États et entreprises doivent cesser immédiatement d’envoyer des armes à Israël (et autres textes)

  • Peter Beaumont : En Cisjordanie occupée, l’armée israélienne transfère ses pouvoirs à des fonctionnaires favorables à la colonisation
  • UNRWA : La famine s’ajoute au déplacement : les réfugiés palestiniens privés des ressources essentielles alors que la guerre fait rage à Gaza. Récits
  • Ruth Michaelson et Kaamil Ahmed : L’UNRWA accuse Israël d’empêcher fréquemment l’acheminement de l’aide à Gaza
  • Une nouvelle enquête mondiale sur l’assassinat de journalistes à Gaza
  • FIDH : Les institutions financières européennes investissent des milliards dans des entreprises d’armement qui vendent des armes à Israël
  • Appel Urgent à la suspension de la participation d’Israël aux programmes de recherche de l’UE, suivant l’ordonnance provisoire de la CIJ sur le génocide à Gaza
  • Nicolas Boeglin : Gaza / Israël : à propos de la déclaration de la Palestine reconnaissant la compétence de la CIJ et demandant à intervenir en l’affaire Afrique du Sud contre Israël
  • États et entreprises doivent cesser immédiatement d’envoyer des armes à Israël, au risque d’être considérés responsables de violations des droits humains, déclarent des experts de l’ONU
  • Ilan Pappé : Israël – L’effondrement du sionisme
  • Liens vers d’autres textes

En Cisjordanie occupée, l’armée israélienne transfère ses pouvoirs à des fonctionnaires favorables à la colonisation

L’armée israélienne a discrètement transféré d’importantes prérogatives juridiques en Cisjordanie occupée à des fonctionnaires pro-colons travaillant pour le ministre d’extrême droite Bezalel Smotrich [ministre des Finances et ministre au Ministère de la Défense depuis décembre 2022].

Un ordre publié par les Forces de défense israéliennes (FDI) sur leur site web le 29 mai transfère la responsabilité de dizaines de règlements de l’Administration civile – l’organisme israélien qui gouverne en Cisjordanie – de l’armée à des fonctionnaires dirigés par Smotrich au ministère de la Défense.

Smotrich et ses alliés considèrent depuis longtemps que le contrôle de l’Administration civile, ou de parties importantes de celle-ci, est un moyen d’étendre la souveraineté israélienne en Cisjordanie. Leur objectif ultime est le contrôle direct par le gouvernement central et ses ministères. Le transfert réduit la probabilité d’un contrôle juridique de l’expansion et du développement des colonies.

Les hommes politiques israéliens cherchent depuis longtemps à trouver des moyens de s’emparer définitivement, ou d’annexer, la Cisjordanie occupée, dont ils se sont emparés en 1967 et où vivent des millions de Palestiniens.

Michael Sfard, avocat israélien spécialisé dans les droits de l’homme, a déclaré : « L’essentiel est que [pour] tous ceux qui pensaient que la question de l’annexion était floue, cette ordonnance devrait mettre fin à tous les doutes. Ce qu’elle fait, c’est transférer de vastes pans du pouvoir administratif du commandant militaire à des civils israéliens travaillant pour le gouvernement. »

Il s’agit du dernier coup d’éclat de Smotrich, qui est devenu ministre des Finances et ministre de la Défense à la suite d’un accord de coalition entre son parti d’extrême droite et le Likoud du Premier ministre Benyamin Netanyahou.

L’Administration civile est principalement responsable de la planification et de la construction dans la zone C de la Cisjordanie – les 60% des territoires palestiniens occupés sous le contrôle administratif et sécuritaire total d’Israël – ainsi que de l’application de la loi contre les constructions non autorisées, qu’elles soient le fait de colons israéliens ou de Palestiniens.

Le transfert de lois, qui n’a pas été très souligné en Israël, fait suite à une campagne de plusieurs années menée par des politiciens favorables à la colonisation pour s’approprier une grande partie des pouvoirs juridiques précédemment exercés par la chaîne de commandement militaire.

Ces lois couvrent tous les domaines, de la réglementation de la construction à l’administration de l’agriculture, de la sylviculture, des parcs et des lieux de baignade. Les juristes ont depuis longtemps mis en garde contre le fait que le transfert de ces lois d’un contrôle militaire à un contrôle politique accentuerait le fait de mettre Israël en conflit avec les responsabilités qui lui incombent en vertu du droit international. Après son entrée au gouvernement, Smotrich s’est empressé d’approuver des milliers de nouveaux logements dans les colonies, de légaliser des avant-postes sauvages précédemment non autorisés et de rendre plus difficiles la construction de logements et la circulation des Palestiniens [1].

Selon les médias israéliens, des fonctionnaires américains auraient discuté en privé de la possibilité d’imposer des sanctions à Bezalel Smotrich en raison de son impact déstabilisateur sur la Cisjordanie, où il vit dans une colonie illégale au regard du droit international.

Netanyahou dépend de plus en plus du soutien de Smotrich et d’autres éléments d’extrême droite de sa coalition gouvernementale depuis que l’ancien ministre de la Défense modéré, Benny Gantz, a quitté le cabinet de guerre d’urgence d’Israël à la suite d’une querelle sur la stratégie à adopter dans la guerre de Gaza et sur la manière de rapatrier les otages israéliens détenus par le Hamas [voir sur ce que révèle le départ de Gantz l’article de Meron Rapoport publié sur ce site le 19 juin].

Smotrich n’a jamais caché son désir de se créer son propre bastion au sein du ministère de la Défense afin de poursuivre ses politiques, minimisant l’importance de cette question en la qualifiant de purement technique.

En avril, il a nommé un allié idéologique de longue date, Hillel Roth, au poste d’adjoint de l’Administration civile chargé de faire respecter les règles de construction dans les colonies et les avant-postes.

Hillel Roth est un ancien résident d’Yitzhar, une colonie de Cisjordanie réputée pour sa violence et son extrémisme. Il a été fonctionnaire de Bnei Akiva, une ONG liée au parti sioniste religieux de Smotrich.

Michael Sfard a déclaré que ce transfert signifiait que le pouvoir légal en Cisjordanie était désormais entre les mains d’un « appareil dirigé par un ministre israélien […] dont le seul intérêt est de promouvoir les intérêts israéliens ».

Tout aussi important, selon Michael Sfard, est le fait que, bien que le chef de l’administration civile soit un officier subordonné au commandement militaire, Hillel Roth est un civil qui relève de Smotrich.

Le point de vue de Michael Sfard fait écho à un avis juridique publié l’année dernière par trois juristes israéliens qui ont averti que le transfert de pouvoirs de l’armée équivaudrait à une annexion en droit, étant donné que Smotrich « se considère engagé avant tout à promouvoir les intérêts des colons israéliens en Cisjordanie, plutôt que le bien-être des résidents palestiniens ».

Mairav Zonszein, analyste principal pour Israël-Palestine au International Crisis Group, a déclaré : il ne s’agit plus d’une « annexion rampante » ou d’une « annexion de facto », mais bien d’une annexion réelle. « Il s’agit de la légalisation [et] de la normalisation d’une politique à long terme. Smotrich est en train de rétablir le mode de fonctionnement de l’occupation en retirant une grande partie des responsabilités aux militaires. La moitié des personnes qu’il a fait entrer au ministère de la Défense viennent de l’ONG israélienne Regavim, favorable aux colons. Les mêmes personnes qui ont travaillé à Regavim pour éliminer les Palestiniens de la zone C occupent aujourd’hui des postes au sein du gouvernement. »

[1] Ce 21 juin, le New York Times dans un article de Natan Odenheimer, Ronen Bergman and Patrick Kingsley indique : « Un membre influent de la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré aux colons de la Cisjordanie occupée par Israël que le gouvernement était engagé dans un effort discret visant à modifier de manière irréversible la manière dont le territoire est gouverné, afin de renforcer le contrôle d’Israël sur celui-ci sans être accusé de l’annexer formellement. Dans un enregistrement d’une intervention, on peut entendre le haut responsable, Bezalel Smotrich, suggérer lors d’une réunion privée au début du mois que l’objectif était d’empêcher la Cisjordanie de faire partie d’un Etat palestinien. »
Sur cette colonisation guerrière accélérée de la Cisjordanie, les lectrices et lecteurs du site peuvent aussi écouter l’intervention de Gwenaëlle Lenoir – journaliste indépendante, spécialiste du monde arabe et de l’Afrique de l’Est – en introduction de l’émission de France Culture «Cultures Monde» du 21 juin 2024.
Gwenaëlle Lenoir a publié le 20 juin un long reportage sur le site
de Mediapart, ayant trait à la situation « dans les territoires occupés », justement qualifiée de : « C’est l’autre guerre d’Israël ». (Réd.)

Peter Beaumont (Jérusalem)
Article publié par le quotidien The Guardian le 20 juin 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/moyenorient/palestine/en-cisjordanie-occupee-larmee-israelienne-transfere-ses-pouvoirs-a-des-fonctionnaires-favorables-a-la-colonisation.html

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La famine s’ajoute au déplacement :
les réfugiés palestiniens privés des ressources essentielles alors que la guerre fait rage à Gaza. Récits

Alaa travaillait comme tailleur à Beit Lahia, dans la bande de Gaza. Père fier de quatre enfants dont trois sont atteints de thalassémie, une maladie du sang qui exige la disponibilité d’aliments nutritifs pour leur survie. Plus la qualité de leur alimentation est bonne, plus ses enfants peuvent espacer les transfusions sanguines. Par conséquent, le manque de soins médicaux et la pénurie de nourriture dans la bande de Gaza ravagée par la guerre – en particulier de repas frais et nutritifs – sont pour eux une condamnation à mort potentielle.

Avant la guerre, Maysarah, 23 ans, Abdullah, 21 ans, et Samir, 18 ans, avaient besoin de transfusions sanguines toutes les deux semaines, en fonction de la qualité de leur alimentation. La malnutrition résultant de la guerre signifie qu’ils ont maintenant besoin de transfusions toutes les semaines. La pénurie de médicaments met également leur vie en danger.

