L’intersectionnalité au travail

Avec l’aimable autorisation de la revue
Travail, genre et société

Avec la pandémie de la Covid-19, la représentation de la hiérarchie sociale des métiers a été symboliquement ébranlée, puisque des activités et des services méprisés et dévalorisés comme les caissières, les aides à domicile, les aides-soignantes, les personnels de nettoyage se sont révélés être indispensables pour la survie de nos sociétés. Ces « sales boulots », au sens d’activités pénibles et peu rémunératrices, souvent en contact avec la saleté et la maladie [Hughes, 1996 ; Sellier, et Silvera, 2020] sont réalisés par 67% de femmes et 29% de salarié·e·s de nationalité étrangère, dans le cas du secteur du nettoyage (1). L’articulation des rapports sociaux permet de comprendre pourquoi ces travailleuses se trouvent reléguées au plus bas de la hiérarchie dans la division sexuée et raciale du travail. Cette position qu’elles subissent est parfois renversée par les femmes elles-mêmes pour dénoncer des conditions inhumaines d’exploitation du travail, le racisme et le sexisme, et revendiquer dignité et application de leurs droits. Depuis le début des années 2000, en France, les grèves s’étaient d’ailleurs multipliées dans le secteur du nettoyage et des maisons de retraite, soutenues par certains syndicats (2). D’ordinaire frappées d’invisibilité, les travailleuses racisées (3) comme leurs mobilisations marquent temporairement l’espace de leur présence. Continuer à lire … « L’intersectionnalité au travail »

Division sexuelle du travail et conception réductrice de l’activité

Pour Pierre

La lecture du dossier « Ménages populaires » m’a mis mal à l’aise. Pas seulement à cause d’une « définition » de la « classe ouvrière » que ne partage pas (j’y reviendrais) mais surtout par l’oubli des auteurs et des autrices de prendre en compte leur point de vue situé.

Je commence donc par cela. Le système de genre est imbriqué à d’autres rapports sociaux (classe, race, génération, etc.). Les configurations concrètes sont les fruits de l’histoire, des résistances et des luttes, des contraintes institutionnelles… Il est à mes yeux vain de penser une configuration comme plus ou moins « conservatrice » ou « émancipatrice ». D’ailleurs dans le cas du (non)partage des tâches domestiques, des violences exercées par les hommes sur les femmes, de la consommation de la pornographie, de la participation au système prostitueur, de l’inégalité dans l’utilisation des revenus – pour ne citer que cela – les études (ou moins ce que j’en connais) ne montrent pas de différences significatives entre groupes sociaux – pour autant que le groupe social soit un agrégat adapté à ces études. Sans oublier que la division sexuelle du travail s’y décline sans exception. Plus intéressantes sont les tensions et les contradictions à l’oeuvre dans chaque situation. Continuer à lire … « Division sexuelle du travail et conception réductrice de l’activité »

Au prisme du genre : des usages de la ville et des impacts de l’austérité

TGS_033_L204Dans sa présentation de l’entretien avec Estrella, « une migrante à Buenos Aires. Itinéraire d’une travailleuse du care », Natacha Borgeaud-Garciandía souligne que « Dans des conditions d’emploi particulièrement précaires (travail au noir, bas salaires, pas de sécurité sociale ni de congés), la relation intime et affective avec la personne soignée s’érige en enjeu central des rapports de pouvoir entre les cuidadoras1 et les employeurs ». Continuer à lire … « Au prisme du genre : des usages de la ville et des impacts de l’austérité »

Les obstacles particuliers au travail salarié des femmes

TGS_032_L204Le numéro débute par un entretien avec Maïssa Bey « Lettres d’Algérie ». L’auteure y parle de son parcours, de ses révoltes, de ses colères, de la création littéraire, « il fallait que je mette des mots là-dessus, parce que je ne pouvais partager ça avec personne d’autre », des années noires, « Il y a eu une incompréhension INCROYABLE côté français de ce que représentait pour nous le fait de vivre et d’avoir choisi de vivre en Algérie ». Littérature et engagement, « c’est ce que je montre dans tous mes textes, que la situation de la femme, c’est quand même quelque chose d’universel et qui n’est pas spécifique à la femme en Islam ».

