Appel à la justice et à la responsabilité pour les survivants et les victimes des attaques chimiques en Syrie (+ autre texte)

Dans une déclaration commune, des organisations syriennes et internationales de la société civile, des associations de victimes se déclarent en faveur des investigations à l’encontre de Bachar el-Assad s’agissant des attaques chimiques. « Ce n’est qu’en soutenant l’instruction française et les poursuites engagées en France que les victimes, les survivants et leurs familles pourront obtenir réparation. »

Nous sommes des organisations syriennes et internationales de la société civile et des associations de victimes unies dans notre appel à la justice et à la responsabilité pour les survivants et les victimes des attaques chimiques en Syrie.

Les ONG ont recensé des centaines d’attaques à l’arme chimique en Syrie. Les Nations Unies et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques ont mené des enquêtes approfondies sur un certain nombre d’attaques et ont identifié à plusieurs reprises le régime syrien, dirigé par Bachar el-Assad, comme en étant l’auteur. Elles constituent une violation flagrante du droit international, notamment du droit international humanitaire, du droit international pénal et du droit international des droits de l’homme.

Nous saluons les efforts des juges français qui enquêtent sur les attaques chimiques commises contre des civils à Douma et dans la Ghouta orientale en août 2013, qui ont entraîné la mort de plus de 1 000 civils.

Les juges d’instruction ont estimé qu’il existait une base suffisante pour délivrer des mandats d’arrêt à l’encontre de quatre hauts responsables du régime syrien pour leur responsabilité présumée dans ces attaques : le président syrien Bachar el-Assad, son frère le général de division Maher el-Assad, le commandant de facto de la 4e division blindée, ainsi que le général Ghassan Abbas, le directeur de la branche 450 du Centre d’Études et de Recherches Scientifiques syrien (CERS), et le général Bassam al-Hasan, le conseiller présidentiel pour les affaires stratégiques et officier de liaison entre le palais présidentiel et le CERS.

Ces mandats d’arrêt délivrés à l’encontre de Bachar el-Assad et d’autres responsables constituent une avancée considérable dans nos efforts collectifs pour que les responsables présumés répondent de ces crimes. 

Cependant, nous nous opposons fermement à la décision du Parquet national antiterroriste français de contester la validité du mandat d’arrêt à l’encontre de Bachar el-Assad. Les mandats d’arrêt visant les autres responsables syriens ne sont pas contestés et resteront en vigueur. Le parquet soutient qu’en tant que chef d’État en exercice, Bachar el-Assad serait exempt de tout procès et de toute poursuite en France.

Les chefs d’État ont traditionnellement bénéficié d’une immunité devant les tribunaux étrangers nationaux. Or, les dernières décennies ont été marquées par une érosion de l’immunité de l’État et de l’immunité fonctionnelle en vertu du droit international, afin de lutter contre l’impunité pour les crimes internationaux, notamment les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Il est désormais temps de remettre en cause l’immunité personnelle du chef d’État en exercice s’agissant de crimes internationaux. Dans le contexte des attaques chimiques en Syrie, la communauté internationale et le Conseil de sécurité des Nations Unies ont exigé à plusieurs reprises que tous les auteurs de ces attaques répondent de leurs actes.

L’impunité persistante pour ces crimes ne fait que perpétuer ce cycle de violence et de souffrance pour les victimes et les survivants. Elle nuit à l’État de droit international.

Cette contestation du parquet est en contradiction avec l’engagement et la direction de la France au sein du Partenariat contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques, coalition de plus de 40 États et de l’Union européenne. Elle contredit également la position constante du gouvernement français selon laquelle tous les auteurs d’attaques chimiques en Syrie doivent répondre de ces crimes. Plus grave encore, elle entrave les efforts extraordinaires des victimes et des survivants qui cherchent à obtenir justice et réparation au travers du système juridique français.

Nous demandons de toute urgence au gouvernement français d’affirmer son soutien à cette information judiciaire indépendante visant ceux dont la responsabilité pénale est susceptible d’être engagée, y compris Bachar el-Assad. Le gouvernement français doit clairement affirmer qu’il ne reconnaît aucune immunité à Bachar el-Assad pour son rôle dans les attaques à l’arme chimique. L’engagement de la France en faveur de la justice et de l’interdiction des armes chimiques doit être indéfectible.

