À propos de l’« antisémitisme » en Ukraine

Crimes antisémites aujourd’hui : les faits contre les émotions

Comme je l’ai déjà écrit, pour des raisons historiques, un stéréotype essentialiste de l’inébranlable « antisémitisme ukrainien » s’est formé dans la mémoire collective de la communauté juive mondiale. Dans les campagnes de propagande du Kremlin, une attention hypertrophiée est habilement et systématiquement focalisée sur les questions ambiguës et douloureuses de la mémoire historique afin de renforcer ce stéréotype. Mais, bien sûr, les questions historiques et l’affirmation de la nature « éternelle » de l’antisémitisme ukrainien ne sont pas les seules questions. La thèse de « l’intensification de l’antisémitisme » est également constamment utilisée pour l’enflammer artificiellement et la rendre plus actuelle. À en juger par les médias russes et les prétendues « évaluations d’experts », l’antisémitisme en Ukraine connaît un « succès sans précédent », que ce soit sous le « nationaliste » Viktor Iouchtchenko, pendant la courte période de croissance de la popularité du parti radical de droite Svoboda sous Viktor Ianoukovitch, ou certainement après le « coup d’État des voyous nazis », comme Moscou appelle officiellement la « révolution de la dignité ».

La première réaction de nombreux Ukrainiens, y compris des Juifs, à la propagande du Kremlin est le déni. Malheureusement, souvent dans le feu de la controverse publique, avec les meilleures intentions du monde, ils passent à l’extrême opposé, affirmant que les Ukrainiens sont la nation la plus tolérante, que nous n’avons pas du tout d’antisémitisme et que toute mention d’un quelconque incident est soit un mensonge soit une provocation. En effet, de quel antisémitisme pouvez-vous parler, si 73% de l’élec-orat a voté pour un candidat juif à l’élection présidentielle. Dans quel autre pays européen cela s’est-il produit ? Continuer à lire … « À propos de l’« antisémitisme » en Ukraine« 

Juifs d’Ukraine

  • Vyacheslav Likhachev : La communauté juive ukrainienne et la guerre
  • Serhiy Hirik : Du conflit à la coopération : le chemin chaotique des relations ukraino-juives
  • « Le niveau d’antisémitisme en Ukraine est l’un des plus bas d’Europe ». Entretien avec Serhiy Hirik
  • Serhiy Hirik : Une brève histoire des partis politiques juifs en Ukraine

Tous ces textes ont été initialement publié dans : Les Cahiers de l’antidote : Soutien à l’Ukraine résistante (Volume 12) :
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/10/15/les-cahiers-de-lantidote-soutien-a-lukraine-resistante-volume-12/ 

Screenshot_20221016_194941_com.google.android.gm_edit_1133380332459346 Continuer à lire … « Juifs d’Ukraine« 

Un groupe international de juifs appelle les institutions juives à retirer le drapeau israélien

« Nous, les Juifs du monde entier, appelons les Juifs et les organisations juives du monde entier à retirer les drapeaux israéliens des espaces communs, que ce soit dans les écoles juives, les bureaux de la Fédération juive ou les synagogues. Il est clair pour nous – et pour une grande partie du monde – comme l’ont démontré les rapports de B’Tselem et de Human Rights Watch – que l’État israélien est un régime d’apartheid et donc, comme le droit international le confirme à juste titre, il s’agit d’un crime contre l’humanité permanent.  Continuer à lire … « Un groupe international de juifs appelle les institutions juives à retirer le drapeau israélien »

La sacralisation du mythe du sang et de l’origine contre les décisions libres et volontaires

Les transferts de population, l’étrange histoire de « juifs noirs vivant en Afrique », la normalisation religieuse par l’Etat d’Israël d’éthiopien·nes « à la judéité suspecte » en regard à l’hostilité particulière du « judaïsme » au métissage.

Tidiane N’Diaye présente l’historique d’un exode moderne, « le retour d’une tribu juive perdue en terre africaine », les débats autour de ces populations, les conditions de transfert et les réalités sociales d’un accueil très particulier. Continuer à lire … « La sacralisation du mythe du sang et de l’origine contre les décisions libres et volontaires »

Pincus and the Pig : A Klezmer Tale

L’Orchestre de Shirim Klezmer – Glenn Dickson (clarinette), David Harris (trombone), Brandon Seabrook (banjo, mandoline), Michael McLaughlin (piano, accordéon), Jim Gray (tuba), Eric Rosenthal (batterie) – et Maurice Sendak le narrateur.

Le texte est en anglais (mais même si, comme moi, vous ne maitrisez pas suffisamment cette langue, vous en comprendrez le sens global) égrainé de mots en yiddish et avec l’accent adéquat pour rendre toute sa saveur à ce conte.

Pincus et la clarinette ; l’oiseau et le piano ; le canard et le trombone ; le chat et le banjo ; le grand-père, et le tuba ; le cochon et une combinaison de tuba et de trombone ; les coups de feu des Cosaques et le tambour…

Pierre et le loup de Sergei Prokofiev transcrit à la mode klezmer et à l’humour de la culture yiddish

Un livret illustré, des autocollants des personnages principaux et un glossaire yiddish/anglais pour aider à la compréhension. Des compléments musicaux, « Scheherezade », une valse de Johannes Brahms, une miniature d’Erik Satie et un « Mazzesinsel Strut » inspiré de Gustav Mahler.

Le monde fantasque d’une culture à ré-découvrir.

Cd Pincus and the Pig : A Klezmer Tale, enregistré en juillet 2003, Tzadik

Didier Epsztajn

Pour notre liberté et la vôtre !

L’antisionisme fut d’abord et avant tout un courant majoritaire dans les populations juives du Yiddishland, qui se pensaient chez elles en Pologne comme dans l’ensemble de l’Europe de l’Est.

