Petite manifestation de mauvaise humeur !

Nous ne pouvons que nous féliciter qu’un appel unitaire à manifester contre la xénophobie/racisme d’État ait vu le jour. Nous irons manifester ce jour-là mais nous ne signerons pas ce texte dont la conclusion nous paraît inacceptable en raison de ses références historiques.

Nous ne le signerons pas et nous voulons interpeller ici nos ami-e-s les plus proches. Elles et ils auraient dû lire le texte avec plus d’attention et l’amender pour aboutir à un texte d’appel à mobilisation qui ne piétine pas quelques-unes de nos/leurs références communes.

 La Constitution de la France, République laïque, démocratique et sociale, « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion». Depuis quand la Constitution de la France (la 5e !) est-elle « démocratique et sociale » ?

« Nous appelons à une manifestation […] afin de fêter le 140e anniversaire d’une République que nous voulons plus que jamais, libre, égale et fraternelle. »

 Fêter le 140ème anniversaire de la 3e République ? Celle née sur le cadavre de la Commune de Paris ? Celle des fusilleurs du 1er mai à Fourmies ? Celle qui a jeté le juif Dreyfus au bagne ? Celle qui a fait la guerre du Rif  et la conquête du Tonkin ? Celle qui a « interdit de parler breton et de cracher par terre » en classe ? Celle de la loi de 1920 qui a criminalisé l’avortement ? Celle du scandale de Panama et de l’affaire Stavisky ? Celle qui a entraîné le pays – pour ne pas dire le monde – dans la boucherie de 14-18 ?

L’inventaire à la Prévert pourrait être décliné à l’infini. Le péril est-il si grand qu’il faut absolument s’accrocher à cette République-là pour mobiliser ? Avons-nous perdu toute autonomie politique pour en être réduits à entériner un tel texte ? L’urgence, l’unité, le grand désert de l’été expliquent sans doute ces errements. En tout cas, ce n’est pas la référence à la 3e République qui amènera un manifestant de plus le 4 septembre… Nous ne voulons ni polémiquer ni déclencher une guerre picrocholine. L’essentiel est dans la manifestation du 4 septembre, mais rappelons-nous qu’une cuillérée de goudron suffit à gâter un baril de miel…

Retrouvons-nous donc le 4 septembre et ouvrons une discussion sur la république sociale à construire comme en 1792, juin 1848, mars à mai 1871, etc….

Amitiés à toutes et tous.

Didier Epsztajn et Patrick Silberstein

Être sans papiers n’est pas délit, c’est une situation administrative

Le réseau éducation sans frontières (RESF) a cinq ans. « Notre indignation est intacte, notre détermination inchangée, notre souci de toujours poser le problème politique global constant. On continue ! » Puissent les textes publiés dans cet ouvrage, éclairer sur la « Douce France », son indigne ministère de l’identité nationale et ses politiques xénophobes de traques, de rafles et d’expulsions.

Comme le rappelle Olivier Le Cour Grandmaison dans son introduction, il convient d’assumer « la justesse des vocables usités pour qualifier et penser, de façon aussi précise que possible, ce dont nous sommes témoins. En effet, mal nommer les réalités quelles qu’elles soient, c’est ajouter l’approximation et la confusion à leur complexité, et affaiblir nos capacités à en rendre compte. » Il s’agit donc bien ici de xénophobie d’État, de racialisation des positions défendues par la droite institutionnelle. Continuer à lire … « Être sans papiers n’est pas délit, c’est une situation administrative »

Bureaucratie et croisade morale

L’insécurité juridique des étrangers, la précarisation de leur condition de séjour n’est pas l’objet de ce livre. L’auteur analyse l’autre coté du miroir. Alexis Spire porte son enquête dans les coulisses des consulats, des préfectures et des services de la main d’œuvre étrangère. « En focalisant leur attention sur la lutte contre l’immigration irrégulière, les responsables politiques sont parvenus à imposer une suspicion qui pèse sur tous les étrangers demandeurs de titres et qui s’étend à tous ceux qui hébergent, aident ou soutiennent les sans-papiers. »

