Remettre en cause le sacro-saint principe de la propriété patronale

propriete-expropriations« Au cœur même de cette longue crise du capitalisme, une volonté de « prendre ses affaires en mains » se manifeste face aux licenciements, aux fermetures d’entreprises et aux destructions multiples. Ici et là, un peu partout dans le monde, des travailleuses et des travailleuses occupent leurs entreprises, se saisissent de l’outil de travail et remettent en marche la production. Vieux de quarante ans, le slogan de Lips, « On fabrique, on vend, on se paie », semble donner le la d’une réponse offensive des citoyen.nes et des salarié.es à la situation qui leur est faite », des réalités, sous-estimées, mais soulignées par Pierre Cours-Salies et Pierre Zarka dans leur introduction : « Marx et Engels et la coopération ».

« … création de coopératives, réquisitions des biens vacants, expropriations, récupérations d’entreprises, grèves actives avec reprise de la production, contre-plans « ouvriers », contrôle ouvrier et populaire, autogestion, etc. Les « expériences de mise en commun pour développer des activités socialement utiles ponctuent la lutte des classes et sont l’embryon, le banc d’essai de la réponse de la société des citoyen.nes associé.es pour faire face à la guerre capitaliste »

Je choisis de mettre l’accent sur l’actualité de l’action produite par des individu-e-s actifs/actives ensemble, de la coopération, des coopératives, de l’association des producteurs/productrices, de l’autogestion. Les auteurs nous rappellent « le caractère social du travail », que « l’individu ne se développe que dans un collectif qui lui permet de jouer son rôle et réciproquement, le collectif devient de plus en plus collectif d’individualités et non une masse indifférencié ».

La radicalité de Karl Marx s’exprime à la fois sur la nécessaire auto-organisation des dominé-e-s, leur association en collectifs, y compris dans la sphère de la production et dans le combat contre les structures de l’État. Il ne s’agit ni de s’en remettre aux forces institutionnelles, ni à l’État qui ne peut être considéré comme neutre dans les rapports sociaux.

Les auteurs développent aussi sur les gratuités, les droits sociaux, les patrimoines communs, le fétichisme de la marchandise, les conventions collectives, la domination réelle et la domination formelle, les expériences collectives cristallisées dans les organisations syndicales, les bouleversements du travail, l’automation, le « general intellect », le bilan des nationalisations en France et en Urss, l’internationalisme, l’inter-complémentarité, la démocratie…

Les coopératives, les formes collectives d’actions ne peuvent être cependant appréhendées « hors de la capacité d’intégration du système capitaliste ». D’où la question du pouvoir d’État, la nécessité d’une « réorganisation socialement majeure » de la production, de l’organisation sociale et politique.

J’ai été particulièrement intéressé par le chapitre sur « Le temps et les possibles au présent ». Les auteurs y soulignent, entre autres, « la place et la portée historique des coopérations multiformes qui peuplent la pratique politique et sociale : coopératives de production, exigences d’appropriation sociale des grandes entreprises et des services publics, remise en cause pratiques des transports, de l’agriculture et de la production d’énergie à partir de critères écologiques, critiques de la spéculation financière, des gaspillages mondialisés et des atteintes à l’environnement ». Face à l’ordre désordonné du monde, « les rapports de coopération et d’égalité, loin de se cantonner à des résistances, portent en effet des dynamiques de transformation révolutionnaire ».

Pierre Cours-Salies et Pierre Zarka reviennent aussi sur certaines expériences actuelles : Céralep, imprimerie Hélio-Corbeil, aciéries de Ploërmel, SET ou Fralib… ; et à l’international : le printemps de Prague, l’Argentine, la Grèce ou l’Espagne… « Même si l’actualité d’une organisation de la production collective et maîtrisée démocratiquement a pu être négligée, voire parfois combattue par certains courants du mouvement ouvrier, elle s’affirme et revient sans cesse, dès que l’occasion se présente et que quelques forces s’y attellent pour résister et éventuellement contre-attaquer ».

Pourquoi accepter la rationalité irrationnelle de la planification privée pour le profit ? Pourquoi ne pas y opposer la production socialisée, non réductible à la caricature des nationalisations ? Il convient donc d’opposer les expropriations et la gestion collective à la propriété lucrative ; de répondre à « quelle est la limite des « biens communs », auxquels toute personne a droit ou devrait avoir droit ? », de s’appuyer sur les pratiques collectives, sur le « déjà là » (« La prise en compte des possibles au présent nous impose d’être attentifs aux aspects contradictoires de la réalité sociale mondialisée ») pour poser les questions du pouvoir, social, économique et politique.

couvert_1er_ 30%_Marx_Enegels_propriété_exporpriations_200dpiD’autres débats sont soulevés par Pierre Cours-Salies et Pierre Zarka, d’autres éléments d’analyses et de réponses sont présents dans les textes de Karl Marx et de Friedrich Engels. Parmi ceux-ci, je trouve peu satisfaisant ceux sur la notion de « communisme » et sur la « destruction de l’État », sans oublier les silences (mais ce n’était pas l’objet du livre) sur les contradictions entre les différents niveaux de contrôle ou d’autogestion, tant au niveau régional, national, continental ou international..

Un livre incitation à relire Marx, non comme des talmudistes, mais comme une source de réflexion combinant analyses, théorisations, pratiques, histoire et inventions…

Karl Marx /Friedrich Engels : Propriété et expropriations. Des coopératives à l’autogestion généralisée
Textes présentés par Pierre Cours-Salies et Pierre Zarka
Editions Syllepse,
Editions Syllepse – Propriété et expropriations, Coédition avec M Éditeur (Québec), Paris 2013, 181 pages, 12 euros

Didier Epsztajn

 

Quand les tueurs ont assassiné l’espoir

venceremosCe recueil est composé d’un texte de Franck Gaudichaud « Dialectiques révolutionnaires : les luttes pour le pouvoir populaire et le gouvernement Allende » et de « documents montrant le pouvoir populaire en action ou en débat, souvent en tension et qui redonne quelques fragments des espoirs, discours, illusions, conflits de ces mille jours à « l’heure des brasiers » ».

Je ne présenterai que quelques points du texte d’ouverture.

Une remarque préalable, le vocabulaire pourra surprendre les plus jeunes des lectrices et des lecteurs. Sur ce vocabulaire courant dans les années soixante-dix du XXe siècle, et pas seulement dans les expressions des groupes révolutionnaires, il serait nécessaire de revenir. Car derrière les mots, s’exprimaient des orientations politiques tout à fait discutables. Quoi qu’il en soit, au-delà des formules rhétoriques, des analyses, des programmes, des politiques tendues vers l’émancipation…

« Pour comprendre réellement le pourquoi de la dictature chilienne et des intérêts sociaux qu’elle a défendus, il est pourtant nécessaire de se pencher plus profondément sur ces milles jours de l’Unité populaire et plus encore sur ces luttes de milliers de personnes, ces espoirs partagés, les énergies populaires mobilisées pour construire le « socialisme à la chilienne », et aussi les contradictions d’un projet politique, les difficultés de la gauche au gouvernement, les tensions d’une stratégie légaliste restée minoritaire et, aussi, la haine, la violence politique, une oligarchie revancharde et apeurée, la puissance des attaques de l’impérialisme étatsunien et une révolution démocratique écrasée méthodiquement par la junte militaire, le 11 septembre 1973, qui appelait à extirper la « chienlit marxiste » du pays. Coûte que coûte et pour longtemps ».

Franck Gaudichaud ajoute : « Néanmoins, il semble que l’intervention impérialiste et la violence de la répression aient eu tendance à occulter ou minimiser, du point de vue de l’analyse, les tensions internes au sein de la gauche chilienne et du mouvement social, la crise économique, les divisions, les erreurs et les débats politiques au sein de processus révolutionnaire lui-même ».

L’auteur rappelle les espoirs derrière une victoire électorale et présente les différentes formes de mobilisation et les débats autour d’elles,et en particulier : Cordons industriels, Commandos communaux, Comité de l’Unité populaire, relations avec la Centrale unique des travailleurs (CUT), etc. « L’un des aspects saillants de cette réponse du mouvement populaire est la création, au niveau des principales zones industrielles et quartiers périphériques du pays, d’organisations unitaires et transversaux, qui fonctionnent sur une base territoriale et permettent la liaison entre les différents syndicats d’un secteur industriel précis ou au sein des organisations de base d’un quartier ».

Franck Gaudichaud souligne les occupations d’usines, les gestions directes de la production, du ravitaillement ou de quartiers entiers. Il est important de remettre en avant ces expériences d’auto-organisation et d’autogestion, contre les analyses frelatées centrées sur les seules dimensions institutionnelles. D’autant que « Plus fondamentalement, ce que pose le surgissement de ces prémisses de dualisation de pouvoirs est la question du « pouvoir populaire », comme force alternative possible de la révolution chilienne et comme pouvoir constituant face aux pouvoirs institués étatiques ».

Sur ces points et plus généralement sur leurs orientations générales, l’auteur explique les positions des différents partis, dont celles du Parti Communiste Chilien (PCC), du MAPU (Movimiento de accion popular unitario), du parti socialiste chilien (PSC), du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), etc.

L’auteur insiste particulièrement sur les tensions se situant « à la charnière de l’espace des mouvements sociaux et du champ politique institutionnel » et sur les problèmes politiques ouverts : « quels types de relation établir entre le mouvement ouvrier et le gouvernement de l’Unité populaire ? Quelle devait être la place des embryons de « pouvoir populaire » face à l’État dans un processus de transition au socialisme, Comment maintenir l’unité de la gauche et des classes populaires sans sacrifier les différences stratégiques ? Comment penser la voie électorale et les institutions dans ses rapports à la rupture révolutionnaire ? Comment affronter les manœuvres de l’impérialisme et quelle politique mener au sein de l’armée ? Enfin, comment approfondir les conquêtes démocratiques et radicaliser les formes d’auto-organisation populaire, sans perdre l’appui de secteurs majoritaires de la population ? »

Franck Gaudichaud détaille certains débats, entre autres, autour « de la coalition avec la bourgeoisie nationale que le gouvernement prétend maintenir », du respect de la légalité, de l’illusion des forces armées dites « constitutionnalistes », de l’activité ou non au sein des Cordons industriels, des Commandos communaux, de la construction ou non des organes de pouvoir populaire… Si « Les classes subalternes mobilisées, et surtout ses secteurs radicalisés, se sont retrouvés « au pied du mur » sans avoir les moyens politiques et organisationnel de le franchir », les responsabilités des uns et des autres ne sont pas équivalentes. L’auteur, avec le recul historique revient sur des positionnements qui ont concouru à la défaite, et qui semblent toujours avoir place, entre autres, dans les partis communistes.

Plus discutable, me semble-t-il, la référence aux notions de « classe en soi » et de « classe pour soi » pour élargir les débats à « Cordons en soi » et « Cordons pour soi ». Cette « distinction classique », pour utiliser les termes de l’auteur, me semble inadéquate à décrire les problèmes d’affirmation ou de construction d’une hégémonie alternative et émancipatrice en rupture avec les rapports sociaux de classe existants, pour ne parler que de ceux-ci.

Il manque aussi un regard plus régional ou sous-continental, car les rapports de force ne sauraient être construits au seul périmètre « national ».

Un livre nécessaire, 40 ans après, tant par la grande qualité du texte évoqué que par les leçons que les forces d’émancipation pourraient et devrait ré-aborder. Le point de vue d’une partie de celles et ceux qui construisirent et défendirent au quotidien, l’organisation d’un réel pouvoir populaire.

Je termine par un paragraphe de la lettre des Cordons industriels au président Salvador Allende du 5 septembre 1973 « Nous vous prévenons, camarade, avec tout le respect et la confiance que nous vous portons encore, que si vous ne réalisez pas le programme de l’Unité populaire, si vous ne faites pas confiance aux masses, vous perdrez l’unique appui réel que vous possédez comme personne et comme gouvernant, et vous serez responsable de mener le pays, non pas à la guerre civile, qui est déjà en plein développement, mais au massacre froid, planifié, de la classe ouvrière la plus consciente et la plus organisée d’Amérique latine »

Franck Gaudichaud (ed) : Venceremos !