Le dossier « Vues d’ailleurs » donne à lire, à travers quelques textes, « la variété des situations et des contextes » de la situation au/du travail des femmes et de leurs trajectoires professionnelles. Comme le soulignent, en introduction Margaret Maruani et Monique Meron « la question du travail des femmes reste essentielle pour comprendre l’évolution de la place des hommes et des femmes dans la société ». Elles nous rappellent aussi que « dans le monde du travail, les femmes sont partout, l’égalité nulle part ».

Quatre textes sont proposés :

  • Shi Lu : Figures de migrant-e-s en Chine, Itinéraire d’une commerçante au Zhejiang

  • Isabel Georges : Reconfiguration des politiques sociales au Brésil, Le genre de l’assistance à São Paulo

  • Mathieu Caulier : Le prix de l’engagement. Salariées et militantes au Mexique

  • Lucie Schoch, Fabien Ohl : Femmes dans le journalisme sportif en Suisse, Comment s’ajuster aux passions masculines ?

Je n’indique que quelques éléments.

Dans l’itinéraire d’une commerçante au Zhejiang : l’importance des migrations internes en Chine et celles des femmes, la migration « pendulaire et temporaire », la place des réseaux familiaux et leur fragilité, la place du mariage, les dynamiques économiques vers le marché international…

Le genre de l’assistance à São Paulo. Mobilité sociale et précarisation du travail, positions et reproduction des inégalités, désengagements de l’Etat, zone grise entre bénéficiaires des aides et usager-e-s des services, stratégie d’évitement des conflits familiaux, arrangement entre parentèles féminines, relations personnelles et clientélisme, insertion et transfert de responsabilité, naturalisation du travail précaire des femmes…

Mexique. Engagement et sous traitance des politiques publiques, externalisation des politiques publiques et abaissement des coûts du travail, solidarité et précarité salariale, diplômes et marché du travail…

Femmes et journalisme sportif. Passion du sport comme récit fondateur des hommes, euphémisation des mauvaises conditions de travail, négation des dimensions économiques du sport, recrutement de femmes et changement du traitement des informations, « passion » et compétence, homosociabilités extra-professionnelles, « passion sportive» et mécanisme de domination…

En complément possible :

Sous la direction de Margaret Maruani : Travail et genre dans le monde – L’état des savoirs, dans-le-monde-du-travail-les-femmes-sont-partout-legalite-nulle-part/

et plus particulièrement pour la France :

Margaret Maruani et Monique Meron : Un siècle de travail des femmes en France 1901-2011, L’apport de la force de travail des femmes a toujours été massif et indispensable

Danielle Kergoat : Se battre disent-elles…, Travailleuse n’est pas le féminin de travailleur

Eveline Duhamel, Henri Joyeux : Femmes et précarité, L’inégalité construite des femmes au travail et le genre de la précarité

Rachel Silvera : Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalités salariales, pour-les-femmes-rien-nest-egal-par-ailleurs/

Deux articles dans la rubrique « Mutations »

Manuella Roupnel-Fuentes dans « Souffrances au chômage. Histoire et devenir des femmes et des hommes licencié-e-s de Moulinex » souligne que « l’expérience du chômage n’est pas réductible à la seule privation d’emploi », parle des ruptures engendrées, d’une expérience de la perte d’emploi différenciée selon le sexe, du genre des souffrances, de représentations sociales, d’immobilité professionnelle, de division sexuelle des méfaits du chômage, de sentiments de désœuvrement et d’inutilité, de temps (encadré et saturé ou temporalité angoissante des horaires dilués), d’enfermement domiciliaire et identitaire, de l’entre-soi des hommes, d’isolement social subi…

Yoann Demoli dans « Les femmes prennent le volant. Diffusion du permis et usage de l’automobile auprès des femmes au cours du XXe siècle » souligne, entre autres, les usages différenciés de l’automobile suivant le sexe, la différence entre détention du permis et conduite quotidienne, les effets générationnels, les déterminants sexués de la conduite automobile.