Dans les bureaux, les salariés sont soumis à un conditionnement « destiné à leur inculquer une certaine vision de l’immigration plutôt qu’une connaissance des règles de droit à appliquer. » Continuer à lire … « Bureaucratie et croisade morale »

La création des quartiers sensibles

L’objet du livre est de « retracer la genèse de reformes qui, en étant présentées comme nécessaires, se retrouvent soustraites à la discussion collective contradictoire, et, par là, permettre à d’autres analyses d’être prises en compte. »

Sylvie Tissot retrace la genèse de la construction des « quartiers sensibles » comme catégorie d’action publique, en partant « de l’idée paradoxale que ce qui est nouveau, ce n’est pas tant le problème des banlieues en soi que la manière de comprendre les problèmes sociaux constitués à partir de l’objet banlieue. »

Doit-on souligner avec l’auteure que « la représentation légitime du monde social, ses divisions et de ses problèmes est par définition un enjeu politique. » Il convient alors de décrypter non seulement la montée en force de la catégorie de « quartier sensible » mais aussi sa consolidation institutionnelle, politique et savante. De ce point de vue, le livre est bien à la hauteur de l’ambition.

Le livre se compose de cinq grands chapitres.

« A la faveur de la construction de la catégorie de quartier sensible comme problème social se jouent trois phénomènes : l’occultation des violences entre jeunes issus de l’immigration et police ; la définition de la base ethnique et non socio-économique des populations à problèmes ; et le recadrage de l’action étatique autour des questions de lien social et de mixité sociale plutôt que d’inégalités ou de redistribution. » L’auteure montre dans ce premier chapitre « la naissance d’un problème social », son analyse insiste sur la nature sociale des processus contre les présentations de « phénomènes naturels » sans « logique sociale ». Dans ces pages , elle n’oublie pas de souligner la responsabilité propre du PS et des maires du PCF.

Dans les années 80, l’objet des politiques publiques va se transformer et abandonner son ancienne cible « la pauvreté » pour se déployer sur sa répartition dans l’espace, « plus précisément sa concentration dans les quartiers d’habitat social ».

Le chapitre suivant est centré sur « L’institutionnalisation de la politique de la ville et la construction savante du problème des banlieues ». De manière convaincante, Sylvie Tissot décortique les élaborations des institutions et de nombre de chercheurs, en insistant sur le rôle des sciences humaines et particulièrement des sociologues. Au regard des discours des un-e-s et des autres, elle rappelle, ce qui peut sembler banal, que « comme tout travail scientifique, la méthodologie et la conduite de la recherche déterminent en partie la production des résultats », elle souligne le rôle particulier de la revue Esprit et du colloque « Entretiens de la ville » dans l’invention de la catégorie « quartiers sensibles »

Le chapitre 3 traite de la construction statistique d’un objet de politique sociale « 500 quartiers et 3 millions d’habitants » en montrant non seulement les réductions mécaniques des réalités mais aussi l’occultation de « la parole des principaux intéressés sur la situation au profit d’une vision standardisée », sans oublier que « La place donnée au pourcentage d’étrangers érige de fait la présence de cette population en problème en soi, éléments à part entière du problème des banlieues » et l’ethnicisation des problèmes sociaux qu’elle induit.

Le chapitre suivant traite du « destin des grands ensemble dans une ville communiste », il s’agit d’une enquête très documentée sur Montreuil « ville rouge » de la banlieue parisienne, de la mise en exergue « des jeunes et des immigrés » dans le journal municipal, de la séparation de l’histoire locale de l’histoire nationale. L’auteure souligne qu’«avec le paradigme de l’exclusion, la question de la ségrégation va être pensée en dehors de toute analyse structurelle. »

Dans les derniers chapitres, Sylvie Tissot examine liens entre réforme des quartiers et réforme de l’État, en insistant sur les « réformateurs » qui ne font pas que « répondre à une réalité sociale objective ; ils contribuent aussi à la mettre en forme. » et de « l’invention d’un groupe de professionnels : les spécialistes du lien social dans les quartiers » en mettant l’accent sur le rôle de la Caisse des Dépôts et des Consignations, bras financier armé de l’État. Les politiques menées sont replacées dans le contexte plus général de la « montée de la thématique de la modernisation et de l’inutilité, au nom du refus de l’assistance, de la multiplication des services publics. »