Editions Syllepse, Editions Syllepse – Venceremos !, Paris 2013, 191 pages, 10 euros

Didier Epsztajn

Comprendre. Bidouiller. Détourner

4Si le quotidien sur Internet reste le travail salarié, l’invasion publicitaire, le commerce sollicité, les des-informations systématiques, les heures de consommation / consultation largement passives, des milliers de sites sexistes, racistes, homophobes…, l’autre versant potentiel, possible, en germe pourrait-être : « Partage, ouverture, décentralisation, libre accès, libre communication, liberté de l’information ».

Un outil, des outils, ni plus ni moins, mais des possibilités d’appropriations sociales, des possibles échanges d’information, une rapidité de diffusion lors des mobilisations, des révolutions, etc. Encore ne faut-il pas avoir d’illusion sur l’instantané, l’infinie ouverture ou la démocratie à distance.

Les collectifs virtuels ne sauraient remplacer les nécessaires échanges, confrontations d’arguments raisonnés et non instantanés, les expériences matérielles… les e-révolutions se substituer à celles bien réelles de collectifs et d’individu-e-s réellement réuni-e-s…

Ce livre nous offre à la fois de nombreuses informations sur des pistes de résistance, de contre-information, de protection de la vie privée et beaucoup de surévaluations tant sur la place des réseaux ou la réinvention de la politique (dont les partis pirates). Ici, aucun cadre général, aucun rapport social, pas de mode production et de reproduction, pas de capitalisme, de rapports de pouvoirs asymétriques, etc…

Et pourtant, Amaelle Guiton nous aide à comprendre « ce que hacker veut dire » et nous présente des outils de contre-pouvoirs en germe.

Quelques éléments entremêlés de critiques.

Si « Il se trouve toujours quelqu’un pour crocheter les serrures et laisser circuler librement les données », cela ne change que peu les rapports de force, les rapports de pouvoirs, cela ne remet pas en cause les rapports sociaux réellement existants. Les réseaux sociaux peuvent être très importants, jouer un rôle non négligeable, mais comme le montrent les révolutions arabes, c’est bien dans le matériel des affrontements entre groupes sociaux que l’essentiel se passe. L’utopie émancipatrice n’est pas réductible à une somme d’actions individuelles, éventuellement collectives, dans les domaines du virtuel, de l’information, de la communication.

L’auteure montre que sur Internet aujourd’hui, l’anonymat n’est pas préservé, « En clair avec le DPI (Deep Packet Inspection, soit l’analyse d’un « paquet » de données circulant sur le réseau), nos e-mails, les sites auxquels nous nous connectons, ce que nous tapons dans un moteur de recherche, tout cela, donc, n’a potentiellement plus grand-chose de confidentiel ». Il s’agit d’une menace sur nos libertés.

De ce point de vue, la « Neutralité du net » est à la fois un combat légitime et un leurre dans une organisation sociale non transformée, à savoir aujourd’hui le capitalisme. De manière plus générale, aucun outil ne peut être considéré comme neutre, aucun outil ne peut être utilisé de manière « neutre » dans une organisation sociale créant et développant des asymétries de pouvoir. Ce qui ne signifie pas que cette revendications de « neutralité du net » ne participe pas à créer des espaces de démocratisation, de résistance.

Si l’anonymat, la vie privée, des personnes utilisant les réseaux doit être protégés contre toutes les surveillances institutionnelles, commerciales ou policières, aucun débat politique ne peut se faire dans cet anonymat.

L’auteure a bien raison de souligner, avec Richard Stallman, qu’une « cage dorée reste une cage » et qu’un logiciel propriétaire reste un « logiciel privateur » sous-entendu de libertés. Cela ne concerne pas que les logiciels, la propriété privée lucrative est un obstacle aux libertés. Et sans incursion dans cette propriété, les rêves d’émancipation se transformeront en cauchemars.

De ce point de vue la « licence publique générale GNU ou GNU GPL (pourGeneral Public License) » qui sécurise « le logiciel libre en lui offrant un cadre juridique » en « s’appuyant sur la notion, assez ironique de copyleft » est loin d’être anodine. Car il s’agit bien d’un desserrement des contraintes, de la démonstration concrète de l’efficacité de la coopération « gratuite » contre les relations marchandes. A noter, que les réflexions à développer sur le « droit d’auteur-e » devraient au moins inclure toutes les situations de création, limiter la commercialisation de ces droits, en limiter la validé dans le temps et en supprimer les possibles héritages.

Pour en rester à la gratuité, celle-ci ne peut-être pensée isolement. La gratuité non rattachée « aux communs », à la socialisation démocratiquement décidée et assumée peut se décliner comme un cauchemar « comme le disent les connaisseurs : quand c’est gratuit, c’est vous qui êtes le produit », à propos de Facebook. Cette « gratuité » n’est donc pas réellement gratuite.

Les possibilités d’utilisation des outils numériques, des réseaux, d’Internet de manière plus générale, pour faciliter les échanges, voire les consultations démocratiques pourraient être largement développées, encore ne faudrait-il pas confondre la somme des individu-e-s relié-e-s à des collectifs constitués.

Au delà de limites indéniables, liés non à la surestimation des cyberdissident-e-s, mais au traitement isolé de leurs outils, un petit livre qui permettra à chacun-e de réfléchir sur la libre communication, l’accès gratuit aux outils numériques, le copyleft, l’ouverture des codes sources, la gratuité, la collaboration, la protection des individu-e-s et sur les possibles utilisations de ces nouveaux outils pour construire de réelles démocraties d’échanges, de décision et de gestion.

Amaelle Guiton : Hackers. Au cœur de la résistance numérique

Au diable vauvert, Vauvert 2013, 250 pages, 17 euros

Didier Epsztajn

Du champ à l’assiette, en Grèce les initiatives se multiplient !

Semences locales et biodiversité, agriculture biologique, permaculture et agroécologie, réseaux de producteurs-consommateurs, jardins urbains autogérés et cuisines collectives : les grecs s’approprient leur agriculture et leur alimentation !

C’est dans un contexte difficile pour les agriculteurs (voir en fin d’article) et les consommateurs (Les habitants des villes ont vu leur pouvoir d’achat s’effondrer. Se nourrir est devenu une préoccupation urgente pour beaucoup de grecs, puisque près d’un tiers vit sous le seuil de pauvreté.) que naissent ou se consolident des initiatives pour former et informer sur d’autres modes de production agricoles, plus écologiques mais aussi plus économes. D’une manière générale, ces initiatives visent une nouvelle population plutôt jeune qui cherche à la fois un échappatoire économique et un projet de vie. Depuis quelque temps, il semblerait qu’on assiste à un retour à la terre, et même s’il ne s’agit pas d’un phénomène social de masse (40 000 agriculteurs de plus pendant la période 2009-2010), une aspiration à un rapprochement à la vie agricole et rurale semble s’ancrer dans une majorité de la population (sondage Kappa Research, 70% des sondés désirent s’installer à la campagne).

Ces initiatives en termes de mode de production allient les aspects écologiques (agriculture biologique, permaculture, etc.) aux avantages économiques d’un changement de techniques de culture et d’élevage, argument non négligeable dans le contexte actuel de crise. Ces formes d’agricultures apportent des premières réponses aux agriculteurs qui voient leurs systèmes économiques s’effondrer : moindres investissements, auto-production de l’alimentation, économies énergétiques, petite échelle de production et bénéfices des apports des agro-écosystèmes. En somme, ce qui s’adressait à quelques écologistes convaincus dans la phase précédente peut potentiellement aussi bien intéresser les nouveaux arrivants des villes que les agriculteurs déjà installés qui se posent la question de comment sortir du cercle infernal dans lequel ils se trouvent (endettement, manque de débouchés pour leurs productions, saturation des possibilités naturelles de production). Evidemment, la réponse ne se situe pas uniquement sur le plan individuel mais aussi à niveau plus politique, puisqu’il s’agit également de changer de politiques agricoles (notamment pour soutenir les petites fermes, comme le demande la gauche paysanne grecque).

A l’origine, la semence

Le mouvement qui se développe depuis les années 2000 autour des échanges des semences est central dans ce récent foisonnement. Peliti, véritable réseau national de préservation, recense et diffuse des variétés de semences et de races animales locales et anciennes, donne la possibilité concrète à plusieurs milliers de personnes de cultiver.  Ces graines libres de droits de propriété intellectuelle, rendent indépendants les agriculteurs à l’égard des firmes semencières. C’est autour de Peliti (mais aussi de Sporos – réseau de commerce équitable), qui apporte concrètement le savoir faire et la mise en réseau nécessaires à l’apprentissage de l’agriculture, que se sont construites un certain nombre d’initiatives que nous recensons ici. Peliti a donné le cadre et l’impulsion au renouveau des préoccupations agricoles en Grèce que ce soit en ville ou à la campagne. Lors de sa fête annuelle à Paranesti (niché aux pieds des montagnes du Rhodope) près de 6000 personnes ont afflué en 2012 pour récupérer des semences et les replanter dans leurs champs, leurs terrasses, leurs terrains occupés ou pour en parler autour d’eux. Le développement d’échanges entre paysans est une condition nécessaire au développement d’une agriculture paysanne : sans semences paysannes, pas d’adaptation locale et donc de souveraineté alimentaire. Autour de ces différents réseaux et collectifs (Spori Limnou, Aegilops, Archipelagos, Helession), un véritable apprentissage des méthodes de cultures alternatives et d’intérêt pour la souveraineté alimentaire se construit qui permettra la conservation dans les champs d’un patrimoine semencier vivant.

Alliance des producteurs et des consommateurs

Le fameux désormais dénommé « mouvement des patates » a révélé un véritable besoin de la société grecque. Il a aussi mis en avant un certain nombre d’initiatives qui visent à rapprocher les consommateurs des producteurs. Quiconque se rend au supermarché en Grèce, et même dans une épicerie ordinaire s’étonne du manque de produits locaux : par exemple, les oranges proviennent souvent d’Espagne alors que la Grèce en est productrice. En comparant avec les multiples expériences françaises (AMAP, points de vente collectifs, paniers paysans, marchés de producteurs), la Grèce a été en retard sur tout ce qui est « circuit court ». Mais la crise a remis les pendules à l’heure : comment se fait-il que les producteurs gagnent si peu quand les consommateurs payent si cher ? La logistique a été organisée d’abord par des groupes de volontaires, souvent de militants écologistes, des citoyens actifs comme on dit en Grèce. Cet effort continue actuellement et est souvent géré par les mairies qui recensent les commandes y compris dans les quartiers très peuplés d’Athènes. Le mouvement des patates a donc pris une certaine ampleur et tente, tant bien que mal, de relever le défi de l’approvisionnement de certains quartiers urbains.

Dans certains cas, ces initiatives ont pris des formes différentes, plus pérennes : sur Internet (www.xoris.gr) ou sous forme de coopératives de consommateurs à Thessalonique qui se dotent d’épiceries (spame et bios coop), de groupes d’achat (omotrapezoi), de réseau de paniers à Athènes (agronaftes pour les producteurs du Péloponnèse ou gineagrotis qui installe des paysans en Eubée) et même une tentative de labellisation « circuit court » de l’huile crétoise (inipirouni). Des aliments de toutes sortes échappent ainsi aux intermédiaires : patates bien sûr, légumineuses, riz, huile, fruits et légumes ou miel et même dans certains cas, des produits frais ou transformés. Il est évident que ces « courts-circuits » des intermédiaires ne permettent pas une politique aboutie de relocalisation de l’agriculture qui nécessiterait de re-diversifier les productions par région et d’organiser en coopératives « alternatives » les agriculteurs pour la production et la vente de leurs produits. Mais ces expériences sont des moments d’appropriation collective de la problématique agricole et alimentaire, ainsi que des espaces de créativité et de liberté, nécessaires dans une Grèce en crise.