Et derrière une fausse convergences des usages, la répartition sexuée des types de trajets… les trajets de loisirs fortement masculins, la surreprésentation des femmes dans les seuls trajets « domestiques ».

J’ai été très intéressé par les textes de controverse autour de « La France, féministe ou antiféministe ? » :

  • Christine Bard, Marion Paoletti : « La France, féministe ou antiféministe ? »

  • Françoise Picq : « Féminisme-antiféminisme : la ligne de partage »

  • Mélissa Blais, Francis Dupuis-Déri : « Antiféminisme : pas d’exception française »

  • Nacira Guénif- Souilamas : « Contre l’antiféminisme, le féminisme prend des couleurs »

  • Cécile Proust : « Femmeusesaction#30, un roman-photo »

Les auteur-e-s parlent de la mobilisation réactionnaire de la « Manif pour tous » et du « printemps français », de ses composantes religieuses, d’historicité de la différence des sexes, d’égalité refusée entre les femmes et les hommes, d’universalisme républicain replié, d’universalisme aveugle aux différences, de racialisation et de division du mouvement féministe…

En complément possible :

Cahiers du genre N°52 : Les ANTI féminismes : des-reactions-masculines-a-lerosion-de-certains-de-leurs-privileges/

Collectif Stop Masculinisme : Contre le masculinisme. guide d’autodéfense intellectuelle, pirouettes-rhetoriques-concepts-farfelus-inversion-des-roles-travestissement-des-realites-et-toujours-le-refus-de-legalite/

Christine Delphy : Un universalisme particulier. Féminisme et exception française (1980-2010) : accaparement-de-la-totalite-de-lhumanite-par-une-partie-de-lhumanite-ou-la-rhetorique-republicaine-comme-arme-terrible-contre-legalite-substantielle/ 

Travail genre et sociétés n° 32 / 2014 : Vues d’ailleurs

La Découverte, Paris 2014, 254 pages, 25 euros

Didier Epsztajn

Mettre en place des processus sociaux continus pour construire l’égalité entre femmes et hommes

TGS-30-2013Il est important de faire des analyses comparatives, de souligner les différences dans les pratiques et les constructions syndicales à travers le monde. Trop souvent, les analyses contournent les conjonctures historiques, institutionnelles, pour magnifier ou dénigrer des politiques syndicales en privilégiant celles pratiquées dans « son » pays. Déhistoricisés, décontextualisées, les liens entre salarié-e-s et organisations syndicales ou les orientations semblent abordés de manière unilatérale. Or les diverses expériences donnent à voir des apports et des impasses qu’il convient de comprendre, afin de spécifier les possibles émancipateurs, ancrés dans les réalités « nationales » ou « régionales » et cependant tendus vers des universels concrets.

Et concernant le sujet traité, comme l’indique Yannick Le Quentrec « A mes yeux le féminisme ne peut prendre toute sa portée émancipatrice que s’il s’empare du champ du travail et des rapports sociaux d’exploitation. Le syndicalisme ne peut contribuer à l’émancipation des salarié-e-s sans combattre la domination de sexe ».

 

De cet ensemble, je ne donne que quelques indications.

Cécile Guillaume, Sophie Pochic et Rachel Silvera indiquent que le dossier aborde « trois dimensions étroitement liées entre elles : les mesures en faveur d’une meilleure « démocratie de genre » en interne des syndicats, les actions menées par les syndicats pour défendre les intérêts des salarié-e-s et enfin les stratégies de syndicalisation en direction des femmes »

Les auteur-e-s du dossier soulignent certains aspects des reconfigurations dans les entreprises, en ce qui concerne la place des femmes. Elles et ils parlent de professionnalisation syndicale, de culture organisationnelle androcentrée, de politique de quota, de volontarisme dans la féminisation des postes, de perdurance des divisions sociales genrées, de règles « plus ou moins formelles et implicites », de mécanismes d’assignation, de plafond de verre, de cantonnement dans certains secteurs moins valorisés, d’existence de formes « de disponibilité structurale » différenciée, d’invisibilisation du travail des femmes…