L’auteure revient en conclusion sur la dépolitisation et la déshistoricisation de la question sociale, l’occultation des rapports d’exploitation et d’oppression, « le refoulement de la question du chômage, de la précarité, des discriminations et davantage encore, de la violence policière ». « Et lors que sont tues les causes sociales des déviances et la dimension protestataire qu’elles peuvent avoir, elles ne peuvent apparaître que comme irrationnelle , voire barbares. »

Les analyses Sylvie Tissot permettent non seulement désenchanter la réalité, mais donnent un éclairage précis sur les modifications des politiques sociales depuis plus vingt ans.

Un livre à mettre en regard de l’ouvrage plus ancien d’Olivier Masclet sur la gauche et les cités.

 Sylvie Tissot : L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique

Liber Éditions Seuil, Paris 2007, 300 pages, 22 euros

Olivier Masclet : La gauche et les cités, enquête sur un rendez-vous manqué

La dispute, Paris 2006 (première édition en 2003), 316 pages, 23 euros

 

 

Didier Epsztajn

Expériences syndicales

Ce livre est écrit par d’anciens animateurs de structures CFDT. La plupart d’entre eux ont rejoint la CGT après la réforme des retraites de 2003.

Leurs parcours offrent une bonne image de cette génération de militant-e-s syndicaux, plus ou moins influencée par les courants se réclamant de la révolution ou du réformisme radical. Dans les luttes offensives des années 70 et au début de la décennie suivante, dans la construction d’un outil syndical utile à toutes et tous les salarié-es, ils retrouveront et reformuleront les pratiques démocratiques et collectives, enfouies par la chape de plomb du stalinisme qui entravera les pratiques et les revendications de la CGT. Ce n’est donc pas un hasard qu’une bonne partie de ces syndicalistes se soient retrouvés au sein de la CFDT.

Les choix, les pratiques quotidiennes, les débats portés par cette gauche de la CFDT doivent être étudiés, sans obérer ceux d’autres syndicalistes au sein même de la CGT, de l’ex FEN, voire des syndicats restés autonomes après la scission de 1947 et plus marginalement de FO.

Il convient en effet de revenir sur le concret de ces expériences et ces débats partagés avec d’autres, au sein de la CFDT : action directe des salarié-e-s, élaboration de revendications unifiantes, élargissement des préoccupations sur l’extérieur de l’entreprise, pratiques d’assemblées générales et de comités de grève, construction de structures permanentes correspondant mieux à la réalité des collectifs de travail, etc… Sans oublier de garder le cap sur l’unification de l’ensemble du mouvement syndical.

Sans entrer dans le détail, je souligne les pages sur les pratiques de syndicalisation de l’ex- Sycopa dans le commerce parisien, l’intervention des cheminots chez les routiers ou l’expérience particulière de la fusion dans le secteur bancaire. La lecture de la table ronde finale entre ces syndicalistes ne manquera pas de susciter de riches réflexions.

Ces expériences syndicales, ces pratiques démocratiques et unitaires, cet engagement vers l’unité et l’unification syndicale ont donné lieu aussi à d’autres débats, d’autres modalités avec la création des syndicats SUD et de la FSU.

Chacun admettra facilement qu’aucune de ces expériences en cours ne se suffit à elle même, que les problèmes du mouvement syndical en France restent immenses. De ce point de vue, il n’était donc pas utile de considérer que seul « ce mouvement de démission collective n’a pas alimenté la division ». La pertinence de rejoindre la CGT, la FSU ou de créer des SUD mériterait des discussions autrement plus importantes que ce raccourci.

Partir des intérêts collectifs et individuels des salarié-e-s, pour débattre des pratiques, des orientations, de l’unité syndicale et de l’unification syndicale est toujours d’une actualité brulante, car la division est mortifère non seulement pour les syndicats mais plus encore pour les salarié-e-s.