L’antisionisme, contrairement aux allégations de certain-e-s, n’était et n’est pas une forme d’antisémitisme. Continuer à lire … « Pour notre liberté et la vôtre ! »

Que sont les lendemains des empires devenus ?

Le livre de Katherine Fleming concerne l’histoire des communautés juives ayant vécu dans ce qui est aujourd’hui l’état grec. Etat récent puisqu’à sa création (1833) il ne comprend ni la Crète, ni les iles ioniennes, ni le Dodécanèse ni les provinces au nord d’une ligne Arta-Volos et qu’il est, et restera longtemps, sous la tutelle des « grandes puissances » (déjà !) et n’atteindra ses limites actuelles qu’en 1947. L’intérêt du livre réside dans sa volonté de ne pas se limiter à ce qui fait l’exceptionnalisme de la situation grecque, l’existence de Thessalonique (à l’époque ville ottomane) la « Jérusalem des Balkans », où la communauté juive était majoritaire tant sur le plan démographique que sur le plan « culturel », mais d’insister sur la diversité des situations : « Romaniotes » installés en Grèce avant la christianisation de celle-ci, grécophones, jouant un rôle économique important dans des villes comme Ioannina (Epire) ou Corfou et « Séfarades » expulsés d’Espagne en 1492 dominants à Thessalonique. Continuer à lire … « Que sont les lendemains des empires devenus ? »

Continuités et discontinuités dans l’histoire « juive »

question_juive3bDe la préface de Michel Warschawski, preface-de-michel-warschawski-au-livre-dilan-halevi-question-juive-la-tribu-la-loi-lespace/ publiée avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse, je ne souligne que certains éléments dont la discontinuité entre l’histoire des juifs et des juives et celle du colonialisme sioniste en Palestine, la réalité d’une communauté ou entité nationale juive-israélienne. Il me semble cependant préférable de parler d’entité nationale israélienne, non pour nier sa composante très majoritairement juive (personnes se considérant comme juif/juive), mais plutôt pour prendre en compte des complexités non réductibles aux (auto)-assignations « identitaires ».

« Mais après cette relecture de Question juive, j’ajouterai que les communautés juives à travers le monde, y compris celle d’Israël, sont elles aussi en manque d’une réflexion sur l’existence juive, qui soit à la fois historique et ancrée dans les contingences du présent, un travail de fond sur la question juive, ou plutôt les questions juives à l’aube du troisième millénaire. Question juive d’Ilan Halevi devra être le point de départ d’une telle démarche ».

Suit une très belle préface d’Enzo Traverso, preface-denzo-traverso-au-livre-dilan-halevi-question-juive-la-tribu-la-loi-lespace/, publiée avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse. De cet riche texte, je n’indique que certains éléments : à commencer par la contextualisation de l’expression « Question juive », « A l’époque de l’essor des nationalismes, la « question juive » s’ajoute à nombre d’autres questions nationales qui traversent le vieux monde, de l’Allemagne à l’Italie, de la Pologne à l’Irlande ». Comme le souligne le préfacier, son statut est cependant singulier, elle ne désignait pas une revendication nationale mais « elle concerne les juifs en tant que minorité dont l’émancipation n’est pas encore partout achevée, ou reste contrastée par l’antisémitisme ». Continuer à lire … « Continuités et discontinuités dans l’histoire « juive » »

Je fais partie de la cohorte de celles et ceux à qui « la vie ne suffit pas »

9782234077904-001-x_0Je m’attarde sur la belle introduction. Le titre de cette note est inspiré d’une phrase de l’auteure. Dans « Les figures du trébuchement », Régine Robin parle de ses parents, des noms, du yiddish, « C’était leur langue, la seule qu’ils maîtrisaient totalement, dans laquelle ils pensaient, aimaient, rêvaient », de la seconde guerre mondiale, du lien qu’elle établi « quelque chose du yiddish avait partie liée avec la mort ». Continuer à lire … « Je fais partie de la cohorte de celles et ceux à qui « la vie ne suffit pas » »

Préface d’Enzo Traverso au livre d’Ilan Halevi : Question juive – La tribu, la loi, l’espace

Avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse

La « question juive » entre shoah et colonialisme

question_juive3b« Question juive » : cette expression apparaît au 18e siècle, lorsque les partisans des Lumières commencent à discuter sur les moyens de « rendre utiles » les juifs au sein des sociétés européennes. C’est le sens des propositions de l’Abbé Grégoire en France et du haut fonctionnaire de la Cour prussienne Wilhelm von Dohm. La formule devient d’usage courant un siècle plus tard, quand elle prend deux significations distinctes, voire antinomiques. À l’époque de l’essor des nationalismes, la « question juive » s’ajoute à nombre d’autres questions nationales qui traversent le vieux monde, de l’Allemagne à l’Italie, de la Pologne à l’Irlande. Son statut est singulier, car elle ne désigne aucune revendication nationale, mais elle concerne les juifs en tant que minorité dont l’émancipation n’est pas encore partout achevée, ou reste contrastée par l’antisémitisme. Dès la fin du 19e siècle, le sionisme se l’approprie en présentant les juifs d’Europe comme une nation irrédente1. À côté de cette acception, il y en a cependant une autre qui, en transcendant les frontières de l’histoire, donne à la « question juive » un caractère quasi ontologique en la déduisant de l’existence même des juifs. Pour les nationalismes fin-de-siècle, les juifs sont des corps étrangers et nuisibles incrustés au sein des peuples européens. La « question juive » a donc deux visages : d’une part, celui analysé par Abraham Léon et Jean-Paul Sartre dans leurs essais qui paraissent avec ce titre en 19452 ; d’autre part, celui du sinistre « Commissariat aux questions juives » du régime de Vichy, placé sous la direction de Louis Darquier de Pellepoix. La « question juive » étudiée par Ilan Halevi dans cet ouvrage, écrit plus de trente ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, est plus large et complexe, puisqu’elle intègre la naissance d’une « question palestinienne », les deux étant intimement liées. Continuer à lire … « Préface d’Enzo Traverso au livre d’Ilan Halevi : Question juive – La tribu, la loi, l’espace »

Préface de Michel Warschawski au livre d’Ilan Halevi : Question juive – La tribu, la loi, l’espace

Avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse

question_juive3bQuiconque a connu Ilan d’un peu près sait qu’il était porteur d’identités nombreuses et a vécu de nombreuses vies. Et pourtant, on a toujours et encore des surprises.

