Il est important de faire des analyses comparatives, de souligner les différences dans les pratiques et les constructions syndicales à travers le monde. Trop souvent, les analyses contournent les conjonctures historiques, institutionnelles, pour magnifier ou dénigrer des politiques syndicales en privilégiant celles pratiquées dans « son » pays. Déhistoricisés, décontextualisées, les liens entre salarié-e-s et organisations syndicales ou les orientations semblent abordés de manière unilatérale. Or les diverses expériences donnent à voir des apports et des impasses qu’il convient de comprendre, afin de spécifier les possibles émancipateurs, ancrés dans les réalités « nationales » ou « régionales » et cependant tendus vers des universels concrets.
Et concernant le sujet traité, comme l’indique Yannick Le Quentrec « A mes yeux le féminisme ne peut prendre toute sa portée émancipatrice que s’il s’empare du champ du travail et des rapports sociaux d’exploitation. Le syndicalisme ne peut contribuer à l’émancipation des salarié-e-s sans combattre la domination de sexe ».
De cet ensemble, je ne donne que quelques indications.
Cécile Guillaume, Sophie Pochic et Rachel Silvera indiquent que le dossier aborde « trois dimensions étroitement liées entre elles : les mesures en faveur d’une meilleure « démocratie de genre » en interne des syndicats, les actions menées par les syndicats pour défendre les intérêts des salarié-e-s et enfin les stratégies de syndicalisation en direction des femmes »
Les auteur-e-s du dossier soulignent certains aspects des reconfigurations dans les entreprises, en ce qui concerne la place des femmes. Elles et ils parlent de professionnalisation syndicale, de culture organisationnelle androcentrée, de politique de quota, de volontarisme dans la féminisation des postes, de perdurance des divisions sociales genrées, de règles « plus ou moins formelles et implicites », de mécanismes d’assignation, de plafond de verre, de cantonnement dans certains secteurs moins valorisés, d’existence de formes « de disponibilité structurale » différenciée, d’invisibilisation du travail des femmes…
Je souligne deux éléments mis en avant par Yannick Le Quentrec :
- « …prendre en considération l’importance de lieux où, dans un premier temps, les femmes peuvent se constituer en tant que sujet collectif, pour que, dans un second temps, cette mixité soit émancipatrice»
- « Pour ma part, le syndicalisme s’affaiblit quand il occulte l’oppression de sexe et le féminisme s’affaiblit quand il délaisse le champ du travail et des luttes»
Comme je l’ai déjà indiqué, les regards vers d’autres fonctionnements institutionnels et pratiques syndicales enrichissent notre compréhension, ici aux USA, au Royaume-Uni et en Angleterre.
Elargissement géographique ou professionnel. J’ai particulièrement été intéressé par l’article de Sophie Beroud sur les expériences dans le secteur de l’aide à domicile. L’auteure souligne, entre autres, les « tensions propres au rapport salarial dans l’aide à domicile », la nécessaire valorisation de « l’identité professionnelle » ou la demande de professionnalisation du secteur, la présence de « liens très personnels faits d’intériorisation morale d’un certain nombre de contraintes et de formes de domination à la fois complexes et très personnalisées », l’imbrication permanente des sphères domestique et professionnelle, la dimension relationnelle…
Le « retraitement » statistique fait par Alex Alber donne un éclairage peu habituel au plafond de verre dans la fonction publique où « un cadre a certes plus de chances d’être femme, mais une femme n’a pas forcément plus de chance d’être cadre… »
La partie sur « Le modèle allemand » montre une fois de plus l’apport indispensable des analyses « au prisme du genre ». J’ai notamment apprécié les articles de Catherine Marry et d’Olivier Giraud et Arnaud Lechevalier.
Sommaire :
Parcours : Yvonne Knibiehler, maternité et féminisme. Propos recueillis par Marlaine Cacouault-Bitaud et Marion Paoletti
Dossier : Genre, féminisme et syndicalisme. Coordonné par Cécile Guillaume, Sophie Pochic, Rachel Silvera
Vanessa Monney, Olivier Fillieule, Martina Avanza : Les souffrances de la femme-quota. Le cas du syndicat suisse Unia
Yannick Le Quentrec : Militer dans un syndicat féminisé : la sororité comme ressource
Gill Kirton, Geraldine Healy : Stratégies en faveur de la démocratie de genre dans les syndicats. Points de vue de responsables syndicales au Royaume-Uni et aux États-Unis
Cécile Guillaume : La mobilisation des syndicats anglais en faveur de l’égalité salariale (1968-2012). « Women at the table, women on the table » ?
Sophie Béroud : Une campagne de syndicalisation au féminin. Une expérience militante dans le secteur de l’aide à domicile
Mutations
Alex Alber : Un plafond de verre plus bas dans la fonction publique ? Une comparaison public/privé de l’accès des femmes aux fonctions d’encadrement
Christophe Giraud, Jacques Rémy : Division conjugale du travail et légitimité professionnelle. Le cas des activités de diversification agricole en France
Controverse : Le modèle allemand à l’épreuve du genre. Coordonnée par Monique Meron, Rachel Silvera
Michel Lallement : Le modèle allemand à l’épreuve du genre. Un tsunami libéral ?
Catherine Marry : Le modèle allemand est-il désirable pour les femmes ?
Olivier Giraud, Arnaud Lechevalier : Les femmes au cœur de l’éclatement de la norme d’emploi en Allemagne
Jeanne Fagnani : La politique familiale en Allemagne : un bilan mitigé
Beate Krais : Lettre à mes amis français
Critiques de livres
Un numéro qui aide à, comprendre des « conditions matérielles et idéelles », bien efficaces « pour exclure les femmes »
Travail, genre et sociétés : Genre, féminisme et syndicalisme
N° 30, novembre 2013
La Découverte, Paris 2013, 278 pages, 25 euros
Didier Epsztajn