Ukraine 6 juin 2024 : bienvenue et merci pour votre rôle dans la défaite du nazisme !

La présence de l’Ukraine aux commémorations du débarquement allié en France est l’occasion de rappeler le terrible tribut payé par la population ukrainienne lors de la 2ème guerre mondiale ainsi que la part active que prirent ses soldats et ses partisans anti-nazis à la défaite des armées du Reich.

La vérité historique est à l’inverse du récit poutinien sur la « grande guerre patriotique », de ses mensonges, de ses omissions, de son révisionnisme. A l’exact opposé de la propagande du Kremlin qui, non contente de présenter la nation ukrainienne comme un ramassis de nazis impénitents, réécrit grossièrement l’histoire pour formater son opinion.

1er mensonge : l’Armée rouge n’était pas une « armée russe » mais soviétique
L’Armée rouge rassemblait sous ses drapeaux des soldats de toutes les nations qui, à l’époque, étaient parties intégrantes de l’empire soviétique, au premier rang desquelles l’Ukraine qui subit de plein fouet la terreur nazie et prit plus que sa part dans la défaite finale des armées allemandes.

Quelques chiffres attestent la violence subie par la population ukrainienne. Plus de 2 millions de personnes, en Ukraine, déportées au titre du travail forcé en Allemagne. 5 millions de civils tués dont environ un million de Juifs, victimes pour beaucoup de la Shoah par balles. Sur une population de 40 millions d’habitants, 5 millions de soldats ukrainiens ont combattu dans l’Armée rouge, auxquels il faut rajouter nombre de partisans anti-nazis qui résistèrent, eux aussi, les armes à la main. Entre 1,5 et 1,7 million de soldats ukrainiens (les estimations varient selon les historiens) sont morts au combat. Si l’on additionne victimes civiles et victimes militaires, ce sont au total 16% de la population ukrainienne qui périrent durant la guerre. Du temps de l’URSS, Kyiv, Odessa et Sébastopol obtinrent pour leur résistance la médaille de « ville-héros ».

Ces chiffres sont à rapprocher des 250 000 collaborateurs qui combattirent aux côtés des Allemands (notamment issus de la Légion des nationalistes ukrainiens créée en 1939, bataillons Roland et Nachtigall, et membres de la division SS Galicie, formée en 1943). Cette collaboration, très minoritaire, est comparable à ce que les spécialistes de la 2ème guerre mondiale ont observé dans toute l’Europe. Quant aux populations, ukrainiennes mais aussi russes (dans les territoires occupés) et d’autres nationalités, elles avaient en commun l’expérience meurtrière de la botte soviétique, avec ses sanglantes collectivisations forcées, ses famines artificiellement créées dont la pire fut l’Holodomor, ses purges et ses déportations, sa négation des identités nationales autres que « grand russe » ; c’est pourquoi certaines accueillirent dans un premier temps les armées allemandes comme de possibles libérateurs avant de s’apercevoir très vite qu’elles  avaient placé à tort quelqu’espoir dans une armée de massacreurs impitoyables, avides de terres à coloniser, pétris de mépris pour les Slaves et imbus de supériorité aryenne leur donnant tous les droits.

Dans son écrasante majorité et quelles qu’aient été les illusions et les compromissions de certains de ses leaders nationalistes, l’Ukraine fut une nation résistante et l’héroïsme, à juste titre tant célébré, de l’Armée rouge lui doit beaucoup. C’est pourquoi, sans rien amoindrir du grand courage des soldats russes, l’appellation de « grande guerre patriotique »est une imposture mémorielle et historique.

2ème mensonge : le pacte germano-soviétique ne fut pas un coup de génie mais une erreur tragique de Staline.
Signé en 1939 par les Ministres des Affaires étrangères allemand et soviétique, Ribbentrop et Molotov, ce pacte dit « de non agression » est présenté par l’historiographie officielle de l’actuelle Fédération de Russie comme une preuve de l’intelligence tactique voire stratégique de Staline, qui aurait permis à l’URSS de gagner du temps pour mieux se préparer à la guerre.