Auto-culture

Mais les grecs ne se contentent pas de se rapprocher des producteurs, ils cultivent et occupent aussi des terrains et des bâtiments en friches (comme celui du jardin botanique http://www.votanikoskipos.blogspot.com), des parkings (parkingparko), l’ancien aéroport d’Elliniko (agroselliniko), des terrains militaires (perka)…

La culture, le jardinage, l’autonomie alimentaire et la réappropriation de ces aspects de la vie vont de pair avec un projet politique radical. Assemblées générales, démocratie directe, remise en cause écologique et sociale du système économique actuel : ces initiatives traduisent un renouveau réel du mouvement social et écologiste grec sur un fond autogestionnaire indéniable. Les occupations participent aussi à la construction d’un rapport de force plus global, comme c’est le cas pour Elliniko ou Perka, où les habitants luttent contre les projets de construction (du gouvernement ou des investisseurs privés) qui vont détruire leur cadre de vie et leurs jardins, pour payer la dette !

Cuisines collectives

Enfin, les centres sociaux, les occupations de bâtiments ou de terrains s’accompagnent très souvent de la création de cuisines collectives. Il existe des initiatives très différentes mais elles s’opposent toutes à l’idée de la « philanthropie ». Il s’agit d’initiatives de solidarité pour permettre collectivement à plus de personnes de s’alimenter.

« L’idée de créer la Cuisine Sociale  »L’Autre » est venue lorsque nous avons observé, sur les marchés des fruits et légumes d’Athènes, des gens de tous âges, de toutes nationalités et classes sociales, fouillant les ordures pour trouver des aliments qu’ils ne peuvent plus s’acheter. La première réaction s’imposa d’elle-même: cuisiner des repas à la maison et de les distribuer sur les marchés. Puis, nous avons demandé aux producteurs de nous donner un produit de leur étal pour continuer le lendemain. Nous avons décidé de préparer un repas devant les gens, de manger ensemble, de se rapprocher et de briser la honte que certains peuvent ressentir en attendant de recevoir sa portion de repas distribué. L’idée de la Cuisine Sociale « L’Autre » est un geste de solidarité et d’amour pour un autre être humain dans l’espoir de conscientiser les gens et d’encourager d’autres personnes et d’autres groupes à faire de même. Nous ne faisons pas de philanthropie et ne pratiquons pas la charité. Nous cuisinons sur le tas, nous mangeons tous ensemble et nous vivons tous ensemble ! Un repas avec nos semblables dans la rue. Venez bâtir avec nous un quotidien plus agréable !  (http://oallosanthropos.blogspot.com) »

Une autres initiative, celle d’elchef vise à soutenir les luttes en apportant aux grévistes quelques repas (pendant les grandes manifestations de 2012, les occupations d’usines). Les références aux expériences coopératives du XXème siècle sont tout à fait assumées : l’alimentation en temps de crise redevient une préoccupation centrale, et la gauche doit donner des perspectives d’auto-organisation pour affronter ces défis. Une autre expérience est destinée aux chômeurs : ils se regroupent et cuisinent comme dans le cas du centre social autonome à Athènes http://autonomosteki.espivblogs.net. Dans le squat de Skaramagka est aussi organisé une cuisine collective : les lundis après-midis, ceux qui le veulent cuisinent et mangent. En même temps, s’est créé une épicerie de réciprocité où chacun apporte des aliments qu’il peut échanger contre d’autres aliments ou contre de l’argent. Dans cette occupation athénienne, l’engagement anarchiste et autogestionnaire se mêle à des préoccupations écologistes : non seulement il s’agit de ne pas manger n’importe quoi mais il s’agit de le faire de manière collective et démocratique !

Pour comprendre la situation agricole grecque :

L’histoire récente de l’agriculture grecque rappelle amèrement celle de l’agriculture française. Dès les années 1980,  l’application de la Politique Agricole Commune a provoqué les mêmes effets qu’en France : disparition de la petite et moyenne paysannerie  au profit des grandes exploitations qui ont progressivement vu leurs subventions croître et leur propriété foncière se développer (cette tendance s’inverse avec la crise puisque le secteur voit apparaître de nouveaux acteurs). Aujourd’hui, la Grèce garde une population agricole importante en comparaison à d’autres pays européens (environ 12% contre 3% pour la France). Par contre, à la différence de la situation française, la Grèce a vu ses importations agro-alimentaires tripler depuis le début de l’intégration européenne,  phénomène qui s’est accentué avec l’entrée dans la zone euro. Dans l’espace européen où les produits agricoles voyagent sans distinction, il y a des perdants et des gagnants. Le processus d’intégration européenne de l’agriculture grecque n’a aboutit ni à des territoires vivants, ni à la sécurité alimentaire du pays.
Dans ce pays où les souvenirs de l’agriculture familiale restent très vifs, les paysans subissent la crise de plein fouet. Les impôts fonciers, les taxes spéciales, l’augmentation générale des prix des intrants (surtout pour l’alimentation animale), le prix de l’énergie qui a augmenté de 100% y compris pour l’usage agricole, les menaces sur leur possessions hypothéquées (terres, bâtiments, matériels) qui sont récemment passées de la banque agricole grecque publique aux mains d’une banque privée, les toutes petites retraites agricoles qui sont désormais en dessous du seuil de la dignité, le cartel des intermédiaires et des coopératives qui fait du profit sur le dos des producteurs en pratiquant l’entente illicite, et pour finir la vente à prix cassé de coopératives comme celle de Dodoni (produits laitiers dont la feta) très profitable, à laquelle livraient leur lait près de 7000 éleveurs de l’Epire. C’est pour ces raisons que les agriculteurs bloquent régulièrement les axes routiers et, depuis peu, manifestent aux côtés des artisans, des salariés et des chômeurs.

Roxanne Mitralias, 7 mars 2013, publié sur le site de l’Association pour l’Autogestion  Du champ à l’assiette, en Grèce les initiatives se multiplient ! | Association pour l’Autogestion, avec des illustrations, des vidéos et de nombreux liens

Des liens qui libèrent 

2Si comme nous rappelle Franck Gaudichaud « la région n’a pas pour autant connu d’expérience révolutionnaire au sens d’une rupture avec les structures sociales du capitalisme périphérique », les nombreuses mobilisations, les expérimentations sociales, y compris dans leurs versants institutionnels, les affrontements partiels avec la logique marchande du capital secouent l’ensemble du sous-continent. S’il est « indispensable de prendre en compte la temporalité propre de la région (bien qu’intégrée à un tout mondial) et ses formations sociales spécifiques », dont ce que l’auteur nomme « Amérique indo-afro-latine », les formes de « poder popular », les expériences en cours « esquissent la cartographie, morcelée, d’autres mondes possibles ». Nous devrions les étudier comme des processus naissants « des entrailles même des conditions matérielles et subjectives du capitalisme latino-américain, de sa violence, de son exclusion, dans lesquels ils sont immergés ». Loin des simplifications, « nous sommes face à un sujet émancipateur pluriel et complexe ».

Franck Gaudichaud discute aussi du pouvoir, du « changer le monde en transformant le pouvoir et… la société », des gauches gagnant le gouvernement, « sans que le peuple ne gagne pour autant le pouvoir, ni que cela ne signifie un processus de rupture » en citant Éric Toussaint. Si la question n’est pas la réalisation immédiate d’un autre monde possible, il s’agit cependant bien « de son commencement, condition essentielle pour toute avancée future ». Et de ce point de vue, les questions du pouvoir, des pouvoirs sont incontournables.

« Ce petit livre collectif est une invitation au voyage, au débat le plus large et à penser d’autres possibles pour demain. Une invitation au  »principe espérance » et à l’optimisme que défendait le philosophe Ernst Bloch, par delà les catastrophes et la barbarie qui guettent ».

Avant d’aller plus avant, je voudrai soulever un problème de terminologie, présente, entre autres, dans l’article d’Hervé Do Alto, mais qui parcoure bien des débats actuels. Il s’agit du concept d’ethnicisation. Je ne discuterai pas de la qualité ou des défauts du terme lui même, ni de celui d’ethnicité, mais des faibles contextualisations sur le sujet.

La communauté majoritaire se considère comme neutre (masculine) et universelle, sans couleur (blanche), sans « ethnicité ». Les dominé-e-s revolté-e-s se reconstruisent comme humain-e-s plus « complet-e-s », reformulent les caractérisations majoritaires, les stigmatisations, les effets de visibilité/invisibilité. De ce point de vue, « l’ethnicisation » des populations, de combats sociaux, « la remise en cause de la subalternité de groupes sociaux », sont aussi le dévoilement du faux universel de la communauté majoritaire, de l’ethnicité majoritaire. Il n’y a pas d’ethnicité sans relation aux d’autres ethnicités.

Sommaire :

Franck Gaudichaud : Pouvoirs populaires latino-américains. Pistes stratégiques et expériences récentes

Pauline Rosen-Cros : Quand le Mexique s’insurge encore

Hervé Do Alto : Indianisme et ethnicisation en Bolivie : vers une démocratie postcoloniale ?

Mila Ivanovic : Venezuela : démocratie participative en temps de « révolution »

Flora Bajard, Julien Terrié : Brésil : la Commune du 17 avril

Mathieu Le Quang : Équateur : écosocialisme et « bien vivre »

Anna Bednik : Quand l’agroécologie tisse « des liens qui libèrent » : une expérience colombienne

Sébastien Brulez : Contrôle ouvrier et autogestion : le complexe industriel Sidor au Venezuela

Nils Solari : Argentine : entreprises récupérées et innovation sociale et nouvelle approche de la richesse

Richard Neuville : Uruguay : quatre décennies de luttes des « sans terres urbains »

Jules Falquet : Les femmes contre la violence masculine, néolibérale et guerrière au Mexique

Je n’évoque que quelques éléments traités, sans précision des pays, dans ce riche petit livre : l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca et la production pour le bien commun ; la place des indigènes en Bolivie « consubstantiel à la naissance de cet État ; l’etnicisation comme légitimation de la présence dans des espaces desquels les indiens occupaient une place marginale ; le rôle des paysan-ne-s ; les pratiques de participation et les conseils communaux ; l’acampamento urbain comme « projet d’émancipation de chacun.e en tant que sujet, mais aussi le devenir collectif » ; la mise en œuvre conjointe du droit au logement et du droit du travail ; l’écosocialisme et le « bien vivre » ; les biens communs mondiaux ; l’agroécologie et la recréation des « systèmes de vie » (« elle est vécue  »comme un tout », comme un  »système de vie », une façon de penser les écosystèmes et de penser en écosystèmes ») ; le contrôle ouvrier et l’autogestion ; la récupération d’entreprises ; les structurations sous forme de coopératives ; l’innovation sociale ; la rotation des postes d’animation ; les nouvelles approches de la richesse ; les coopératives de logement et le concept de propriété collective, etc.

Toutes ces expériences (re)créent et font vivre des liens « Des liens qui les constituent et qui leur donnent la force de construire. Des liens qui libèrent ».

En décalé avec les présentations des expériences d’auto-organisation, de réappropriation des biens, de réorganisations des relations sociales, mais paradoxalement faisant ressortir des carences de présentation en terme de genre, l’article de Jules Falquet sur les féminicides et la violence masculine au Mexique, n’en reste pas moins nécessaire. Car si les violences touchent l’ensemble des dominé-e-s, celles subies par les femmes le sont aussi et surtout parce qu’elles sont femmes. La dénonciation des violences sexuelles n’est pas un à coté des questions sociales, « la violence imposée par/pour la mondialisation néolibérale est essentiellement une violence masculine, raciste et classiste, qui indirectement et directement, frappe principalement les femmes, surtout les plus appauvries et racisées ». La lutte contre l’impunité « du continuum des violences physiques, sexuelles et économiques » est une des conditions de la possibilité même de reconstruction d’une hégémonie alternative pour l’émancipation de toutes et tous.

Des expériences d’émancipation en construction, à faire connaître très largement.

Sur les Amériques Latines :

Sous la direction de Franck Gaudichaud : Le volcan latino-américain. Gauches, mouvements sociaux et néolibéralisme en Amérique latine : Actualité du socialisme du XXIe siècle

Patrick Guillaudat et Pierre Mouterde : Hugo Chavez et la révolution bolivarienne. Promesses et défis d’un processus de changement social, note de lecture : Entre ombres et lumières, une révolution en marche ?