Reste, même si ce n’est pas l’objet du livre, un silence lourd de sens. Ce qui s’est passé au sein de la CFDT n’est pas seulement une confrontation d’orientations et de pratiques mais aussi une manifestation de la bureaucratisation des organisations et de leur institutionnalisation.

A ces éléments structurants, il convient aussi d’ajouter la difficulté toujours présente de penser le travail comme travail sexué, les phénomènes de distanciation liés à la professionnalisation (les permanents), sans oublier les problèmes persistants, même remodelés par rapport aux décennies précédentes, d’indépendance face aux partis politiques, aux gouvernements, voire au patronat.

Il ne me semble pas possible de réfléchir sur le syndicalisme de demain en contournant une partie de ces problématiques.

Malgré ces remarques, un ouvrage, loin des résignation et donc porteur d’avenir.

 Syndicalistes ! De la CFDT à la CGT coordonné par Paule Masson

Editions Syllepse, Paris 2008, 173 pages, 15 euros

Didier Epsztajn

Un val qui ne doit rien au dormeur de Rimbaud

Marne-la-vallée, Disney, Val d’Europe, l’auteur analyse la construction d’un univers très particulier, dominé par une multinationale du spectacle, un « laboratoire de bienfaisance de la puissance publique au secours d’un univers capitaliste », une expérience de « liquidation de espace public. »

« Dès l’origine, le Val d’Europe était donc destiné à ouvrir de nouvelles pistes de réflexion sur les voies d’une nouvelle société urbaine : ni une ville de masse, de celles qui n’ont ni centre ni limite, la puissance de l’argent en étant le centre imaginaire, ni une ville publique, au sens démocratique du terme, de celles qui sont accessibles à tous et faites pour tous, le Val d’Europe devait symboliser, aux yeux de ses concepteurs ….. une aire urbaine qui développe une vision néolibérale de l’espace, c’est à dire empreinte d’individualisme, mais qui poursuit également un idéal  »post-providentialiste » de manière à limiter les capacités d’autonomie de ces mêmes individus . »

Il s’agit ici d’une véritable coproduction urbaine, où la cohérence de l’aménagement du territoire, est assurée par l’État, hors des cadres habituels de régulation, dans le strict intérêt d’une société privée.

L’auteur ne se limite pas aux analyses du monde Disney qui veut « concurrencer le réel, renverser le négatif en positif ». Il montre l’inscription de ce rêve dans l’organisation de l’espace, en insistant sur les orientations d’ensemble « des lieux qui valorisent le repli sur soi » et la place corrélative d’Internet comme « nouvelle forme appartenance ».

Si les enclaves résidentielles, les micro-territoires avec vigiles et vidéo-surveillance se sont multipliés dans un véritable mouvement séparatiste, Val d’Europe est un pas de plus vers la ségrégation de l’espace et êtres humains au nom du être bien chez soi, dans une ville hors banlieue, être surtout loin des autres, être entre soi, se vivre comme privilégié « Haïr l’égalité était le mot d’ordre d’un courant conservateur qui souhaitait restaurer la suprématie des élites. »

Je souligne cependant une conception bien étendue et élastique des classes moyennes qui ne permet pas de saisir totalement les réalités sociales et leurs contradictions irréductibles aux perceptions des individu-e-s.

 Hacène Belmessous : Le nouveau bonheur français ou le monde selon Disney

Éditions l’Atalante, Nantes 2009, 154 pages, 10 euros

Didier Epsztajn

Pour une critique mélancolique de la gauche

Détour par le passé, mais sans « la nostalgie floue des légendes dorées », ce livre pluriel nous confronte aux différentes interrogations et réponses données par les socialismes français, dans leurs dimensions théoriques et pratiques, au pouvoir politique.

Après une esquisse d’un tableau chronologique des socialismes français (1789 à 1905), le livre nous invite a réexaminer un article de Michèle Perrot sur les socialistes français et le pouvoir (1871 – 1914), écrit il y a quarante ans, et relu de manière critique par l’auteure. Alors que le mouvement ouvrier n’est que faiblement structuré, que la classe ouvrière est socialement minoritaire dans le pays, nous ne sommes ni en Grande-Bretagne ni en Allemagne, les débats et les réponses autour du Pouvoir et de l’État sont multiples, riches.