Alaa raconte l’histoire du déplacement de sa famille, qui n’a pas de fin en vue étant donné que leur maison et son magasin ont été détruits. « Au début, nous avons quitté notre maison à Beit Lahia après avoir reçu des ordres d’évacuation et nous sommes allés à l’école Fakhoura de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), en espérant que ce serait un endroit sûr. Elle se trouvait également à proximité d’un hôpital, ce qui est important étant donné que mes enfants ont besoin de transfusions sanguines. Mais rapidement, les tirs d’obus autour de nous se sont intensifiés, et l’école dans laquelle nous étions abrités a fini par être touchée. Nous nous sommes enfuis pieds nus, sans rien emporter. Je courais dans les rues avec mes enfants, les obus tombaient autour de nous et les maisons s’effondraient sur les routes. Je ne sais pas comment nous avons survécu, mais nous avons survécu. Beaucoup de gens autour de moi ont été tués. Lorsque nous avons atteint l’hôpital pour enfants Al-Nasr, nous y sommes restés. »

Une fois de plus, ils ont été contraints de fuir lorsque l’hôpital a été bombardé. « La foule était terrifiée. J’avais peur que l’un de mes enfants tombe malade et que je ne sois pas en mesure de le protéger des gens qui se précipitaient pour quitter la zone. Des milliers de personnes se pressaient devant l’hôpital et les avions de guerre le bombardaient. Je me souviens de deux enfants qui ont été tués ce jour-là », raconte-t-il, l’air bouleversé.

« Lorsqu’ils ont annoncé l’opération sur Rafah, nous avons déménagé à nouveau dans la région de Mawasi [bande de terre d’un kilomètre de large et de 14 de long, le long de la côte, présentée comme un « lieu sûr » pour les déplacés]. Je n’ai pas trouvé d’endroit proche d’un hôpital dans le sud, alors je me suis résigné à la situation et j’ai installé une tente à Mawasi, ici dans le désert, sur ces dunes de sable. Il n’y a pas de source d’eau ni d’hôpital à proximité. Alors que je construisais notre tente, Abdullah s’est effondré devant moi. Comme je ne trouvais pas de moyen de transport pour l’emmener à l’hôpital Al-Aqsa, je l’ai porté. L’hôpital était rempli de personnes tuées et blessées par les bombardements en cours. Je n’ai pas trouvé de lit libre pour lui, c’était le chaos total ! Il y avait du sang partout, des corps jonchaient le sol de l’hôpital. Lorsque le médecin a examiné mon fils, il a constaté qu’il avait besoin d’unités de sang immédiatement. L’hôpital n’avait pas d’unités de sang thérapeutiques disponibles en raison du grand nombre de patients traumatisés qui avaient également besoin de transfusions sanguines », se souvient Alaa.

Alaa a quitté l’hôpital pour chercher un donneur. « J’ai fait le tour des passants pour leur demander de donner leur sang. Je les ai pratiquement suppliés, mais beaucoup m’ont dit qu’ils n’avaient pas mangé et qu’ils craignaient de s’évanouir. J’ai trouvé un jeune homme prêt à donner son sang. Lorsque je suis retourné à l’hôpital, mon fils Abdullah était déjà mort. Abdullah est mort et a été délivré de ce monde injuste », raconte Alaa.

Les souffrances de la famille Abu Al-Nasr se poursuivent, le manque de nourriture saine faisant courir à leurs autres enfants le risque de subir le même sort qu’Abdullah.

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L’UNRWA continue de soutenir les personnes déplacées, où qu’elles se trouvent, avec l’aide disponible, dans la mesure du possible. La famille Abu Al-Nasr reçoit sa ration alimentaire de l’Office et une aide médicale d’une clinique locale de l’UNRWA. Cependant, cela est loin d’être suffisant.

Fares Qandeel, 69 ans, est également déplacé. Il est originaire de Sabra, quartier de la ville de Gaza. Il était mécanicien automobile et se lançait dans l’immobilier lorsque son emploi du temps le lui permettait. Son parcours de déplacé a connu cinq étapes jusqu’à présent. Tout d’abord, il a fui Sabra pour Deir al-Balah, puis Rafah. Lorsque les ordres d’évacuation ont été donnés pour Rafah, il a été forcé de déménager à Khan Younès. De là, il se trouve maintenant à Zawaida, au centre de Gaza.

Fares Qandeel souffre de maladies chroniques telles que le diabète et l’hypertension, ce qui a rendu difficile les déplacements fréquents, en particulier sans médicaments pour gérer ses maladies. La peur l’a envahi lorsqu’il a été témoin de l’arrestation de Palestiniens au cours de ses déplacements. Il a également été témoin de harcèlements et de meurtres, et de personnes obligées de se déshabiller et de se débarrasser du peu d’affaires qu’elles avaient sur elles pour passer les points de contrôle. Il nous a dit qu’il avait craint de mourir à plusieurs reprises, car sa maison avait été partiellement bombardée, avec des obus d’artillerie présents encore à l’intérieur, ce qui la rendait inhabitable.

Au milieu de tous ces traumatismes, c’est la crise de la faim provoquée par « l’intervention humaine » qui frappe Fares le plus durement. Fares, comme d’autres personnes déplacées, reçoit une aide de l’UNRWA, distribuée à l’intérieur des abris de l’Office. Cette aide comprend des conserves et de la farine. Mais les restrictions d’accès dans et autour de la bande de Gaza ont entravé le flux d’aide, qui n’est jamais suffisant pour répondre aux besoins énormes de près de deux millions de personnes déplacées.

Parlant des souvenirs de ses voyages, Fares se souvient de sa visite à Jérusalem en 1972. Il se souvient qu’il avait l’habitude de prier dans la [grande et ancienne] mosquée Al-Omari à Gaza [détruite le 8 décembre 2023 par l’aviation israélienne] et de faire des achats dans le Souk Al-Zawiya de la ville, confiant qu’il reviendrait un jour. « Les dirigeants du monde doivent s’attaquer sérieusement à ce problème et nous soutenir, nous et notre peuple. Nous avons assisté à des moments de la tragédie du déplacement, depuis la famine et les bombardements intenses jusqu’à la destruction. Cette tragédie terrifiante doit cesser », insiste-t-il.

[1] Le mardi 25 juin, Philippe Lazarrini, commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), donnait une conférence de presse à Genève. Dans la partie initiale, il a résumé ainsi un enjeu qui fut et est encore au centre des « débats » sur le financement de l’UNRWA dont la régularité et l’ampleur déterminent sa capacité à agir. Et, conjointement, révèlent les initiatives d’Israël et de certains pays pour dissoudre sa fonction historique.
Sobrement, Philippe Lazzarini faisait le constat :  «Fondamentalement, nous savons qu’une partie de la raison du ciblage de l’agence, y compris par le biais d’efforts législatifs et de déclarations politiques, est liée au statut de réfugié des réfugiés palestiniens que beaucoup 
voudraient voir retiré. » De plus, Philippe Lazzarini a insisté sur les implications d’un tel précédent pour d’autres agences dans un contexte de « crise humanitaire ». Face aux « voix » qui au moyen de leur « ciblage » suggèrent des alternatives à l’UNRWA et à son statut établi dès 1949 – dont la mission est déterminante pour les réfugiés palestiniens à Gaza comme en Cisjordanie, au Liban, en Syrie, en Jordanie –, Philippe Lazzarini indiqué : « J’ai également discuté avec un membre de la Commission consultative (Advisory Commission) du rôle essentiel que l’agence peut jouer et qu’elle joue actuellement en tant qu’épine dorsale restante de la réponse humanitaire à Gaza. »
Il est possible de suivre la conférence de presse de Philippe Lazzarini, avec une traduction française par prompteur, 
en cliquant sur ce lien. Il y mentionne diverses facettes que le terme « crise humanitaire » euphémise. Il suffit pour cela d’en citer une soulignée par Philippe Lazzarini : « Les chiffres sont stupéfiants: on parle de 4 000 enfants disparus et de 17 000 enfants non accompagnés, soit plus de 20 000. Ces chiffres s’ajoutent aux 14 000 enfants qui auraient été tués depuis le début de la guerre. » Des données qui font écho aux ordonnances de mars et mai 2024 de la Cour internationale de Justice. (Réd.)

Texte publié sur le site de l’UNRWA le 25 juin 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/moyenorient/palestine/la-famine-sajoute-au-deplacement-les-refugies-palestiniens-prives-des-ressources-essentielles-alors-que-la-guerre-fait-rage-a-gaza-recits.html

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L’UNRWA accuse Israël d’empêcher fréquemment
l’acheminement de l’aide à Gaza

L’agence humanitaire des Nations Unies déclare que les autorités entravent les opérations en n’accordant pas les permis d’accès demandés

L’agence de secours des Nations Unies pour les Palestiniens, la plus grande organisation d’aide opérant à Gaza, a déclaré que les autorités israéliennes l’empêchaient fréquemment d’acheminer l’aide et entravaient ses opérations dans le territoire.

« Nous recevons très peu de réponses positives à nos demandes de livraison d’aide et d’autorisation de circuler dans la bande de Gaza », a déclaré Tamara Alrifai, directrice des relations extérieures de l’UNRWA.

Mme Alrifai a déclaré que l’organisation restait en contact avec le COGAT, l’organisme israélien qui supervise les territoires palestiniens et coordonne les groupes d’aide, mais que « ce contact n’apporte pas toujours des résultats positifs – comme nous pouvons le constater, qu’il s’agisse des obstacles à la livraison ou de notre capacité à recevoir des camions [d’aide] ».

Israël a accusé certains employés de l’UNRWA d’avoir participé à l’attaque du Hamas du 7 octobre et d’être membres d’organisations terroristes. En avril, un examen indépendant dirigé par l’ancienne ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a conclu qu’Israël n’avait pas encore fourni de preuves de l’appartenance à ces organisations.

