Du fleuve à la mer, toutes et tous les êtres humains seront libres

  • Norman Finkelstein : En soutien aux manifestations étudiantes (États-Unis) : Construire une majorité pour la Palestine
  • Nous soutenons le mouvement pour la Palestine dans les universités et les grandes écoles
  • Yorgos Mitralias : Qu’attendent les étudiants grecs pour se mobiliser ?
  • Stop à la répression des étudiant·es dans nos universités !
  • Philippe Marlière : À propos des soutiens étudiants aux Palestiniens
  • Alyssa Mcmurtry : Les universités espagnoles brisent les liens avec les institutions israéliennes « non engagées pour la paix »
  • Communiqué du Conseil d’Administration de la Conférence des Recteurs et Rectrices des Universités Espagnoles (CRUE) sur la situation dans la Bande de Gaza
  • Liens vers d’autres textes

En soutien aux manifestations étudiantes (États-Unis) :
Construire une majorité pour la Palestine

Norman Finkelstein, universitaire spécialiste de l’Holocauste et militant pro-palestinien, exprime son soutien aux manifestations étudiantes, en insistant sur l’importance de la liberté d’expression ainsi que sur la nécessité d’unir la majorité des Américains autour de la solidarité avec Gaza.

Le 21 avril 2024, Norman Finkelstein, spécialiste de l’Holocauste et éminent militant pro-palestinien, a rejoint le campement de solidarité avec Gaza à l’université de Columbia. Finkelstein a exprimé son soutien et son admiration pour les étudiants protestataires, les invitant à se fixer pour objectif d’intégrer le plus grand nombre possible de personnes au mouvement de solidarité avec la Palestine et insistant sur l’importance capitale de la liberté d’expression et de la liberté académique pour la cause palestinienne. Nous reproduisons ici ses propos ; la transcription a été adaptée pour des raisons de longueur et de clarté.
Jacobin

Je ne souhaite pas me prévaloir de ma bonne connaissance de la question, et je tiens beaucoup à éviter de paraître condescendant ou paternaliste, ou de prétendre être omniscient en la matière. Je dirais simplement, sur la base de mon expérience, que ce qu’il y a de plus important, c’est l’organisation, les qualités de la direction du mouvement et la définition d’objectifs clairs.

Des objectifs clairs, cela signifie essentiellement deux choses. D’une part, des slogans qui doivent unir et non diviser. Dans ma jeunesse, quand j’avais votre âge, j’étais ce qu’on appelait à l’époque un maoïste – un partisan du président Mao en Chine. L’un de ses slogans les plus connus était « Unir le plus grand nombre pour vaincre le plus petit nombre ».

Cela signifie qu’à tout moment d’une lutte politique, vous devez déterminer comment unir le plus grand nombre et isoler la minorité en ayant un objectif clair à l’esprit. Il est évident que vous ne voudrez pas unir le plus grand nombre pour un but qui n’est pas le vôtre. Vous devez donc déterminer, en gardant votre objectif à l’esprit, quel est le slogan qui fonctionnera le mieux pour unir le plus grand nombre et vaincre le plus petit nombre.

J’ai été heureux de constater que le mouvement dans son ensemble, juste après le 7 octobre, ait spontanément, intuitivement, fait sien ce qui est à mon avis, le bon mot d’ordre : slogan « Cessez-le-feu immédiat ». Rétrospectivement, certains d’entre vous se demandent peut-être ce qu’il y avait de si remarquable dans ce slogan. N’était-il pas évident ? Mais réalité, les slogans politiques ne sont jamais évidents. Il y a toutes sortes d e routes, de voies et de chemins que les gens peuvent prendre et qui peuvent être, à mon avis, très destructeurs pour le mouvement. Il me semble qu’il ne s’agissait pas d’une décision émanant d’en haut, mais d’une intuition spontanée chez celles et ceux qui manifestaient, que le bon mot d’ordre tout de suite, c’est « Cessez-le-feu immédiat ».

Je dirais également qu’à mon avis, les slogans doivent être aussi clairs que possible et ne laisser aucune place à l’ambiguïté et aux mauvaises interprétations, qui peuvent être exploitées pour discréditer un mouvement. Ainsi, si vous prenez l’histoire des luttes, il y a eu le célèbre slogan qui remonte déjà à la fin des années 1800, « Journée de travail de 8 heures ». C’était un slogan clair.

Et plus récemment, vous vous en souvenez sûrement, malgré toutes les déceptions, à mon avis, autour de la candidature de Bernie Sanders, je crois que l’un des coups de génies qui a marqué sa candidature, parce qu’il avait derrière lui 40 à 50 ans d’expérience à gauche, c’est d’avoir avancé le mot d’ordre de « Sécurité sociale pour toutes et tous ». Vous vous demandez peut-être ce qu’il y a de si intelligent dans ce slogan. Il savait qu’il pouvait atteindre 80% des Américains avec un tel slogan. Il savait que « Abolir la dette étudiante », « Gratuité des frais de scolarité à l’université », tout cela trouverait un écho auprès d’une grande partie de son électorat potentiel. Il n’est pas allé au-delà de ce qui était possible à ce moment précis. Je suis persuadé qu’il a atteint ce que l’on pourrait appeler la « limite politique », la limite à ce moment-là de sa candidature, c’était sans doute « un emploi pour chacun.e », « un programme de travaux publics », « le New Deal vert », « la Sécu pour tout le monde », « Abolir la dette étudiante » et « Gratuité des frais de scolarité à l’université ». C’étaient les bons slogans. Et comme je l’ai dit, cela peut sembler banal, mais ça ne l’est pas. Il faut beaucoup de travail et une grande capacité d’écoute des besoins de l’électorat que vous essayez d’atteindre pour trouver les bons mots d’ordre.

Liberté pour Gaza, liberté d’expression !
Mon point de vue, c’est que certains des slogans du mouvement actuel ne fonctionnent pas. Mais c’est à vous que l’avenir appartient, pas à moi. Et je suis un fervent partisan de la démocratie C’est à vous de décider, mais à mon avis, vous devez choisir des slogans qui ne sont pas ambigus, qui ne laissent aucune marge de manœuvre à une mauvaise interprétation et qui sont le plus susceptibles, à un moment politique donné, d’atteindre le plus grand nombre de personnes. C’est mon expérience politique.

Je crois que le slogan « Cessez le feu maintenant » est le plus important. Sur un campus universitaire, ce slogan devrait être associé à celui de « liberté d’expression ». Si j’étais dans votre situation, je dirais « Free Gaza, free speech » – tel devrait être le mot d’ordre. Car je pense que, sur un campus universitaire, il est vraiment difficile à quiconque de défendre la répression de la libre parole.