Ilan et moi avons été amis pendant plus de quarante ans, mais c’est aujourd’hui, en relisant Question juive que je découvre encore une autre facette, qui m’avait échappée pendant des décennies. Je l’avais pourtant lu au moment de sa publication, sans doute un peu rapidement et superficiellement, m’imaginant qu’il n’aurait rien de nouveau à m’apprendre sur un sujet dont j’avais déjà fait un mémoire au cours de mes études universitaires. Et voilà que Mariam, sa fille, m’a demandé d’écrire une préface pour sa réédition. Moins arrogant que pendant ma jeunesse, je viens de relire l’ouvrage, du début à la fin, et je découvre encore un Ilan. L’expert en histoire juive. Continuer à lire … « Préface de Michel Warschawski au livre d’Ilan Halevi : Question juive – La tribu, la loi, l’espace »

La belle Epoque, de toute évidence, n’était pas « belle » pour tout le monde

000207885« L’immigration juive s’inscrit dans un processus dont les conséquences dépassaient de loin le monde juif »

Dans son introduction, Nancy Green parle d’histoire, « insérer l’histoire de la diaspora dans l’histoire sociale et économique des pays d’accueil », de groupes sociaux constituant les communautés, d’histoire des travailleurs immigrés…

« Je me propose de réexaminer l’immigration juive des temps modernes, afin d’étudier les immigrants dans une autre perspective. Plutôt que de m’en tenir à des conflits entre autochtones et immigrés juifs, je préfère montrer que le mouvement ouvrier juif est la conséquence de la condition même d’immigré. Je m’intéresse donc aux immigrés juifs comme travailleurs et à leurs luttes socio-économiques avec leurs patrons eux-mêmes immigrés, bien plus qu’à leurs conflits politiques ou institutionnels avec la communauté juive française » Continuer à lire … « La belle Epoque, de toute évidence, n’était pas « belle » pour tout le monde »

Usages extérieur et intérieur du secret

9782713224201FSComment, face à la stigmatisation, une identité se constitue-t-elle ? A travers le cas des marranes dans l’Espagne des XVIe-XVIIIe siècles, Natalia Muchnik montre que l’individu prend sens dans une unité sociale soudée par une mémoire et des pratiques partagées. Ces chrétiens, pour la plupart descendants des juifs convertis au XVe siècle, accusés par l’Inquisition de judaïser en secret, ont développé une identité de groupe.

Si la répression inquisitoriale et la clandestinité sont fondamentales pour sa cohésion, la société marrane a ses propres dynamiques. Fragilisée par sa diversité interne, sa mobilité spatiale et la labilité de ses pratiques religieuses, elle a multiplié signes et discours d’appartenance. Les codes qui caractérisent cette société secrète, l’hostilité au catholicisme ou les mythes de l’origine, sont autant d’éléments que le crypto-judaïsant mobilise et agence.

Car plus que le contenu des rituels, c’est le processus de ritualisation extrême du quotidien qui forge la société marrane ; le sacré semble partout. L’ouvrage, tel un kaléidoscope, multiplie les points de vue sur les modes d’affiliation. Le marrane dispose ainsi de plusieurs identités potentielles qu’il alterne selon les situations et les interlocuteurs. Plutôt qu’un déchirement entre deux religions, il révèle la fragmentation de soi et l’impossibilité de dissocier l’individu des rôles qu’il tient.

Il témoigne, en somme, d’une pluralité inhérente à tout être humain et du caractère illusoire d’une identité homogène. Continuer à lire … « Usages extérieur et intérieur du secret »

Les dimensions intimes de l’histoire d’un « monde perdu »

003358823Mémoire, mémoires, « La guerre d’Algérie était cachée dans les plis de ma mémoire d’enfant » ; la langue, les langues, français, hébreux, arabe « je parlais arabe à la maison, avec ma mère » ; une suite plus biographique au livre Les trois exils Juifs d’Algérie (voir en fin de note)… « L’enfance est comme hors temps, un bloc où tout se mêle »

Une si longue histoire, la présence juive précédant celle des arabes, le statut de dhimmis, les décrets Crémieux en 1870…

Constantine, deux villes, l’une judéo-arabe, l’autre européenne, la séparation communautaire, puis le début de la migration vers l’autre quartier, « un signe avant-coureur d’une transformation de l’espace judéo-arabe »…

L’école, les écoles, les « inégalités juridiques, politiques, sociales et économiques dans l’Algérie coloniale des années 1950 », un monde de « préjugés ancestraux »…

En commun, les langues, les mélopées de prière, les parentés musicales, les traditions culinaires, la vie judéo-musulmane, « Mais je me vivais comme Français »…

Le désir d’émancipation, de conquête d’égalité et l’attachement aux « traditions » dont la pratique de la langue arabe…

Benjamin Stora insiste sur les impacts à court et long terme de la « naturalisation collective » des juifs et juives d’Algérie par le décret Crémieux d’octobre 1870.