Se confronter aujourd’hui à ces personnalités et courants qui déjà débattaient de la réduction du temps de travail, des services publiques, du mutualisme, du pouvoir, de réforme et de révolution, nous obligent à nous éloigner des simplifications abusives que la distance historique introduit trop souvent.

La première partie de l’ouvrage se termine par une étude sur la gauche socialiste et le pouvoir (1921 – 1947).

La seconde partie nous offre quelques figures militantes : Auguste Blanqui le communiste hérétique, les militants parisiens de la première internationale et le proudhonisme, Jaurès et Léon Blum au congrès de Tours (1920).

Nous sommes ici au cœur des débats entre réformistes et révolutionnaires. Les clivages mémorisés ne sont ni toujours pertinents, ni toujours évidents, tant du point de vue des théorisations que des pratiques.

Le livre nous invite donc à une réflexion qui ne peut être que collective.

Comment ne pas partager les dernières phrases de l’introduction percutante de Philippe Corcuff et Alain Maillard sur la gauche face à son histoire socialiste : « Le travail intellectuel garde son autonomie, mais dans des liens nouveaux avec la politique, qui ne sont pas des liens de justification ou de subordination, mais de fécondation réciproque. La radicalité, inscrivant sa pensée et son action dans l’horizon d’autres mondes possibles, ne se dégrade pas en manichéisme, car elle se coltine la pluralité et les fragilités humaines. A gauche, radicalement. De manière gauche, mélancoliquement. »

Sous la direction de Philippe CORCUFF et Alain MAILLARD : Les socialistes français à l’épreuve du pouvoir 

Textuel, Paris 2006, 207 pages 20 euros

 Didier Epsztajn

Le caractère systémique des inégalités sociales reste encore trop souvent occulté

Ce livre publié par l’Observatoire des inégalités est divisé en deux parties : données et analyses.

Lesdonnées ne se limitent pas aux revenus, niveau de vie, patrimoine, elles concernent aussi l’éducation, la formation, l’emploi, le chômage, la santé, les modes de vie, le logement, les catégories sociales, les hommes et femmes, les âges et les générations, les français et les étrangers, les territoires. Deux chapitres sont de plus consacrés à des comparaisons avec le reste de l’Europe et du monde.

Les données statistiques ne sont certes pas homogènes mais permettent cependant de faire ressortir la baisse de certaines inégalités sur le temps long et l’inversion de cette tendance depuis le début de la contre-révolution libérale. Pour d’autres inégalités, les données soulignent plutôt leur perdurance mais aussi leurs nouvelles modalités.

Vingt textes (participation entre autres de Denis Clerc, Christophe Ramaux, Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Margaret Maruani, etc.) déclinent ensuite différentes analyses plus précises sur les principales inégalités L’ensemble est plutôt de grande qualité même si certains angles de présentation peuvent être sujets à forte polémique (je pense particulièrement à l’article de Dominique Méda et Alain Lefevre sur les modèles sociaux.

Le titre de cette note est tiré de la contribution d’Alain Bihr et Roland Pfefferkon.

Un livre donc à consulter pour ses statiques et la qualité et le champ de ses analyses.

« Le combat contre l’injustice a besoin d’une représentation correcte des faits auxquels il s’attaque, et il est urgent de rendre objective l’observation que les salariés les moins qualifié, les minorités ethniques, les femmes ne souffrent pas seulement de revenus inférieurs mais également d’un moindre accès à toutes les formes de l’autonomie et à des relations sociales symétriques et valorisantes » (Marc  Fleurbaey)

Sous la direction de Louis Maurin et Paatrick Savidan : L’état des inégalités en France 2007

Observatoire des inégalités, BELIN, Paris 2006, 251 pages 19,90 euros

 Didier Epsztajn

Une révolte protopolitique

Gérard Mauger soulève, dans son introduction, les difficultés d’une sociologie de l’actualité, de soumettre l’actualité aux exigences ordinaires de la connaissance scientifique.