Et plus généralement les ouvrages chroniqués sur la page : Caraïbes, Amérique centrale et du sud | Entre les lignes entre les mots

Autres ouvrages de Jules Falquet

De gré ou de force. Les femmes dans la mondialisation : L’inexistance d’un neutre universel

Sous la direction de Jules Falquet, Helena Hirata, Danièle Kergoat, Brahim Labari, Nicky Le Feuvre, Fatou Sow : Le sexe de la mondialisation. Genre, classe, race et nouvelle division du travail : Le genre est un organisateur clé de la mondialisation néolibérale

Rappel de précédentes livraisons :

Pistes pour un anticapitalisme vert Opérer une révolution culturelle dont l’anticapitalisme à besoin

Féminisme au pluriel En naturalisant un problème, on le nie

Pour le droit à l’emploi : Défendre des droits ou se battre pour de nouveaux droits, selon une problématique de statut salarial

Les Cahiers de l’émancipation : Amériques Latines : Émancipations en construction

Coordonné par Frank Gaudichaud

Editions Syllepse Editions Syllepse – Amérique latine : émancipations en construction / France Amérique Latine, Paris 2013, 136 pages, 8 euros

Didier Epsztajn

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Introduction à lire sur le site de ContreTemps : Bonnes feuilles de « Amériques latines. Emancipations en construction » (coordonné par Franck Gaudichaud) | Contretemps

Voir aussi la lecture de Catherine Samary sur le site de l’Association pour l’autogestion : Amériques latines : émancipation en construction | Association pour l’Autogestion

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Présentation du livre

Le Grand Café Français à Aubenas

Vendredi 18 janvier 2013 à 18 h 30

Conférence-débat autour du livre « Amérique latine :

Emancipations en construction »

Coll. Cahiers de l’émancipation, Editions Syllepse

En présence de Franck Gaudichaud (Coordonnateur de l’ouvrage)

Maître de conférences en études latino-américaines à l’université de Grenoble, collaborateur du Monde diplomatique et co-président de France Amérique latine (FAL).

et de Richard Neuville (co-auteur)

Militant altermondialiste et membre du comité directeur de FAL

– Les expériences du « laboratoire Sud-américain »

– Une plongée dans des sociétés en ébullition

– Logement, autogestion, révoltes indigènes, médias alternatifs…

– L’invention de nouvelles sociétés en Argentine, Bolivie, Brésil, Colombie, Equateur, Mexique, Uruguay, Venezuela.

 Avec le soutien de SOLAL (Solidarité Amérique latine Ardèche)

Usines récupérées et autogestion dans la nouvelle réalité espagnole

Traduction en français de cet article très intéressant et éclairant sur la situation dans l’État espagnol et le renouveau des perspectives autogestionnaires dans ce pays. La version originale en castillan a été publiée le 20 décembre sur le site d’ICEA sous le titre de « Fábricas recuperadas y autogestión en la nueva realidad de España ». (Voir lien ci-dessous).

Par José Luis Carretero Miramar1

(Traduction du castillan par Richard Neuville, http://alterautogestion.blogspot.com/ )

Avec la situation de crise financière et économique, l’État espagnol a commencé à réduire très sérieusement sa voilure. Ainsi la fermeture d’entreprises et les licenciements se sont succédé –et continuent à se succéder – laissant une traînée de chômeurs. Dans la fièvre de protestations et de résistance, la transformation sociale (avec l’autogestion comme élément central) s’exprime avec force dans l’horizon en Espagne.

Il y a à peine cinq ou six ans, parler d’entreprises récupérées ou de coopérativisme en Espagne aurait été manier des concepts non seulement marginaux sinon profondément éloignés des intérêts et expériences de la grande majorité de la population. Dans le cadre de la société de la bulle financière, la consommation débridée et la « fête » de la jeunesse, personne n’envisageait – ou seulement des groupes réduits ou très localisés géographiquement- la nécessité de travailler par soi-même dans une perspective horizontale ou éloignée du modèle capitaliste.

Marinaleda ou Mondragón étaient des expériences autogestionnaires de dimension globale, mais ce qui est sûr, c’est que l’immense majorité de la population hispanique restait profondément éloignée des valeurs qui les sous-tendaient.

Cependant, il n’en fut pas toujours ainsi. Sans devoir remonter aussi loin que les collectivisations, qui surgirent au cours de la guerre civile de 1936-39 (qui couvraient une grande partie de l’industrie, des services et l’agriculture de la zone républicaine), dans le scénario de la Transition espagnole du franquisme à la démocratie, dans les années 70, l’expérience de récupération d’entreprises par ses travailleurs à joué un rôle marquant.

C’était des temps de crise, de fractures et de grands mouvements populaires. C’est au cours de cette période qu’émergèrent des expériences comme celle de Númax, une usine de matériel électrodomestique autogérée par les ouvriers en réponse à la tentative de fermeture illégale de la part des patrons, dont l’expérience est restée incarnée dans deux films documentaires Joaquím Jordá : Númax vit et 20 ans ce n’est pas rien.

Certaines des expériences de ces années ont survécu malgré tout jusqu’à aujourd’hui, comme l’entreprise barcelonaise Mol Mactric, capable de réaliser aujourd’hui les châssis d’une ligne du Metro de Barcelone, le train et des centaines de machines industrielles pour des entreprises comme General Motors ; ou l’imprimerie Gramagraf, occupée il y a 25 ans, et qui aujourd’hui appartient au groupe éditorial coopératif Cultura 03.

Mais la transition s’est achevée. Et, elle a produit un grand fiasco. Les principes essentiels du régime franquiste ont été maintenus dans ce qui a consisté en une simple réforme politique qui a intégré le pays dans le cadre de l’Union européenne et de l’OTAN, et qui si elle a concédé certaines libertés publiques, n’a pas remis en cause les mécanismes essentiels de répartition du pouvoir économique et social. Les grands mouvements populaires ont périclité et le « désenchantement » et le cynisme se sont substitués à l’expérimentation et à la lutte. Les propositions autogestionnaires n’ont pourtant jamais disparu mais elles ont été reléguées dans un espace purement marginal.

Et, il en fut ainsi pendant que la société de la bulle financière et sa consommation débridée et irresponsable est restée de vigueur. Comment ? Fondée sur le crédit et la surexploitation du travail des immigrés et des jeunes, grâce à la précarisation des conditions de travail et la conformité d’une législation relative au statut d’étranger, l’activité dissimulée et sans droits s’est (de fait) développée.

A l’arrivée de la crise financière et économique actuelle, les structures se modifiaient et tout évoluait : l’explosion du taux de chômage atteignant des niveaux extrêmes jamais vus précédemment dans la société espagnole et la dégradation rapide du tissu productif et entrepreneurial – à l’éclatement de la bulle immobilière – ont généré une situation radicalement nouvelle qui a impliquée le début de grandes transformations économiques mais également socioculturelles.

Le chômage et une nouvelle pauvreté contraignaient de larges couches de la population vers l’économie dissimulée et l’encaissement des maigres subsides d’un État de Bien-être, qui n’est jamais parvenu à se développer en Espagne à un niveau équivalent à celui des pays centraux de l’Europe.

Les extrêmes (plus précisément, extrémistes) ajustements, mis en œuvre par les pouvoirs publics face au déclenchement de la crise de la dette externe générée par la socialisation des dettes privées des entités financières, ont provoqué l’effet qu’il fallait attendre : l’État espagnol est devenu un gigantesque champ de ruines économiques où les fermetures d’entreprises se sont succédé et où de larges secteurs de la population ont commencé à être exclus de l’activité productive.

C’est dans ce contexte que les succès du 15 mai de 2011 ont éclaté et que le « Mouvement des Indignés » a fait irruption avec force et que les premières tentatives massives de résistance se sont exprimées face au processus de décomposition sociale imposé par les dynamiques néolibérales de l’UE et les gouvernements espagnols.

Dès lors, l’architecture politique de la société est redevenue un élément débattu et discuté publiquement. La politique a récupéré une certaine centralité dans les conversations quotidiennes et dans l’esprit d’une majorité de la population. Parler maintenant de mobilisations, de résistance ou de transformation sociale (avec l’autogestion comme élément central) est redevenue possible.

Déjà, dans les mois précédents, en plein déploiement de la crise, les germes et les semences de cette nouvelle situation s’étaient développés. Et, le recours à la récupération d’entreprises par leurs travailleurs était redevenu crédible.

En ce sens, au tout début de la crise, près de 40 entreprises avaient été récupérées par les travailleurs et remises en fonctionnement sous statut coopératif, comme l’affirme la Confédération de Coopératives de Travail Associé (COCETA). Parmi celles-ci, nous pouvons relater des expériences comme celle de l’entreprise de robotisation Zero-Pro de Porriño (Pontevedra – NdT : Galice) ou celle de meubles d’agencement de cuisine Cuin Factory en Vilanova i la Geltrú (Barcelone), dans laquelle l’ancien chef a participé activement à la transformation en coopérative et, où tous les travailleurs se sont attribué un salaire égalitaire de 900 euros. L’entreprise métallurgique Talleres Socar à Sabadell (NdT : Banlieue de Barcelone) a également été mise en autogestion avec l’appui du propriétaire et reconvertie dans la coopérative Mec 2010.

Mais probablement, l’initiative la plus frappante et connue aura été la mise en marche par les ex-employé-e-s du journal à tirage national Público, qui a arrêté d’être édité en version papier le 23 février 2012, laissant 90 % de ses travailleurs à la rue. Ces derniers ont constitué la coopérative Más Público, qui tente d’obtenir un soutien social et financier pour continuer à publier le journal en version mensuelle.

Cependant, et malgré toutes ces expériences, on ne peut pas considérer que la voie de la récupération d’entreprises soit devenue quelque chose de naturel ou développée : les travailleurs, dans les situations de fermeture, continuent massivement à se satisfaire des prestations sociales que leur propose un État du Bien-être de plus en plus faible et contesté. Les difficultés liées au statut juridique des coopératives dans le droit espagnol, tout comme la quasi-absence de prévisions par rapport à la Loi d’adjudication, associée à une certaine passivité alimentée par des décennies d’univers spéculatif et conformiste, constituent probablement des freins à la stratégie de récupération.

Ce qui assurément paraît de plus en plus évident, c’est le recours croissant au coopérativisme de la part de beaucoup de chômeurs qui, devant la situation d’anomie productive et d’absence d’expectatives pour retrouver un emploi, recourent à la possibilité de capitaliser une prestation de licenciement pour créer des entreprises autogérées. Les exemples sont innombrables (comme celui de la coopérative d’électricité renouvelable Som Energía, créée en décembre 2010) et, dans certains cas, ils démontrent des liens évidents avec les mouvements sociaux (comme ceux relatifs à la mise en œuvre d’expériences créées à l’image ou ressemblante à la Coopérative Intégrale Catalane, ou bien celles du milieu libertaire, comme celle de l’imprimerie graphique Tinta Negra – Encre Noire). Effectivement, entre janvier et mars 2012, 223 nouvelles coopératives ont été créées dans l’État espagnol.

Il n’y a pas de doutes. De nouveaux chemins sont en train d’être parcourus (NdT : tracés) par la société espagnole. Et, parmi ceux-ci, le chemin de l’autogestion commence à être de plus en plus courant.

Lien avec l’article original :

http://iceautogestion.org/index.php?option=com_content&view=article&id=511%3Afabricas-recuperadas-y-autogestion-en-la-nueva-realidad-de espana&catid=19%3Anoticias&lang=es&utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+Icea+%28ICEA%29

1 Membre de l’Institut de Sciences Economiques et de l’Autogestion – ICEA. Madrid, Espagne

Algérie 1962-1965 Autogestion mythe ou réalité ?

Conférence-débat organisée par l’Association pour l’autogestion

C’est sur ce thème que l’Association pour l’autogestion organise, la veille de son assemblée générale, une conférence débat avec Mohammed Harbi, vendredi 30 novembre à 19 h à la bourse du travail de Paris, 3 rue du Château d’eau, 75010 Paris, salle Louise Michel.