L’auteur parle de la double séparation, femmes et hommes, « Juifs et musulmans », de la famille, des traditions, de l’Algérie berbère et juive profondément religieuse, de la France si proche et si lointaine, de l’école de la République comme lieu de permissivité, de l’abrogation du décret Crémieux par le gouvernement de Vichy, de la possible transgression des lois religieuses (savoureuse devanture de la pâtisserie de Jost), du cinéma, des quartiers séparés, de la richesse des Européens enviable et inaccessible, des douceurs culinaires orientales…

La guerre, la non-publication des communiqués du FLN s’adressant à la communauté juive, le choix de la France « émancipatrice » et le refus de partir, la dualité identitaire, le durcissement des comportements, « le basculement irréversible vers l’Algérie française »…

L’accentuation, la confirmation de la séparation, cette séparation commencée antérieurement, du statut au social, la mobilité « paradoxale », l’« occidentalisation sur place »…

L’exil, l’appartement nettoyé et fermé à clé comme pour un départ en vacances, exil mais « ils ne se vivaient pas comme des immigrés, des réfugiés, mais comme des Français jetés dans l’exode », la France, la découverte du salariat comme « nouvelle forme de socialisation », l’assimilation, la dissimulation des origines juives et orientales…

L’élargissement des possibles, l’addition des « racines », l’allégement du poids communautaire, Mai 68, une autre histoire…

Un livre de mémoires, « mémoire vive et douloureuse », les aspects contradictoires de l’insertion sociale juive dans ses milieu judéo-arabe et français. Les identités troublées et mouvantes…

« Lorsque ma mère est décédée en 2000, j’ai retrouvé au fond du tiroir de sa table de nuit le trousseau de clés. C’était bien celui de l’appartement de Constantine, qu’elle avait toujours conservé. Comme les histoires de marranes qui emportaient dans le Nouveau Monde les clés de leur maison d’Espagne, de l’Andalousie perdue ».

Parmi les autres ouvrages de l’auteur :

Voyages en postcolonies : Viêt Nam, Algérie, Maroc, le-regard-de-lexil-permet-de-voir-avec-precision-ce-qui-echappe-a-la-formulation-savante/

Le 89 arabe. Réflexions sur les révolutions en cours, Dialogue avec Edwy Plenel, Être sur une frontière imaginaire, au croisement de plusieurs mondes du Sud et du Nord, reste cependant un atout pour la connaissance comme pour l’action

Les guerres sans fin. Un historien, la France et l’Algérie, Un regard neuf mais pas vide

Les trois exils Juifs d’Algérie, Une autre histoire et pourtant des exils

Avec Mohammed Harbi : La guerre d’Algérie, Algérie : de nouveaux éclairages

Benjamin Stora : Les clés retrouvées

Une enfance juive à Constantine

Un ordre d’idées – Stock, Paris 2015, 150 pages, 17 euros

Didier Epsztajn

L’antisémitisme ne relève plus de la métaphysique

Merci à Patrick pour m’avoir signalé cet article

Qualifiée par certains d’historique, l’Assemblée Générale de l’UPJB du 8 février s’est penchée sur l’antisémitisme aujourd’hui. A ma connaissance, c’est la première fois qu’on discute de l’actualité de l’antisémitisme à l’UPJB. Dans notre revue Points Critiques, depuis 35 ans le phénomène y est traité essentiellement en tant que sujet historique : Auschwitz, nazisme, histoire, mémoire…, et quand l’actualité s’en mêle comme lors de ce 3 octobre 1980, rue Copernic à Paris, c’est le fascisme encore, dans des habits neufs certes, qui en est la cause1. Est-ce que cette absence dit quelque chose de l’UPJB ou de cette période de l’histoire, qui semble maintenant définitivement révolue ? Une période où l’antisémitisme, pour reprendre une formule de Marcel Liebman2, relevait plutôt de la métaphysique ou de la microsociologie ? Ou est-ce notre progressisme et notre ancrage dans la rue belge qui nous font voir avant tout la montée de l’islamophobie ? Pire, serait-ce notre rapport critique au sionisme qui nous a amené à ne pas voir ce qui serait en train de se passer ? Dans ce cas, nous ferions exactement ce que nous reprochons aux Juifs sionistes : aveuglés par notre parti-pris idéologique nous minimiserions (là où eux gonflent) la montée de l’antisémitisme ?

Dans ce même article de 1962, Marcel Liebman ajoutait « Depuis une quinzaine d’années les Juifs respirent ». Je n’irai pas jusqu’à dire, que nous ne respirons plus, mais il est clair que les événements de ces derniers mois, à nos portes, à commencer par l’attentat contre le Musée juif à Bruxelles le 24 mai 2014, nous ont coupé le souffle et nous ont amenés à nous poser une série de questions, sans tabou.

La question principale, celle qui chapeaute toutes les autres, est double (même si elle génère d’emblée mille autres questions) : y a-t-il une recrudescence de l’antisémitisme et de quel antisémitisme s’agit-il aujourd’hui ? S’agit-il de ce bon vieil antisémitisme chrétien, celui des « honnêtes gens », fort répandu jadis dans la bonne société et dans la société en général, qui n’a jamais vraiment disparu et qui referait surface maintenant ou s’agit-il d’un nouvel antisémitisme qui se cacherait comme le suggère le mainstream de la communauté derrière le mot « antisionisme » et serait surtout porté par une certaine gauche et par les populations des « quartiers », sous-entendu « musulmanes » qui s’identifient avec le peuple palestinien ?

Il est vrai que des mots outranciers sont utilisés en rapport avec ce qui se passe en Israël-Palestine et il ne s’agit pas seulement des cris inaudibles « mort aux Juifs » dans certaines manifestations de soutien aux Palestiniens, mais d’autres mots surgissent dans d’autres milieux – celui des « honnêtes gens » – et de façon plus subtile, des mots tels que « holocauste » et son néologisme « gazacaust », pour qualifier ce qui s’est passé à Gaza cet été. Laissant entendre que les Israéliens – voire les Juifs en général – se comportent comme leurs anciens bourreaux, les nazis. 