Je crois que le slogan « Cessez le feu maintenant » est le plus important. Sur un campus universitaire, ce slogan devrait être associé à celui de « liberté d’expression »

Ces dernières années, en raison de l’émergence de la politisation des questions d’identité et de la culture de l’annulation sur les campus universitaires, toute la question de la liberté d’expression et de la liberté académique a été sérieusement obscurcie. Je me suis opposé à toute restriction de la liberté d’expression et je m’oppose à la « cancel culture » et à la politique identitaire au nom de la préservation de la liberté d’expression. Je dirai – non par orgueil, par souci d’affirmer mon ego ou pour proclamer « je vous l’avais bien dit », mais simplement pour établir les faits – que dans le dernier livre que j’ai écrit, j’ai explicitement dit que si l’on utilise la norme des sentiments blessés comme motif pour étouffer ou réprimer la parole, lorsque les Palestiniens protestent contre ceci, cela ou autre chose, les Israéliens vont utiliser l’argument des sentiments blessés, des émotions douloureuses, et tout ce langage et ce vocabulaire, qui se retournent si facilement contre ceux qui les ont utilisés au nom de leur propre cause.

Je dirai – non pas par orgueil, pour faire valoir mon égo ou pour affirmer que « je vous l’avais bien dit », mais simplement en tant que fait – que dans le dernier livre que j’ai écrit, j’ai dit explicitement que si l’on se fonde sur le critère du préjudice moral pour étouffer ou réprimer la parole, lorsque les Palestiniens protestent contre telle ou telle chose, les Israéliens utiliseront la notion de préjudice moral, d’émotions douloureuses, et tout ce langage et ce vocabulaire, qui se retournent si facilement contre ceux qui les ont utilisés au nom de leur propre cause.

C’était une catastrophe annoncée. J’ai écrit à ce sujet parce que je savais ce qui allait se passer, même s’il est évident que je n’aurais pas pu prédire l’ampleur de ce qui s’est passé après le 7 octobre. Mais il était absolument évident que cela allait arriver.

Pour moi, l’arme la plus puissante dont vous disposez est l’arme de la vérité et de la justice. Vous ne devriez jamais créer une situation où vous pouvez être réduit au silence sur la base de sentiments et d’émotions. Si vous avez écouté les déclarations [de Minouche Shafik, présidente de Columbia], il n’était question que de sentiments blessés, de peur. Ce langage a complètement corrompu la notion de liberté d’expression et de liberté académique.

Vous avez maintenant fait cette expérience et j’espère qu’à l’avenir, ce langage et ces idées seront rejetés par un mouvement qui se décrit comme appartenant à une tradition de gauche. C’est une véritable catastrophe lorsque ce langage s’infiltre dans le discours de gauche, comme c’est vous le voyez aujourd’hui.

Je vais être franc avec vous, et je ne prétends pas à l’infaillibilité – je me base simplement sur ma propre expérience en politique : Je ne suis pas d’accord avec le slogan « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre ». Il est très facile de l’amender et de dire simplement : « Du fleuve à la mer, les Palestiniens seront libres ». Ce simple petit amendement réduit considérablement la possibilité d’être manipulé et mal compris.

Mais lorsque j’entends dire que ce slogan provoque de la douleur, de l’angoisse, de la peur, je me pose une question simple. Que signifie le slogan « Nous soutenons les Forces de défense israéliennes » ? Les Forces de défense israéliennes sont actuellement une armée génocidaire. Pourquoi peut-on soutenir publiquement, en ce moment, un État et une armée génocidaires ?

Les mots ne semblent pas aussi provocateurs : « Nous soutenons les Forces de défense israéliennes ». Mais le contenu est dix mille fois plus offensant et plus scandaleux pour tout esprit et tout cœur civilisés que le slogan « De la rivière à la mer ». La seule raison pour laquelle ce slogan fait l’objet d’un débat – même si, comme je l’ai dit, je ne suis pas d’accord avec lui, mais c’est une autre question que de savoir si je suis d’accord ou non – est que nous avons rendu légitime cette notion selon laquelle les sentiments blessés sont un motif valable pour étouffer la liberté d’expression. Pour moi, c’est totalement inacceptable ; c’est totalement étranger à la notion de liberté académique.

Vous avez maintenant cette expérience et j’espère qu’à l’avenir, ce langage et ces concepts seront rejetés d’un mouvement qui se décrit comme appartenant à une tradition de gauche. C’est une véritable catastrophe lorsque ce langage s’infiltre dans le discours de gauche, comme c’est le cas aujourd’hui.

« L’arme la plus puissante dont vous disposez est l’arme de la vérité et de la justice. »

Certains d’entre vous diront peut-être que c’est une notion bourgeoise, que c’est une construction sociale, et toutes ces autres conneries. Je ne le crois pas du tout. On peut lire les défenses les plus éloquentes de la liberté d’expression sans entrave et sans frein chez des gens comme Rosa Luxemburg, qui était, à tout point de vue, une personne extraordinaire et une révolutionnaire extraordinaire. Mais en étant à la fois l’une et l’autre, elle n’acceptait aucune restriction au principe de la liberté d’expression, et ce pour deux raisons.

Tout d’abord, aucun mouvement radical ne peut progresser s’il n’est pas clair sur ses objectifs et sur ses éventuelles erreurs. Il faut toujours corriger le tir. Tout le monde fait des erreurs. À moins d’avoir la liberté d’expression, on ne sait pas ce que l’on fait de mal.

Deuxièmement, la vérité n’est pas l’ennemie des peuples opprimés, et elle n’est certainement pas l’ennemie du peuple de Gaza. Nous devons donc maximiser notre engagement en faveur de la liberté d’expression afin de maximiser la diffusion de ce qui est vrai sur ce qui se passe à Gaza – et ne fournir aucune occasion de réprimer cette vérité.

Qu’essayons-nous de réaliser ?
Vous faites dix mille choses bien, ce que vous avez réalisé et accompli me touche profondément, et le fait que beaucoup d’entre vous mettent leur avenir en jeu est très impressionnant. Je me souviens qu’à l’époque du mouvement contre la guerre du Viêt Nam, certains jeunes voulaient faire des études de médecine – et si vous vous faisiez arrêter, vous ne pouviez pas y accéder. De nombreuses personnes ont dû choisir entre se faire arrêter et défendre la cause. Ce n’était pas une cause abstraite – à la fin de la guerre, on estimait qu’entre deux et trois millions de Vietnamiens avaient été tués. C’était un spectacle d’horreur qui se répétait chaque jour.

Chacun se demandait s’il était prêt à mettre en péril son avenir. Beaucoup d’entre vous viennent de milieux où il a fallu se battre pour arriver là où vous êtes aujourd’hui, à l’université de Columbia. Je respecte donc profondément votre courage, votre conviction, et chaque fois que j’en ai l’occasion, je salue l’incroyable motivation et la ténacité de votre génération, qui est à bien des égards plus impressionnante que la mienne, car, dans ma génération, on ne peut nier que l’un des aspects du mouvement anti-guerre était le fait que l’appel sous les drapeaux concernait beaucoup de gens. On pouvait bénéficier d’un sursis pendant les quatre années d’université, mais une fois ce sursis écoulé, il y avait de fortes chances que l’on parte là-bas et que l’on en revienne dans un sac mortuaire.