Moins d’une année après l’indépendance, en mars 1963, des décrets institutionnalisent l’autogestion, dont des expériences étaient entamées dans les faits avec la remise en activité des « biens vacants ». Ces décrets dits « décrets de mars » sont au nombre de trois. Celui du 18 porte réglementation des biens vacants, celui du 22 porte définitions des formes (assemblées de travailleurs, conseil, comité de gestion, président) et celui du 28 réglementant la répartition des revenus. Le bureau national des biens vacants devient bureau national d’animation du secteur socialiste (BNAS). Certes, les expériences de base étaient bien réelles, et les décrets avaient comme objectif de les étendre mais « pris d’en haut », ces mesures suffisaient elles à renforcer une dynamique déjà confrontée aux obstacles mise par les militaires et les appareils bureaucratisés? Le pouvoir des travailleurs n’a t-il pas en grande partie été usurpé par ceux qui détournent l’esprit des décrets? Parmi les soutiens au coup d’Etat de Boumedienne en 1965 bon nombre de ces adversaires de l’autogestion, bureaucrates et militaires. Toutefois, officiellement, le terme n’est pas supprimé. Preuve de la survivance de l’idée ou alors volonté du nouveau pouvoir de s’affirmer dans la continuité ? En 1971 plusieurs ordonnances forment la « charte et code de la gestion socialiste de l’entreprise », mais bien évidemment le modèle prôné et pratiqué est tout sauf socialiste autogestionnaire

Autogestion, mythe ou réalité? (Algérie 1962-1965) | Association pour l’Autogestion

Voir aussi le livre coordonné par Lucien Collonges (collectif) : Autogestion hier, aujourd’hui, demain, Editions Syllepse (www.syllepse.net), 2010, note de lecture : Ce qui auparavant paraissait souvent impossible souvent s’avère très réaliste

Chronique grecque de l’autogestion courante

Éleftherotypia, « Liberté d’expression », l’un des plus prestigieux journaux grecs, est en cessation de paiement depuis août 2011 (voir Un journal grec en autogestion !). En grève illimitée depuis le 22 décembre 2001, les 800 salariés n’ont pas reçu le moindre salaire depuis sept mois. Plus de salaire, plus de boulot, plus de journal… Journalistes, techniciens, imprimeurs… sont sur le pavé. Il y a déjà plusieurs mois que l’Union européenne des journalistes, avertie de la situation, a exigé des propriétaires (X. K. Tegopoulos Inc.) qu’ils « prennent leurs responsabilités pour sauver ce journal historique ». La réponse a été celle de tous les propriétaires absentéistes… Cependant, la société, comme la nature, ayant horreur du vide, le vide a été rempli par l’initiative autogestionnaire des travailleurs du journal.

Lire l’article sur le site de l’association autogestion

Les Cahiers de l’émancipation

Clairement ancrés dans la gauche radicale, les Cahiers de l’émancipation ont pour vocation d’établir des liens entre les diversités des générations et des expériences et en extraire les germes des lendemains possibles

Cahiers de l’émancipation     pdf

Cahiers de l’émancipation : Pistes pour un anticapitalisme vert 

Opérer une révolution culturelle dont l’anticapitalisme à besoin

Cahiers de l’émancipation : Féminisme au pluriel

En naturalisant un problème, on le nie

Les Cahiers de l’émancipation : Pour le droit à l’emploi

Défendre des droits ou se battre pour de nouveaux droits, selon une problématique de statut salarial

Publié dans Les Cahiers de l’Emancipation : Pour une école émancipatrice

Les voies de la démocratisation scolaire

Toute atteinte létale à la nature finit par devenir une atteinte mortelle à l’humain

Je choisis pour commencer quelques citations du texte d’introduction de Richard Poulin

« Le système capitaliste de production pollue à grande échelle et en profondeur. Les écosystèmes sont fragilisés, certains sont définitivement morts. La déforestation se poursuit pour produire notamment des agrocarburants ‘verts’, largement subventionnés, qui ont des effets sociaux tout aussi destructeurs que leurs conséquences sur les écosystèmes. Surtout, toutes ces activités se conjuguent dans un processus cumulatif d’effet de serre que l’humanité ne peut empêcher, mais seulement espérer amoindrir. A la condition toutefois de remettre rapidement en cause la logique même de l’accumulation du capital et de transformer radicalement notre monde. »

« L’image du vaisseau-Terre dont nous serions tous passagers, donc interdépendants et coresponsables, partageant une communauté d’intérêts face à notre avenir commun, masque la réalité des antagonismes sociaux. Les effets de la pollution ont des impacts diversifiés sur les communautés humaines, poussant à leur paroxysme les conflits sociaux. »

« Il s’agit donc :

  • de substituer à la croissance quantitative du capitalisme et à sa logique d’accumulation une autre logique que l’on pourrait nommer croissance qualitative, laquelle implique une importante décroissance quantitative avant tout dans les pays capitalistes dominants ;

  • de changer radicalement la répartition de la richesse. L’écart est gigantesque en ce qui concerne la répartition de la richesses mondiale, puisque 2% de l’humanité détient 50% du patrimoine des ménages tandis que 50% de l’humanité n’en détient que 1%. »

L’auteur montre comment la logique même du capital engendre la suraccumulation de marchandises et les crises écologiques. Il y oppose une autre orientation et surtout une autre gestion de la société : l’extension de la démocratie. Au règne abstrait de la valeur (échange) il convient d’affirmer les valeurs d’usage pour satisfaire les besoins de l’ensemble des populations. Texte intégral de l’introduction au dossier :

http://www.cahiersdusocialisme.org/2011/09/18/crises-ecologiques-inegalites-sociales-et-ecosocialisme/

Le dossier est divisé en 5 parties :

  1. « Regards théoriques et historiques : socialisme à l’écosocialisme »

  2. « La nécessaire transition »

  3. « Les verts »

  4. « Des enjeux »

  5. « Bilan de luttes »

Quelques textes « Perspectives » complètent ce riche numéro.

Je m’en tiendrais à une partie des « Regards théoriques et historiques ». L’article d’Andrea Levy « Plus d’éco à gauche » analyse différents auteurs (Enzensberger, O’Connor, John Bllamy Foster ou Joel Kovel) et en met certains en « confrontation avec Marx et Engels », ce qui permet de mesurer les écarts et les points de vue. Ces analyses peuvent être mises en regard du texte de Joel Kovel « Cinq thèses sur l’écosocialisme ».

J’ai particulièrement apprécié l’article de Daniel Tanuro « Les fondements d’une stratégie écosocialisme » et ses pistes de réflexion autour de la gratuité des biens de base et de la réduction radicale du temps de travail.

Trois extraits :

  • « Ce n’est pas la nature qui est en crise, mais la relation historiquement déterminée entre l’humanité et son environnent »

  • « les différences qualitatives sont décisives à l’élaboration des stratégies écologiques adéquates, dans lesquelles les moyens mis en œuvre sont cohérents avec la fin – le passage sans casse sociale à un système énergétique économe et décentralisé, basé uniquement sur les sources renouvelables »

  • « Le changement des rapports de production ne constitue que la condition nécessaire – mais non suffisante – d’un changement social extrêmement profond, impliquant la modification substantielle des modes sociaux de consommation et de mobilité » sans oublier la profonde transformation des rapports entre les femmes et les hommes.

Une invitation à débattre réellement des nouvelles contraintes qui pèsent aujourd’hui sur les politiques d’émancipation, d’autant qu’il possible que Daniel Tanuro ait raison et que « le développement des forces productives matérielles ait commencé à nous éloigner objectivement d’une alternative socialiste ».

En complément possible :

Daniel Tanuro : L’impossible capitalisme vert (Les empêcheurs de penser en rond / La Découverte, Paris 2010) Crise historique de la relation de l’humanité et son environnement

Michael Löwy : EcosocialismeL’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste (Les petits libres, Mille et une nuits, Paris 2011Refuser le dilemme entre une belle mort radioactive et une lente asphyxie due au réchauffement global

Cahiers de l’émancipation : Pistes pour un anticapitalisme vert. Coordination Vincent Gay (Editions Syllepse, Paris 2010) Opérer une révolution culturelle dont l’anticapitalisme à besoin

Nouveaux Cahiers du socialisme N°6 : Ecosocialisme ou barbarie !

Les Editions Ecosociété, Montréal 2011, 326 pages, 22 euros

Didier Epsztajn

L’utopie écosocialiste

Comme l’on sait, le mot utopie vient du livre de Thomas More, Utopia (1500) — du grec u-topos, « nulle part » — décrivant une île imaginaire, où les êtres humains vivent en une société harmonieuse. C’est le sociologue Karl Mannheim qui a donné sa formulation « classique » — et encore aujourd’hui la plus pertinente — de l’utopie : toutes les représentations, aspirations ou images de désir, qui s’orientent vers la rupture de l’ordre établi et exercent une « fonction subversive » [1].
La typologie de Mannheim permet d’éviter certains conceptions trop étroites, ou trop vagues, qui font de l’utopie un rêve irréaliste ou irréalisable : comment savoir d’avance quelles aspirations seront ou non « réalisables » à l’avenir ? L’abolition de l’esclavage était-elle considéré comme « réaliste » au XVIIesiècle ? La démocratie n’apparaissait-elle pas comme une utopie « irréaliste » au milieu du XVIIIe siècle ?
Avec Ernst Bloch, l’utopie est déplacée de l’imaginaire spatial vers le mouvement temporel. Pour le philosophe de l’espérance, l’utopie c’est tout d’abord un rêve évéillé orienté vers l’avenir, un paysage de désir. L’objet du rêve et du désir c’est un non-encore-être, qui se trouve dans la réalité elle-même comme tendance ou latence. L’utopie, en d’autres termes est l’anticipation d’une monde non-encore-devenu mais ardemment désiré. Grâce au marxisme, on passe des utopies purement imaginaires, encore abstraites, à une utopie concrète, enracinée dans les contradictions de la réalité.
L’écosocialisme est une utopie dans ce sens, une utopie fondée sur la conviction que « un autre monde est possible », un monde qui n’existe nulle part, ou pas encore. Qu’est-ce donc l’écosocialisme ? Il s’agit d’un courant de pensée et d’action écologique qui fait siens les acquis fondamentaux du socialisme — tout en le débarrassant de ses scories productivistes. Pour les écosocialistes la logique du marché et du profit — de même que celle de l’autoritarisme bureaucratique de feu le « socialisme réel » — sont incompatibles avec les exigences de sauvegarde des équilibres écologiques.
La crise écologique planétaire a atteint un tournant decisif avec le phénomène du changement climatique, provoqué, comme on le sait, par les gaz à effet de serre émis par la combustion des énérgies fossiles (charbon, pétrole). Il y a moins de deux ans, le Réseau Ecosocialiste International publiait un Manifeste sur le changement climatique, à l’occasion du Forum Social Mondial de Belem do Para, Brésil (janvier 2009) ; ce document déclarait :

« Un réchauffement global laissé sans contrôle exercera des effets dévastateurs sur l’humanité, la faune et la flore. Les rendements des récoltes chuteront radicalement, menant à la famine sur une large échelle. Des centaines de millions de personnes seront déplacées par des sécheresses dans certains secteurs et par la montée du niveau des océans dans d’autres régions. Une température chaotique et imprévisible deviendra la norme. »