Ce qui nous amène à la question lancinante pour les progressistes que nous sommes, y a-t-il plus d’antisémitisme dans les milieux dits « musulmans » ? L’entretien de Gérard Preszow avec Mohamed Allouchi3 semblerait indiquer que les clichés antisémites sont très répandus parmi la jeunesse maghrébine et que l’amalgame entre les Juifs et l’État d’Israël est total. Si certaines enquêtes sérieuses en France et en Allemagne4 montrent que la proportion d’opinions hostiles aux Juifs est bien plus large que la proportion des citoyens musulmans dans ces pays, elles confirment néanmoins que dans la population dite « musulmane » le sentiment anti-juif est plus répandu qu’ailleurs.

Y compris dans l’extrême-droite ? L’extrême-droite, aujourd’hui n’est-elle pas avant tout islamophobe, elle qui veut renvoyer les immigrés dans leur pays s’ils ne s’assimilent pas, s’oppose aux minarets, et veut éradiquer le foulard – y compris dans l’espace public. En Belgique, nous avons Laurent Louis, qui semblait un moment incarner à lui tout seul l’extrême-droite du côté francophone, mais qui après quelques propos homophobes et antisémites dans l’enceinte du Parlement, semble être passé aux oubliettes. Au Vlaams Belang, par contre, on ne tarit pas d’éloges pour Israël ces dernières années. Mais ce n’est que le sommet de l’iceberg. On ne sait pas ce qui vit parmi leurs électeurs, qui restent quand même relativement nombreux (sans parler de tous ceux qui sont passés à la N-VA). Ça mériterait une étude sérieuse. En France, par exemple, un sondage annuel de la « Commission nationale consultative des droits de l’homme » indique clairement que c’est à l’extrême-droite que l’antisémitisme reste le plus élevé5.

En Belgique, il y aurait eu une augmentation de pas moins de 60% des actes antisémites rien qu’en 2013. Ce chiffre est sujet à caution mais la tendance semble correcte si on prend l’exemple de la France, où l’on note une recrudescence en effet des actes antisémites, et pas tant du sentiment anti-Juifs, les Juifs restant la minorité la mieux acceptée en France. Ce qui fait dire à Dominique Vidal qu’il s’agit aujourd’hui d’un antisémitisme « virulent mais marginal »6.

Connaissant tous les enjeux idéologiques et politiques liés à ce diagnostic de recrudescence de l’antisémitisme, nous devons pourtant rester vigilants. Prenons l’évidence avec laquelle Netanyahu s’est emparé des événements à Paris pour venir faire son petit marché électoral à Paris, comment la N-VA à l’instar d’un Georges W. Bush en 2001 a fait sienne la guerre contre le terrorisme. A l’opposé, à gauche, beaucoup s’empressent de dire qu’il y a eu aussi toutes les violences islamophobes et que les Roms et les classes populaires (d’origine turque et maghrébine) restent les premières victimes du racisme. Tout cela est vrai mais « est-ce que les Français seraient descendus dans la rue s’il n’y avait eu que des victimes juives début janvier ? » nous demande la cinéaste, ancienne résistante, rescapée d’Auschwitz, juive, Marceline Loridan-Ivens, 86 ans.

Poser la question c’est y répondre. La gauche ne descend plus par milliers dans la rue pour protester contre les actes antisémites. On peut le regretter mais il est un fait que la politique d’Israël dans les territoires, sa durée et son impunité, si elles ne l’excusent nullement, servent de carburant à cette indifférence croissante vis-à-vis du racisme anti-Juif. Les Juifs ont leur part de responsabilité, ils ne sont pas des boucs émissaires, victimes d’un « éternel antisémitisme » nous expliquait Hannah Arendt7 il y a 60 ans déjà, ils sont « un groupe parmi d’autres groupes, et tous ont leur part dans les affaires de ce monde ». Aujourd’hui, nous voilà les seuls à dire ce que nous avons à dire par rapport à la gauche et par rapport à la communauté juive.

Anne Grauwels

1 Dossier « Les habits neufs du fascisme », Points Critiques, n°6, janvier 1981

2 Dans un article paru dans la revue Les Temps Modernes en 1962 et repris dans un recueil d’articles de Marcel Liebman introduits et choisis par Jean Vogel : Figures de l’antisémitisme, Editions Aden, 2009

3 Points Critiques, numéro 352, janvier 2015

4 Citées par Jean Vogel : « Antisémitisme, le grand retour ? » dans Politique, numéro 88, janvier-février 2015

5 Nonna Mayer, « Il faut parler de l’antisémitisme avec rigueur », Le Monde, 05.12.2014

6 Le Monde Diplomatique, février 2015

7 Sur l’antisémitisme, Le Seuil, Points, page 29

Israël contre les Juifs

C’est un refrain bien établi. Vous critiquez Israël et le sionisme ? Vous êtes antisémite ! Un Juif français veut pouvoir « vivre son judaïsme » ? On l’invite à faire son « alyah » et à apporter sa pierre à la colonisation de la Palestine. 

On essaie de nous marteler que l’histoire des Juifs s’est achevée et qu’Israël en est l’aboutissement. Israël fonctionne comme un effaceur de l’histoire, de la mémoire, des langues, des traditions et des identités juives. La politique israélienne n’est pas seulement criminelle contre le peuple palestinien. Elle se prétend l’héritière de l’histoire juive alors qu’elle la travestit et la trahit. Elle met sciemment en danger les Juifs, où qu’ils se trouvent. Et elle les transforme en robots sommés de justifier l’injustifiable.