Grâce à une très riche documentation et à une grand rigueur dans les réflexions, l’auteur fait œuvre de référence, en nous présentant les différents discours sur les émeutes de novembre 2005.

Dans une première partie, seront ainsi décryptés, le caractère inédit de l’émeute par son ampleur et sa durée, son déclenchement et sa propagation (avec exposition des théories du complot, du rôle des médias), les pratiques et les propriétés sociales des émeutiers. Lire et relire les propos et les déclarations des uns et des autres, avec un peu de recul, fait ressortir les constructions idéologiques, les théorisations sans base, les abus comparatifs, etc.

La second partie du livre « L’émeute de papier » décline le répertoire de prises de position.

Sont, en premier lieu, présentées les entreprises de disqualifications politiques « Cette criminalisation de l’émeute et des émeutiers vise explicitement à creuser le fossé entre les jeunes des cités et le peuple, quitte à distinguer, chez les premiers, le bon grain de ivraie. Ces entreprises de disqualification sont juridiques morales, culturelles et ethnico-religieuse. »

Suivent les entreprises d’habilitation politique se déployant dans deux registres « L’émeute est politique parce que ces effets ou ses cibles le sont. » et « L’émeute est politique parce que ces causes le sont » Ce deuxième  registre pouvant s’ancrer dans trois discours autour de « la révolte du précariat, celle des ghettos et celle des minorités visibles ».

L’auteur examine et détaille l’ensemble des discours et de leurs contradictions, éclaire le situations par la prise en compte de multiples dimensions, ce que tronquent souvent les uns et les autres, dans leurs volonté de dénigrer ou de soutenir les émeutiers. Dans sa conclusion Gérard Mauger, avec prudence mais engagement, explicite et formule des questionnements sur les possibles évolutions.

Une confrontation des faits et des interprétations, un livre utile par sa méthode et son ouverture.

Gérard MAUGER : L’émeute de novembre 2005
Édition du croquant 2006, 157 pages 13,5 euros

 Didier Epsztajn

Le « retour » de la classe ouvrière

En regard de multitudes études bien pensantes, de réductions sociologiques, de la naturalisation des organisations sociales, du refoulement de la violence du système et des affrontements, de l’éviction des mots qui fâchent « classe ouvrière », « exploitation », « capitalisme » ou « luttes de classes », le livre de Stathis Kouvélakis paraitra obscène.

La vulgate décrira les permanences et les persistances comme de simples continuités, l’incapacité du néolibéralisme à se stabiliser se résumera à ses contradictions internes ; au contraire l’historien n’oubliera pas les luttes des secteurs populaires. Oui, il y a toujours une certaine obscénité à devoir nommer l’ordre de ce monde, l’exploitation, les révoltes et les espérances.

Le livre nous parle « concrètement du capitalisme contemporain, en discernant la permanence de ses traits les plus fondamentaux dans l’histoire récente des formations sociales ». Les sujets abordés en plus de trois cent pages, ne peuvent être résumés en une simple note de lecture. Je ne ferais, très subjectivement, donc que présenter une partie des analyses longuement développées.

L’analyse de la situation part des défaites et reculs essuyés à partir de la fin des années 70 (en particulier dans le chapitre 4), de l’effondrement de la visibilité de la lutte de classes. L’auteur insiste d’ailleurs sur le fait que cette visibilité est « un enjeu propre de la lutte de classe ». Il analysera donc les données de la conflictualité sociale, les déplacements des luttes dans les secteurs économiques, entre privé et public, ou géographiques (Paris/Province) tout en faisant ressortir la place centrale des ouvriers et des employés dans les multiples actions grévistes et manifestations. Stathis Kouvélakis montre aussi que les déplacements sont à mettre en relation avec les usines comme « maillon fort de la restructuration capitaliste, lieu ou l’offensive patronale est allée le plus loin dans le façonnage d’un nouvel ordre productif » tout en soulignant que la réapparition là de foyers de conflictualité prend « valeur de symptôme révélateur ». Ces différents point seront traités particulièrement dans la seconde partie du livre « Un nouveau cycle de luttes 1986-2006 ». L’auteur montre la nouvelle articulation entre grève et manifestation scellant « la réussite et l’effet d’entrainement mutuel, plutôt qu’un déplacement de la première vers la seconde »