Il y avait donc un élément de préoccupation personnelle. Alors que vous, les jeunes, vous le faites pour un petit peuple apatride à l’autre bout du monde. C’est profondément émouvant, impressionnant et stimulant.

Cela étant dit et pour revenir à mes remarques initiales, j’ai dit que tout mouvement doit se poser la question suivante : « Quel est son objectif ? Quel est son but ? Qu’est-ce qu’il essaie de réaliser ? Il y a de cela quelques années, le slogan du mouvement était « De la rivière à la mer ». Je me souviens que dans les années 1970, l’un des slogans était : « Tout le monde devrait savoir que nous soutenons l’OLP [Organisation de libération de la Palestine] » – ce qui n’était pas un slogan facile à crier sur la Cinquième Avenue dans les années 1970. Je me souviens très bien avoir regardé les toits et avoir attendu qu’un sniper me propulse vers l’éternité, alors que j’étais encore bien jeune.

Cependant, les choses sont très différentes lorsque vous êtes en fait une sorte de secte politique et que vous pouvez crier n’importe quel slogan, parce qu’il n’a aucune répercussion ni aucun écho dans l’opinion publique. Vous vous parlez essentiellement à vous-même. Vous installez une petite table sur le campus, vous distribuez de la documentation sur la Palestine ; vous pouvez peut-être trouver cinq personnes qui s’y intéressent. Il y a une grande différence entre cette situation et la situation dans laquelle vous vous trouvez aujourd’hui, où il y a un très grand nombre de personnes que vous pouvez toucher potentiellement et réellement.

Vous devez vous habituer à la nouvelle réalité politique, c’est-à-dire au fait qu’un grand nombre de personnes, probablement une majorité, sont potentiellement réceptives à votre message. Je comprends parfaitement qu’un mot d’ordre soit parfois ce qui donne du souffle à celles et ceux qui portent le mouvement. Il vous faut alors trouver le bon équilibre entre le souffle que vous voulez donner à votre mouvement et le public ou le groupe de personnes qui ne font pas partie du mouvement et que vous voulez toucher.

Je suis persuadé qu’il faut faire preuve – non pas dans un sens conservateur, mais dans un sens radical – dans des moments comme celui-ci, d’une responsabilité maximale pour s’extraire de son nombril, pour sortir de son ego en gardant toujours à l’esprit la question suivante : « Qu’essayons-nous de réaliser à ce moment précis ? » Qu’essayons-nous d’accomplir là out de suite ? ».

Norman G. Finkelstein
Norman G. Finkelstein est l’auteur de nombreux ouvrages sur le conflit israélo-palestinien. Le plus récent s’intitule I’ll Burn That Bridge When I Get to It ! Heretical Thoughts on Identity Politics, Cancel Culture, and Academic Freedom.
Source : Jacobin. 05.08.2024 :
https://jacobin.com/2024/05/norman-finkelstein-student-protests-gaza-free-speech
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70699

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Nous soutenons le mouvement pour la Palestine
dans les universités et les grandes écoles

L’intersyndicale de Sorbonne Université dénonce cette volonté d’imposer une opinion politique, par l’usage de la force préfectorale ou de l’intimidation. Ce n’est ni aux préfets ni aux élus territoriaux ou nationaux de définir ce qui doit être enseigné ou débattu dans les enceintes universitaires, pas plus à propos de Gaza que sur d’autres sujets.

Depuis quelques semaines, le mouvement de soutien aux palestinien.e.s dans les universités et les grandes écoles françaises a commencé à prendre de l’ampleur, tout d’abord à Science Po, puis plus récemment à la Sorbonne et dans d’autres universités. Les étudiant.e.s et personnels impliqués demandent un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza permettant de mettre fin à l’offensive israélienne commencée il y a plus de six mois et qui provoque des massacres et des destructions sans précédent. Ils réclament également la fin de l’occupation de la Cisjordanie qui dure depuis 1967.

Pour beaucoup, cela passe par la rupture des liens institutionnels avec les universités israéliennes complices du régime d’oppression à l’égard des Palestiniens, ou avec les grandes entreprises françaises, américaines ou israéliennes impliquées dans cette guerre, qui s’apparente de plus en plus à un génocide, et dans la colonisation et la situation d’apartheid que subissent les palestinien.ne.s. Les manifestants demandent aussi que les universités françaises expriment plus fortement leur solidarité avec les universitaires et étudiant.e.s palestinien.ne.s, victimes des bombardements, des privations et de nombreuses atrocités. Ce soutien doit aussi s’exprimer concrètement, via l’accueil des étudiant.e.s et des universitaires et l’octroi de bourses.

Ce mouvement s’exprime de manière pacifique, sous diverses formes, en particulier par des réunions publiques, des assemblées générales, des manifestations et l’occupation de campus et lieux symboliques. A Sorbonne Université, une première tentative de campement dans les locaux de Sorbonne mère par des étudiant.e.s a eu lieu lundi dernier mais elle s’est terminée très vite suite à une intervention violente de la police. Mardi, une AG sur la Palestine prévue à Clignancourt a été interdite par la présidence. Une deuxième tentative d’occupation a eu lieu hier place de la Sorbonne et s’est terminée de la même manière.

Plus généralement, nous assistons depuis le 7 octobre à une répression forte de toutes les expression du soutien à la Palestine, et le milieu académique ne fait pas exception. Ainsi, plusieurs conférences publiques au sujet de la Palestine ont été interdites dans certaines universités et la restriction de la liberté d’expression et la répression des mobilisations des étudiant·e.s sonnent comme une alarme extrêmement sinistre pour les libertés universitaires. L’évacuation brutale par les forces de l’ordre d’étudiant·e.s de Sciences Po Paris et de Sorbonne Université mobilisé·e.s pour la paix et en soutien au peuple palestinien ces derniers jours en sont des exemples révélateurs.

Par ailleurs, des étudiant·e.s ont fait l’objet de convocations par les services de lutte contre le terrorisme et des collègues universitaires ou chercheurs sont aussi traduits devant des commissions d’enquêtes ou disciplinaires internes en raison de leurs prises de position ou expressions à propos de la situation à Gaza.

Les motifs des mises en cause sont divers : « risque d’atteinte à l’ordre public », là où rien ne permet d’attester d’un tel risque, « antisémitisme » ou « apologie du terrorisme » pour qualifier des positions en défense des droits du peuple palestinien. La volonté de mise au pas de la libre expression dans les universités et d’imposer une censure officielle est en tous les cas manifeste, en particulier à propos de la situation au Proche-Orient, singulièrement à Gaza.

Dans plusieurs cas, ces interdictions ou annulations préalables de conférences ou ces dénonciations font suite à des pressions exercées par des responsables politiques : présidents de région, parlementaires, membres de l’exécutif (président de la République inclus). L’attitude de la présidence de la région Ile de France qui a décidé de suspendre les subventions publiques à Science Po, en raison du mouvement d’une partie de ses étudiant.e.s, est une illustration particulièrement choquante de cette volonté liberticide.