Retour sur un passé récent

L’histoire des Juifs français n’a strictement rien à voir avec Israël. Régulièrement spoliés, massacrés ou expulsés par différents rois très chrétiens, les Juifs ont acquis la citoyenneté française avec l’Abbé Grégoire pendant la Révolution. Ces deux derniers siècles ont été marqués par une quête de la citoyenneté et de l’égalité des droits. L’affaire Dreyfus a révélé que, si une partie de la société française était antisémite, une autre partie, finalement majoritaire, considérait que l’acquittement et la réhabilitation de Dreyfus étaient l’objectif de tous ceux qui étaient épris de liberté et refusaient le racisme. L’histoire des Juifs français a été marquée par leur participation importante à la résistance contre le nazisme et le régime de Vichy, puis par l’engagement de nombre d’entre eux dans des luttes progressistes et/ou anticoloniales. Les intellectuels juifs de cette époque s’appelaient Raymond Aubrac, Marc Bloch, Laurent Schwartz, Pierre Vidal-Naquet, Stéphane Hessel. C’était une époque où beaucoup de Juifs pensaient que leur propre émancipation passait par celle de tou-te-s. C’était une époque où le racisme, le fascisme et la haine de l’autre étaient considérés comme des abjections à combattre. Les enfants juifs allaient à l’école publique, jamais il ne leur serait venu à l’idée de se séparer des autres dans des écoles confessionnelles.

On s’efforce aujourd’hui en Israël d’effacer l’histoire des Juifs dans les différents pays où ils ont vécu. Si les Juifs ont longtemps été considérés par les antisémites en Europe comme des parias inassimilables et s’ils ont été persécutés parce qu’ils constituaient un obstacle aux nationalismes fous qui rêvaient de sociétés ethniquement pures, ils n’ont jamais recherché la séparation mais au contraire l’insertion à l’intérieur des sociétés dans lesquels ils vivaient.

Une assignation à la désertion

On fait un saut de quelques années. En tête d’une gigantesque manifestation parisienne censée dénoncer le terrorisme, on trouve trois criminels de guerre, Nétanyahou, Lieberman et Bennet qui viennent de s’illustrer dans le massacre de plus de 2000 Palestinien-ne-s (essentiellement des civil-e-s) à Gaza pendant l’été 2014. Profitant de l’émotion causée par l’attentat antisémite de la Porte de Vincennes, Nétanyahou est autorisé (par le gouvernement français) à déclarer aux Juifs français qu’ils sont en insécurité en France et qu’ils doivent partir dans leur « vrai » pays, Israël. 

En fait, le sionisme n’a jamais combattu l’antisémitisme. Il s’en est toujours nourri avec en permanence un seul et unique but : faire immigrer le maximum de Juifs en Israël. Du coup, Nétanyahou n’hésite pas à mettre en danger les Juifs français. Il en fait des étrangers dans leur propre pays, des « touristes » qui n’ont pas compris que leur « patrie » est là-bas. Les Juifs sont sommés d’être des « traîtres » (à la seule et unique cause, celle du Grand Israël de la mer au Jourdain) ou des complices. La France a toujours été un échec pour Israël : à peine 80000 Juifs sont partis depuis 1948 et une moitié est revenue. Alors la propagande se fait assourdissante. Pourtant, s’il y a bien un pays où les Juifs sont en insécurité, c’est Israël et il sera ainsi tant que la destruction de la Palestine se poursuivra. 

À « l’alyah » (la montée) des vivants vers Israël, s’ajoute à présent celle des morts. Les autorités israéliennes incitent vivement les Juifs français à faire enterrer leurs proches en Israël. Ainsi les victimes de la tuerie de la porte de Vincennes ont été inhumées au cimetière de Givat Shaul. Ce « quartier » de Jérusalem, c’est l’ancien Deir Yassine, le village martyr de la guerre de 1948 où les milices de l’Irgoun dirigées par Menachem Begin ont massacré toute la population avant que le village ne soit, comme tant d’autres, rayé de la carte. Quel symbole !

Israël à l’avant-garde de l’islamophobie

Les Juifs ont vécu pendant des centaines d’années dans le monde musulman. Ils ont même été accueillis par l’empire ottoman après leur expulsion d’Espagne en 1492. Aujourd’hui, Israël participe à la diabolisation des Arabes et des musulmans en se comportant en élève modèle du « choc des civilisations ». Le racisme anti-arabe et l’islamophobie s’expriment ouvertement, des politiciens en ont fait leur fond de commerce et les passages à l’acte sont fréquents. Les crimes de masse comme à Gaza ou la multiplication des propos racistes (Pour le rabbin Rosen, les Palestiniens sont des Amalécites et la Torah autorise qu’on les tue ainsi que leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux) laisseront des traces. Comment imaginer que ce qui est infligé aux Palestiniens sera sans conséquences ?

En Israël, des propagandistes rivalisent pour expliquer que les Juifs ont vécu l’enfer dans le monde musulman, masquant le fait que l’antisémitisme a été avant tout une invention européenne et chrétienne. Les Juifs orientaux subissent en Israël des discriminations sociales et un mépris raciste. Ils ont souvent été humiliés et discriminés à leur arrivée. Ils sont coupés de leurs racines et poussés à renier leur identité. L’expulsion des Palestiniens de 1948 est présentée comme un « échange de population » alors que le sionisme est le principal responsable, et de la Nakba, et du départ des Juifs orientaux de leurs pays.

Qu’y a-t-il de juif en Israël ?

Les sionistes ont théorisé l’idée que les Juifs et les non-Juifs ne peuvent pas vivre ensemble. C’est totalement contraire à tout ce qui s’est passé pendant des centaines d’années. Cela va à l’encontre de l’aspiration des Juifs à sortir des ghettos, des mellahs et des juderias pour devenir des citoyens normaux.