Les attaques des responsables israéliens contre l’ONU et l’UNRWA sont antérieures à la guerre actuelle à Gaza, mais elles se sont intensifiées depuis le mois d’octobre. En mars, des responsables israéliens ont déclaré qu’ils « ne travailleraient plus avec l’UNRWA », bien que les contacts se soient poursuivis. Le mois dernier, l’ambassadeur israélien auprès des Nations Unies a déclaré que l’organisation dans son ensemble était devenue « une entité terroriste ».

Un porte-parole du COGAT a déclaré que l’organisation communiquait quotidiennement avec l’UNRWA, avant de répéter les accusations concernant les relations de l’organisation avec le Hamas.

La lenteur de la réaction des autorités israéliennes après une attaque de colons contre le complexe de l’UNRWA à Jérusalem-Est et les restrictions croissantes en matière de visas imposées par les autorités israéliennes à son personnel, y compris au commissaire Philippe Lazzarini, sont autant de preuves que les opérations de l’organisation sont entravées.

« Entre les attaques publiques et politiques des responsables israéliens contre l’UNRWA et les obstructions constantes à notre capacité de travail, tant à Gaza qu’à Jérusalem-Est et en Cisjordanie … tout cela cherche en effet à nous discréditer et, en fin de compte, à nous déloger des Territoires palestiniens occupés », a-t-elle déclaré.

L’agence des Nations Unies a également été mise à l’écart par la construction, par l’armée américaine, d’une jetée flottante destinée à l’aide humanitaire au large de la côte de Gaza. L’organisation coordonne depuis longtemps le passage de toute l’aide entrant dans la bande de Gaza via deux points de passage situés dans le sud du territoire.

L’embarcadère géré par les États-Unis est devenu le seul point d’entrée de Gaza pour l’essentiel de l’aide, à l’exception du carburant, depuis que les forces israéliennes ont pris le contrôle du point de passage de Rafah au début du mois dernier. Au cours des six semaines qui se sont écoulées depuis, seuls 627 camions ont franchi le deuxième point de passage, Kerem Shalom, selon les données de l’ONU, soit une fraction de l’aide nécessaire selon les groupes humanitaires.

La plate-forme offshore à 320 millions de dollars (250 millions de livres sterling) est entrée en service en mai, recevant l’aide expédiée de Chypre. Une fois arrivée sur le quai, l’aide est à nouveau contrôlée par les forces israéliennes avant d’être distribuée par le Programme alimentaire mondial (PAM), en utilisant les entrepôts et les camions de l’UNRWA.

« Il est évident que j’aimerais que les frontières terrestres soient ouvertes, car la jetée n’est pas la solution, mais ma priorité est d’apporter de l’aide aux personnes dans le besoin. Je n’ai pas d’autre choix tant que les politiciens ne feront pas leur travail », a déclaré le philanthrope américain Amed Khan, qui a envoyé des médicaments à Gaza par l’intermédiaire d’Elpida, son organisation caritative basée en Grèce.

« Mon boycott de la jetée ne les incitera pas à ouvrir les frontières terrestres », a-t-il ajouté.

Le PAM a indiqué que 137 camions d’aide avaient quitté le quai pendant les huit jours où il était opérationnel le mois dernier, soit un quart de l’aide qui, selon les groupes humanitaires, entrait chaque jour à Gaza avant la guerre.

Le Pentagone a été contraint d’interrompre les livraisons à la fin du mois de mai lorsqu’une partie de l’embarcadère a été endommagée par une mer agitée et un temps orageux. Les opérations ont repris, mais le PAM a déclaré le week-end dernier qu’il avait été contraint d’interrompre à nouveau les livraisons, invoquant des problèmes de sécurité, avant de les reprendre en début de semaine.

L’armée américaine a déclaré cette semaine qu’elle avait supervisé la livraison de 1 573 tonnes d’aide à ce jour via l’embarcadère, ce qui équivaut à 50 à 105 camions, selon les estimations de l’ONU, soit un cinquième du nombre de camions qui entraient quotidiennement dans le territoire avant la guerre.

« En fin de compte, il s’agit de savoir si le volume de l’aide reçue est suffisant pour nourrir, soutenir et fournir des services médicaux à plus de 2 millions de personnes. La réponse est non, c’est très insuffisant », a déclaré Mme Alrifai.

Les Palestiniens qui s’efforcent de survivre avec le peu d’aide qui parvient à entrer ont déclaré qu’ils ressentaient cette pénurie de manière aiguë, alors que des informations font état d’une famine imminente dans certaines parties de la bande de Gaza.

« Les prix des denrées alimentaires sont devenus très élevés », a déclaré Awni Shwaikh, qui a été déplacé à Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza. Le prix d’un kilo de tomates est jusqu’à cinq fois plus élevé qu’auparavant.

« La plupart du temps, nous mangeons des aliments en conserve, comme des pois chiches et des haricots, ce genre de choses. Ce n’est pas suffisant pour nous tous. »

S’adressant aux journalistes après une conférence sur l’aide humanitaire d’urgence à Gaza organisée par la Jordanie cette semaine, Suze van Meegen, du Conseil norvégien pour les réfugiés, a déclaré que les groupes d’aide luttaient constamment pour savoir comment acheminer l’aide, compte tenu de la fermeture de la plupart des voies d’acheminement de l’aide.

« Nous sommes obligés de célébrer l’ouverture d’une fenêtre chaque fois qu’une porte claque », a-t-elle déclaré.

Ruth Michaelson et Kaamil Ahmed
The Guardian
Traduction MUV pour l’Aurdip
https://www.theguardian.com/world/article/2024/jun/13/unrwa-israel-frequently-preventing-aid-deliveries-gaza

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Une nouvelle enquête mondiale sur
l’assassinat de journalistes à Gaza

Le magazine +972 est fier de participer au projet Gaza – une enquête collaborative sur le ciblage des journalistes palestinien·nes pendant le bombardement actuel de Gaza par Israël, dont les conclusions seront publiées cette semaine.

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Pendant quatre mois, en partenariat avec 50 journalistes de 13 organisations de médias du monde entier, nous avons analysé plus de 100 décès de professionnel·les des médias à Gaza, ainsi que d’autres cas dans lesquels des membres de la presse ont été menacés ou blessés depuis le 7 octobre, y compris en Cisjordanie occupée. Nous nous sommes concentrés sur les modèles de ciblage, y compris les frappes de drones et les attaques contre l’infrastructure de la presse à Gaza.

Le projet Gaza se déroule sous les auspices de Forbidden Stories, qui poursuit le travail des journalistes assassiné·es afin de s’assurer que le plus grand nombre possible de personnes aient accès aux enquêtes qui devaient être réduites au silence. +972 est fière de travailler à leurs côtés ainsi qu’avec les autres partenaires du projet : The Guardian, Paper Trail Media, Le Monde, AFP, Radio France, Arab Reporters for Investigative Journalism (ARIJ), Local Call, Der Spiegel, Der Standard, ZDF, et Tamedia-Group.

Regardez la bande-annonce ici.

Lettre d’information du 23 juin 2024
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Les institutions financières européennes investissent des milliards dans des entreprises d’armement qui vendent des armes à Israël

Un nouveau rapport publié par un groupe de 19 organisations de la société civile et syndicats – dont la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) – révèle que des milliards d’euros d’investissements européens servent à la vente d’armes à Israël.

20 juin 2024. Le rapport Les entreprises qui arment Israël et leurs financiers (disponible en anglais) révèle que les institutions financières européennes ont accordé 36,1 milliards d’euros de prêts et de souscription, et détiennent 26 milliards d’euros d’actions et d’obligations dans des entreprises qui vendent des armes à Israël. Dans le contexte actuel, la vente d’armes à Israël expose les investisseur·ses au risque que leurs activités puissent faciliter de graves violations du droit international humanitaire, voire des crimes contre l’humanité et génocide à Gaza.

De 2019 à 2023, six des plus grands producteurs d’armes au monde – Boeing, General Dynamics, Leonardo, Lockheed Martin, RTX et Rolls-Royce – ont vendu des armes ou des systèmes d’armes à Israël. La banque française BNP Paribas est de loin le principal bailleur de fonds des entreprises qui ont vendu des armes à Israël, avec 5,7 milliards d’euros de prêts et de garanties depuis 2021. Parmi les autres grand·es investisseur·ses identifié·es par le rapport figurent les banques Crédit Agricole, Deutsche Bank, Barclays et UBS, ainsi que le fonds de pension du gouvernement norvégien GFPG et la compagnie d’assurance Allianz.

« Les standards internationaux exigent que les institutions financières s’assurent de ne pas soutenir des entreprises qui contribuent aux violations des droits humains », souligne Gaëlle Dusepulchre, Directrice adjointe du bureau Entreprises, droits humains et environnement de la FIDH.

Des recherches antérieures menées par Pax, l’un des co-auteur·es du rapport, ont montré que les six entreprises d’armement identifiées dans le rapport ont fourni des armes à des États impliqués dans des violations des droits humains ou du droit humanitaire international, y compris en Israël.

L’action militaire du gouvernement israélien contre Gaza a déjà tué plus de 37 000 Palestinien·nes et largement détruit la bande de Gaza. Les organisations internationales de défense des droits humains et les représentant·es des Nations unies ont souligné la catastrophe humanitaire et les graves violations du droit humanitaire international en cours.

La cour d’appel néerlandaise a fait référence au risque de telles violations pour justifier sa décision, en février 2024, selon laquelle les Pays-Bas doivent cesser d’exporter des pièces d’avions de chasse F-35 vers Israël. En outre, en janvier 2024, la Cour internationale de justice a ordonné à Israël de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir un génocide à Gaza.

https://www.fidh.org/fr/themes/entreprises-droits-humains-et-environnement/responsabilite-des-entreprises/institutions-financieres-europeennes-entreprises-armes-israel

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Appel Urgent à la suspension de la participation d’Israël
aux programmes de recherche de l’UE,
suivant l’ordonnance provisoire de la CIJ sur le génocide à Gaza.