L’intersyndicale de Sorbonne Université dénonce cette volonté d’imposer une opinion politique, par l’usage de la force préfectorale ou de l’intimidation. Ce n’est ni aux préfets ni aux élus territoriaux ou nationaux de définir ce qui doit être enseigné ou débattu dans les enceintes universitaires, pas plus à propos de Gaza que sur d’autres sujets.

La répression du mouvement de soutien à la Palestine dans les universités et sur tout notre territoire doit cesser. Les occupations pacifiques en cours dans les universités ne doivent pas être stoppées par des interventions policières. Nous demandons le respect des franchises universitaires et de la liberté académique, le respect de l’indépendance des universitaires et des chercheurs, le rétablissement des libertés d’opinion et d’expression dans l’ESR comme partout ailleurs, et l’arrêt de toutes les poursuites envers les étudiant.e.s, les militant.e.s et les citoyen.ne.s ayant exprimé leur soutien au peuple palestinien.

Nous considérons également que les directions de nos universités doivent prendre en compte les revendications demandant la rupture des liens avec les institutions et entreprises impliquées dans l’occupation et la destruction de Palestine, ainsi que l’accueil des universitaires et étudiant.e.s palestinien.ne.s.

CGT Ferc Sup SU / SNTRS SU / SNASUB-FSU / CUCCP SU / FO ESR / SUD IDEES

https://aurdip.org/nous-soutenons-le-mouvement-pour-la-palestine-dans-les-universites-et-les-grandes-ecoles/

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Qu’attendent les étudiants grecs pour se mobiliser ?

Le mouvement étudiant pour la Palestine s’étend désormais partout, inspirant la résistance à la barbarie de nos temps 

Alors que le mouvement étudiant de solidarité avec les Palestiniens et de dénonciation de leur génocide par Israël s’intensifie aux États-Unis et s’étend maintenant à toute la planète, il y a des indices croissants qu’il arrive à influencer les rapports des forces centraux tandis qu’il est en train d’être reconnu comme un facteur majeur des développements internationaux d’importance décisive ! Ainsi, la « soudaine » prise des distances de Washington à l’égard du gouvernement Netanyahou qui a suivi (ou peut-être… précédé) l’acceptation par le Hamas du plan de paix du Qatar et de l’ Égypte, est principalement attribuée à la pression asphyxiante exercée sur le président Biden et l’establishment de la superpuissance mondiale par le mouvement de solidarité au peuple palestinien des étudiants américains.

Ce n’est donc pas un hasard si Marwan Bishara lui-même, le commentateur en chef d’Al Jazeera (que Netanyahu vient d’interdire en Israël), attribue l’accélération soudaine des développements politiques au Moyen-Orient et aux États-Unis au mouvement étudiant qui fait tache d’huile dans les universités américaines. Un mouvement qu’il qualifie, avec une insistance éloquente, de « facteur majeur » dans la succession des événements qui ont conduit le journal israélien Haaretz à titrer en première page que « Le Hamas a piégée Netanyahou »

Certes, ce mouvement, qui s’est étendu à plus de 120 universités et collèges américains, a comme toute première priorité le soutien au peuple palestinien. Cependant, il constitue aussi d’ores et déjà – de l’avis commun – un facteur majeur des développements cataclysmiques qui vont suivre les élections présidentielles de novembre prochain, et cela quel que soit leur vainqueur. Plus concrètement, l’émergence du mouvement de masse des jeunes en tant que troisième force indépendante, combatif et radicale face aux deux grands partis traditionnels états-uniens est en train de remodeler la carte politique et sociale des États-Unis, renforçant la gauche, les syndicats ouvriers, les mouvements sociaux et les autres forces déjà existantes dans leur conflit civil avec le trumpisme fascisant et ses milices, qui se profile à l’horizon. Un conflit civil au cœur même du capitalisme mondial, de l’issue duquel dépendra en grande partie l’avenir voire le sort du reste de l’humanité…

Entre-temps, la prolifération de ce mouvement des jeunes américains dans au moins 40 pays (à l’heure où nous écrivons ces lignes), constitue un événement d’une ampleur historique qui manifestement inquiète et même terrifie les possédants et leurs chancelleries. La preuve en est que presque partout, des États-Unis, de l’Allemagne et de la France au Maroc et au Nigeria, et de la Corée du Sud et de l’Inde aux Pays-Bas et au Kenya, la répression de ce mouvement non seulement dépasse en brutalité tous ce qu’on a connu précédemment (par exemple, la répression en Mai 68) et foule aux pieds cyniquement les droits démocratiques les plus élémentaires, mais elle est aussi combinée avec une campagne médiatique hystérique de dénigrement, visant à accoutumer les citoyens à ce que leurs libertés démocratiques ne soient plus qu’un lointain souvenir…

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Pays où le mouvement étudiant de
soutien aux Palestiniens s’est répandu

États-Unis, Grande-Bretagne, France, Belgique, Allemagne, Italie, Espagne, Danemark, Suisse, Inde, Australie, Bangladesh, Indonésie, Japon, Nouvelle-Zélande, Finlande, Mexique, Costa Rica, Jordanie, Liban, Espagne, Suisse, Suisse, Irak, Turquie, Tunisie, Canada, Argentine, Irlande, Pays-Bas, Autriche, Brésil, Corée du Sud, Thaïlande, Portugal, Suède, Afrique du Sud, Maroc, Algérie, Nigeria, Kenya, Bosnie, Serbie…
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Cependant, la liste des pays où ce mouvement de jeunesse a déjà proliféré ne nous rempli seulement d’optimisme. Elle nous remplit aussi de tristesse car il en manque un pays, notre pays, le mouvement étudiant grec ! Et ce n’est pas seulement que cette absence grecque constitue une infamie, une grande honte qui marquera la gauche grecque pour les années à venir. C’est aussi que le mouvement étudiant et la gauche grecque ratent aujourd’hui une occasion en or pour dénoncer en actes les relations très coupables entretenues par les universités grecques avec Israël et ses institutions. Qu’ils ratent également une bonne occasion pour dénoncer enfin (!) le soutien scandaleux offert par la Grèce de Mitsotakis à l’Israël de Netanyahou, ce qui fait de la Grèce le plus fidèle des alliés d’Israël en Méditerranée orientale et peut-être dans toute l’Europe. Et qu’ils sont finalement en train de manquer une opportunité historique de se joindre et de lutter ensemble avec ce qu’il y a de mieux aujourd’hui sur notre planète, afin de tenter de changer non seulement notre réalité grecque mais aussi le monde entier ! Vraiment, qu’attend le mouvement étudiant grec pour sortir de son apathie et répondre aux attentes qui sont maintenant exprimées quotidiennement par ces Palestiniens bombardés et affamés de la bande de Gaza martyrisée, quand ils déclarent que leur seul véritable espoir est maintenant ceux qu’ils appellent « nos frères », les étudiants en Amérique et dans le monde entier qui expriment leur solidarité et leur soutien par des actes et pas seulement par des mots ?