 

Je souligne deux éléments mis en avant par Yannick Le Quentrec :

  • « …prendre en considération l’importance de lieux où, dans un premier temps, les femmes peuvent se constituer en tant que sujet collectif, pour que, dans un second temps, cette mixité soit émancipatrice»
  • « Pour ma part, le syndicalisme s’affaiblit quand il occulte l’oppression de sexe et le féminisme s’affaiblit quand il délaisse le champ du travail et des luttes»

 

Comme je l’ai déjà indiqué, les regards vers d’autres fonctionnements institutionnels et pratiques syndicales enrichissent notre compréhension, ici aux USA, au Royaume-Uni et en Angleterre.

Elargissement géographique ou professionnel. J’ai particulièrement été intéressé par l’article de Sophie Beroud sur les expériences dans le secteur de l’aide à domicile. L’auteure souligne, entre autres, les « tensions propres au rapport salarial dans l’aide à domicile », la nécessaire valorisation de « l’identité professionnelle » ou la demande de professionnalisation du secteur, la présence de « liens très personnels faits d’intériorisation morale d’un certain nombre de contraintes et de formes de domination à la fois complexes et très personnalisées », l’imbrication permanente des sphères domestique et professionnelle, la dimension relationnelle…

 

Le « retraitement » statistique fait par Alex Alber donne un éclairage peu habituel au plafond de verre dans la fonction publique où « un cadre a certes plus de chances d’être femme, mais une femme n’a pas forcément plus de chance d’être cadre… »

 

La partie sur « Le modèle allemand » montre une fois de plus l’apport indispensable des analyses « au prisme du genre ». J’ai notamment apprécié les articles de Catherine Marry et d’Olivier Giraud et Arnaud Lechevalier.

 

Sommaire :

Parcours : Yvonne Knibiehler, maternité et féminisme. Propos recueillis par Marlaine Cacouault-Bitaud et Marion Paoletti

Dossier : Genre, féminisme et syndicalisme. Coordonné par Cécile Guillaume, Sophie Pochic, Rachel Silvera

Vanessa Monney, Olivier Fillieule, Martina Avanza : Les souffrances de la femme-quota. Le cas du syndicat suisse Unia

Yannick Le Quentrec : Militer dans un syndicat féminisé : la sororité comme ressource

Gill Kirton, Geraldine Healy : Stratégies en faveur de la démocratie de genre dans les syndicats. Points de vue de responsables syndicales au Royaume-Uni et aux États-Unis

Cécile Guillaume : La mobilisation des syndicats anglais en faveur de l’égalité salariale (1968-2012). « Women at the table, women on the table » ?

Sophie Béroud : Une campagne de syndicalisation au féminin. Une expérience militante dans le secteur de l’aide à domicile

Mutations

Alex Alber : Un plafond de verre plus bas dans la fonction publique ? Une comparaison public/privé de l’accès des femmes aux fonctions d’encadrement

Christophe Giraud, Jacques Rémy : Division conjugale du travail et légitimité professionnelle. Le cas des activités de diversification agricole en France

Controverse : Le modèle allemand à l’épreuve du genre. Coordonnée par Monique Meron, Rachel Silvera

Michel Lallement : Le modèle allemand à l’épreuve du genre. Un tsunami libéral ?

Catherine Marry : Le modèle allemand est-il désirable pour les femmes ?

Olivier Giraud, Arnaud Lechevalier : Les femmes au cœur de l’éclatement de la norme d’emploi en Allemagne

Jeanne Fagnani : La politique familiale en Allemagne : un bilan mitigé

Beate Krais : Lettre à mes amis français

Critiques de livres

 

Un numéro qui aide à, comprendre des « conditions matérielles et idéelles », bien efficaces « pour exclure les femmes »

 