L’AURDIP et quatre organisations académiques exhortent l’UE à suspendre la participation d’Israël aux programmes de recherche de l’UE, suivant l’ordonnance provisoire de la Cour de Justice Internationale qui a trouvé plausible l’affirmation de génocide perpétré contre les Palestiniens à Gaza. La lettre met en avant les violations du droit international par Israël et critique le financement de l’UE susceptible de soutenir ces actes. Elle appelle au respect de l’ordonnance de la CIJ et une cessation du soutien de l’UE à Israël jusqu’à ce que celui-ci adhère au droit international et aux normes éthiques.

À Mr. Josep Borrell, Haut-Représentant de l’Union Européenne pour les Affaires Internationales et la politique de sécurité
À Mme Iliana Ivanova, Commissaire à l’innovation, la Recherche, la Culture, l’Éducation et la Jeunesse

Cher Mr. Josep Borrell,
Chère Madame Iliana Ivanova,
Le 26 janvier 2024, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a émis une ordonnance provisoire en réponse à la demande de l’Afrique du Sud de poursuites contre Israël au motif de violations de la Convention sur le génocide par ses actes à Gaza depuis le 7 octobre 2023. La Cour a déterminé « qu’au moins certains des droits revendiqués par l’Afrique du Sud et pour lesquels il cherche protection(c’est-à-dire le droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés du génocide) sont plausibles ». Elle a aussi établi « un risque réel et imminent » d’un préjudice irréparable aux droits des Palestiniens de Gaza à être protégés du génocide.

Cela n’est pas une surprise pour les nombreux chercheurs et universitaires européens qui, avec des députés européens, ont à plusieurs reprises exprimé dans des lettres adressées à vous ou à vos prédécesseurs, leur profonde préoccupation quant à la participation d’Israël aux Programmes-cadres de l’UE pour la Recherche et l’Innovation. Au lieu de remplir ses obligations de puissance occupante, Israël a déplacé les Palestiniens, volé leurs ressources, colonisé leurs terres, étendu ses colonies illégales et persécuté les Palestiniens au moyen du droit et de pratiques définies comme apartheid par des organisations de défense des droits humains palestiniennesisraéliennes et internationales. L’UE a cependant récompensé Israël par des privilèges en lieu et place de sanctions. À ce jour, Israël a reçu plus de 600 millions de dollars (559 millions €) du programme Horizon Europe, plus que tout État membre de l’UE. Le financement cumulé sur 27 années, avec le soutien politique, diplomatique et économique, a pavé le chemin à des processus qui ont culminé dans la guerre génocidaire actuelle : « une tragédie annoncée », contre la propre loi de l’UE et ses principes éthiques. Le rapporteur spécial de l’ONU et la Commission d’enquête indépendante de l’ONU ont averti que l’occupation prolongée, l’impunité et les politiques discriminatoires contre les Palestiniens sont les causes à la racine de la violence perpétuelle qui a mis en danger la paix et la stabilité de la région. En laissant se faire les crimes de guerre, l’UE a pris une responsabilité majeure.

L’obligation faite à des États tiers de se plier à l’ordonnance de la CIJ découle directement de la Convention sur le Génocide. Dans le cadre de cette convention, tous les États ont une obligation négative de ne pas commettre ou de n’être pas complices de génocide et des obligations positives d’empêcher et de punir le génocide. L’interdiction de commettre un génocide est une norme jus cogens à laquelle aucune partie, y compris les entreprises, ne peuvent déroger. Du fait de la décision de la CIJ, l’endossement implicite du comportement d’Israël par l’UE doit cesser.

Et pourtant, en ce moment-même, l’industrie d’armement israélienne de même que des entreprises inscrites sur la base de données de l’ONU des entreprises impliquées dans des activités en lien avec les colonies israéliennes dans les TPO, bénéficient de financements des programmes de recherche de l’UE. Nous attirons particulièrement l’attention sur l’usage de l’Intelligence Artificielle en lien avec des campagnes presque automatiques de bombardements dans des zones densément peuplées de Gaza, engagées dans le mépris total des pertes de vies civiles. Par exemple l’armée israélienne a développé un système largement bâti sur l’intelligence artificielle appelé ‘Habsora’ (L’Évangile), qui peut « générer des cibles presque automatiquement à un rythme qui excède de loin ce qui était précédemment possible » et qui est utilisé dans le ciblage large de bâtiments civils. Un autre programme basé sur l’IA, connu sous le nom de ‘Lavande’, identifie des gens à mettre sur une liste de « à tuer » et a joué un rôle central dans le meurtre généralisé de civils palestiniens. Et encore un autre système ‘Où est Papa’ alerte l’armée israélienne lorsque des Palestiniens inscrits sur la liste « à tuer » entrent dans leur maison familiale ; dès lors, eux et leur maison deviennent des cibles pour un bombardement aérien ou pour des attaques de drones. Nous notons que la recherche en IA est depuis longtemps un domaine de coopération scientifique entre l’UE et Israël. L’UE devrait être préparée à enquêter pour savoir si ou jusqu’à quel point ses propres financements ont contribué à la mort de civils à Gaza.

L’Article 25 du Statut de Rome criminalise non seulement l’aide directe ou indirecte au génocide mais aussi l’incitation à commettre un génocide. Pour ne donner qu’un exemple, le Président de l’Université de Tel Aviv, une institution publique, a comparé le peuple palestinien à la tribu maudite d’Amalek et l’a convoqué à souffrir le même sort, c’est-à-dire que tout homme, femme, enfant palestinien devrait être tué. De telles déclarations de la part de personnalités académiques et politiques en vue sont banales, comme le documente le Mémoire de l’Afrique du Sud à la CIJ, §101 à 107, et la coopération scientifique de l’UE avec Israël devrait être considérée sous cet angle.

La gravité de la situation actuelle à Gaza et les protestations étudiantes mondiales ont amené des universités de Norvège, Espagne et Belgique à suspendre leurs liens avec les entités de recherche israéliennes. L’Université de Barcelone  a été plus loin en demandant à l’UE de bloquer la participation d’institutions israéliennes à tous projets financés par des fonds européens.

Pour respecter l’ordonnance de la CIJ, l’UE doit geler tous les privilèges étendus à Israël, en particulier la participation à des programmes de recherche de l’UE jusqu’à ce qu’Israël se plie à l’ordonnance de la CIJ, qu’il se retire de Gaza et qu’il prouve à la Cour qu’il n’a pas commis de génocide. La reprise de l’accord UE-Israël et de tout autre accord à venir devrait être conditionnée par le fait qu’Israël se conforme au droit international et aux lignes directrices éthiques propres à l’UE : jusqu’à ce qu’Israël remplisse ses obligations légales et mette fin à l’occupation, à la discrimination et à la répression du peuple palestinien.

Vous-même, Monsieur Borrell, avez appelé l’opération israélienne du 7 juin qui a tué plus de 27  Palestiniens pour libérer 4 otages, un « massacre » et vous avez déclaré : « Le bain de sang doit cesser ». Le bain de sang ne s’arrêtera pas tant qu’Israël est soutenu par l’UE ; et l’UE partage la responsabilité du bain de sang aux yeux du monde. Nous appelons l’UE à cesser d’aider Israël.

Respectueusement vôtres,
Dr. Nozomi Takahashi, Présidente des Universitaires et Artistes belges pour la Palestine/ Campagne belge pout le Boycott Académique et Culturel d’Israël (BA4P/BACBI)
Prof. Em. Ivar Ekeland, Président de l’Association Française des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP)
Prof. Em. Jonathan Rosenhead, Président du Comité Britannique pour les Universités de Palestine (BRICUP)
Dr. Sue Blackwell, au nom des Intellectuels Néerlandais pour la Palestine (DSP)
Dr. María José Lera, au nom des Universitaires pour la Palestine (RUxP) – le Réseau Universitaire pour la Palestine d’Espagne.

Traduction SF pour l’Aurdip
https://aurdip.org/appel-urgent-a-la-suspension-de-la-participation-disrael-aux-programmes-de-recherche-de-lue-suivant-lordonnance-provisoire-de-la-cij-sur-le-genocide-a-gaza/

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Gaza / Israël : à propos de la déclaration de la Palestine reconnaissant la compétence de la CIJ et
demandant à intervenir en l’affaire Afrique du Sud contre Israël

Ce billet de blogue a été initialement publié en français et en espagnol sur le site Derecho Internacional Público Costa Rica.

Le 3 juin, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a annoncé, dans un communiqué de presse, qu’elle a reçu une déclaration de la Palestine reconnaissant la compétence générale de la CIJ, afin d’intervenir dans l’affaire Afrique du Sud contre Israël : voir le communiqué de presse de la CIJ en anglais et en français.

Peu diffusée (et encore moins commentée dans les grands médias internationaux), cette déclaration faite par la Palestine mérite que l´on s’y attache afin d’en comprendre la motivation et la portée, que nous essaierons d’expliquer dans les lignes qui suivent.

La Palestine et la justice internationale de La Haye : un long cheminement
Nous demanderons à nos cher(e)s lecteurs et lectrices un peu d’indulgence pour expliquer (en bref) ce que la Palestine peut et ne peut pas faire juridiquement aux Nations Unies en tant qu’État, au regard des règles de l’ordre juridique international en vigueur.

Comme on le sait, malgré une demande formulée en septembre 2011, la Palestine n’est toujours pas un État membre des Nations Unies, mais un « État non-membre observateur », selon le statut qui lui a été accordé le 29 novembre 2012, lors d´un vote mémorable au sein de l’Assemblée Générale des Nations Unies (Note 1).

Plus récemment, en cette année 2024, nous avons eu l’occasion d’analyser le veto américain observé le 18 avril au sein du Conseil de Sécurité lors du vote d’une résolution recommandant son admission (Note 2). Lors du tout premier véto nord-américain d’octobre 2023 concernant le drame qui se vit sur le territoire palestinien occupé de Gaza, nous avions écrit que:

« Ce détail, ainsi que les déclarations faites par le représentant de la Chine précitées indiquent que les représentants des États-Unis ont laissé croire qu’ils n’avaient plus d’objections au projet de texte de résolution, surprenant leurs homologues avec un vote contre » (Note 3). 