Il suffit d’ouvrir les journaux aujourd’hui pour comprendre que cette phrase doit être corrigée et les verbes situées dans le temps présent. À partir d’un certain niveau de la température — six degrés par exemple — la terre sera-t-elle encore habitable par notre espèce ? Malheureusement, nous ne disposons pas en ce moment d’une planète de réchange dans l’univers connu des astronomes…
Qui est responsable de cette situation, inédite dans l’histoire de l’humanité ? C’est l’Homme, nous répondent les scientifiques. La réponse est juste, mais un peu courte : l’homme habite sur Terre depuis des millénaires, la concentration de CO2a commencé à devenir un danger depuis quelques décénies seulement. En tant que éco-socialistes, nous répondons ceci : la faute en incombe au système capitaliste, à sa logique absurde et irrationnelle d’expansion et accumulation à l’infini, son productivisme obsédé par la recherche profit. L’utopie écosocialiste s’est constitué comme une réponse radicale face à la dynamique destructrice du capital.
Ce courant est loin d’être politiquement homogène, mais la plupart de ses répresentants partage certains thèmes communs. En rupture avec l’idéologie productiviste du progrès — dans sa forme capitaliste et/ou bureaucratique — et opposé à l’expansion à l’infini d’un mode de production et de consommation destructeur de la nature, il représente une tentative originale d’articuler les idées fondamentales du marxisme avec les acquis de la critique écologique.
James O’ Connor définit comme écosocialistes les théories et les mouvements qui aspirent à subordonner la valeur d’échange à la valeur d’usage, en organisant la production en fonction des besoins sociaux et des exigences de la protection de l’environnement. Leur but, un socialisme écologique, serait une société écologiquement rationnelle fondée sur le contrôle démocratique, l’égalité sociale, et la prédominance de la valeur d’usage [2]. J’ajouterais que : a) cette société suppose la propriété collective des moyens de production, une planification démocratique qui permette à la société de définir les buts de la production et les investissements, et une nouvelle structure technologique des forces productives ; b) l’écosocialisme serait un système basé non seulement sur la satisfaction des besoins humains démocratiquement déterminés mais aussi sur la gestion rationnelle collective des échanges de matières avec l’environnement, en respectant les écosystèmes.
L’écosocialisme développe donc une critique de la thèse de la « neutralité » des forces productives qui a prédominé dans la gauche du 20e siècle, dans ses deux versants, social-démocrate et communiste soviétique. Cette critique, pourrait s’inspirer, à mon avis, des remarques de Marx sur la Commune de Paris : les travailleurs ne peuvent pas s’emparer de l’appareil d’Etat capitaliste et le mettre à fonctionner à leur service. Ils doivent le « briser » et le remplacer par un autre, de nature totalement distincte, une forme non-étatique et démocratique de pouvoir politique.
Le même vaut, mutatis mutandis, pour l’appareil productif : par sa nature, et sa structure, il n’est pas neutre, mais au service de l’accumulation du capital et de l’expansion illimitée du marché. Il est en contradiction avec les impératifs de sauvegarde de l’environnement et de santé de la force de travail. Il faut dont le « révolutionnariser », en le transformant radicalement. Cela peut signifier, pour certaines branches de la production — les centrales nucléaires par exemple — de les « briser ». En tout cas, les forces productives elles-mêmes doivent être profondément modifiées. Certes, des nombreux acquis scientifiques et technologiques du passé sont précieux, mais l’ensemble du système productif doit être mis en question du point de vue de sa compatibilité avec les exigences vitales de préservation des équilibres écologiques.
Cela signifie tout d’abord une révolution énergétique : le remplacement des énergies non-renouvelables et responsables de la pollution, l’empoisonnement de l’environnement et le réchauffement de la planète — charbon, pétrole et nucléaire — par des énergies « douces » « propres » et renouvelables (eau, vent, soleil) ainsi que la réduction drastique de la consommation d’énergie (et donc des émissions de CO2).
Mais c’est l’ensemble du mode de production et de consommation — fondé par exemple sur la voiture individuelle et d’autres produits de ce type — qui doit être transformé, avec la suppression des rapports de production capitalistes. Bref, il s’agit d’un changement du paradigme de civilisation, — qui concerne non seulement l’appareil productif et les habitudes de consommation, mais aussi l’habitat, la culture, les valeurs, le style de vie — et de la transition vers une nouvelle société. Une société où la production sera démocratiquement planifiée par la population ; c’est à dire, où les grands choix sur les priorités de la production et de la consommation ne seront plus décidées par une poignée d’exploiteurs, ou par les forces aveugles du marché, ni par une oligarchie de bureaucrates et d’experts, mais par les travailleurs et les consommateurs, bref, par la population, après un débat démocratique et contradictoire entre différentes propositions, en fonction de deux critères essentiels : la préservation des équilibres écologiques et la satisfaction des bésoins essentiels.
Oui, nous répondra-t-on, elle est sympathique cette utopie, mais en attendant, faut-il rester les bras croisés ? Certainement pas ! Il faut mener bataille pour chaque avancée, chaque mesure de réglementation des émissions de gaz à effets de serre, chaque action de défense de l’environnement.
Le combat pour des réformes éco-sociales peut être porteur d’une dynamique de changement, à condition qu’on refuse les arguments et les pressions des interêts dominants, au nom des « règles du marché », de la « compétitivité » ou de la « modernisation ». Chaque gain dans cette bataille est précieux, non seulement parce qu’il ralentit la course vers l’abîme, mais parce qu’ils permet aux individus, hommes et femmes, notamment aux travailleurs et aux communautés locales, plus particulièrement paysannes et indigènes, de s’organiser, de lutter et de prendre conscience des enjeux du combat, de comprendre, par leur expérience collective, la faillite du système capitaliste et la nécessité d’un changement de civilisation.
Des mobilisations comme celle de Copenhagen en décembre 2009, à l’occasion du Sommet international sur le changement climatique, avec des dizaines de miliers de personnes unies autour de l’exigence « Changeons le système, pas le climat », sont un autre exemple important. Seulement deux gouvernements répresentés à Copenhagen se sont solidarisés avec les mouvements protestataires : celui d’Evo Morales (Bolivie) et celui de Chavez (Venezuela). Evo Morales déclarait en 2007 : « Le monde souffre d’une fièvre provoquée par le changement climatique, et la maladie est le modèle capitaliste de développement. » C’est lui qui va convoquer en 2010, suite à l’échec spectaculaire du Sommet de Copenhagen, une Conférence Internationale des Peuples à Chochabamba, en défense du Climat et de la Mère-Terre, dont le succès a été un pas important vers la coordination planétaires des résistances.
Morales et Chavez se réclament du socialisme du 21e siècle et de l’écologie. Cependant, les économies de leurs pays restent dépendentes, pour l’essentiel, de la production et exportation d’énérgies fossiles — gaz pour la Bolivie, pétrole pour le Venezuela — les mêmes qui sont responsables du réchauffement global…
Une initative importante pour dépasser ce type de contradiction vient d’être prise par un autre gouvernement de gauche en Amérique Latine, lui aussi se réclamant du socialisme du 21e siècle : celui de Rafael Correa en Equateur. Depuis des années, le puissant mouvement indigène de ce pays, réprésenté par la CONAIE (Confédération des Nations Indigènes de l’Equateur), ainsi que les mouvements écologiques et les forces de la gauche socialiste, se battent pour défendre le parc naturel de Yasuni, en pleine région Amazonienne, contre les projets de différentes compagnies petrolières — nationales et multinationales — d’exploiter les gigantesques réserves du sous-sol de cette zone protégée qui constitue une des réserves de biodiversité les plus riches au monde. Le gouvernement équatorien avait proposé de laisser le pétrole sous la terre, à condition d’être indemnisé par les pays riches, à hauteur de la moitié de la valeur de ces réserves — estimées à 7 milliards d’euros — payable en douze ans. Confronté aux tergiversations des pays européens qui avaient manifesté leur interêt — Suède, Allemagne, France, etc. — Rafael Correa avait fait machine arrière et semblait disposé à livrer le parc aux réprésentants de l’olygarchie fossile. Mais grâce à la pression combiné des indigènes, des écologistes et de la gauche socialiste — soutenus par l’opinion publique équatorienne, favorable à 76 %, selon un récent sondage, à la non-exploitation des reserves du parc amazonien — il a pris la bonne décision : le pétrole de Yasuni restera sous le sol.
Morale de l’histoire : il est important d’avoir des gouvernements de gauche, mais ce qui est décisif c’est la mobilisation sociale et politique des principaux intéressés, la pression « par en bas » des mouvements sociaux…

Michael Löwy CONGRÈS MARX INTERNATIONAL VI, SEPTEMBRE 2010

Notes

[1] K. Mannheim, Ideologie und Utopie, 1929, Francfort, Verlag G. Schulte-Bulmke, 1969, p. 36, 170.

[2] James O’ Connor, Natural Causes. Essays in Ecological Marxism, New York, The Guilford Press, 1998, p. 278, 331.

Avenir du syndicalisme

Jean Marie Pernot avait publié la première édition de ce livre en 2005, « Syndicats : lendemains de crise ? », sur la base du mouvement social de 2003 en essayant de déterminer ce qu’il posait comme question principale à la fois sur la forme des luttes et sur les organisations syndicales. Quels lendemains de crise ? Il tient toujours à ce point d’interrogation. La crise du syndicalisme est une réalité en même temps qu’il reste une force de proposition pour le mouvement social absolument essentielle. Cette nouvelle édition ne tient pas compte – pas encore – de l’actuel mouvement social (Contre la réforme des retraites) qui donne pourtant tout son sel au point d’interrogation. A lire, à contester, à commenter. La conscience des enjeux incite à penser, à planifier l’avenir sans se laisser emporter par la conjoncture…

Jean-Marie Pernot : Syndicats : lendemains de crise ?

Folio actuel, 428 pages

Nicolàs Béniès

Ce qui auparavant paraissait souvent impossible souvent s’avère très réaliste

Comment présenter un tel ouvrage ? Comment rendre la richesse des analyses, ou plus simplement comment donner envie de se confronter aux utopies concrètes, dont l’autogestion, réponse en espérance aux défis du monde d’aujourd’hui ?

Sans vraiment de solution satisfaisante, j’assume ici une présentation en reconstitution/puzzle parmi tant d’autres, une des lectures transversales plausibles des travaux réunis.

Au delà des terminologies utilisées, pas toujours adéquates à mes yeux, la notion d’autogestion permet de poser une (des) alternative(s) aujourd’hui efficace(s) pour les actions/réappropriations immédiates de notre présent. Elle permet aussi de poser les alternatives, de se poser en alternative émancipatrice majoritaire pour demain.

Demain est déjà commencé. C’est pourquoi les auteur-e- s indiquent « C’est pourquoi nous devons constamment souligner ce qui dans les pratiques et les revendications des mouvements de contestation – qu’elles soient sociales, politiques, écologiques, nationales ou culturelles – exprime les aspirations à l’autodétermination et à l’autogestion. »

En alliant, leçons des expériences passées, radicalisation de la démocratie et proposition pour une activité de production autogérée, les auteur-e-s actualisent une part de cette « alternative radicale et globale qu’il faut construire et opposer pied à pied à l’ordre établi. »

Le patron a besoin de toi, tu n’as pas besoin de lui.

 Pour débuter ma lecture, je commence par un retour à la révolution française et à la notion de souverain traité par Sophie Wahnich « Commune et forme révolutionnaire » (pour approfondir « La longue patience du peuple, 1792. Naissance de la République », Payot, Paris 2008). Derrière « la souveraineté effective d’assemblées délibérantes » l’activité politique est conçue comme continue. C’est, souligne l’auteure « une activité délibérative et communicative », la commune comme instance souveraine de la république.

Cette notion de souverain ne peut se dissoudre dans la représentation, aussi démocratique soit-elle. Une porte, fracture politique, est ouverte, les débats et pratiques pourront se développer, le temps de la démocratie de toutes et tous est enfin pensable. Restreindre la portée ou la puissance du souverain, c’est substituer à un ensemble à construire, un partiel résigné ; c’est courir le risque, historiquement souvent décliné, de privilégier certain-e-s acteurs et actrices ; c’est, dès le départ, une incomplétude, une solution dégénérative, aux problèmes de l’émancipation de toutes et tous.

 Suivant les connaissances, les humeurs ou le voyages réels ou symboliques des un-e-s et des autres, l’exploration des expériences d’auto-controle des luttes ou des activités productives ou sociales pourra conduire la lectrice et le lecteur de la Catalogne révolutionnaire et libertaire au budget participatif de Porto Allegre, de la commune d’Oxaca aux conseils ouvriers à Budapest en 1956, de la lutte des Lip à Solidarnosc, à la démocratie autogestionnaire en gestation en Algérie des années 60, aux multiples luttes dans des entreprises ici et ailleurs, du poder popular au Chili sous Allende au printemps de Prague, aux œillets du Portugal en révolution, aux centres sociaux italiens, etc.

D’autres préféreront entamer leur parcours par des débats plus théoriques autour du bilan de l’autogestion yougoslave, de la Commune de Paris ou du dépérissement de l’État…

D’autres encore, s’affranchiront des marches plus connues, pour s’introduire dans les     coopératives et la coopération, la démocratie d’entreprise, les bien universaux, le mouvement de contre culture allemand, l’histoire du mouvement syndical, le pouvoir lycéen, etc.