Les Juifs religieux qui émigrent en Israël y rencontreront rarement la religion telle qu’elle a été pratiquée pendant des siècles. Le courant national-religieux s’est imposé. Ce courant intégriste a totalement révisé la religion. Le « peuple élu », ça n’a jamais voulu dire qu’il a plus de droit que les autres mais au contraire qu’il a plus de devoirs. Parmi les préceptes, il y a « ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse » et « tu aimeras ton prochain comme toi-même »« L’an prochain à Jérusalem », ça n’a jamais voulu dire qu’il faut réaliser le nettoyage ethnique en cours, mais « vivement que le Messie vienne ». L’hébreu a toujours été une langue religieuse interdite à l’usage profane. La religion juive est une religion de « l’exil ». L’installation sur cette terre (d’Israël/Palestine) avant l’arrivée du Messie et a fortiori l’établissement d’un Etat juif étaient interdits. D’ailleurs les Juifs expulsés d’Espagne en 1492 ne sont pas allés à Jérusalem. Herzl a rencontré une hostilité quasi unanime des rabbins contre le projet sioniste dès qu’il a été question d’établir un État juif en Palestine.

Pour les Juifs laïques, les valeurs dominantes d’Israël sont à l’antithèse de ce que sont pour eux les valeurs du judaïsme. Où trouve-t-on dans la tradition juive le racisme, le chauvinisme, le militarisme, le négationnisme de l’existence et de la dignité de l’autre ? Qu’y a-t-il de commun entre ce qu’ont représenté les grands intellectuels juifs (Einstein, Freud, Arendt, Kafka, Benjamin …) et les criminels de guerre qui dirigent Israël ? Qu’est devenue en Israël la mémoire de celles et ceux qui ont lutté contre le fascisme et le colonialisme (Marek Edelman, Abraham Serfaty, Henri Curiel …) ? De quel héritage juif peuvent se prévaloir les colons et les militaires qui justifient à l’avance les violences et les crimes commis contre les Palestiniens ?

Comme l’écrit l’historien israélien Shlomo Sand à propos du livre de Yakov Rabkin Comprendre l’État d’Israël, « celui qui voit dans le sionisme une continuation du judaïsme ferait bien de lire ce livre. Mais celui qui croit que l’État d’Israël est un État juif est obligé de le lire ».

Certains Juifs pensent qu’après le génocide nazi, Israël est l’ultime refuge. Au nom de quoi les dirigeants israéliens peuvent-ils brandir partout l’antisémitisme et le souvenir du génocide ? Les sionistes n’ont joué qu’un rôle marginal dans la lutte contre l’antisémitisme et la résistance au nazisme. Certains dirigeants sionistes ont même eu un comportement honteux pendant la montée du fascisme (Ben Gourion avec les accords de Haavara, 1933) et à l’époque de l’extermination (le groupe Stern assassinant des soldats et des dignitaires britanniques). Comment ne pas comprendre que la mémoire du génocide signifie « que cela n’arrive plus jamais » et pas « que cela ne NOUS arrive plus jamais », ce qui correspond à une vision tribale de l’humanité totalement contraire à toutes les formes d’héritage juif.

Refuser l’assignation et la peur, refuser toutes les formes de racisme et de discrimination

Il y a des confrontations qui ont du sens : les luttes contre l’oppression, la domination, le colonialisme, pour l’égalité des droits. On nous vend aujourd’hui une guerre qui n’est pas la nôtre : celle d’un monde dit « civilisé » contre le « terrorisme islamique ». Dans cette « guerre », les musulmans sont considérés comme des terroristes en puissance et sont sommés de « prouver » qu’ils ne sont pas des complices de Daesh. 

Et les Juifs sont assignés à soutenir sans réserve une politique israélienne criminelle contre les Palestiniens et suicidaire pour les Juifs. 

Cette fuite en avant criminelle tient par la peur. Ce syndrome assure le consensus à un point tel qu’un négociateur palestinien (le professeur Albert Aghazarian) a pu dire que les Israéliens ont peur de ne plus avoir peur. Cette peur irrationnelle a gagné beaucoup de Juifs français.

Dans le contexte du « choc des civilisations », prétexte des dominants pour ensanglanter le monde, il y a en France une montée générale de toutes les formes de racisme. Contrairement à l’image fabriquée par les principaux médias, le racisme frappe essentiellement tous les « dominés », toutes les victimes de l’apartheid social : Arabes, Noirs, Roms. Il prend une nouvelle tournure en se masquant derrière l’islamophobie. Comme il n’est plus politiquement correct de dire « sale arabe », on diabolise l’islam.

Il y a aussi une incontestable et détestable montée de l’antisémitisme. Mais les différentes formes de racisme ne sont pas traitées de la même façon.

Les dirigeants israéliens et en France le CRIF, participent activement à la stigmatisation des musulmans. Ils affirment contre toute évidence qu’il n’y a qu’un seul racisme à dénoncer (l’antisémitisme) et qu’on est à la veille d’une nouvelle « nuit de cristal ». Ils font apparaître les Juifs comme ceux que le pouvoir protège alors que l’idéologie sécuritaire, les déclarations des principaux dirigeants et le travail nauséabond de pseudo intellectuels, visent une seule population déclarée dangereuse.

Les stéréotypes antisémites se nourrissent aussi de la complicité du CRIF avec la politique israélienne et de la partialité évidente du pouvoir. À l’heure des confusions, l’indignation légitime contre les crimes israéliens fait monter l’antisémitisme et les quelques paumés attirés par la violence effroyable de Daesh commettent des attentats criminels contre les Juifs parce que Juifs.

La lutte contre le racisme ne peut pas être découpée. Choisir certaines « bonnes » victimes contre dautres est à l’antithèse du combat antiraciste. La politique israélienne et la négation totale des droits du peuple palestinien ne protègent absolument pas les Juifs. Au contraire. Pour créer l’Israélien nouveau, il a fallu « tuer le Juif », celui qui pensait que son émancipation passait par celle de l’humanité. Comme le dit le militant israélien anticolonialiste Eitan Bronstein : « nous ne serons jamais libres tant que les Palestiniens ne le seront pas ». En refusant le tribalisme, les Juifs français réaffirmeront une histoire dont ils peuvent être fiers.

C’est tou-te-s ensemble qu’il faut combattre tous les racismes, toutes les stigmatisations, toutes les discriminations. C’est tou-te-s ensemble qu’il faut défendre le droit, en Palestine comme ici.

