En Kanaky, la France renoue avec la déportation coloniale

L’illusion selon laquelle on pourrait éradiquer la soif d’indépendance et de justice d’un peuple par l’emprisonnement et l’éloignement de ses « chefs » a été constante dans l’histoire des répressions coloniales françaises. Chacun devrait savoir aujourd’hui qu’elle a toujours échoué.

Les prisons françaises de Dijon, Mulhouse, Bourges, Blois, Nevers, Villefranche et Riom viennent d’accueillir sept détenus venus de loin. A la stupéfaction générale, la justice française a en effet ordonné le 22 juin dernier la détention préventive dans des prisons hexagonales, à 17 000 km de leurs domiciles, de militants et militantes de la CCAT (Cellule de Coordination des Actions de Terrain), partisans de l’indépendance de la Kanaky Nouvelle Calédonie. Cette décision a fait suite à une « lettre » d’Emmanuel Macron communiquée à la presse la veille de leur arrestation. Elle appelait à punir les « quelques-uns » qui, selon lui, seraient « à l’origine » de la situation de révolte dans l’Archipel, le président niant ainsi à nouveau sa propre et écrasante responsabilité dans cette situation. Une instruction immédiatement relayée par le ministre de la Justice Éric Dupont-Moretti et mise en œuvre sur le champ à Nouméa par le procureur Yves Dupas.

Ces interpellations et transfèrements sont extrêmement choquants, d’autant que rien n’est entrepris par la justice contre les milices anti-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie, ni contre les individus responsables de la plupart des morts récentes intervenues à Nouméa, qui sont celles de jeunes manifestants kanak « tirés comme des lapins » par des civils.

Après avoir renoué avec la politique néo-coloniale de mise en minorité politique du peuple kanak et provoqué sa révolte, la France renoue donc à présent avec un très ancien mode opératoire particulièrement brutal de la répression des révoltes et résistances dans ses colonies : la déportation politique carcérale de leurs leaders.

Des milliers de colonisés connurent ce sort aux XIXe et XXe siècles pour s’être élevés contre l’occupation et l’oppression coloniales. Rappelons ici l’histoire de quelques-uns de ces déportés politiques coloniaux, dont beaucoup ne survécurent pas à l’exil forcé, mais dont certains dirigèrent ensuite un Etat finalement devenu indépendant.

1802 : Toussaint Louverture, gouverneur de Saint-Domingue, devenu Haïti, est déporté en France.

Après 1802 : 183 Guadeloupéens et 239 Haïtiens qui luttaient contre le rétablissement de l’esclavage par Bonaparte sont déportés en Corse après 1802 et contraints aux travaux forcés.

1847 : Abd al Kader, souverain de l’ouest algérien, est déporté en France au mépris des promesses qui lui ont été faites.

Entre 1867 et 1887 : des centaines d’Algériens sont déportés en Guyane.

1872 : Bou-Mezrag El-Mokrani, chef de la révolte en Kabylie contre la confiscation des terres, est déporté avec ses proches en Nouvelle-Calédonie.

1884 : après une révolte dans le Sud-Oranais, Mohamed Belkheir et ses compagnons sont déportés à Calvi, puis dans l’île Sainte Marguerite dans les Iles de Lérins. 

1889 : Hàm Nghi, souverain vietnamien, est déporté en Algérie.

1894 : Béhanzin, souverain du Dahomey devenu Bénin, est déporté en Martinique puis en Algérie.

1895 : Cheikh Ahmadou Bamba, théologien soufi sénégalais, est déporté au Gabon.

1897 : Ravalona, reine malgache, est déportée à La Réunion, en Algérie puis en France.

1898 : Samory Touré, résistant mandingue de la future Guinée, est déporté au Gabon.

1916 : Duy Tan, prince impérial vietnamien, est déporté à La Réunion.

1926 : Abdelkrim al-Khattabi, chef de la République rifaine, est déporté à La Réunion.