Mais il n’y a pas problème seulement avec le mouvement étudiant grec et la gauche grecque. Il y a aussi problème avec ces gens de gauche de par le monde, qui se retranchent derrière les « arguments » les plus incroyables tels que « oui, mais il ne faut pas oublier les crimes du Hamas » ou « les crimes des Ayatollahs », « oui, mais le mot d’ordre « de la rivière à la mer » est antisémite », « oui mais qu’est-ce que je vais dire à mon oncle à Tel Aviv », « oui mais Israël a aussi ses droits », etc. pour justifier leur silence (prolongé) ou leur absence des manifestations contre ce qui est un véritable crime contre l’humanité perpétré à Gaza, la définition même du génocide ! Le problème avec toutes ces personnes n’est pas seulement qu’elles font preuve d’une monstrueuse insensibilité aux souffrances sans précédent infligées par l’armée israélienne et les colons israéliens à des centaines de milliers de civils palestiniens, en particulier des femmes et des enfants. Un autre problème, au moins aussi important, est qu’ils tournent le dos à un mouvement de jeunesse planétaire qui est actuellement la seule force tangible dont dispose l’humanité pour affronter, avec quelque espoir de succès, les crises majeures qui la menacent directement : la catastrophe climatique, le risque d’une guerre intra-impérialiste généralisée et la déferlante fasciste.

Mais, c’est précisément parce que ce mouvement de jeunesse constitue le seul espoir de l’humanité qu’il ne fait aucun doute qu’il sera réprimé avec la plus grande férocité par ses ennemis de classe. Toutefois, dans la terrible confrontation qui se profile déjà à l’horizon, ce mouvement planétaire ne sera pas seul, isolé. Déjà aux États-Unis, il attire autour de lui tant les grands mouvements sociaux antiracistes, climatiques, féministes et autres qui ont vu le jour surtout durant la dernière décennie, que le mouvement syndical revivifié qui est en train de remporter victoire sur victoire après plusieurs décennies de crise et de recul. Et ce n’est pas un hasard si, toutes proportions gardées, on commence à voir se profiler la même chose même dans cette Europe où l’extrême droite ne cesse de se renforcer. Comme par exemple en Belgique (Gand) où le mouvement de soutien aux Palestiniens et celui contre la catastrophe climatique unissent leurs forces et leurs revendications. Ou encore en France, où la mobilisation étudiante (Sorbonne) contre le génocide des Palestiniens est activement rejointe par le mouvement Youth for Climate (fondé par Greta Thunberg) et des jeunes des banlieues défavorisées, tandis que dans le même temps la mobilisation commence à s’étendre aussi aux lycées de tout le pays.

Finalement, qui oserait, en ce mois de mai 2024, prétendre que la jeune génération ne résiste pas et ne se bat pas bec et ongles contre la barbarie de nos temps néolibéraux ? Partout sur terre, à l’Est comme à l’Ouest, au Nord comme au Sud. Partout, ici et maintenant…

Yorgos Mitralias
Traduit du grec

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Stop à la répression des étudiant·es dans nos universités !

« Nous exprimons notre vive inquiétude face à la présence croissante des forces de police dans l’enceinte des universités, en violation de la tradition de franchise universitaire visant à préserver la liberté et l’autonomie de la pensée. » Environ 700 enseignant·es, chercheur·ses et personnels des universités condamnent fermement le recours aux forces de l’ordre pour réprimer les étudiant·es mobilisé·es en faveur du respect du droit international à Gaza, ainsi que les interpellations visant à « freiner l’engagement d’une jeunesse informée et indignée ».

Nous, enseignant·es, chercheur·ses et autres personnels des universités, condamnons fermement le recours aux forces de l’ordre et l’intensification de la violence face aux étudiant·es mobilisé·es en faveur d’un cessez-le-feu et du respect du droit international à Gaza.

Nous exprimons notre vive inquiétude face à la présence croissante des forces de police dans l’enceinte des universités, en violation de la tradition de franchise universitaire visant à préserver la liberté et l’autonomie de la pensée. Les universités doivent rester des espaces où la liberté académique et la liberté d’expression peuvent pleinement se déployer.

Nous condamnons également les dizaines d’interpellations effectuées lors des évacuations d’universités, qui visent avant tout à freiner l’engagement d’une jeunesse informée et indignée.

Nous exprimons en outre notre indignation face aux violences verbales, physiques et sexuelles constatées au cours des évacuations d’occupant·es, notamment à Sciences Po Toulouse, Sciences Po Lyon, Sciences Po Paris et à l’université Paris 1 – Panthéon Sorbonne. 

Nous dénonçons enfin les nombreuses irrégularités constatées durant les gardes à vue des étudiant·es interpellé·es : refus par les policiers de contacter certain·es avocat·es proposé·es par les interpellé·es, privation du droit de prévenir un·e proche, non distribution de kits d’hygiène, impossibilité d’avoir accès à un médecin… 

Quelles que soient nos divergences d’opinion et d’analyse, nous sommes uni·es pour condamner le climat délétère qui règne actuellement dans les espaces publics, notamment universitaires. Les mobilisations étudiantes et leur répression font suite à des phénomènes de censure et d’autocensure au sein des universités, alors même que l’analyse des violences extrêmes et de leurs contextes historiques constitue l’un des sujets majeurs des sciences sociales. 

Nous appelons les autorités des universités à engager un véritable dialogue avec les étudiant·es et, de manière générale, à favoriser les interventions tant scientifiques que publiques sur les sujets qui préoccupent la communauté universitaire dans son ensemble ainsi que les citoyen·nes. Nous demandons instamment aux autorités universitaires de ne pas s’associer à la répression à laquelle appelle le gouvernement, en refusant aux forces de l’ordre l’accès aux institutions d’enseignement supérieur et en rappelant à leurs agents de sécurité les règles élémentaires devant encadrer leur intervention. Enfin, nous demandons la levée des éventuelles poursuites à l’encontre des étudiant·es interpellé·es.

Cette tribune est toujours ouverte à signatures, en cliquant ici.
Voir les signataires sur le site de Médiapart
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/110524/stop-la-repression-des-etudiant-es-dans-nos-universites

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À propos des soutiens étudiants aux Palestiniens

Les dirigeants politiques sont avant tout responsables du climat illibéral qui brime la liberté d’expression. Les protestations étudiantes pour Gaza sont légitimes et peuvent faire avancer la cause palestinienne. Les étudiants doivent cependant prendre conscience de leur responsabilité à un moment où la haine et la déraison l’emportent sur l’humanité élémentaire.

L’intervention de la police sur le campus de Sciences Po et de la Sorbonne à Paris pour y déloger des étudiants constitue une atteinte grave à la liberté d’expression, un droit fondamental dans toute démocratie. En occupant pacifiquement les lieux, ces étudiants ne faisaient que protester contre les massacres de Palestiniens perpétrés à Gaza par l’armée israélienne.