Ce n’est qu’en soutenant l’instruction française et les poursuites engagées en France, ainsi qu’en déployant un effort international concerté pour faire appliquer les mandats d’arrêt français, que les victimes, les survivants et leurs familles pourront obtenir réparation. Ce n’est qu’en soutenant l’instruction française que pourra être effectivement respecté l’engagement universel pour l’interdiction de l’utilisation des armes chimiques et la poursuite des responsables de ces actes.

Nous appelons la France à envoyer au monde un message ferme : l’utilisation d’armes chimiques est interdite et tous les auteurs de ces crimes seront traduits en justice.

Signataires :
Syrian Center for Media and Freedom of Expression (SCM)
Mnemonic / Syrian Archive
Open Society Justice Initiative
Civil Rights Defenders
Adalaty
Adel Centre For Human Rights
Afrin Platform
Al-Ameen for Humanitarian Support
Amal Healing and Advocacy Center
Amal Organization
Amnesty International
Association of Victims of Chemical Weapons (AVCW)
Ayn Al Madina
Caesar Families Association (CFA)
Center for Enforcement of Human Rights International
Center for Justice and Accountability
Chemical Violations Documentation Center and Research (CVDCR)
Child Guardians
DAR Association for Victims of Forced Displacement
Derina Organization
Do Not Suffocate Truth Campaign
European Center for Constitutional and Human Rights
Families for Freedom Movement (FfF)
Fraternity Foundation for Human Rights
Free Syrian Lawyers Association (FSLA)
Guernica 37
Human Rights Guardians
Humanitarian Care Charity
HuMENA for Human Rights and Civic Engagement
International Bar Association’s Human Rights Institute
International Commission of Jurists
International Federation for Human Rights
Jana Watan
Justice for Peace
Lawyers and Doctors for Human Rights (LDHR)
Local Administration Councils’ Unit (LACU)
Local Development and Small-Projects Support (LDSPS)
Mahabad Organization for Human Rights “MOHR”
Mazaya Organization Women
Mizan Organisation for Legal Research and Human Rights
Montreal Institute for Genocide and Human Rights Studies
NAJOON Organization
Nuhanovic Foundation
Pro-justice
REDRESS
Sadad Humanitarian Organization
Sans Menottes
SEWAR Organization
Sobh Cultural Team
Synergy Association for Victims
Syria Spring Team
Syrian American Council
Syrian Center for Community Development (SCCD)
Syrian Center for Legal Studies and Research (SCLSR)
Syrian Forum
Syrian Legal Development Programme (SLDP)
TASTAKEL Women’s Organization
The Syria Campaign
The White Helmets
TRIAL International
Union of Free Syrian Students
Union of Revolutionary Bureaus (URB)
Women Now for Development (WND)
Women’s Organization for Transitional Justice
Women’s Support and Empowerment Center in Idlib
Zoom-In Organization

Les organisations qui souhaitent s’associer à cette déclaration doivent contacter :
info@scm.ngo, 
info@syrianarchive.org, 
info@justiceinitiative.org, 
info@civilrightsdefenders.org

https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/180524/appel-la-justice-et-la-responsabilite-pour-les-survivants-et-les-victimes-des-attaques

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Les juges français doivent confirmer le mandat d’arrêt émis
contre le Président syrien Bachar el-Assad

« Un dictateur impitoyable peut-il éviter d’être tenu responsable de l’utilisation d’armes chimiques contre sa propre population au motif qu’il jouit d’une immunité en tant que chef d’État en exercice ? ». Alors que la Cour d’appel de Paris rendra sa décision le 26 juin prochain sur cette question, Stephen Rapp – ancien Ambassadeur extraordinaire des États-Unis pour la justice pénale internationale sous l’administration Obama – plaide pour que l’immunité ne soit pas synonyme d’impunité. 

Un dictateur impitoyable peut-il éviter d’être tenu responsable de l’utilisation d’armes chimiques contre sa propre population au motif qu’il jouit d’une immunité en tant que chef d’État en exercice ?

