres entêtés qui jamais ne renoncent »

La spéculation sur la mort

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Je commence par la note finale de l’auteur : « Du coté de la France et des Etats-Unis, il y eut en tout quatre cent mille morts, si l’on compte les tirailleurs, les supplétifs indochinois, troupes coloniales qui formaient l’essentiel de notre armée. Du côté vietnamien, la guerre fit au moins trois millions six cent mille morts. Dix fois plus. Cela fait autant que de Français et d’Allemands pendant la Première Guerre Mondiale ».

En marge du livre, et au delà de la caractérisation de la colonisation, il convient de souligner que les interventions françaises puis étasuniennes – contre le droit légitime des peuples à disposer d’eux-même – peuvent-être considérées comme un crime contre l’humanité, sans oublier les multiples crimes de guerre. Il ne saurait y avoir de prescription. Et il devrait y avoir réparations pour l’ensemble de la période de colonisation ; il y aurait une certaine justice à vider les poches bien remplies des héritier·es de la famille Michelin et des actionnaires de la Banque d’Indochine – « la banque par excellence, l’Idole » – (malgré les changements de dénomination au fils du temps). Continuer à lire … « La spéculation sur la mort »

J’ai 92 ans et c’est mon premier concert de rock

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Marcelle et Anne-Rock.

« Elle travaille sur scène son corps comme une plasticienne. Je crois qu’elle a bien du plaisir ce soir. Il y a foule de gens. Cette musique ne m’atteint pas. Mais je suis là, je sens la chaleur et les gens ».

Une vieille femme et une aide soignante, les mondes internes et les regards de et sur l’autre, deux portraits. Continuer à lire … « J’ai 92 ans et c’est mon premier concert de rock »

Est-ce là où nous vivons ?

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Des voix, des tableaux animés, des mots repris, l’os comme élément d’un squelette narratif, dans l’air et l’infini comme lieu ou horizon, « Le pas libre devient ce à-perte-de-vue ».

Des images égarées, « Le vélo rouge est un cheval de bataille dont j’ignore le langage », des êtres humains silhouettes de sensations et/ou de sentiments, le poids ou la légèreté du temps, les langages et leur enchevêtrement, les monstres-regards, la fille en fleurs-cage, un pays non inscrit sur les cartes de géographie, les wagons de la médiocrité, l’hésitation « jusqu’à ses bas de soie »… Continuer à lire … « Est-ce là où nous vivons ? »

Du coté des polars (novembre 2022)

Des histoires au coin du feu
Le temps de cet automne ne dit rien sur l’hiver qui vient. Une saison propice aux contes, aux histoires qu’on se raconte pour se rapprocher d’un feu qui s’éteint. « De la jalousie », de Jo Nesbo, fait partie de cette panoplie. Des nouvelles qui se veulent révélatrices de notre monde, de nos comportements assez semblables finalement malgré les frontières.
Continuer à lire … « Du coté des polars (novembre 2022) »

Une ombre en transit

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Vivre au quotidien dans un aéroport nécessite d’intégrer des contraintes et d’adopter les codes de conduite des passager·es. L’art de rester sur place implique de parcourir presque sans relâche les allées et les lieux, d’éviter les préposés à la chasse aux intru·es, celles et ceux qui n’auraient pas leur place légitime dans cet environnement. Le monde des voyageurs et des voyageuses exclut celles et ceux pour qui un aéroport est juste un endroit de vie ou de survie. Continuer à lire … « Une ombre en transit« 

La réalité dépouilla la fiction. Tout devint vrai

 

51d5kt5BGDL._SX210_L’agencement des mots et des phrases, un récit du possible. Une journée célébrée. Le langage commun pour animer la memoire.

« La nuit du 23 avril 1789 fut une longue nuit de palabres, de plaintes et de colère », Paris et les provinces, la famine, les convois de grains attaqués, des émeutes de la faim, la vie au quotidien, « la colère monte autant que les salaires veulent baisser », la folie Titon, « C’est la revanche de la sueur sur la treille, la revanche du tringlot sur les anges joufflus », le saccage d’un palais, « ils désiraient savoir jusqu’où l’on peut aller, ce qu’une multitude si nombreuse peut faire », la cavalerie – feu à volonté !, des cadavres jetés, le fer rouge pour des émeutiers. Aux yeux des puissants, hier comme aujourd’hui, la révolte des humbles et des travailleurs et travailleuses n’est jamais légitime… Continuer à lire … « La réalité dépouilla la fiction. Tout devint vrai« 

Du coté du polar, de l’espionnage, de l’amour et de la politique

Visions de morts et d’amour
Retrouver le commissaire Ricciardi et Naples qui s’apprête à fêter les 10 ans de la marche sur Rome et l’arrivée au pouvoir du Duce, de Mussolini – le 29 octobre 1922 – est un plaisir presque coupable. Le polar se fait poésie pour conter l’amour qui traverse les océans sous la forme d’un boxeur célèbre et célébré, d’un crime crapuleux au nom d’un amour égaré dans les plis de la folie et du commissaire lui-même incapable de répondre à l’être aimée, secoué par les souvenirs de sa mère et de sa propre maladie, héréditaire comme il se doit. Continuer à lire … « Du coté du polar, de l’espionnage, de l’amour et de la politique »