On peut être en désaccord avec certains discours ou slogans étudiants, estimer que certaines mises en scène sont discutables ou naïves, relever l’opportunisme de députés La France insoumise (LFI) en campagne électorale et accourus en soutien. Mais rien ne justifie le recours à une mesure aussi extrême que l’expulsion manu militari d’étudiants protestant contre le carnage en cours et la situation humanitaire catastrophique à Gaza.

Le droit de protester
Les occupations d’université sont une tradition ancienne bien ancrée dans la vie estudiantine. Celles-ci contribuèrent à déstabiliser le régime gaulliste en mai 68. Dans la France corsetée des années 1960, la jeunesse étudiante occupa les facs pendant plusieurs semaines.

Je n’appartiens pas à cette génération, mais je me souviens de l’occupation de mon université lors du mouvement étudiant contre la réforme Devaquet en 1986. Là encore, un gouvernement conservateur toléra la « chienlit », bon gré, mal gré. En 1968, les occupations et les manifestations firent vaciller le régime gaulliste. En 1986, elles poussèrent à la démission Alain Devaquet, le ministre de l’Enseignement supérieur.

On peut mesurer la brutale érosion des libertés publiques depuis une quarantaine d’années. Afficher des banderoles propalestiniennes sur la façade ou dans l’enceinte d’une université, porter un keffieh, afficher un drapeau palestinien ou scander des slogans en soutien à Gaza constitueraient des actes tellement insupportables qu’il faudrait les bannir par le biais de la force publique.

Le gouvernement n’agit pas seul. Il est soutenu dans cette voie liberticide par des acteurs qui devraient, au contraire, dénoncer ces atteintes aux libertés publiques. Valérie Pécresse, la présidente de la région Île-de-France, a réagi à l’occupation étudiante en annonçant la suspension des subventions à Sciences Po ; une gesticulation démagogique visant avant tout à faire parler d’elle.

Des universitaires se sont dits « consternés », tel Gilles Kepel, tandis qu’Élisabeth Badinter a qualifié « d’incultes en histoire » les étudiants. Gabriel Attal, le Premier ministre, a fustigé « les dérives d’une minorité agissante et dangereuse qui veut imposer à la majorité des étudiants, des enseignants, une idéologie d’outre-Atlantique ». Derrière la référence implicite au « wokisme » (le nouvel « islamo-gauchisme »), se cache un « dog whistle » d’extrême droite : un clin d’œil à un anti-américanisme viscéral, celui qui flatte un nationalisme franchouillard et réactionnaire.

Ces personnes publiques qui parlent avec autorité sont de fait ignorantes et incultes : les étudiants prennent depuis longtemps position en faveur des peuples dominés, agressés ou colonisés, de l’Algérie à l’Afrique du Sud en passant par le Vietnam.

On reproche à ces étudiants d’être sélectifs dans le choix des causes défendues. C’est un fait : le sort des Syriens, des Iraniens, des Afghans ou des Ouïghours, également oppressés et martyrisés par les régimes en place, ne suscite pas le même niveau de mobilisation, voire pas de mobilisation du tout. On peut également noter le surinvestissement de certains groupes étudiants ou mouvements de gauche en faveur de la Palestine, et leur total désintérêt du sort des Ukrainiens, également victimes de bombardements.

De fait, personne n’échappe à cette sélectivité. Nous nous intéressons de près aux questions politiques que nous comprenons, que nous jugeons importantes, mais aussi en fonction d’une histoire personnelle et d’affects. Les massacres d’Israéliens, le 7 octobre, et l’intervention militaire à Gaza ont révélé au public des « philosémites » très particuliers, issus d’une extrême droite traditionnellement antisémite, de Marine Le Pen à Giorgia Meloni. On le voit, personne n’est en mesure de faire la morale à qui que ce soit dans ce domaine.

L’exemple de Martin Luther King
Revenons à l’essentiel : l’intervention de la police dans les universités pour interdire des manifestations politiques d’étudiants est un réflexe de régime illibéral ; elle sape les fondements démocratiques de notre système politique.

La liberté d’expression est garantie par l’article 19 de la Déclaration universelles des droits de l’homme. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (un texte inclus dans le préambule de l’actuelle Constitution française) affirme que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

En fin de compte, faut-il être scandalisé par le désordre provoqué par des protestations étudiantes ou par les massacres de milliers de Palestiniens par l’armée israélienne ? Quelle que soit son allégeance politique ou sa religion, quel humaniste ne s’émeut-il pas de ces morts ? Quel démocrate peut encore soutenir sans réserve le gouvernement d’extrême droite, raciste et colonialiste de Benyamin Netanyahou ?

Cela dit, en affichant leur solidarité envers les Palestiniens, les étudiants doivent veiller à ne pas commettre une injustice : la sécurité des étudiants juifs et leur liberté de parole doivent être garanties sur les campus. Le conflit israélo-palestinien est une question très inflammable. Le meilleur moyen de faire résonner la cause palestinienne auprès du public est d’éviter tout dérapage sectaire ou antisémite, comme ce fut malheureusement le cas récemment sur le campus de l’université Columbia.

Le choix des mots importe : ressasser en boucle le slogan « Du fleuve [Jourdain] à la mer [Méditerranée], la Palestine sera libre », qui implicitement, selon ses détracteurs, dénie à Israël le droit d’exister, coupera court à tout mouvement de sympathie envers les étudiants, et braquera la grande majorité des juifs, qu’ils soient de gauche ou de droite, sionistes ou pas. (Notons que des Israéliens scandent le même slogan pour indiquer leur intention de chasser les Palestiniens de leurs terres, tandis que des Palestiniens, à l’image d’Edward Saïd, le revendiquent pour appeler à un État binational avec des droits égaux pour tous.)

Appliquer mécaniquement une grille de lecture décoloniale pour demander le « renvoi des sionistes en Pologne » choquera la majorité du public. Des étudiants américains ont exprimé cette exigence douteuse. Pourtant, ce n’est pas la revendication de la population palestinienne dans son ensemble. Cette dernière veut vivre en paix dans un État palestinien à côté d’Israël selon les modalités définies par le droit international, ainsi que la réalisation du droit au retour des réfugiés tel qu’adopté dans la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies.

Dans l’immédiat, ce qui compte, ce n’est pas de savoir si les massacres israéliens peuvent être qualifiés de « génocide » (dans son avis rendu le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice a considéré que des « actes de génocide étaient plausibles »). L’urgence est d’obtenir un cessez-le-feu immédiat, le retrait des troupes israéliennes, la libération des otages israéliens, de soigner les blessés, d’acheminer la nourriture et de reconstruire Gaza. À moyen terme, il doit être mis un terme à l’occupation des territoires palestiniens.

La tâche est aussi ardue que la situation est aujourd’hui désespérée pour les Palestiniens. Les étudiants pourraient s’inspirer de l’action de Martin Luther King qui, dans un environnement qui lui était hostile, sut faire avancer la cause des Noirs américains en pariant sur la non-violence et le didactisme.