Travail, genre et sociétés : Genre, féminisme et syndicalisme

N° 30, novembre 2013

La Découverte, Paris 2013, 278 pages, 25 euros

Didier Epsztajn

Derrière le couple, les femmes

Les auteur-e-s du dossier « Les individus font-ils bon ménage ? » s’interrogent, entre autres, sur les évolutions des méthodes statistiques et des nouvelles analyses permises par l’enrichissement des indicateurs : « La période récente reflète la nécessité de tenir compte non seulement des individus in abstracto, mais des relations qui existent entre eux in vivo, précisément dans les ménages où ils vivent. Il s’agit de rendre compte des inégalités au sein des ménages, notamment des inégalités de sexe, de comprendre comment elles se forment, pourquoi elles résistent. »

Les nouveaux outils statistiques peinent cependant à rendre compte de la complexité nouvelle des situations individuelles et familiales. Sans oublier que « Dans ce mouvement, les femmes apparaissent de plus en plus comme le point fixe – de référence ? – des ménages, là où les hommes vivent plus souvent dans des situations floues, transitoires ou fluctuantes. Peu relevée cette asymétrie reste à analyser en tant que telle. »

Si dans un premier temps, les analyses ont porté sur l’assignation des rôles sexuels au sein des ménages et dans un deuxième temps ont été mises en évidence des inégalités de sexe, le troisième temps permet une analyse des rôles sexués au sein des ménages. « Un troisième temps, qui invite à réinscrire les individus au sein des ménages et à comprendre comment s’y forment les inégalités entre hommes et femmes et s’y définissent ou redéfinissent les rôles sexués, nous semble en effet émerger depuis quelques années » indiquent Thomas Amossé et Gaël de Peretti, qui soulignent aussi « les individus comme pluriels, synthèse de multiples rôles sociaux et facette identitaires ».

En indiquant « la déconnexion désormais possible entre le logement, le budget et la famille », les auteurs font ressortir « Se dessine progressivement une statistique où l’entité fondamentale est l’individu dont la position pourra être replacée dans des ménages qui, selon les questions analysées, pourront être définis comme des logements, des familles ou des unités économiques ».

J’ai particulièrement été intéressé par le texte de Danièle Meulders et Sile O’Dorchai « Lorsque seul le ménage compte ». Les auteures reviennent sur l’hypothèse peu interrogée du partage intégral des ressources des ménages « Ce qui est dérangeant est que cette hypothèse de partage intégral des ressources des ménages demeure utilisée dans la plupart des études qui traitent de la pauvreté et dans les indicateurs européens d’inclusion sociale. Dans ces études et dans le suivi des indicateurs, l’hypothèse de mise en commun n’est ni discutée, ni présentée comme une hypothèse par les auteurs. Ils présentent leurs résultats comme s’ils étaient universels, sans indiquer à quel point ils sont sensibles à cette convention implicite, pourtant fondamentale. » Danièle Meulders et Sile O’Dorchai présentent et analysent trois exemples : « Quand la pauvreté des ménages cache celle des femmes », « Quand monsieur et madame se séparent… » et « Travailleurs ou travailleuses pauvres ? ». Elle font ressortir que « La mesure de la pauvreté à un niveau individuel fait apparaître l’ampleur des risques encourus par les femmes : dans tous les pays étudiés, le taux de pauvreté individuel des femmes est nettement plus élevé que leur taux de pauvreté calculé au niveau des ménages. Ensuite, les effets financiers d’une rupture mesurés en termes de variation de revenu individuel indiquent que les revenus des femmes augmentent après la rupture, du fait des transferts dont elles disposeront individuellement. Enfin, en ce qui concerne les travailleurs pauvres, l’utilisation des revenus individuels fait ressortir la situation plus précaire des femmes sur le marché du travail, qui est cachée lorsque l’on mesure la pauvreté au niveau du ménage comme le fait l’union européenne ». Elles concluent sur la nécessité de reconsidérer les systèmes de sécurité sociale « afin de garantir des droits sociaux individuels à tous, indépendamment du sexe et du type de ménage auquel appartiennent les individus ».