Sans oublier les thèmes autour de la crise, le marché et l’autogestion, l’espace médiatique, l’école, l’écosocialisme, Marx et le marxisme, le féminisme, l’articulation entre démocratie directe et démocratie représentative…

 Un tel ouvrage présente forcement des lacunes, tant sur le périmètre géographique, que dans la profondeur du temps, ou l’approfondissement de certaines questions. Néanmoins, je  regrette le non traitement des « auto réductions », ces grèves d’usagers en France et surtout en Italie au milieu des années 70 (Les autoréductions. Grèves d’usagers et lutes de classes en France et en Italie. 1972-1976, Christian Bourgois, Paris 1976).

Quoiqu’il en soi, un ouvrage, non seulement bien venu tant pour l’éclairage réactualisé d’expériences du passé et du présent, mais aussi par l’incitation politique à formuler, reformuler, expérimenter des nouvelles formes d’organisation, de luttes ou de contre pouvoir. L’action propre, autoorganisation, coopération, coordination, autogestion, etc, permet de construire le présent comme élément du futur et le futur comme possible émergent de ces activités présentes. Elle permet aussi de se construire tant collectivement que individuellement comme être debout, actrices et acteurs réellement égaux.

Coordination Lucien Collonges (collectif) : Autogestion hier, aujourd’hui, demain

Editions Syllepse (www.syllepse.net), Paris 2010, 695 pages, 30 euros

 Didier Epsztajn

Quiconque meurt de faim, meurt d’un assassinat

C’est avec un peu de retard que je rends compte de ce petit qui garde toute son actualité.

La première partie montre comment la libération des échanges agricoles, affame les paysans du sud en marginalisant ceux du nord et oppose les conditions d’un développement durable des agricultures paysannes.

Un chapitre dissèque l’histoire du modèle californien dans ces multiples dimensions.

La seconde partie présente la réalité et les propositions de Via Campesina mouvement paysan international en insistant sur l’autonomie paysanne et la nécessaire souveraineté alimentaire des peuples.

Une troisième partie nous donne des exemples du combat commun mené par des paysans du sud comme du nord (Indonésie, Mexique, Bolivie, France, Thaïlande, Espagne, Palestine, Burkina Faso, Afrique, Venezuela et Suisse.)

Les thèmes traités sont nombreux : mécanismes du développement inégal, révolution verte, sous-alimentation, crise écologique et sanitaire, endettement, aides, racisme, réformes agraires, eau, OGM, toujours en montrant leurs conséquences ici et là bas. Sans oublier les luttes et l’organisation en syndicats et en collectifs des paysan-ne-s et des populations.

Ce livre se termine par un postface de Jean Ziegler d’où est extraite la phrase du titre de cette courte note..

Indispensable aux altermondialistes, aux écologistes, aux syndicalistes et à toutes celles et tous ceux qui refusent que le monde soit une marchandise.

Via Campesina: Une alternative paysanne à la mondialisation néolibérale

CETIM, Genève 2002, 255 pages, 7,50 euros

Didier Epsztajn

Généalogie du socialisme

Ce livre permet d’accéder aux conceptions d’un militant révolutionnaire américain. A mes yeux son principal intérêt est de confronter aux positions de Hal Draper, des points de vue critiques ou complémentaires. Les débats autour du socialisme, à partir de cultures politiques ou d’orientations différentes sont toujours nécessaires, compte tenu du bilan des différents courants se réclamant peu ou prou du socialisme.

Le livre s’ouvre par une riche introduction de Jean Batou et outre le texte, comportent cinq contributions qui discutent de tout ou partie des conceptions de l’auteur. J’ai particulièrement été intéressé par les contributions de Murray Smith (dont son insistance sur le nécessaire pluralisme des anticapitalistes) et de Catherine Samary revenant sur le débat entre fins et moyens. Je souligne aussi le texte de Diane Lamoureux « Et si le socialisme avait à apprendre du féminisme ? »

Je reste cependant très dubitatif sur la notion de « socialisme par en bas » au centre de l’argumentation de l’auteur, non par divergence avec les arguments développés mais parce que cette notion, très descriptive, idéalise les conditions matérielles (réelles) des luttes et des stratégies possibles.

Hal Draper : Les deux âmes du socialisme

Editions Syllepse, Paris 2008, 201 pages, 18 euros

 Didier Epsztajn

Construire son propre imaginaire de l’émancipation

Dans son introduction, Jean-Marie Harribey souligne quelques dimensions qui me serviront de points d’ancrage à une réflexion préalable à la discussion de ce livre.

Il me semble, qu’il est possible (souhaitable) d’avancer, ensemble, dans les débats (les actions), sur la base de plages consensuelles et en postposant certains débats (désaccords) n’ayant que peu de conséquence sur les actualités pensables.

J’en reviens aux trois points soulignés dans l’introduction :

  • La nécessaire «alliance de la démocratie, de la transformation des rapports sociaux et de la responsabilité écologique »
  • La carte, la boussole et la méthode « La carte, c’est la démocratie ; la boussole, c’est l’autonomie individuelle et collective ; la méthode, c’est la construction de convergences entre toutes les forces sociales qui essaient, souvent encore dans des directions parallèles, de faire barrage aux multiples rouleaux compresseurs du capitalisme néolibéral »
  • L’usage et le besoin en lieu et place de la marchandise « l’espace de la socialité peut se bâtir sur la valeur d’usage des chose plutôt que sur leur valeur marchande et sur le bon usage plutôt que sur le gaspillage », l’insistance sur la notion de «bien commun » ou les propositions autour de l’« extension du champ de la gratuité ».

Voilà, me semble-t-il, une conjonction de propositions, un socle solide pour une alliance radicale à vocation majoritaire pour résister et construire une (des) alternative(s) à ce vieux monde.

Cela ne sera peut-être (probablement) pas suffisant. Mais, mettre aujourd’hui, des conditions non pertinemment actives, efface, du possible, le(s) chemin(s) vers demain.

Autant présenter de suite, quelques désaccords qu’il me semble possible de postposer :

  • le mouvement plutôt que le but (Eduard Bernstein) ; un mouvement sans hypothèse(s) de but ressemble plus à une errance,
  • les notions de post marxisme, il conviendrait plutôt de revivifier et compléter les recherches, en les débarrassant des scories diverses, dont certains sont non seulement malodorantes, mais contraires au(x) but(s) visé(s), voir simplement criminelles,
  • la société civile comme sujet révolutionnaire, encore plus imprécis que le prolétariat ; alors que le salariat représente la majorité absolue de la population, tout en soulignant comme l’auteur l’« irréductible pluralité des sources d’identité individuelle et collective »,
  • le socialisme du XXIème siècle de Chavez, dont l’auteur semble faire une lecture trop unilatérale,
  • les nouveaux objets politiques, phénomènes très largement sous-estimés par d’autres, mais ne répondant cependant pas à la totalité des questions posées.

Le livre est composé de huit parties « Réguler la finance ou la socialiser », « Peut-on repeindre en vert le capitalisme ? », « Le travail décent : un bien commun », « Peuple, prolétariat, société civile ? », « Démocratiser l’État : la socialisation de la politique », « Démocratiser l’économie : la socialisation du marché », « Réformes et révolutions : la longue marche de la société civile », « Pour une relocalisation coopérative » et d’une conclusion « Vers un socialisme civil ».

Je ne vais pas ici présenter l’ensemble des analyses et des propositions de Thomas Coutrot, mais plutôt essayer de souligner, subjectivement, quelques points solides pour continuer le débat.

L’auteur propose de discuter « Un projet d’émancipation qui se donnerait la triple tache de mener la critique de ses prédécesseurs, de démystifier les discours et les logiques actuellement dominantes, de propose des alternatives qui donnent des figures concrètes et dès maintenant constructibles à l’émancipation »

Des propositions concrètes, comme « étendre la gratuité à de nouveaux biens essentiels » ou « une réduction massive du temps de travail pour utiliser les gains de productivité de manière favorable à l’emploi et écologiquement soutenable ; un droit des comités d’entreprise élargi aux sous-traitants et aux parties prenantes pour toutes décisions…. » pour lutter contre la « tendance à l’illimitation » du capital, doivent être articulées à des changements institutionnels crédibles et immédiatement possibles. Faute de quoi, elles ne pourraient convaincre largement.

Il faut donc assoir les arbitrages possibles et « construire une représentation légitime de l’intérêt commun, par le processus électoral et institutionnel » et « élaborer des dispositifs institutionnels qui stimulent la subversion démocratique » et au-delà des points de consensus, des avis majoritaires et minoritaires revendiquer « La compétence des incompétents » et rechercher des « compromis dynamiques ».

L’auteur, comme Jacques Rancière, défend le principe du « tirage au sort » comme actualisation possible de la démocratie. C’est une proposition qui mériterait mieux que les sourires dédaigneux de certain-ne-s.

L’auteur développe aussi les formes institutionnelles de contestation des pouvoirs monopolisés : rotation des élu-e-s, limitation des possibilités de réélection, instance de contrôle, plafonnement des financements, etc…

Dans les pages sur le travail, l’auteur après avoir analysé «travail sans qualité », les atteintes à l’estime de soit, n’en souligne pas moins l’irréductibilité contradiction de la mobilisation du travail par le système capitaliste « Le salariat est certes l’école de la soumission, mais les ordres, les procédures, les normes, les instructions de la hiérarchie ne suffisent jamais à définir exactement ce que le travailleur doit faire pour réussir »

Les pages sur la gestion collective des biens communs, les délibérations démocratiques, appuyées sur le principe de subsidiarité (décider le plus près possible de la base), l’économie réellement économe « quel est, pour un montant de ressources, l’éventail des arbitrages possibles entre divers objectifs, plus ou moins contradictoires », la mise des « mécanismes sous le contrôle le plus direct possible de la population » me semblent adéquates à leur objet, une critique concrète du mode de production capitaliste.

L’auteur n’oublie cependant pas une autre critique, celle de la sanction a-postériori du marché, les valorisations de choix « en fonction de son intérêt égoïste », ni le socialisme ayant réellement existé et son « inefficacité et domination bureaucratique ».

D’autres propositions pourraient être approfondies, en particulier la subdivision des biens de production en nue-propriété collective et usages autogérés, le financement des investissements à confronter aux propositions de Bernard Friot.

 Thomas Coutrot n’en oublie pas que « les classes dominantes renoncent sans hésitation à l’État de droit lorsqu’elles considèrent menacés leurs intérêts fondamentaux » et soutient une thèse de « rupture institutionnelle majeure » et souligne que « les forces sociales progressistes ne peuvent s’autolimiter à la stricte légalité sans précipiter leur défaite ».

Sa critique de la valorisation de la violence dans les processus de rupture me semble justifiée, mais « diviser, affaiblir et démoraliser les adversaires de l’autonomie populaire » ou résister « en défense des valeurs et de la légalité démocratiques menacées » ne suffit pas à baliser ce débat.

A l’aune des expériences du passé, l’auteur insiste sur un point décisif « Développer puis maintenir durablement un degré élevé de participation de la société civile et des citoyens est un défi majeur. Mais il y a plus difficile encore : préserver l’autonomie populaire malgré la participation ».

Le livre n’est pas la bible que certain-e-s souhaiteraient pour avoir les clefs des incertitudes de l’avenir, mais c’est un livre qui prend au sérieux et la centralité de la démocratie et la transformation sociale radicale et l’interaction des deux.

 Thomas Coutrot : Jalons vers un monde possible

Editions Le bord de l’eau, Paris 2010, 226 pages, 16 euros

 Didier Epsztajn

Pour l’extension du salaire continué

Pour débattre d’une situation sociale, il convient de commencer par aller au fond des choses, mettre en sens les réalités si mal décrites, puis argumenter sur ce que nous souhaitons. Dire oui à un projet d’espoir.

Puis, reste, bien sûr, le nécessaire travail d’annihilation, pas à pas, des évidences qui n’en sont pas, des mensonges intéressés, des arnaques intellectuelles et des « il n’y a pas d’autres solutions » sans oublier le refus concret de la (contre)réforme.