La Cour d’appel de Paris rendra sa décision le 26 juin prochain sur cette question dans le cadre des poursuites pénales ouvertes en France contre le dirigeant syrien Bachar el-Assad pour les attaques chimiques d’août 2013.

La Cour internationale de justice (CIJ) a considéré en 2002 que les chefs d’État, chefs de gouvernement et ministres des affaires étrangères en exercice (la « troïka ») jouissaient d’une immunité personnelle devant les tribunaux étrangers nationaux – mais non devant les tribunaux internationaux. Cet arrêt suggère que Bachar el-Assad ne saurait être poursuivi devant les tribunaux français. Mais l’Histoire ne s’arrête pas là.

Bachar el-Assad ne peut pas être jugé par une juridiction internationale, la Syrie n’étant pas partie à la Cour pénale internationale (CPI) : celle-ci n’est pas compétente. En 2014, l’Etat français a présenté une résolution au Conseil de sécurité des Nations Unies pour que la situation en Syrie soit renvoyée devant la CPI, mais la Russie et la Chine y ont opposé leur veto.

Les victimes de ces attaques à l’arme chimique, dont certaines sont françaises, se sont donc tournées vers la justice nationale. En novembre 2023, après deux ans d’investigations, des juges d’instruction français ont émis des mandats d’arrêt à l’encontre de Bachar el-Assad, de son frère Maher el-Assad et de deux autres hauts responsables syriens.

L’affaire concerne les attaques à l’arme chimique commises contre la population civile de la Ghouta en août 2013. Autour de 1 400 personnes, dont des femmes et des enfants, y ont péri dans d’atroces souffrances et des milliers d’autres ont été blessés. Depuis, des organisations non gouvernementales syriennes et internationales, un Mécanisme d’enquête et une Commission d’enquête des Nations Unies, ainsi que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques  OIAC) ont mené des investigations sur ces crimes. Ces dernières ont permis de recueillir de nombreuses preuves attestant de la responsabilité de hauts responsables syriens, dont Bachar el-Assad lui-même.

Cependant, le Parquet national antiterroriste français a demandé l’annulation du mandat d’arrêt émis à l’encontre de Bachar el-Assad en raison de l’immunité du chef d’État. Les juges de la Cour d’appel de Paris sont aujourd’hui saisis de cette question.

Afin de protéger les relations inter-étatiques, le droit international reconnaît traditionnellement une immunité aux agents de l’État s’agissant des actes accomplis à titre officiel, ainsi qu’une immunité pour les actes accomplis à titre officiel et privé pour la troïka.

Néanmoins, la France a depuis longtemps rejeté l’idée que Bachar el-Assad soit le représentant légitime de la Syrie. En 2012, le Président François Hollande a reconnu la Coalition nationale syrienne des forces de l’opposition comme « la seule représentante du peuple syrien ». Le gouvernement français continue de maintenir cette position aujourd’hui.

Les immunités ne sont pas établies par des traités internationaux. Elles découlent du droit international coutumier, autrement dit de la pratique observée des États. Dans l’affaire jugée par la CIJ en 2002, trois des juges ont souligné dans des opinions séparées les précédents des juridictions nationales écartant l’immunité face aux crimes les plus graves.

L’immunité de l’État a ainsi été érodée au cours des vingt-deux années qui ont suivi l’arrêt de la CIJ. En ce sens, certains États ont fait l’objet de poursuites civiles pour des crimes internationaux. Par exemple, un Tribunal fédéral américain a ordonné à la Syrie de verser 280 millions d’euros à la famille de la journaliste américaine Marie Colvin. Cette dernière et le photographe français, Rémi Ochlik, ont été assassinés par l’armée syrienne à Homs en février 2012.

Comme l’immunité des États et celle de ses agents ne sont plus absolues devant les juridictions nationales, pourquoi maintenir l’exception tenace qui protègerait un Président en exercice soupçonné d’avoir commis des atrocités, tandis que cette immunité serait synonyme d’impunité ?