Les dirigeants politiques sont avant tout responsables du climat illibéral qui brime la liberté d’expression. Les protestations pour Gaza sont légitimes et peuvent faire avancer la cause palestinienne. Cela étant dit, les étudiants doivent prendre conscience de leur responsabilité à un moment où la haine et la déraison l’emportent sur l’humanité élémentaire.

Philippe Marlière
Article original publié dans Middle East Eye, le 7 mai 2024.
https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/soutien-aux-palestiniens-dans-les-universites-francaises-le-doit-de-protester-entrave
Twitter : @PhMarliere
https://blogs.mediapart.fr/philippe-marliere/blog/100524/propos-des-soutiens-etudiants-aux-palestiniens

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Les universités espagnoles brisent les liens
avec les institutions israéliennes « non engagées pour la paix »

Elles ont aussi promis d’accroître la coopération avec les institutions palestiniennes de recherche et d’enseignement supérieur

OVIEDO, Espagne
La confédération des universités espagnoles (CRUE) a annoncé jeudi qu’elle coupera les liens avec les universités et les centres de recherche israéliens « qui n’ont pas exprimé un engagement ferme pour la paix et le respect du droit humanitaire international ».

La décision a été prise alors des étudiants et étudiants de toute l’Espagne ont commencé à camper sur les campus universitaires cette semaine, dans le cadre d’une vague mondiale plus large de manifestations étudiants pro-Palestine.

En reconnaissance des manifestations, CRUE a aussi promis d’intensifier la coopération avec les institutions palestiniennes de recherche et d’enseignement supérieur et d’étendre les programmes de coopération, de bénévolat et d’aide aux réfugiés.

CRUE, qui représente 76 universités privées et publiques en Espagne, a aussi promis jeudi de prendre des mesures contre toute conduite antisémite ou islamophobe à l’intérieur des universités.

L’annonce a été faite le lendemain du vote de l’université de Barcelone pour couper tous les liens avec Israël et l’université du Pays basque a pris une mesure analogue en avril.

Mercredi, Trinity College en Irlande a accepté de se désinvestir d’Israël après des manifestations étudiantes.

Mais le traitement des manifestants en Espagne et en Irlande contraste de manière frappante avec celui des manifestations étudiantes pro-palestiniennes ailleurs.

La vague de manifestations étudiantes a commencé à l’université Columbia de New York, où la police a dégagé les bâtiments et arrêté environ 300 étudiants.

À partir de là, d’autres incidents où des étudiants manifestant ont été arrêtés se sont répétés dans des dizaines d’autres universités américaines comme l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), l’université George Washington ou l’université du Texas à Austin.

Mercredi, le New York Times a rapporté que 270  personnes avaient été arrêtées ou détenues sur les campus dans tout le pays.

Des scènes similaires ont eu lieu en Europe, où les étudiants ont établi des campements et appelé aussi les universités à couper les liens avec Israël et à désinvestir.

À Amsterdam, la police a affronté les manifestants, arrêtant environ 125 étudiants, en essayant de dégager les barricades des étudiants. La police allemande a aussi dégagé un campement où des centaines d’étudiants manifestaient.

Parallèlement, à l’université Complutense de Madrid, où les étudiants ont occupé le campus, un groupe de musiciens et d’artistes est venu jeudi offrir de la musique live, un concert pour le programme de radio « Carne Cruda » et leur soutien à la cause palestinienne.

Alyssa Mcmurtry, 09.05.2024

https://www.aa.com.tr/en/world/spanish-universities-to-break-ties-with-israeli-institutions-not-committed-to-peace-/3214932
Traduction CG pour l’Aurdip
https://aurdip.org/les-universites-espagnoles-brisent-les-liens-avec-les-institutions-israeliennes-non-engagees-pour-la-paix/

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Communiqué du Conseil d’Administration de la Conférence des Recteurs et Rectrices des Universités Espagnoles (CRUE)
sur la situation dans la Bande de Gaza

Le Conseil d’Administration de la Conférence des Recteurs et Rectrices des Universités Espagnoles (CRUE) a annoncé jeudi qu’il coupera les liens avec les universités et les centres de recherche israéliens « qui n’ont pas exprimé un engagement ferme à la paix et au respect du droit international humanitaire ».

Le Conseil d’Administration de la Conférence des Recteurs et Rectrices des Universités Espagnoles (CRUE), réuni le 9 mai 2024, souhaite exprimer son plus profond regret face aux événements extrêmement graves qui se produisent en ce moment dans la Bande de Gaza.  

Les universités espagnoles ont déjà exprimé et réaffirmé à diverses occasions leur engagement permanent pour la paix, la cohabitation, la justice et la défense du droit international humanitaire sans empêcher qu’il ne soit profondément ébranlé par l’aggravation du conflit et par les pénibles conséquences qu’il entraîne pour la population palestinienne.

Nous faisons nôtre le sentiment de nos campus et la revendication qui s’étend à partir d’eux pour que diverses instances adoptent des mesures qui mettent un frein à l’escalade de la violence actuellement perpétrée.

Par conséquent, nous exigeons :

* L’arrêt immédiat et définitif des opérations militaires de l’armée israélienne, comme de toute action à caractère terroriste et la libération des personnes séquestrées par le Hamas.

* Que l’État d’Israël respecte le droit international et permette l’entrée à Gaza de toute l’aide humanitaire qui puisse être fournie pour répondre à l’urgence de sa population civile et que soient articulées les unes aux autres les mesures correspondantes des instances internationales pour assurer dès que possible la reconstruction et le redressement du territoire palestinien.

Nous nous engageons à :

* Revoir et, le cas échéant, suspendre les accords de coopération avec les universités et centres de recherche israéliens qui n’ont pas exprimé un engagement ferme à la paix et au respect du droit international humanitaire.

* Intensifier la coopération avec le système scientifique et d’enseignement supérieur palestinien et amplifier nos programmes de coopération, le volontariat et l’attention à la population réfugiée.

* Veiller à ce que, dans l’exercice de la liberté d’expression, ne se produisent des conduites également répréhensibles d’antisémitisme ou d’islamophobie, ainsi que tout autre comportement de haine au sein des communautés universitaires.

https://www.crue.org/2024/05/comunicado-de-crue-sobre-la-situacion-en-la-franja-de-gaza/
Traduction SF pour l’Aurdip
https://aurdip.org/communique-du-crue-sur-la-situation-dans-la-bande-de-gaza/

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Mouvement étudiant pour Gaza : entre mobilisation et polémiques
https://theconversation.com/mouvement-etudiant-pour-gaza-entre-mobilisation-et-polemiques-229056
76 universités espagnoles suspendent leurs liens avec des universités israéliennes complices
Décision novatrice de la Conférence des recteurs et rectrices d’université en Espagne de tenir Israël et ses institutions complices responsables du génocide israélien à Gaza et de son régime sous-jacent d’apartheid colonial des colons.
https://bdsmovement.net/news/76-universities-spain-suspend-ties-with-complicit-israeli-universities

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

3 réflexions sur « Du fleuve à la mer, toutes et tous les êtres humains seront libres »

  1. Yorgos Mitralias : De l’Afrique du Sud à Israël, l’État grec a toujours eu un faible pour l’apartheid

    Quand M. Mitsotakis criminalise, menace et réprime les étudiants qui défendent la légalité internationale !