Pierre Stambul, 16 février 2015

Communiqué d’Une Autre Voix Juive sur la Manifestation du 31 Juillet en faveur d’Israël

Une Autre Voix Juive proteste solennellement contre l’Appel de Serge Klarsfeld incitant les fils et filles de déportés juifs à soutenir la politique israélienne actuelle. Les déportés juifs, les fils et filles de déportés juifs signataires du Manifeste Une Autre Voix Juive (UAVJ) n’entendent pas se laisser déposséder ainsi de leur liberté de choix . Ils et elles sont révoltés qu’on puisse instrumentaliser la déportation des Juifs par les nazis au profit d’une politique de massacres de populations civiles et d’enfants comme c’est le cas aujourd’hui à Gaza.

Non, la politique israélienne ne « se bat pas pour les démocrates du monde entier » ; la politique israélienne couvre de honte et de sang le drapeau israélien ;

Les dirigeants israéliens font embastiller les voix héroïques qui, en Israël s’opposent à ce qu’on commette en leur nom des crimes de guerre.

Non la politique israélienne ne vise pas le Hamas mais tout un peuple qui réclame les droits fondamentaux auxquels Israël a souscrit par sa déclaration d’indépendance.

Non, la colonisation n’est pas la démocratie. Non, bafouer les droits d’un peuple et les fouler aux pieds, ce n’est pas la démocratie.

Non cette guerre n’est pas notre guerre ; c’est l’antipode de ce pour quoi nous luttons et pour quoi nos parents ont lutté.

Israël n’a aucun droit de se présenter en représentant du peuple juif et le territoire d’Israël n’est pas le nôtre.

Plus que jamais Une Autre Voix juive appelle toute citoyenne et tout citoyen français juif à s’opposer à une telle manipulation. La seule voie pour la sécurité d’Israël est l’arrêt immédiat et inconditionnel du feu sur Gaza et l’engagement de négociations véritables pour une paix juste et négociée au proche Orient.

Une Autre Voix Juive, le 30/07/2014

Ne venez pas. Nous nous sommes trompés

10« Au début du livre, elle n’existe pas. C’est comme si elle n’avait jamais existé du tout. Écrire sur elle est vertigineux pour cette raison ».

Un nom et un anonymat. « Hier l’anonymat était la règle et désormais il étonne. La liste de toutes les identités répertoriés est sans fin. On oublie que dans l’histoire, les femmes si souvent sont muettes, et invisibles ». Bâillonnées, non écoutées et invisibilisées.

Manya Schwartzman, née à Kichinev, Bessarabie.

Roumanie, Ukraine, Syldavie. Le Yiddisland, « C’est bien plus tard que du Yiddisland exterminé surgira la nostalgie de ces mondes étroits. Le shtetl est pour ces jeunes gens un territoire familier mais aussi un lieu d’enfermement, l’autre nom de la bigoterie, de la pauvreté et du danger ». Le pogrom de Kichinev, les journaux antisémites, le Bund…

Sergei Melnikov, Ester, Nukhim ou Nehemia, le yiddish, le russe, l’hiver, l’éloignement des traditions, « Pour Rosh Hashanah et Yom kippour, on se rend en famille à la synagogue. C’est le minimum ». La religion comme une hypothèse et non une obligation.

Sandrine Treiner parle aussi de cette puissance du refus, de cette révolte, de la force des idéaux révolutionnaires et de notre incapacité aujourd’hui à (nous) les représenter. « Je mesure que nous ne savons plus rien de la puissance d’une conviction qui soulevait les montagnes, de la force d’un idéal qui n’était pas un rêve mais une résolution vitale ». Je souligne, non pas seulement les engagements sincères mais cette résolution vitale.

Odessa, la mer Noire, l’histoire de républiques socialistes soviétiques. Moldavie. Des jeunesses juives et socialistes. Les désirs d’émancipation, « Manya Schwartzman refusait la soumission, la méfiance, la peur, la lâcheté, l’ignorance, la bêtise, la violence et c’est pourquoi il faut une tombe à son nom ».

L’enquête, les traces et les vides, les supputations et les probabilités.

Les politiques et les effets du stalinisme. Le NKVD, les arrestations, les déportations, les exécutions, les responsabilités devenues familiales, collectives.

Les mort-e-s, les cimetières juifs ou non. « En vérité, où sont les morts ? Comment retrouver la trace d’une personne disparue en Union soviétique dans les années trente ? Et pourquoi s’obstiner quand personne ne sait plus où, ni quand, ni comment ? Qui saura comprendre pourquoi une histoire comme celle de Manya est survenue, dans un pays qui n’existe plus, dans une capitale dont le nom a changé, comme une histoire tombée dans un trou noir, dont la mer dite Noire est l’épicentre et le poumon vital ; que rien n’existe plus de ce qui a fait la vie et la mort de la femme disparue, ni les idées, ni les conflits et que néanmoins, à la vue de la photographie, mes émotions s’emballent ? »

Révolution et contre-révolution. Nous n’en avons toujours pas fini avec les crimes du stalinisme. Un livre sur une inconnue, brisée, comme ses espérances, par la dictature. Une recherche sur une de ces héroïnes dérobées par l’écriture de l’Histoire par les vainqueurs, les dominants. « Les cendres recouvrent les vies, et même la mémoire. Voilà que l’on comprend tout, mais on n’y voit plus rien. On ne voit plus personne ». Pour que : la tombe ne reste plus vide et Manya Schwartzman invisible.

Dans la même collection : Michelle Perrot : Mélancolie ouvrière, Lucie est sortie du rang où sa condition de femme, de mère, de veuve aurait dû la garder

Sandrine Treiner : L’idée d’une tombe sans nom

Nos héroïnes – Grasset, Paris 2013, 363 pages, 12 euros

Didier Epsztajn