L’auteur traite aussi de la « racialisation du conflit de classe » et la notion d’immigré comme occultation d’une partie surexploité et privée de droits politiques de la classe ouvrière. « Le racisme actuel traduit autant une défense de certains avantages… qu’une mise à distance imaginaire par les ouvriers de leur propre condition de prolétaires ». Dans ce domaine, les analyses de la notion même d’exclusion comme constitutive « d’objets passif en politique, déniant toute possibilité de se penser comme composante active d’un mouvement revendicatif d’ensemble du monde du travail » sont d’un apport important.

L’invisibilisation des classes et de leurs pratiques permet de « naturaliser la restructuration capitaliste » d’imposer et légitimer un  « processus inexorable qui relève de la force des choses. » Ce faisant « La politique perd alors de sons sens et se dégrade en action à la marge ainsi que simple gestion des contraintes. » Le champ devient libre à la « lutte capitaliste de classe » se présentant « comme lutte universelle des forces vives contre les habitudes et les attitudes corporatistes et les particularismes hostile à l’esprit d’entreprise. »

A l’inverse, pour les ouvrier-e-s et les employé-e-s « la lutte est par excellence un processus productif, créateur de comportements, de pratiques et de valeurs : de rapports sociaux nouveaux….. elle pose des bifurcations et, par là, dilate l’horizon du possible historique. »

L’auteur interroge le « nouvel ordre productif » à partir de d’Antonio Gramsci et de Michel Foucault (chapitre 2) sans négliger les conséquences du déplacement de la question de l’autonomie du collectif ouvrier intériorisée dans la structure même du procès de travail. Son analyse du « triomphe de l’individu sans appartenance » (chapitre 3) lui permet de discuter des conditions de l’auto-organisation à partir d’une analyse détaillée des coordinations de luttes et des fonctionnements en assemblées générales. « Ce qui rend possible l’apparition de formes de démocratie directe, c’est la réaffirmation de l’indissociabilité de l’individuel et du collectif au sein même de l’action collective… »

La temporalité de ces formes est mis en regard des nécessaires organisations permanentes (syndicats) et de leurs transformations « La logique classique de l’organisation syndicale, centrée sur l’entreprise (au sens de l’unité juridique), de la branche et du salariat stabilisé s’avère inopérante », avec entre autres l’extension du champ de syndicalisation.

Le chapitre 8 « Pour un autre regard sur les luttes sociales » est une critique argumentée de certaines recherches en sciences sociales dont la démarche adoptée, partageant un grand nombre des présupposés dominants « aboutit aux conclusions qui sont précisément à l’origine de la dévalorisation de l’objet étudié ». Sans compter les présentations des acteurs « plus proche de celui d’une victime que membre d’un collectif qui aspire à changer le cours des choses. » Stathis Kouvélakis souligne le « divorce de la sociologie d’avec toute compréhension proprement politique et historique des rapports sociaux et de leur transformation ». Cette présentation souligne les défauts de nombreuses études y compris de sociologues critiques qui invalident partiellement la portée de leurs travaux (mon insistance sur cette dénonciation critique ne sera pas une surprise pour les lectrices et lecteurs des notes ; je reviens assez souvent sur ce sujet à propos d’ouvrages qui ont cependant de multiples qualités).

Pour l’auteur, le néolibéralisme ne s’est s’imposé que par défaut. Particulièrement en France où les résistances populaires ont entrainé un affaiblissement de sa légitimité et une certaine crise d’hégémonie. Mais les luttes n’ont, au mieux, abouties que partiellement, sans dynamique cumulative permettant d’imposer des solutions alternatives.

La troisième partie du livre traite du « Retour de la question politique ». Elle pourrait se formuler en questionnement : Comment transformer les révoltes contre l’ordre réellement existant en alternative, « alternative politique et alternative de société » ?