Dans une partie Controverse, différent-e-s auteur-e-s interrogent le care sous l’angle « Projet égalitaire ou cache-misère ». J’ai particulièrement apprécié les articles de Sandra Laugier « Le care comme critique et comme féminisme », de Patricia Paperman et Pascale Molinier « L’éthique du care comme pensée de l’égalité » ou celui de Geneviève Cresson « Le care : soin à autrui et objets de controverses » qui nous rappelle, entre autres, que « c’est un travail gratuit ou mal rétribué, peu valorisé symboliquement ou économiquement, dévoreur de temps et d’énergie, qui limite l’autonomie des femmes et leur disponibilité pour d’autres activités ou dimensions de la vie. »

« Dans le domaine du travail et des souffrances qu’il génère, l’éthique du care rappelle que l’important n’est pas ce que disent les savant-e-s, mêmes les mieux intentionné-e-s et mêmes les plus féministes, mais ce qui compte et a du sens pour ceux et celles qui font le travail. »

Outre d’autres textes, dont celui de Florence Jany-Catrice et Dominique Méda « Femmes et richesse : au delà du PIB », le numéro se termine par de multiples notes critiques de lecture.

Travail genre et sociétés : Les individus font-ils bon ménage

N° 26/2011    http://www.tgs.cnrs.fr/

Editions La Découverte, Paris 2011, 270 pages, 25 euros

Didier Epsztajn

Imposition d’un « développement » défavorable aux femmes

Le dossier « Sud-exploitées » comporte quatre textes.

Marie Lesclingand « Migrations des jeunes fille au Mali : exploitation ou émancipation ? » analyse « le développement des migrations de travail des jeunes filles à partir de données d’enquêtes réalisées auprès de population rurales du Mali et à Bamako, principale destination des migrations des jeunes filles ». A l’instar des études de Michel Bonnet sur le travail des enfants, elle privilégie le point de vue des jeunes filles appréhendées comme actrices compétentes, tout en signalant les autres dimensions partiellement contradictoires. L’auteure met cependant en garde contre les visions unilatérales des phénomènes sociaux, et en l’occurrence des causes et conséquences des migrations. Continuer à lire … « Imposition d’un « développement » défavorable aux femmes »

Le traditionnel perpétuellement réinventé

La revue débute par des propos de Liliane Kandel sur la « Génération MLF ». Des éclats de rire : « gerbe à la femme inconnue du soldat… », « Bordel n’est pas mortel… alors que l’ordre, lui, l’est », « Travailleurs de tous les pays… qui lave vos chaussettes ? », « Une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette » ou encore « Je suis une femme, pourquoi pas vous ? » retentissent en appui de ce retour sur l’histoire, de cette mise en perspective et « …on se dit qu’on vraiment pas à rougir de ce qui a été fait dans les années-mouvement, et depuis… »

Le dossier s’intitule « Maudite conciliation »

Le terme « conciliation » est lui-même discuté « La notion de conciliation intègre donc l’antagonisme des sphères du travail et de la vie privée. Si ce terme reste trompeur, c’est qu’il peut laisser entendre que la résolution du conflit est atteinte, réussie ». Par ailleurs, le mot masque les inégalités entre homme et femme.

Comme le disent les auteures, il faut s’interroger sur l’assignation des femmes à cette thématique « C’est une chose de constater que les femmes ont cette double vie, c’en est une autre d’affirmer qu’elles sont seules à pouvoir -et d’autant plus à devoir – le faire », comme si les hommes n’étaient pas aussi concernés. Mais peut-être est-ce tout simplement que « malgré certaines velléités paternelles, la norme de Monsieur Gagnepain contribue à renforcer l’assignation des hommes dans la sphère professionnelle. »

Je signale particulièrement les textes « Concilier, organiser, renoncer : quel genre d’arrangements ? », « Temps professionnels et familiaux en Europe : de nouvelles configurations » et « Politiques familiales contre politiques de l’égalité des sexes ? Le cas de l’Allemagne ».

Le dossier est complété de deux textes, dont un très incisif « Antiféminisme et féminisme élitiste en Allemagne : les termes du débat ». Enfin le numéro se termine par de multiples notes critiques de lecture.