    « Si certains pensent qu’ils peuvent répéter ce qu’ils ont pu voir dans d’autres pays et occuper des universités, planter des tentes et foutre le bordel, ils se trompent profondément ». Cette – si éminemment délicate – déclaration du Premier ministre grec, qui a suivi l’« évacuation » brutale de la faculté de droit le mardi 14 mai (28 arrestations), ne peut surprendre que les personnes non informées : l’État grec et ses gouvernements ont toujours eu un faible pour tout ce qui touche à l’apartheid et aux régimes d’apartheid ! Aujourd’hui Israël, jadis l’Afrique du Sud et la Rhodésie. Et ce, non seulement pour des raisons d’affinités électives idéologiques, mais surtout parce que les intérêts (matériels) des diverses élites grecques l’exigent. D’ailleurs, cette si manifeste « faiblesse » pour ces régimes monstrueux a presque toujours poussé l’État grec et ses gouvernements à braver les recommandations et les décisions de la soi-disant « communauté internationale » (ONU, etc.) et à violer les blocus économiques (embargos) imposés à ces régimes, tout en traitant d’« anarchistes », voire de « terroristes », ceux qui respectaient et voulaient appliquer ces décisions de la communauté internationale. En d’autres termes, un peu comme M. Mitsotakis le fait aujourd’hui…

    A cette époque pas si lointaine que ça car elle a duré pratiquement jusqu’à la fin de ces régimes d’apartheid, les tristement célèbres armateurs grecs perpétuant une longue tradition de leurs congénères, violaient allégrement l’embargo imposé par l’ONU à la Rhodésie raciste de Ian Smith. Et de l’autre coté, l’État grec et ses capitalistes se transformaient en un véritable « lavoir » des exportations sud-africaines, « afin d’obtenir le cachet grec et ne plus être soumises à l’embargo de l’ONU ». Et cette histoire continue aujourd’hui avec la bénédiction de l’actuel gouvernement grec de M. Mitsotakis, qui célèbre les succès de ces mêmes armateurs ou de leurs descendants qui font des milliards en violant ou/et en profitant des embargos en cours, « pour transporter le pétrole russe ». C’est ainsi que selon un très instructif article de Forbes publié le 16 mai, « les sanctions imposées après l’invasion de l’Ukraine ont fait grimper en flèche la valeur du pétrole, propulsant la fortune de plusieurs magnats grecs du transport maritime à des niveaux record et créant au moins sept nouveaux milliardaire ». Alors, vu que 9 sur 10 des médias grecs appartiennent à ces mêmes armateurs milliardaires, il est plus que « normal » qu’ils soutiennent pleinement les obsessions répressives de M. Mitsotakis contre ces étudiants qui persistent à vouloir empêcher de tourner en rond les affaires peu recommandables de ces messieurs avec des célébrités génocidaires et va-t-en guerre comme Vladimir Poutine et Bibi Netanyahou…

    A cette époque, ce fut donc l’ONU et son embargo, et aussi la campagne internationale de boycott de l’Afrique du Sud raciste. Aujourd’hui, ce sont les étudiants du monde entier, ceux qui – selon M. Mitsotakis – « occupent les universités, y plantent des tentes et foutent le bordel », parce qu’ils mènent une campagne analogue et veulent imposer un embargo analogue à l’Israël de l’apartheid. Comment ? En frappant les racistes là où ça leur fait le plus mal, dans leur portefeuille. Et malgré la répression féroce, avec des succès déjà notables.

    Comme par exemple en Espagne, où la Confédération des universités espagnoles (CRUE), qui regroupe 77 universités (50 publiques et 27 privées) vient de prendre la décision historique de rompre tout lien avec les universités et les entreprises israéliennes ! Et en plus, de renforcer les relations avec les universités palestiniennes et le système éducatif palestinien, tout en luttant contre l’antisémitisme et l’islamophobie ! Et tout ça grâce à la mobilisation des étudiants espagnols et catalans qui ont occupé leurs universités, et plus généralement… « y on semé le bordel » parce que tout simplement ils n’étaient pas suffisamment impassibles pour se contenter de suivre en direct sur leurs écrans de télévision le génocide des Palestiniens de Gaza. Tout comme cela s’est produit en Irlande, où le Trinity College a pris la décision de se désinvestir d’Israël à la suite de la mobilisation de ses étudiants. Et comme cela doit se passer partout où les universités ont développé des relations étroites avec cet Israël d’apartheid et ses institutions complices. C’est exactement de tout cela que nous parle le cofondateur de la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions), Omar Barghouti, dans l’entretien qu’il a accordé à Mediapart, et que nous reproposons par la suite.

    Alors, bien que provisoire, notre conclusion ne laisse pas de doutes: la bataille n’en est qu’à ses débuts et sera aussi féroce que le génocidaire Natanyahou et ses divers complices -genre Mitsotakis – semblent le souhaiter. Mais la cause ne pourrait être plus sacrée : la défense de la vie contre les adeptes de la destruction et de la mort !

    Yorgos Mitralias

    Omar Barghouti, cofondateur de BDS : « Aujourd’hui, il y a la peur de la Palestine en Occident »
    https://www.mediapart.fr/journal/international/100524/omar-barghouti-cofondateur-de-bds-aujourd-hui-il-y-la-peur-de-la-palestine-en-occident

  2. UN TÉMOIGNAGE INÉDIT D’ABDOURAHMAN A. WABERI
    Aux États-Unis, les étudiants se soulèvent pour la Palestine

    Depuis plusieurs jours, les étudiants occupent les campus des grandes universités étatsuniennes pour protester contre les crimes d’Israël à Gaza et contre la complicité de leur gouvernement. Enseignant à Washington dans l’une de ces facultés, l’écrivain Abdourahman A. Waberi est un témoin privilégié de cette mobilisation historique.

    https://afriquexxi.info/Aux-Etats-Unis-les-etudiants-se-soulevent-pour-la-Palestine

  3. GAZA/ISRAËL 2023-2024
    États-Unis. Les étudiants bousculent la complicité des universités avec Israël

    Du jamais-vu depuis les années 1970 : malgré les accusations d’antisémitisme et la répression, les étudiants américains se mobilisent en masse, y compris au sein de la communauté juive. Ils réclament notamment l’arrêt des financements de leurs universités par les marchands d’armes servant à massacrer les Palestiniens. Les manifestations sont si importantes que Joe Biden a dû menacer Tel-Aviv de suspendre certaines de ses livraisons d’armes.

    https://orientxxi.info/magazine/etats-unis-les-etudiants-bousculent-la-complicite-des-universites-avec-israel,7319

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