L’auteur revient sur les causes et conséquences du choc politique de la présence du Front national au second tour des présidentielles de 2002. Il décompose la période traitée en séquences « antipolitiques » configurées plus particulièrement par la place centrale des luttes et des rapports de force (« l’antipolitique est également une politique, mais une politique qui refuse de se penser comme telle et d’assumer ses conditions » et séquences « où la question de la perspective politique repasse sur le devant de la scène ».

Deux éléments participent d’une interrogation renouvelée sur les alternatives nécessaires, un rappel en forme de mise en garde : « l’expérience est faite qu’une perturbation en quelque sorte externe du système partidaire peut conduire à un désastre, c’est-à-dire à la suspension temporaire du clivage qui structure le champ politique, en l’absence, précisément, de perspective politique alternative » associé à un constat que le durcissement des affrontements sociaux « a placé à l’ordre du jour tant le débat stratégique au sein du mouvement syndical que l’exigence d’un réinvestissement du terrain politique. »

L’auteur traite de la victoire du non au référendum de 2005 (chapitre 10) de la lutte contre le CPE en 2006 sans oublier les émeutes de l’hiver 2005 pour souligner la crise de l’État dans contexte où « le poids des défaites passées continue de peser sur le rapport de forces et, plus particulièrement, sur les capacités de mobilisation d’un secteur crucial, la classe ouvrière du secteur privé, malgré signes encourageants enregistrés lors des manifestations de masse du 28 mars et du 4 avril 2006 ». Pour Stathis Kouvélakis, la gauche radicale est à « la croisée (stratégique) des chemins ».

Penser l’alternative signifie un « effort collectif d’élucidation des conditions politiques d’une rupture effective avec le cours libéral » et nous ne devons pas nous décourager à l’injection « qu’avez-vous à proposer ? » des partisans de l’ordre actuel en rappelant « que la condition même d’une pro-position un tant soit peu nouvelle, susceptible de dépasser l’état existant, se trouve dans le refus, la négation radicale, des coordonnées fondamentales de cet état. »

La vision de Stathis Kouvélakis ne se borne pas à l’hexagone et ne sous estime pas les difficultés « La tâche se voit donc encore alourdie par l’inclusion d’une stratégie de coordination des luttes et des forces politiques au niveau européen et international en tant que composante constitutive de tout projet politique « national » (opérant au niveau d’une formation sociale déterminée) visant à rompre radicalement avec le cades existant. »

Le chapitre de conclusion, rappelle que la victoire de Nicolas Sarkosy n’était en rien inéluctable, « ni inscrite dans le prolongement linéaires des tendances antérieures » que tout dépendra de « la capacité de la politique à transformer les coordonnées d’une situation en intervenant activement dans ses contradictions, et pas simplement à les refléter ou à les consolider. » Cette victoire du sarkozysme peut être considérée comme tentative du bloc dominant de résoudre à son profit la crise d’hégémonie aggravée (après 2002, et davantage encore après 2005), en tranchant dans le vif et en profitant entre autres des divisions des anti-libéraux.

L’auteur assume la partialité de sa démarche : « Elle vise, en fin ce compte, à contribuer au débat sur les conditions d’une intervention politique déterminée : la reconstruction d’une gauche radicale attachée à un projet de transformation socialiste ».

Au-delà d’accords et de désaccords avec certaines hypothèses de l’auteur, ce livre offre un cadre de réflexion large, prenant en compte la complexité de la situation sociale et des cycles politiques. Une lecture donc qui devrait s’imposer à toutes celles et tous ceux qui ne se satisfont pas des simplismes ou des raccourcis et agissent pour le réel épanouissement des individu-e-s « inconcevable hors de la constitution d’un collectif égalitaire, dépassant les contraintes de la division capitaliste du travail. Non dans une transparence absolue, ayant aboli le conflit et la politique, mais une démocratie participative, riche en formes politiques de coordination décentralisée de l’activité sociale ».

 Stathis Kouvélakis : La France en révolte. Luttes sociales et cycles politiques

Textuel, Paris 2007, 318 pages, 25 euros

Didier Epsztajn