Travail genre et sociétés : Maudite conciliation

N° 24/2010

Editions La Découverte, Paris 2010, 258 pages, 25 euros

Didier Epsztajn

Du coté des revues 14

Hier et aujourd’hui, l’apport du genre pour la compréhension

Après un entretien avec « une sorcière comme les autres » Anne Sylvestre, un dossier « Traditions et ruptures chinoises » qui interroge « Quels droits pour les femmes dans un pays où le déséquilibre démographique est nettement en leur défaveur, à l’instar de l’Inde et du Pakistan, mais contrairement à la plupart des pays du monde ? »

Isabelle Attané analyse la valorisation du masculin au détriment du féminin sur la démographie dans « Naître femme en Chine en Chine: une perspective démographique ».

« Dès les toutes premières étapes de son existence et, de plus en plus fréquemment, en amont de la naissance, elles est victime de son statut dévalorisé en comparaison de celui des hommes ; de ce fait, elle connait non seulement la probabilité de naître inférieure à la norme habituellement observée, mais encore elle meurt plus qu’elle ne devrait à certains âges, en particulier avant son premier anniversaire. »

Tang Xiaojing « Les femmes du grand bond en avant, miroirs et masques idéologiques » insiste sur le rôle de l’État dans les politiques de développent économique et la mise au second plan de l’égalité sexuelle. L’auteure montre comment a été inventée la catégorie de « femmes au foyer » puis la métamorphose en intérimaires de l’industrie « le pouvoir chinois parvient à instaurer une catégorie d’emplois féminins précaires, alimentée par une main-d’œuvre bon marché et invisible. »

Tania Angeloff autour de « Emploi, genre et migrations » fait ressortir l’impact de la présence ou l’absence de réseaux sociaux provinciaux dans « le double processus de segmentation – sociale et genrée » de l’emploi des migrant-e-s.

Wang Zheng présente enfin le militantisme féministe dans la Chine contemporaine, en particulier l’association « Stop à la violence conjugale » et analyse les différences avec les mouvements féministes transnationaux.

Ce dossier est complété par deux textes autour des femmes et les risques liés à la radioactivité « S’intéresser aux femmes scientifiques confrontées à des risques professionnel incite ainsi à s’interroger sur les femmes dans les pratiques scientifiques, en tant que travailleuses, et sur leur rôle dans le développement des savoirs. »

A lire aussi des analyses sur les « performances économiques des femmes » et en particulier le beau texte d’Irène Jonas « Psychologie évolutionniste, mixité et sexisme bienveillant ».

Travail, genre et sociétés n°23 : Traditions et ruptures chinoises

La Découverte, Paris 2010, 267 pages, 25 euros

Pratiques érotiques, choses non nommées et double discours

« Les historiens du genre continuent d’être mis au défi d’élaborer des modèles pertinents et des cadres explicatifs qui permettent de comprendre les changements et les permanences. »

Ce numéro balaie de multiples sujets en mettant l’accent sur les significations que revêtent les pratiques dans chaque contexte historique.

Sans exhaustivité, je souligne les articles d’Edoardo Barra « Faire les choses que l’on ne peut nommer. Fellation et cunnilingus en Grèce ancienne », de Sylvie Steinberg « Quand le silence se fait : brides de paroles de femmes sur la sexualité au XVIIe siècle » et de Clyde Plumauzille « Élaborer un savoir sur la sexualité : le Dictionnaire des sciences médicales (1812- 1822) »

J’attire aussi l’attention sur les beaux textes d’Elisabeth Kinne « Les écrits didactiques pour femmes et le double du désir au Moyen Age » et d’Anne Simon « Tu m’as donné le grand frisson : les mots pour le dire dans la chanson populaire française du XXe siècle »

Karen Harvey fait le point sur « Le siècle du sexe ? Genre, corps et sexualité au dix huitième siècle » et en particulier sur les travaux de Thomas Laqueur.

Un riche numéro, tant pour les analyses que pour les réflexions méthodologiques sur les déplacements de sens, le double risque de censure de sujets ou de projections a-historiques de problématiques modernes.

Clio : Histoire, femmes et Sociétés : Érotiques

Presse Universitaires du Mirail, Toulouse 2010, 343 pages, 26 euros

Didier Epsztajn