Faux ! Outre qu’il permit aux deux pays d’envahir, de dépecer et de se partager la Pologne, il témoigne de la cécité historique de Joseph Staline et explique sa surprise lorsque l’Allemagne nazie, se retournant contre son alliée, décida de rompre unilatéralement cet accord et d’envahir la Russie en juin 1941.

Staline eut la naïveté de croire que les Allemands tiendraient parole en épargnant l’Union soviétique. Preuve de son incompréhension géopolitique et de sa méconnaissance du nazisme, il espéra que les Occidentaux (Anglais, Français, Allemands…) allaient s’occuper à s’entre-déchirer et que, le moment venu, tous étant affaiblis, l’URSS sortirait victorieuse d’un affrontement « entre bourgeoisies capitalistes » auquel elle n’aurait pas eu besoin de prendre part.

Le dictateur du Kremlin respecta scrupuleusement cet accord de coopération, allant jusqu’à livrer aux nazis des communistes allemands réfugiés en URSS. Il ne mit nullement à profit les années d’avant-guerre pour moderniser l’Armée rouge et la doter d’une véritable puissance militaire. Pire : ses purges l’avaient décapitée et 35 000 officiers supérieurs avaient été fusillés sur son ordre entre 1935 et 1938.

N’ayant rien vu venir, il fut pris au dépourvu : quand les chars allemands franchirent la frontière, le 22 juin 1941, ce fut d’abord la débandade. Dès les huit premières heures de l’invasion, 1 800 avions de combat furent perdus et 500 navires coulés ou gravement endommagés. Les 144 divisions soviétiques, mal armées, mal équipées, mal commandées, échouèrent à contenir la machine de guerre allemande  et reculèrent au prix de pertes énormes. Dès le mois d’août commença le siège de Léningrad (qui durera 900 jours). Dès le mois de septembre, 665 000 soldats soviétiques étaient faits prisonniers.

Le « génie tactique » du chef de l’URSS se révélait n’avoir été qu’un aveuglement criminel qui coûta cher, très cher, aux peuples en première ligne et aux soldats de l’Union soviétique. Dans les chancelleries occidentales, on commença à s’inquiéter d’un risque de défaite ou de capitulation soviétique si l’armée allemande n’était pas freinée et atteignait Moscou. C’est alors que les Etats-Unis prirent les choses en mains.

3ème mensonge : Pas de victoire soviétique sans l’aide américaine
Roosevelt comprit très vite le danger et décida d’apporter à l’Union soviétique une aide militaire et économique massive qui permettrait d’inverser le rapport de forces (les données citées ci-dessous sont tirées d’un article très documenté de Henryk Dunajewski, « Le lend-lease américain », 1984, Revue d’études comparatives Est-Ouest).

Trois jours après l’invasion allemande de l’URSS, les Etats-Unis débloquèrent en urgence les avoirs russes gelés dans les banques américaines pour garantir le remboursement de la dette qu’après la Révolution d’octobre, les bolchéviks avaient refusé de payer : 631 millions de dollars immédiatement alloués à la défense de l’Union soviétique.

Quelques semaines plus tard, le Neutrality Act qui empêchait les Américains de livrer des armements à l’URSS fut amendé et un programme de prêt-bail colossal (Land Lease Act) rapidement adopté. De 1941 à 1945, 11, 3 milliards de dollars furent ainsi alloués à l’Union soviétique et 18 millions de tonnes de matériels livrées, sans compter les navires, qui permirent d’armer, d’équiper et de nourrir les soldats soviétiques.

L’inventaire de ces livraisons est, pour l’époque, vertigineux : plus de 14 000 avions de chasse, bombardiers et autres ainsi que des grilles d’atterrissage. 409 526 jeeps, véhicules amphibies, tracteurs ainsi que 12 161 véhicules de combat (chars, etc.), des moteurs de remplacement, des produits pétroliers, 3,6 millions de pneus et autant de chambres à air, 325 784 tonnes d’explosifs, 136 190 pièces d’artillerie légère et armes automatiques. 35 800 stations de radio, des téléphones de campagne, des télégraphes. 3 400 kilomètres de câbles marins, 1 823 kilomètres de câbles sous-marins, 1 535 484 kilomètres de câbles télégraphiques.