 

« C’est seulement à partir du rappel du mouvement qui a conduit au système de retraite actuel et à sa réussite, tant politique qu’économique, qu’on peut comprendre les objectifs de la réforme et ceux qu’on peut lui opposer pour prolonger un mouvement qu’elle tente d’interrompre »

A juste titre, Bernard Friot débute son livre par un chapitre percutant « Les retraites, une réussite historique à contre-pied du capitalisme » Il nous rappelle les débats antérieurs (qui reviennent aujourd’hui dans les argumentaires de la réforme). Contre l’épargne retraite, nos pensions sont un salaire continué, une reconnaissance d’une qualification acquise. Par ailleurs « L’évitement de l’épargne lucrative se double de celui de l’impôt ». L’auteur montre aussi toutes les ambiguïtés du régime Arrco (régime complémentaire obligatoire), avec son système de point et son absence de garantie de prestation. Il souligne la première brèche, dans notre système de retraite, avec l’indexation de pensions sur les prix et non plus sur les salaires.

Afin de situer historiquement, la notion de travail, Bernard Friot, fait un court détour, par l’analyse du travail comme rapport social, du temps travail abstrait comme carcan et mesure de toute chose, de la marchandise (abstraite de toute considération tenant à la spécificité du bien produit, à son usage), il souligne qu’il n’y a pas d’essence du travail ni de définition transhistorique de celui-ci.

Le statut des fonctionnaires (fondé sur la qualification et non pas sur l’emploi), les pensions comme salaire continué « ces tremblés dans l’écriture capitaliste du travail, ces étrangetés tolérées ne peuvent plus espérer subsister sans un discours et des pratiques fortes ». Il ne suffit donc pas de s’opposer à la réforme. Il faut affirmer que « c’est le statut du travail et des salariés qui est en cause ».

La réforme comporte deux objectifs centraux : « Donner un coup d’arrêt quantitatif au mouvement de continuation du salaire dans la pension à partir de 60 ans et, qualitativement, délier la pension du salaire pour la lier à l’épargne, au revenu différé et à l’allocation tutélaire (pension complémentaire allouée sous condition de ressources ou d’activité longue), trois formes de ressources résolument non salariales »

L’auteur prend le temps d’expliquer que « l’équité est la renonciation à l’égalité », « le revenu différé est le contraire du salaire continué » et il analyse en détail le modèle suédois de répartition.

Il revient très précisément  sur « les caractéristiques du revenu différé » et montre comment « la qualification personnelle » permet d’en finir avec ce type de revenu.

Bernard Friot souligne l’illusion d’une épargne subsituable au travail : « L’épargne n’est pas une opération interpériodique de soi à soi par laquelle de la monnaie ou de la valeur sont transférées d’une période à l’autre sous forme de  »revenu différé », chacun récupérant demain sa mise d’aujourd’hui. L’épargne est un rapport social intrapériodique dans lequel la propriété de titres est une propriété lucrative qui donne à son détenteur le droit de recevoir une partie de la monnaie mise en circulation à l’occasion de l’attribution de valeur à la richesse produite. Qu’on soit en répartition ou en capitalisation, c’est toujours le travail de l’année qui produit la richesse correspondant à la monnaie qui finance les pensions de l’année. »

Avant de critiquer les balivernes sur la démographie (j’invite les lectrices et les lecteurs à lire les démonstrations sur : « la proportion d’actifs occupés reste stable dans un PIB en constante augmentation » ou « la croissance du poids des pensions dans le PIB ne pose aucun problème »), l’auteur critique la problématique générationnelle, la naturalisation d’une caractéristique biographique et indique « L’analyse d’une société selon la naturalisation de caractéristiques biographiques individuelles (comme l’appartenance à une génération), posées du coup comme des essences, empêche l’affirmation des logiques d’abstraction fondatrices d’un lien social politique. »

 

« Retraite à 60 ans » Bernard Friot propose de « poser sa signification politique, donc contingente, conventionnelle, et en même temps source de droits garantis à un âge qui ne peut être laissé à l’initiative privée mais doit être le même pour tous, et obligatoire dans ses effets, comme l’est  »la majorité à 18 ans » »

D’autres débats pourraient être ouverts, la fusion de l’Arrco et de l’Agirc dans le régime général, la compensation du déficit des carrières des femmes, ou l’ancienne proposition de l’auteur, ici reprise, de financer les investissements par une cotisation économique.

Je partage, avec l’auteur, l’appréciation du caractère potentiellement corrosif, pour le capitalisme, des cotisations sur les salaires, de leur augmentation dans le produit intérieur brut (PIB) et donc de la nécessaire extension des salaires socialisés, à d’autres couches de la population, comme les étudiant-e-s.

Mais dire cela ne signifie pas, que les cotisations ou leur développement, par augmentation de la part patronale, suffiraient à dissoudre les mécanismes  »objectifs » du fonctionnement du système.

Comme dans ces précédents livres, je trouve que l’auteur sous-estime le caractère systémique du capitalisme et les effets de la propriété privée. Ou, pour le dire autrement, une modification substantielle dans l’organisation du système capitaliste (généralisation du salaire continué) ne pourra se faire, en douce, des réactions probablement violentes des possédants. Se pose alors et une fois de plus, l’unification des salarié-e-s (au sens souhaité par Bernard Friot) dans la construction d’une alternative démocratique majoritaire.

Mais ceci est une autre dimension des débats nécessaires.

Il faudrait que l’éditeur réédite deux précédents ouvrages de l’auteur « Puissance du salariat. Emploi et protection sociale à la française » (La Dispute 1998) et « Et la cotisation sociale créera l’emploi » (La Dispute 1999)

Bernard Friot : L’enjeu des retraites

Editions La Dispute, Paris 2010, 173 pages, 12 euros

 Didier Epsztajn

Une histoire au présent

En 1910, est présentée au Parlement français, une loi sur les retraites « ouvrières et paysannes ». Elle sera votée le 5 avril. Ce vote quasi unanime a fait l’objet de débats au sein du Parti Socialiste et de la CGT et entre le PSU et la CGT où les anarchistes sont puissants. La figure de Jaurès domine. Cette loi est la concrétisation de son orientation politique. Gilles Cadar et Guy Dreux, dans « Une loi pour les retraites », présentent ces polémiques au sein de ces deux organisations, sans prétendre à l’exhaustivité. Elles portent à la fois sur la capitalisation – les arguments contre n’ont pas vieilli -, sur la cotisation ouvrière – faut-il ou non l’instaurer ? – et sur nature de l’État, comme son rôle et sa place. Dans un contexte de luttes sociales et de luttes pour le pouvoir au sein du PSU. Un droit universel était né. Le début des conquêtes sociales.

G. Candar et G. Dreux : Une loi pour les retraites. Débats socialistes et syndicalistes autour de la loi de 1910

Le Bord de l’Eau éditions, 328 p.

Nicolas Béniès

Eteignez la télévision, faites de la politique

Les 80 propositions rédigées par des auteur-e-s issu-e-s du monde syndical, associatif et universitaire sont regroupées en quatre grands chapitres : Politique internationale et enjeux planétaires ; Politiques sociales et économiques ; Culture et éducation ; Citoyenneté et institutions.

Chaque contribution inclue la formulation d’une question politique et l’élaboration d’une proposition permettant de tracer des perspectives d’action.

Au delà des accords et des désaccords sur telle ou telle proposition, voilà un ouvrage qui complète utilement ceux d’ATTAC et de la Fondation Copernic. Ce livre invite à la réflexion, loin du verbiage de soumission à la société telle quelle est ou au simple renvoi lointain à un monde meilleur.

Ouvrage coordonné par Georges Debrégeas et Thomas Lacoste : L’autre campagne

Préface de Lucie et Raymond Aubrac

La Découverte, Paris 2007, 293 pages 14 euros

Didier Epsztajn

Opérer une révolution culturelle dont l’anticapitalisme à besoin

Première publication d’une nouvelle collection « Clairement ancrés dans la gauche radicale, les Cahiers de l’émancipation ont pour vocation d’établir des liens entre les diversités des générations et des expériences et en extraire les germes des lendemains possibles. »

En cherchant à nouer les réflexions entre écologie, anticapitalisme et mouvement ouvrier, ce petit ouvrage trace quelques pistes. Le volume est composé de huit textes, plus ou moins aboutis. Je me limiterais à quelques éléments traités.

François Chesnais (Écologie, luttes sociales et projet révolutionnaire pour le 21e siècle) revient sur les analyses critiques de l’économie politique, la consubstantialité de la recherche de croissance illimitée du capital et de la marchandise, et prolonge sur les conditions non librement choisies d’activité des hommes et des femmes.

La crise écologique renforce cette dimension et implique de prendre en compte les effets des changements de temporalités « Avancer l’idée de la rencontre entre la crise économique et la crise écologique dans ses différentes dimension soulève la question de leurs temporalités respectives ».

L’auteur insiste sur la nécessité de trouver des « formes de propriétés sociales renouvelées »

L’article de Daniel Tanuro (Marxisme, énergie et écologie : l’heure de vérité) souligne la  discontinuité majeure produite par la transition du bois à la houille comme ressource énergétique. La non prise en compte de la substitution d’une « énergie de flux (renouvelable) » à une « énergie de stock (non renouvelable) » est à ses yeux un défaut majeur dans l’analyse du capitalisme.

L’auteur critique l’absence de prise en compte du « concept de métabolisme social » pour questionner et aborder différemment les problèmes de gestion des ressources.

Je suivrais, moins l’auteur lorsqu’il évoque que « la conscience écosocialiste doit être introduite dans la classe ouvrière de l’extérieur » grosse de bien des dangers de substitutionisme dans les rapports entre ceux et celles qui savent et les autres.

Armand Farrachi avance quelque solutions, alimentées par des exemples, face aux destructions massives et en défense de la biodiversité. « Il importe de rétablir les équilibres naturels : maintien des écosystèmes avec proies et prédateurs, suppression de la notion d’espèce nuisible, réintroduction quand c’est possible d’espèces après avoir remédié aux causes de leur disparition, régénération naturelle (et non commerciale) des forêts, dépollution des cours d’eaux, conservatoires botaniques, etc. »

Plus discutable me semble l’idée de conservation de la nature « pour ce qu’elle est »

Laurent Garrouste (De la lutte contre l’exploitation physiologique à la transformation écosocialiste du travail) suggère d’approfondir la théorie de l’exploitation « un même processus et une même logique conduisent à la destruction de la nature et à l’usure du travailler ».

Tout en soulignant « La soumission du travail humain au rythme de la machine », je pense que l’auteur contourne, en partie, les mécanismes engendrant la souffrance au travail  (domination au travail versus domination du travail). Il décrit cependant en détail, l’intensification du travail, l’augmentation des contraintes liées aux normes et aux délais, les troubles musculo-squelettiques, les atteintes à la santé psychique.

Laurent Garrouste prône une transformation écosocialiste de la production qui implique « une garantie effective du droit à l’emploi, les travailleurs des activités réorganisées conservant leur contrat de travail, leur rémunération et leurs droits sociaux jusqu’au reclassement sur un emploi de rémunération et de qualification au moins égales. »

Manuel Gari dans son article « Le changement climatique : un défi pour le mouvement ouvrier » énonce les implications pour le syndicalisme des nécessaires adaptations des industries et donc des emplois.

« Il existe une responsabilité  »commune mais différenciée » entre les pays industrialisés et le reste du monde, pour reprendre la terminologie utilisée dans les sommets  mondiaux sur le climat. » L’écologisation des différentes sociétés impliquent des ruptures et des conflits. « Le problème est que cette destruction et cette création d’emplois se répercutent de manière différente selon les lieux et les temps, ce qui pose un défi tactique que les syndicats et les gouvernements doivent résoudre. »

Enfin, Vincent Gay replace la naissance de l’écologie politique dans les sillons de mai 68.

Un ouvrage d’une brulante actualité, porteur de débats et qui n’esquive pas les problématiques difficiles.

Cahiers de l’émancipation : Pistes pour un anticapitalisme vert

Coordination Vincent Gay

Editions Syllepse, Paris 2010, 130 pages, 7 euros

Introduction sur le site de Contretemps : http://www.contretemps.eu/lectures/pistes-anticapitalisme-vert

Didier Epsztajn