Une partie de la réponse réside dans l’arrêt de la CIJ quant à logique des immunités. Leur objectif est de permettre aux hauts fonctionnaires de représenter efficacement l’État. Cependant, depuis le début de sa répression brutale en 2011, Bachar el-Assad ne voyage plus et n’a pratiquement plus aucune activité diplomatique. Son régime a rejeté l’ensemble des institutions de la communauté internationale chargées de garantir la paix et la sécurité, ignorant les résolutions unanimes du Conseil de sécurité des Nations-Unies, portant atteinte de manière délibérée au travail de désarmement de l’OIAC, ne participant pas aux négociations en vue d’une nouvelle constitution syrienne soutenues par la communauté internationale…

En outre, Bachar el-Assad est un dictateur qui a hérité son poste de son père. Il s’est maintenu au pouvoir grâce à des réélections frauduleuses. Il ne compte clairement pas quitter ses fonctions un jour ou se soumettre à des poursuites judiciaires comme d’autres anciens dirigeants ont pu l’être.

La France a joué un rôle de premier plan dans l’interdiction des armes chimiques en ratifiant le protocole de Genève en juin 1925, il y a près de 100 ans. La France a conduit le Conseil de sécurité des Nations Unies à demander à plusieurs reprises que les auteurs d’attaques chimiques en Syrie répondent de leurs actes. 

Les 193 États parties à la Convention sur l’Interdiction des Armes Chimiques, y compris la Syrie, reconnaissent que ces derniers doivent être punis et ne prévoient aucune exception en matière d’immunité.

Les juges d’appel peuvent permettre qu’un procès contre Bachar el-Assad se tienne un jour. Les juges d’appel peuvent limiter ce précédent aux dirigeants de régimes hors-la-loi dont les actions sont sanctionnées par la communauté internationale. Une telle décision n’aurait aucune incidence sur les dirigeants qui coopèrent régulièrement avec les institutions mondiales et se conforment aux normes établies.

Pour que l’interdiction de l’utilisation d’armes chimiques soit effective, celle-ci doit s’étendre à Bachar el-Assad, soupçonné de porter l’immense responsabilité d’avoir violé cette interdiction au cours du siècle. Ceci ne peut être réalisé que si les juges français font primer les droits des victimes sur les règles procédurales de l’immunité à l’égard de ceux qui s’inscrivent en violation du droit international. Comme la CIJ l’a elle-même déclaré dans son arrêt de 2002, l’immunité ne doit pas être synonyme d’impunité.

Stephen Rapp
Stephen Rapp était Ambassadeur extraordinaire des États-Unis pour la justice pénale internationale sous l’administration Obama.
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/170524/les-juges-francais-doivent-confirmer-le-mandat-darret-emis-contre-le-president-syrien

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

2 réflexions sur « Appel à la justice et à la responsabilité pour les survivants et les victimes des attaques chimiques en Syrie (+ autre texte) »

  1. Pourquoi la CIJ n’est-elle pas plus audacieuse concernant la Syrie ?

    Un an après la plainte du 8 juin 2023 et six mois après que la Cour internationale de justice (CIJ) ait ordonné des mesures contre le gouvernement syrien, torture et violations des droits humains se poursuivent, comme l’a rapporté la Commission d’enquête internationale indépendante de l’Onu. Veronica Bellintani, Adrian Lakrichi et l’avocat syrien Mouhanad Sharabati, du Programme syrien de développement juridique, demandent à la Cour onusienne de prendre des mesures plus audacieuses.

    https://www.justiceinfo.net/fr/132850-pourquoi-cij-pas-plus-audacieuse-syrie.html?mc_cid=98800641b4

  2. En France, un premier procès syrien par défaut

    Le procès de trois hauts responsables syriens s’est ouvert le 21 mai devant la cour d’assises de Paris. Jugés en leur absence, ils sont accusés de complicité de crimes contre l’humanité et de délits de guerre. Un procès symbolique pour la France. Et pour Obeida Dabbagh, l’aboutissement de plus de dix ans de lutte, où il a remué ciel et terre pour son frère et son neveu disparus.

    https://www.justiceinfo.net/fr/132324-france-premier-proces-syrien-par-defaut.html

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