Et aussi : 1966 locomotives, plus de 11 000 wagons, 685 700 tonnes de rails pour reconstruire plus de 12 000 kilomètres de voies ferrées. Des torpilles, des chasseurs marins, des bateaux de débarquement, des dragueurs de mines. Et encore : près de 20 000 moteurs et des tonnes de munitions navales.

Mais également plus de 5 millions de tonnes de nourriture pour les soldats et des millions de mètres de tissus (coton, laine, imperméables) pour les uniformes (sans oublier 1,6 millions de boutons réclamés par le Bureau d’approvisionnement de l’Armée rouge), des millions de vêtements, de bottes et de chaussures militaires.

Et enfin des équipements industriels et énergétiques ainsi que des matières premières stratégiques (dont 2,6 millions de tonnes d’acier, 781 663 tonnes de métaux non ferreux essentiels pour les chars, les canons, les avions).

Lorsque Staline ordonna l’évacuation vers l’est des capacités de production, on s’aperçut que le pays manquait de tout (ciment, briques, clous, etc.) pour les réimplanter et les remettre en marche : les Etats-Unis livrèrent des centrales énergétiques, des presses sidérurgiques et autres équipements vitaux.

L’URSS n’aurait pu sécuriser Mourmansk, son principal port d’approvisionnement, sans les 735 navires de guerre mis à disposition par les Etats-Unis. La bataille de Stalingrad n’aurait pas constitué un tournant majeur dans la guerre sans que les 1  divisions soviétiques rassemblées en secret puissent être déplacées en une nuit sur des centaines de kilomètres grâce aux Fords, Dodges et autres Studebackers américains. Sans cette avalanche de livraisons quatre ans durant, l’URSS n’aurait pu stopper la déferlante nazie puis entreprendre sa contre-offensive victorieuse.

Staline, Poutine : de la censure à la réécriture de l’histoire
Staline (à en croire un télégramme diplomatique américain) l’a reconnu : « environ les 2/3 de toutes les grandes entreprises industrielles d’Union soviétique ont été construites avec le concours ou l’assistance technique des Etats-Unis ». Franchise exceptionnelle car, très vite, le sujet sera tabou. Au point que des ateliers spéciaux étaient chargés d’effacer toute trace d’origine des matériels américains pour que les soldats soient fiers de leur armement « soviétique ».

Les hauts responsables, qui négociaient ces livraisons avec les Américains, savaient à quoi s’en tenir et Joukov l’a admis. L’opinion publique, elle, devait l’ignorer. Des années durant, toute allusion à cette aide décisive est bannie des medias, des manuels scolaires, des documents académiques. Les officiels soviétiques ne remercient pas les Etats-Unis, au point qu’en 1943, l’amiral Standley, ambassadeur à Moscou, le relève avec amertume lors d’une conférence de presse : « les autorités russes semblent vouloir tenir secret le fait qu’elles reçoivent une aide extérieure. Apparemment, elles veulent que leur peuple croie que l’Armée rouge se bat seule dans cette guerre ».

C’est exactement le récit mensonger aujourd’hui promu par Vladimir Poutine : de même qu’il n’y aurait pas eu des millions d’Ukrainiens dans l’Armée rouge et chez les partisans anti-nazis, de même jamais les Américains n’auraient, durant la 2ème guerre mondiale, massivement épaulé l’Union soviétique dans ce qui ne fut pas une « grande guerre patriotique » menée par les seuls Russes mais une victoire commune des peuples soviétiques et des Alliés. L’Armée rouge y prit une grande part, grâce à l’héroïsme de ses soldats de toutes origines mais aussi aux milliards de dollars et aux millions de tonnes de matériels, civils et militaires, des Etats-Unis. Ceux-ci n’agirent pas par altruisme mais par intérêt bien compris au regard d’une priorité stratégique : défaire le Reich allemand et, pour ce faire, comme le disait Churchill, s’allier avec le diable s’il le faut.

Sophie Bouchet-Petersen
secrétaire générale de l’association Ukraine CombArt, ancienne conseillère d’Etat
https://blogs.mediapart.fr/sophie-bouchet-petersen/blog/050624/ukraine-6-juin-2024-bienvenue-et-merci-pour-votre-role-dans-la-defaite-du-nazisme

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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