Cette fois-ci, aucune surprise n’a vu le jour : on remarquera en outre que, l’annonce répétée d’un véto probable dans les jours précédents le vote du 18 avril 2024 sur l’admission de la Palestine aux Nations Unies … a coïncidé avec les toutes premières mobilisations sur les campus universitaires aux Etats-Unis en faveur de la Palestine. 

Nous avons également eu l’occasion d’analyser en bref l’adoption ultérieure d’une résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies visant à accorder à la Palestine de nouveaux droits au sein des Nations Unies, en attendant qu’elle obtienne un jour son admission formelle en tant qu’État membre (Note 4). 

Le détail du vote obtenu de cette résolution de l’Assemblée Générale peut être consulté sur la toile (voir hyperlien). Au cours de ce vote, Israël et les Etats Unis n’ont pu recueillir que sept votes avec les leurs.

La Palestine n’étant pas un État membre des Nations Unies, elle n’a pour le moment pas le moyen de devenir juridiquement un État partie à l’instrument normatif qui a créé les Nations Unies : la Charte fondatrice de cette organisation, plus connue sous le nom de Charte de San Francisco, adoptée en 1945 (voir texte).  Au regard de la relation d’un Etat membre avec la CIJ, les articles 92 et 93 de ce traité international instituant les Nations Unies stipulent en particulier que :

« Article 92 : La Cour internationale de Justice constitue l’organe judiciaire principal des Nations Unies. Elle fonctionne conformément à un Statut établi sur la base du Statut de la Cour permanente de Justice internationale et annexé à la présente Charte dont il fait partie intégrante.
Article 93 : 1. Tous les Membres des Nations Unies sont ipso facto parties au Statut de la Cour internationale de Justice. Les conditions dans lesquelles les États qui ne sont pas Membres de l’Organisation peuvent devenir parties au Statut de la Cour internationale de Justice sont déterminées, dans chaque cas, par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité ».

Ceci dit, le fait que la Palestine ait acquis le statut d’« État non-membre observateur », déclaré comme tel depuis novembre 2012, lui a permis de ratifier un grand nombre de traités internationaux, tels que : 
– le Statut de Rome créant la Cour Pénale Internationale (CPI) en janvier 2015 (voir l’
état officiel des signatures et des ratifications) ou bien encor ; 
– la Convention sur le génocide de 1948, qu’elle a ratifiée en avril 2014 (voir l’
état officiel), et ce parmi beaucoup d’autres traités internationaux, ouverts à tous les États (qu’ils soient ou non Etats membres des Nations Unies).

Certaines de ces conventions multilatérales contiennent une disposition indiquant que la CIJ est parfaitement compétente pour connaître de différends entre les Etats Parties à la dite convention.

Le 28 septembre 2018, la Palestine a déposé une requête auprès de la CIJ contre les États-Unis (voir le texte complet de sa requête), au sujet du transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Pour sa toute première requête en tant qu’État remise au juge international de La Haye, à ce jour en attente de résolution, la Palestine a utilisé comme base de compétence de la CIJ un Protocole à la Convention de Vienne de 1961 sur les Relations Diplomatiques, à laquelle les États-Unis et la Palestine étaient États parties en 2018 (voir texte complet) : un examen de l’état officiel des signatures et ratifications indique que les États-Unis ont procédé à la dénonciation de cet instrument le 12 octobre 2018 lorsqu’il est indiqué (dernière partie de l’hyperlien) que :

« On 12 October 2018, the Secretary-General received from the Government of the United States of America a communication notifying its withdrawal from the Optional Protocol. The communication reads as follows: “… the Government of the United States of America [refers] to the Optional Protocol to the Vienna Convention on Diplomatic Relations Concerning the Compulsory Settlement of Disputes, done at Vienna on April 18, 1961.This letter constitutes notification by the United States of America that it hereby withdraws from the aforesaid Protocol. As a consequence of this withdrawal, the United States will no longer recognize the jurisdiction of the International Court of Justice reflected in that Protocol ».

Sans effet juridique immédiat (et encore moins rétroactif), la requête de la Palestine ne devrait pas être affectée par cette manœuvre nord-américaine quelque peu désespérée, fort peu connue (et encore moins médiatisée). 

Les Etats-Unis dénoncent un traité international utilisé par la Palestine pour les poursuivre devant le juge international, tout juste 15 jours après l’introduction de la requête par la Palestine. Voilà une dénonciation, modalité « express » (ou encore « urgency: very high »), suite à une requête, et qui ne semble pas avoir de précédent dans l’histoire de la CIJ depuis 1946 : sur cette réponse nord-américaine inédite observée en 2018, on aurait souhaité la voir analysée et commentée par d’éminents spécialistes du droit des traités et des procédures devant la CIJ dans les diverses revues juridiques spécialisées en droit international public. Sauf erreur de notre part, c’est un sujet qui ne semble pas avoir attiré outre mesure l’attention des commentateurs (Note 5). S’agissant en plus d’un Etat comme les Etats-Unis, qui ne reconnaissait pas le statut d’Etat à la Palestine en 2018 et persiste depuis dans cette position, la dénonciation de ce traité multilatéral pose des interrogations plus qu’intéressantes.

Bien plus surprenant, c’est le silence du site officiel de la CIJ sur les suites de cette affaire contentieuse : en effet, depuis l’ordonnance de la CIJ fixant les délais en date du 1  novembre 2018, aucune information additionnelle n’est disponible (voir texte de l’ordonnance). On lit dans l’un des considérants de cette ordonnance que la fixation des délais s’est faite sans la présence des diplomates des Etats-Unis: 

« … par une lettre datée du même jour, Mme Newstead a informé le Greffe que les Etats-Unis ne prendraient pas part à la réunion que le président avait proposé de tenir le 5 novembre 2018 avec les représentants des Parties ».

Le délai fixé par la CIJ pour déposer le contre mémoire des Etats-Unis a été fixé par cette ordonnance au 19 novembre 2019, sans que le site de la CIJ n’informe depuis sur la suite de la procédure depuis cette décision de la CIJ. 

Sauf erreur de notre part, jamais dans l´histoire de la CIJ tant d’années se sont écoulées depuis l’adoption d’une ordonnance de la CIJ dans une affaire contentieuse, sans que l’on ne sache rien depuis sur la suite de la procédure. Il va de soi que la pratique de certains tribunaux nationaux d’affaires « classées sans suite » sans motif apparent, n’a jamais trouvé de place au sein de la CIJ, dont certaines affaires ont été rayées du rôle de la CIJ, à la demande expresse de l’État demandeur (Note 6).

La déclaration palestinienne en bref
Avec cette déclaration publiée par la CIJ le 3 juin 2024, la Palestine cherche à contrer les objections que certains États pourraient soulever auprès des juges de la CIJ concernant une requête à fin d’intervention dans l´affaire opposant deux États membres des Nations Unies, en l’occurrence, l’Afrique du Sud et Israël.

Dans sa déclaration (voir le texte intégral), la Palestine exprime clairement son souhait d’intervenir dans le différend entre l’Afrique du Sud et Israël depuis le 29 décembre 2023 (date à laquelle l’Afrique du Sud a déposé une plainte officielle contre Israël). A cette fin, la Palestine invoque à la fois l’article 62 et l’article 63 du Statut de la CIJ. 

Récemment, nous avons eu l’occasion d’analyser la requête à fin d’intervention en l’affaire Afrique du Sud contre Israël, présentée par le Mexique le 28 mai 2024 aux juges de la CIJ (Note 7), dans laquelle le Mexique invoque l’article 63 (tout comme avant lui, la Colombie et la Libye). On expliquera plus loin la particularité de la requête du Nicaragua dans sa demande d’intervention, invoquant l’article 62 du Statut de la CIJ et non pas l’article 63. Après le Nicaragua, la Colombie (voir requête du 5 avril 2024), la Libye (voir requête soumise le 10 mai 2024) et le Mexique (voir requête du 24 mai), la Palestine rejoint ainsi les États qui ont formellement demandé à la CIJ d’intervenir en tant qu’État tiers entre l’Afrique du Sud et Israël.

En tant qu’Etat partie à la Convention sur le génocide de 1948, la Palestine ne pouvait pas voir d’objections juridiques valables à sa demande d’intervention sur la base de l’article 63.

La déclaration palestinienne indique qu’en ce qui concerne la requête au titre de l’article 62, la volonté des autorités palestiniennes vise à protéger leurs intérêts en tant qu’État, étant donné qu’il est question de la destruction totale délibérée de Gaza par Israël et d’une grande partie de la population civile qui y réside, actions menées par Israël depuis le soir du 7 octobre 2023 :

« 33. The present Application for which permission to intervene is sought has two complementary purposes: 
– First, to enable the State of Palestine to inform the Court regarding its legal interest which is at the core of the dispute presented to the Court; 
– Second, to allow the State of Palestine to protect its interests of a legal nature that will be affected in those proceedings at each stage of the proceedings ».

En ce qui concerne l’article 63, on lit que :

« 41. The State of Palestine understands that by availing itself of the right to intervene under Article 63 of the Statute of the Court, the construction of the Genocide Convention given by the judgment in this case will be equally binding upon it. The State of Palestine will submit its written observations, bearing in mind the pleadings of the Parties and the documents annexed ».

La Palestine précise également que ses diplomates et ses conseillers juridiques connaissent fort bien les réflexions menées avant l’adoption en 1948 de la Convention sur le génocide de 1948 :

« 43. The State of Palestine was, of course, not present when the Genocide Convention was being drafted. Nevertheless, it appears that the situation in Palestine was in the minds of the drafters of the Convention. In the Sixth Committee, the Egyptian representative spoke of events in Palestine at the time as an example of the destruction of religious groups. Syria tabled the following amendment: « Imposing measures intended to oblige members of a group to abandon their homes in order to escape the threat of subsequent ill-treatment. » Syria did not refer to Palestine explicitly but the context strongly suggests that its concern was with the Nakba ».