1952 : Messali Hadj, nationaliste algérien, est déporté à Brazzaville puis en France.

1953 : Mohammed Ben Youssef, sultan marocain, est déporté en Corse puis à Madagascar.

1956 : Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Mostefa Lacheraf, Mohamed Khider et Mohamed Boudiaf, indépendantistes algériens, sont capturés en violation du droit international par un acte de piraterie aérienne et déportés en France.

L’illusion selon laquelle on pouvait éradiquer la soif d’indépendance et de justice d’un peuple par l’éloignement de ceux qui dirigeaient leur résistance a été constante dans l’histoire coloniale française. Chacun devrait savoir aujourd’hui qu’elle a toujours échoué, renforçant ce qu’elle voulait étouffer.

histoirecoloniale.net
Site proposant un vaste corpus de référence de documents, études, réflexions et ressources sur l’histoire coloniale de la France (première et seconde colonisation), ainsi que sur ses traces dans la société française postcoloniale d’aujourd’hui.

https://blogs.mediapart.fr/histoire-coloniale-et-postcoloniale/blog/240624/en-kanaky-la-france-renoue-avec-la-deportation-coloniale

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « En Kanaky, la France renoue avec la déportation coloniale »

  1. NON à la justice coloniale et à la répression en Kanaky/Nouvelle-Calédonie

    Depuis décembre 2021, le gouvernement Macron a choisi son camp en prenant parti ouvertement pour les loyalistes. Il a préparé et présenté la loi constitutionnelle envisageant d’élargir le corps électoral en Nouvelle-Calédonie pour minoriser les Kanak sur leur territoire. Les indépendantistes ont d’abord commencé par se mobiliser pacifiquement depuis le mois d’octobre 2023 avec la création de la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain). Le vote de cette loi le 13 mai 2024 et la perspective de la réunion du congrès à Versailles fin juin 2024 ont mis le feu aux poudres. Macon en avait allumé la mèche.

    Le pays est en révolte et les milices loyalistes marchent aux côtés des forces de l’ordre de l’État français pour réprimer et assassiner les militants indépendantistes, au premier rang desquels se trouvent les Kanak, peuple colonisé.

    Depuis le 12 mai, l’État français mène une politique de criminalisation de l’action politique kanak. Il y a une moins une dizaine de personnes décédées, 1 260 gardes à vue, 210 déferrements, 93 incarcérations, plus de 340 interpellations en justice, et plus de 260 mesures de travail alternatif. Et les interpellations continuent.

    Onze responsables de la CCAT ont été arrêtés et incarcérés. Sept d’entre eux, 2 femmes et 5 hommes, viennent de passer devant la justice calédonienne et ont été immédiatement déportés vers les prisons françaises. Cette déportation est contraire aux droits démocratiques garantis par la convention européenne des droits de l’Homme.
    Afin de les isoler, l’État français a dispersé ces sept militants aux quatre coins de la France, à 17 000 kilomètres de leur famille :
    – Mulhouse pour M. Christian TEIN
    – Dijon pour Mme Brenda WANABO IPEZE
    – Bourges pour M. Guillaume VAMA
    – Blois pour M. Steeve UNË
    – Nevers pour M. Yewa WAETHEANE
    – Villefranche-sur-Saône pour M. Dimitri QENEGEI
    – Riom pour Mme Frédérique MULIAVA
    Mais qu’en est-il des loyalistes assassins des militants kanak à proximité des barrages ? Pas de déportation vers les prisons françaises en tout cas… si jamais incarcération il y eut en Nouvelle-Calédonie.

    Face à ce refus des droits fondamentaux des Kanak, l’AISDPK lance cette pétition demandant la libération immédiate et le retour en Kanaky des prisonniers politiques kanak déportés en France. 

    Le bureau de l’AISDPK

    https://www.change.org/p/non-à-la-justice-coloniale-et-à-la-répression-en-kanaky-nouvelle-calédonie?

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