La différence entre l’article 62 et l’article 63
Il convient de noter une spécificité du Nicaragua dans la requête à fin d’intervention auprès des juges de la CIJ dans le différend entre l’Afrique du Sud et Israël (voir texte complet de la requête  déposée le 23 janvier 2024 en français et en anglais). 

Alors que les autres États ont invoqué l’article 63 du Statut de la CIJ (voir texte), qui permet à tout État partie à une convention d’intervenir lorsqu’il s’agit de l’interprétation à donner aux dispositions de cette convention faisant l’objet d’un différend entre deux États devant la CIJ, le Nicaragua (et maintenant la Palestine) ont choisi d’invoquer une autre disposition, qui comporte un enjeu beaucoup plus important pour l’État qui l’invoque : l’article 62 du Statut de la CIJ, qui se lit comme suit :

« Article 62: 1. Lorsqu’un Etat estime que, dans un différend, un intérêt d’ordre juridique est pour lui en cause, il peut adresser à la Cour une requête, à fin d’intervention. 2. La Cour décide ».

La position du Nicaragua (voir texte complet de la requête déposée le 23 janvier 2024 en français et en anglais) cherche à pousser jusqu’à ses dernières conséquences l’idée que l’interdiction du génocide est une norme de jus cogens de nature impérative qui lie tous les Etats de la même manière : tous les Etats devraient, logiquement, avoir un intérêt juridique au respect de cette norme fondamentale, et une déclaration en ce sens de la CIJ renforcerait les effets de ce que l’on appelle les « normes impératives du droit international général », telles que consacrées par l’article 53 de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités de 1969.

Une relecture de la requête du Nicaragua sur la base de cet élément permet de mieux comprendre les nombreuses références faites par le Nicaragua dans le texte de sa requête à cette catégorie spécifique de règles fondamentales de l’ordre juridique international, rarement invoquées devant le juge international de La Haye par les Etats qui plaident devant lui.

Le Nicaragua et la Palestine : un bref rappel historique
Pourquoi un tel engouement affiché par le Nicaragua devant la CIJ pour essayer de contrer Israël et comment expliquer une telle solidarité avec le peuple palestinien depuis la soirée du 7 octobre 2023 ? 

Les autorités actuelles du Nicaragua ont encore en mémoire que de fort nombreux combattants et anciens compagnons d’armes durant la lutte armée au Nicaragua dans les années 60-70 sont tombés sous l’effet d’armes et de munitions israéliennes utilisées par les autorités de l’époque. D’un point de vue historique, il convient en effet de rappeler que durant ces décennies, le Nicaragua et Israël ont entretenu des relations très étroites en termes de coopération militaire, ce qui explique pourquoi, depuis juillet 1979, les autorités nicaraguayennes se sentent si proches de la cause palestinienne. 

Dans cet article intitulé « Israeli Agency in the Iran-Contra Affair » publié en 2016, on peut lire (pages 8-9) que : 

« In February 1957, a Nicaraguan delegation to Israel negotiated a $1.2 million arms deal with Shimon Peres who was the director general of the Israeli Defence Ministry. According to the Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), by the 1970s Israel accounted for 98% of Nicaragua’s arms imports. This included tanks, light aircraft, armoured cars, ammunition, and automatic rifles. In early 1978, Somoza changed his National Guard’s standard arms from the American Garan M-1, to the modern Israeli Galil assault rifle.Some members of the National Guard were also armed with Israeli made lightweight UZI submachine guns. In January 1979, a group of American diplomats expressed concern over Somoza’s military overconfidence, that “one reason Somoza was so cocky in resisting pressures to resign was the knowledge that Israel, which had been a full-times arms salesman working the countries of the Caribbean Basin, could and would supply whatever the National Guard needed ».

A Managua, pour commémorer le 10e anniversaire de la mort du leader palestinien Yasser Arafat, une cérémonie officielle a été organisée avec les plus hautes autorités du Nicaragua (voir note de presse de novembre 2014). Récemment – fin janvier 2024 -, le décès d’une poétesse nicaraguayenne de renom, dont la famille était originaire de Palestine, et qui fut la compagne sentimentale de Yasser Arafat pendant quelques temps, a été signalé (voir la photo d’archive contenue dans cet article de La Prensa de Nicaragua, et cette note de presse du 28 janvier 2024).

Il convient enfin de préciser que le Nicaragua n’entretient plus de relations diplomatiques avec Israël depuis juin 2010, en raison de l’attaque d’une flottille humanitaire turque par l’armée israélienne (voir l’article de El Tiempo / Colombia du 1er juin 2010). Il s’agit d’une situation que le Nicaragua partage avec d’autres États d’Amérique Latine depuis quelque mois: la Bolivie (depuis le mois d’octobre 2023), Belize (novembre 2023) et la Colombie (voir communiqué officiel du 1er mai 2024), ces trois Etats étant les derniers à avoir rompu leurs relations diplomatiques avec Israël.

Pour compléter ce qui en est dans le reste de l’Amérique Latine, Cuba n’a plus de relations avec Israël depuis 1967, tandis que le Venezuela a rompu ses relations diplomatiques avec Israël en janvier 2009, suite à la dramatique offensive militaire en Israël observée entre décembre 2008 et janvier 2009 (voir note de presse d’El Pais/Espagne). Comme le Venezuela en 2009, la Bolivie avait également rompu ses relations diplomatiques avec Israël et les avait officiellement reprises il y a quelques années, à la fin du mois de novembre 2019 (voir note de presse 2019 de l’agence de presse turque TRT).

On signalera également que le Nicaragua a présenté le 1er mars 2024 une requête contre l’Allemagne accompagnée d’une demande urgente en indication de mesures conservatoires pour violation de certaines dispositions de la Convention sur le génocide de 1948, en particulier celles concernant l’obligation de prévention qui s’impose aux Etats Parties (voir texte en francais et en anglais). Cette demande a donné lieu à une ordonnance adoptée le 30 avril 2024 (voir texte) dans laquelle on y lit un avertissement assez clair de la part de la CIJ aux Etats fournissant des armes et des munitions à Israël, Allemagne inclue :

« 24. De surcroît, la Cour estime particulièrement important de rappeler à tous les États les obligations internationales qui leur incombent en ce qui concerne le transfert d’armes à des parties à un conflit armé, afin d’éviter le risque que ces armes soient utilisées pour commettre des violations des conventions susmentionnées. Toutes ces obligations incombent à l’Allemagne en tant qu’État partie auxdites conventions lorsqu’elle fournit des armes à Israël ».

Un autre avertissement du juge international, tout en filigrane cette fois, peut être suggéré par l’expression « à l’heure actuelle », lorsque l’on y lit que :

« 20. Sur la base des informations factuelles et des arguments juridiques présentés par les Parties, la Cour conclut que, à l’heure actuelle, les circonstances ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut ».

La suite de la procédure 
La CIJ devra maintenant informer, comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises, l’Afrique du Sud et Israël, afin de connaître leurs points de vue respectifs sur les demandes d’intervention de la Palestine et des autres États tiers dans le différend qui les oppose : ces États tiers qui ont demandé l’intervention sont, comme précisé antérieurement :
–  le Nicaragua (janvier 2024) ;
– la Colombie (avril 2024) ; 
– la Libye et le Mexique (mai 2024). 

On remarquera que l’inaction collective des Etats européens dans leur ensemble concernant ces demandes d’intervention au juge international semble atteindre ses limites : en effet, l’Espagne vient d’annoncer qu’elle présentera une demande similaire au juge de la CIJ, en soutien à la requête de l’Afrique du Sud (voir note de presse de la DW du 6 juin 2024). L’Espagne est aussi l’Etat qui récemment, avec l’Irlande et la Norvège, a décidé qu’il était temps de procéder à la reconnaissance de la Palestine comme Etat (voir communiqué officiel du 28 mai dernier) rejoignant la Suède, dernier Etat européen à avoir procédé à cette reconnaissance en 2013 (Note 8).

On signalera au passage qu’au début du mois de mars 2024, la Belgique avait annoncé une intervention similaire auprès de la CIJ, non suivie d’effet à ce jour, pour des raisons… qu’il serait fort intéressant de connaître (voir article de presse du 11 mars 2024). 

Au-delà des effets d’annonces que l’on observe ci et là, l’Etat européen qui sera le premier à effectivement déposer une requête à fin d’intervention en vue de soutenir l’Afrique du Sud viendra conforter bien des observateurs et acteurs de la vie internationale, médusés et indignés par l’inaction collective de l’Europe depuis le soir du 7 octobre 2023: tant pour ce qui est des recours juridiques qu’offre la Convention contre le génocide (153 Etats Parties) que ceux qu’offre le Statut de Rome (124 Etats Parties). Concernant ce dernier traité, nous renvoyons aux deux uniques renvois urgents (« referral« ) envoyés à la CPI le 17 novembre 2023 dans le cas du premier (voir texte), et du 18 janvier 2024 dans le cas du second (voir texte) dans lesquels aucun Etat européen n’apparaît parmi les signataires. 

Ce n’est qu’une fois connues les positions de l´Afrique du Sud et d’Israël que la CIJ décidera par une ordonnance, après avoir organisé des audiences à La Haye, si elle accepte ou bien rejette ces demandes d’intervention d’États tiers dans le différend opposant l’Afrique du Sud à Israël, dont les dates pour les documents de la procédure écrite ont été récemment fixées (Note 9).

Dans le cas spécifique de la requête palestinienne, il est fort probable qu’Israël contestera en plus le fait que la Palestine puisse la présenter, étant donné qu’Israël ne reconnaît pas la Palestine en tant qu’État, tout comme les États Unis, le Canada, et bien d’autres États européens. 

Dans le cas particulier du Panama, le seul État d’Amérique Latine à ne pas reconnaître la Palestine en tant qu’État, depuis août 2014, ses autorités « évaluent » la possibilité d’une telle reconnaissance (voir note de presse de La Estrella de Panamá d’août 2014).

Un mois de mai particulier pour Israël
Cette nouvelle initiative de la diplomatie palestinienne vise à rapprocher juridiquement la Palestine au différend entre l’Afrique du Sud et Israël et au débat, qui s’annonce intense, entre l’équipe juridique sud-africaine et israélienne devant les juges de la CIJ. 

On notera plus largement que les mécanismes visant à faire respecter le droit international commencent petit à petit à s’appliquer au drame indicible que l’on observe à Gaza,  avec en particulier une semaine du mois de mai 2024 extrêmement défavorable pour Israël :
– qui a commencé le 20 mai par une demande à la Cour Pénale Internationale (CPI) d’un mandat d’arrêt provenant du procureur de la CPI (voir 
déclaration officielle) à l’encontre de son premier ministre et de son ministre de la défense (Note 10) ; 
– et qui s’est achevée le 24 mai, avec une troisième ordonnance rendue par la CIJ (voir
 texte complet) exigeant, entre autres, qu’Israël suspende immédiatement son offensive militaire à Rafah (Note 11). 

Concernant les audiences publiques dans la capitale néerlandaise durant les 16-17 mai, nous avions indiqué que :

« L’argument d’Israël selon lequel le délai extrêmement court fixé par la CIJ l’a empêché de se présenter avec une équipe juridique complète peut cacher une autre réalité, beaucoup moins avouable de la part des diplomates israéliens présents à La Haye : l’impossibilité pour Israël de trouver en Israël des avocats disposés à le défendre publiquement durant des audiences au Peace Palace dans la capitale néerlandaise.
C’est probablement la première fois dans l’histoire de la CIJ depuis 1946 qu’un État se plaint auprès des juges de la CIJ d’un délai très court pour se défendre : un argument qui pourrait être interprété de diverses manières par certains membres de la CIJ lors des délibérations qui ont commencé peu après la fin des audiences, le 17 mai
 » (Note 12).

On notera que le juge ad hoc désigné par Israël a présenté sa démission le 6 juin dernier (voir note de presse du Times of Israel). 

Les réactions des Etats Unis et d’autres Etats
Concernant la décision du Procureur de la CPI, elle a provoqué une réaction d’indignation de la diplomatie nord-américaine a peine prononcée le 20 mai 2024 depuis La Haye (voir communiqué officiel). 

Le 5 juin 2024 aux Etats-Unis, une proposition de loi afin de sanctionner le personnel de la CPI a été adoptée (voir note de The Gardian) : ce texte dénote, une fois de plus, la facilité avec laquelle Israël obtient des faveurs au sein de la classe politique nord-américaine. 

Comme on le sait, Israël et son fidèle allié étasunien ont toujours été extrêmement sensibles sur cette question. Le dépôt par la Palestine le 21 janvier 2009 d’une déclaration d´acceptation de la juridiction de la CPI fut considéré par le service juridique de l´armée israélienne comme une nouvelle forme de terrorisme, inconnue des spécialistes : le « terrorisme légal » (Note 13). Récemment en Israël un article publié par Magazine +972 a documenté les pressions exercées par les services de renseignement israéliens sur le personnel de la CPI durant 9 ans (voir article).

Par contre, concernant l´ordonnance de la CIJ en date du 24 mai, au moment de rédiger ces lignes, aucune réaction officielle des Etats-Unis n’a été enregistrée, contrairement aux manifestations officielles de certains Etats tels que, entre bien d’autres, celle de l’Arabie Saoudite, du Chili, de la Colombie ou encore de l’Irlande

Pour revenir aux Etats tiers souhaitant aussi intervenir en l’affaire Afrique du Sud contre Israël, outre le Mexique, qui a officiellement présenté sa demande d’intervention à la CIJ, le Chili a récemment annoncé son intention de se joindre au soutien de l’action intentée par l’Afrique du Sud contre Israël (voir le communiqué de presse de la BBC du 1er juin 2024).

Il faut noter que malgré l’ordonnance de la CIJ du 24 mai 2024, Israël a jugé opportun et nécessaire de commencer ses opérations à Rafah, provoquant les réactions de nombreux États dénonçant une série de bombardements aveugles d’un camp de réfugiés à Rafah entre les 25 et le 26 mai : on peut citer, parmi beaucoup d’autres, la déclaration officielle publiée par le Qatar et l’Afrique du Sud, ainsi que une forte déclaration publiée par plusieurs experts des droits de l’homme de l’ONU (voir le communiqué de presse officiel des Nations Unies).

Cette note de l’ONG palestinienne Al Mezan, basée à Gaza, datée du 28 mai, exhorte pour sa part la communauté internationale à condamner et à prendre des mesures pour mettre fin à l’action insensée d’Israël.

A cet égard, en ce qui concerne les réactions officielles enregistrées en Amérique Latine, nous renvoyons nos cher(e)s lecteurs et lectrices aux communiqués officiels de la Bolivie, du Brésil, du Chili et de la Colombie : leur lecture (recommandée) met en évidence les lacunes du communiqué officiel du Costa Rica, dont le texte évite de préciser que le « bombardement » a été causé par les forces militaires israéliennes et omet tout simplement de mentionner Israël (Note 14). Une prudence sémantique similaire se retrouve dans le communiqué officiel du Pérou (voir texte), tandis que les ministères des affaires étrangères de l’Argentine, de l’Equateur, du Panama et de l’Uruguay ont estimé qu’il n’était pas nécessaire d’exprimer une quelconque opinion concernant le bombardement par Israël d’un camp de réfugiés à Rafah.

Lorsqu’un Etat ignore une décision obligatoire de la CIJ, la Charte des Nations Unies prévoit un mécanisme dans lequel intervient le Conseil de Sécurité : un projet de résolution du Conseil de Sécurité proposé par l’Algérie (voir texte) circule depuis le 27 mai, et pourrait bien contraindre cette fois-ci les Etats Unis à se dissocier des demandes pressantes émanant des autorités israéliennes : à moins que les Etats-Unis ne soient prêts (à nouveau) à exercer leur droit de veto pour protéger leur fidèle allié israélien de l’application du droit international en vigueur. Une telle option signifierait probablement pour l’actuel président des Etats Unis une nouvelle mobilisation sur les campus universitaires nord-américains tout comme dans les rues de ses villes principales, et sans aucun doute, la perte de toute chance de réélection lors des élections américaines, prévues en novembre 2024. 

Le texte de l’Algérie est passé au second plan, en raison d’une manœuvre diplomatique des Etats Unis au Conseil de Sécurité, et de l’adoption d’un projet de résolution présenté par les Etats Unis le 10 juin 2024 (voir texte) saluant et entérinant l’accord de cessez-le-feu rendu public le 31 mai (toujours par les Etats Unis) : on remarquera qu’en Israël, plusieurs déclarations officielles critiquent ouvertement cet accord des Etats Unis. Malgré cette manœuvre nord-américaine, somme toute assez habile, le texte de l’Algérie devrait refaire surface dans les jours prochains au sein du Conseil de Sécurité. 

Dans les milieux académiques, plusieurs analyses mettent en avant le fait que les ordonnances de la CIJ devraient intéresser tous les Etats, et non seulement l’Afrique du Sud et les Etats qui ont demandé à intervenir dans son procès contre Israël (Note 15).

En ce qui concerne un autre théâtre d’opérations proche de Gaza où l’on peut constater le même manque de respect total de la part d’Israël, l’ONG Human Rights Watch a dénoncé le 4 juin dernier l’utilisation par Israël de phosphore blanc contre les populations civiles au Sud-Liban (voir rapport). 

Enfin, ce 12 juin 2024 a été présenté aux Nations Unies un troisième rapport d´une commission d’enquête du Conseil des Droits de l´Homme des Nations Unies (voir communiqué officiel et note du service de presse des Nations Unies) dont les conclusions seront sans aucun doute d’une grande utilité pour les juges de la CIJ mais aussi de la CPI (voir document A/HRC/56/26 du 27 mai 2024 disponible sur la toile). On lit au point 2 de ce rapport que: 

« 2. The Commission sent the Government of Israel six requests for information and access and one request for information to the State of Palestine. The State of Palestine provided extensive comments. No response was received from Israel »

On lit également en conclusions de ce rapport (dont la lecture complète est fortement recommandée) que :

« 96. The Commission notes that Israeli authorities failed to protect civilians in southern Israel on almost every front. This included failing to swiftly deploy sufficient security forces to protect civilians and evacuate them from civilian locations on 7 October. In several locations ISF applied the so-called ‘Hannibal Directive’ and killed at least 14 Israeli civilians. Israeli authorities also failed to ensure that forensic evidence was systematically collected by concerned authorities and first responders, particularly in relation to allegations of sexual violence, undermining the possibility of future judicial proceedings, accountability and justice ».

Finalement, le 14 juin 2024, les experts des Nations Unies ont fermement condamné l’opération de sauvetage de 4 otages israéliens par l’armée israélienne : il s’agit d’une opération qui a signifié la mort de 274 personnes (dont 64 enfants et 57 femmes) dans la localité de Nuseirat (voir communiqué officiel). 

En guise de conclusion 
Cette nouvelle initiative de la Palestine en ce début du mois de juin 2024 témoigne de la grande solidité de son appareil diplomatique, usant de toutes les ressources dont elle peut bénéficier, au même titre que tout Etat membre des Nations Unies lorsque ses droits ne sont pas respectés. 

Cette attitude contraste avec les déboires à répétition de la diplomatie israélienne, les déclarations incendiaires de ses diplomates et de ses autorités, qui semblent, dans le cas de certaines d’entre elles, découvrir l’existence du droit international public et d’un mécanisme juridique pour le faire respecter comme la CIJ : les exactions répétées de son armée depuis le soir du 7 octobre 2023 contre la population civile de Gaza et l’intensité des frappes aveugles et indiscriminées sur Rafah depuis l’ordonnance de la CIJ du 24 mai témoignent d’une volonté israélienne de défier ouvertement la justice internationale. 

Le dernier état sur la situation au 14 juin 2024 (voir rapport) élaboré par les Nations Unies souligne le niveau de destruction délibéré auquel se livre Israël dans la Bande de Gaza. Alors que le chiffre de plus de 37 200 morts à Gaza est inacceptable à tous points de vue, dans un article récent publié par un spécialiste français de renom sur les effets des bombardements aériens (voir hyperlien  de l’article intitulé « Offensive contre Gaza, un bilan catastrophique pour Netanyahou, quelles conséquences pour Israël ? » publié le 26 mai), on lit qu’en réalité, selon cet expert militaire français, le nombre de morts à Gaza depuis le 7 octobre se situerait entre 60 000 et 70 000 :

« Avec 7 mois de bombardements et de combats, le bilan projeté en termes de victimes des opérations militaires se situe donc dans une fourchette de 60 à 70 mille morts. Il s’agit bien du double du bilan affiché aujourd’hui, ce dernier n’ayant plus de sens, personne n’étant en mesure de relever physiquement les décès.
Certes, le Hamas aurait intérêt à maximiser « son » bilan, mais il a perdu pieds sur le sujet tandis que son état-civil est réputé comptabiliser des décès tracés (certificats). Il lui est donc difficile de modifier désormais cette « comptabilité » qui d’ailleurs reste bloquée autour de 35 mille morts et 10 mille disparus malgré le rythme toujours aussi intense de bombardements.
Ces chiffres de 60 à 70 mille décès sont cohérents avec les résultats affichés par Tsahal qui revendique entre 8 à 10 mille miliciens du Hamas tués »
.

La sensation de fuite en avant dangereuse que les autorités politiques israéliennes manifestent au plan stratégique et militaire, avec une opération militaire qui vient de passer le cap des 8 mois le 7 juin dernier sans avoir atteint un seul des objectifs militaires officiels fixés, renforce pour nombre d’observateurs, la capacité de lecture anticipée de l’Afrique du Sud, dont la requête a été déposée, faut-il le rappeler, dès le 30 décembre 2023 à La Haye (Note 16). 

Pour ce qui est de la CPI en tant que telle, en 2020, lorsque la Bureau du Procureur de la CPI avait émis l’idée de poursuivre le haut commandement militaire israélien pour les offensives militaires de 2009 et 2014 sur Gaza, la presse israélienne avait eu écho d’une liste de 200-300 noms (voir note du Timesof Israel du 16 juillet 2020) : on attend en ce mois de juin 2024, que des échos similaires commencent à laisser des traces sur ce point précis.

Indéniablement, en ces mois de mai et juin 2024, malgré poses et attitudes défiantes de ses autorités, déclarations officielles courroucées et autres qui n’impressionnent plus grand monde, l’étau du droit international se resserre sur Israël. 

NOTES : 
Note 1 : Cf. BOEGLIN N., « Le nouveau statut de membre de la Palestine aux Nations Unies : une perspective latinoaméricaine« , Le Monde du Droit, Section Decryptages, édition du 3 janvier 2013. Texte disponible ici. En anglais, cf. AKANDE D., « Palestine as a UN Observer State: Does this Make Palestine a State? », EJIL-Talk, édition du 3 décembre 2012. Texte disponible ici. Plus généralement, sur la participation de la Palestine en tant qu’Etat au sein des diverses organisations internationales, cf. MARTIN J.C., « Le statut de la Palestine dans les organisations internationales », Annuaire Français de Droit International Vol.62 (Année 2016), pp. 213-233. Texte intégral disponible ici
Note 2 : Cf. (en espagnol) BOEGLIN N., « El veto de Estados Unidos a la admisión de Palestina como Estado Miembro de Naciones Unidas: algunas reflexiones », Blog Derecho InternacionalCosta Rica, 18 avril 2024. Texte disponible ici.
Note 3 : Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israël : à propos du véto des États-Unis au projet de résolution du Conseil de Sécurité présenté par le Brésil », Blog de la Société Québécoise pour le Droit International (SQDI), édition du 27 octobre 2023. Texte disponible ici.
Note 4 : Cf. (en espagnol)  BOEGLIN N., « Palestina: a propósito de la reciente resolución sobre derechos de Palestina como  futuro Estado Miembro de Naciones Unidas », Blog Derecho InternacionalCosta Rica, 10 mai 2024. Texte disponible ici. 
Note 5 : Sur ce sujet précis, cf DOPAGNE F., « Observations sur la pratique récente de dénonciation des traités », Vol.64, Annuaire Français de Droit International (2018), pp.131-159, notamment pp.141-144.
Note 6 : Parmi des désistements récents, celui de l´Equateur dans l’affaire l’opposant à la Colombie concernant l’épandage aérien de pesticides dans leur zone frontalière, en raison d’un accord entre ces deux Etats, dans lequel la Colombie s’accorde, entre autres, à verser 15 millions de US dollars en échange d’un retrait de la demande présentée en 2008 (voir texte de l’accord, point 9): également voir sur ce sujet le désistement, le communiqué officiel de la CIJ de septembre 2013. En 1991, le Nicaragua a demandé au juge de La Haye de rayer l’affaire contre les Etats-Unis, celle-ci étant consacrée à l’étape sur la compensation pour dommages causés au Nicaragua par les Etats Unis, suite au jugement rendu en 1986 par la CIJ sur le fond en faveur du Nicaragua: voir le communiqué de la CIJ (voir texte) de septembre 1991.
Note 7 : Cf. (en espagnol)  BOEGLIN N., « Gaza / Israel: a propósito de la solicitud de México de intervenir en la demanda de Sudáfrica contra Israel ante la Corte Internacional de Justicia (CIJ)« , Blog Derecho InternacionalCosta Rica,  28 de mayo del 2024. Texte disponible ici. 
Note 8 : Cf. BOEGLIN N., « La reconnaissance récente de la Palestine par la Suèd  : perspectives« , Sentinelle (Bulletin de la SFDI, Société Francaise pour le Droit International), édition de novembre2014. Texte disponible ici
Note 9: Une ordonnance fixant les délais de dépôt des pièces de la procédure écrite du 5 mai 2024 établit les échéances suivantes (voir texte) :
– pour le mémoire de l’Afrique du Sud: le 28 octobre 2024 ; 
– pour le contre-mémoire de l’État d’Israël, le 28 juillet 2025. 
On lit aussi dans cette décision que la CIJ a fixé un délai différend de celui proposé par les deux Etats :
« … lors de cette réunion, l’agent de l’Afrique du Sud a indiqué que son gouvernement souhaiterait disposer, pour la préparation de son mémoire, d’un délai de 12 mois à compter du prononcé de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires en date du 26 janvier 2024, mais qu’il « s’en remettra[it] à la décision de la Cour » sur cette question ; et considérant que l’agent adjoint d’Israël a affirmé que, de l’avis de son gouvernement, un délai de six mois serait suffisant pour la préparation, par chacune des Parties, de ses premières écritures ».
Note 10 : Cf. (en espagnol) BOEGLIN N., « Gaza / Israel: a propósito del anuncio del Fiscal de la Corte Penal Internacional (CPI) de solicitar órdenes de arresto por crímenes de guerra y de lesa humanidad », Blog Derecho InternacionalCosta Rica editée le 20 mai 2024. Texte disponible ici.
Note 11 : Cf. (en espagnol)  BOEGLIN N., « Gaza / Israel: Corte Internacional de Justicia (CIJ) ordena a Israel suspender de inmediato su ofensiva en Rafah y abrir Gaza a investigación por parte de agencias de Naciones Unidas », Blog Derecho InternacionalCosta Rica éditée le 24 mai 2024. Texte disponible ici
Note 12 : Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israël : à propos de la conclusion des audiences entre l’Afrique du Sud et Israël à la Cour Internationale de Justice (CIJ) », Blog de la Société Québecoise pour le Droit International (SQDI), édition du 24 mai 2024. Texte disponible ici.
Note 13 : Cf. FERNANDEZ J., La politique juridique extérieure des Etats-Unis à l’égard de la Cour pénale internationale, Paris, Pedone, 2010, p.325. Quelques déclarations du chef de la délégation étasunienne après la conférence de Rome de juillet 1998 sont également éclairantes : « En ce qui concerne Israël enfin, David Scheffer reconnut après Rome que la délégation américaine avait endossé la crainte d’Israël d’être victime d’accusations devant la future Cour en raison de sa politique dans les territoires occupés » (p.172). On lira avec intérêt la tentative des Etats-Unis d’exclure de la définition de crimes de guerre le « transfert par un Etat d´une partie de sa population dans un territoire qu’elle occupe » (pp.171-172).
Note 14 : Le communiqué officiel du Costa Rica du 27 mai, posté à 12h51, se lit comme suit (voir hyperlien). Il est reproduit ci-dessous dans son intégralité : ni le titre ni le texte de ce communiqué ne font expressément référence à Israël et le mot « incident » est utilisé dans le titre. La deuxième phrase comporte également une faute d’orthographe, ce qui invite à penser que ce texte a été écrit à la hâte, sans révision de style :
« Ante ataque a campo de refugiados en Rafah, Costa Rica hace llamado a un alto al fuego inmediato, al cumplimiento de las medidas provisionales de la Corte Internacional de Justicia y a la investigación del incidente
San José, 27 de mayo de 2024. Costa Rica ha recibido con consternación la noticia del bombardeo sobre un campo de refugiados en Rafah, que ha causado la muerte de civiles inocentes, incluidos mujeres y niños, además de múltiples heridos.
Esto suma mayor sufrimiento a una población varias veces desplazada, carente de las condiciones básicas de sobrevivencia por meses, que se encontraba en el último lugar donde se les había prometido refugio seguro.
Este ataque a civiles se ha dado dos días después de que la Corte Internacional de Justicia, órgano judicial supremo de las Naciones Unidas, emitió medidas cautelares de obligatorio cumplimiento en que ordenaba un alto inmediato a las operaciones terrestres y cualesquiera otras acciones en Rafah que pudieran llevar a la destrucción total o parcial de la población palestina en Gaza. 
Costa Rica espera una investigación profunda y objetiva de este hecho con la correspondiente rendición de cuentas.
Reiteramos una vez más el llamado a un alto al fuego inmediato, a la liberación incondicional e inmediata de los rehenes, y al respeto y acatamiento de las normas y principios del Derecho Internacional, especialmente el Derecho Internacional Humanitario, así como a las resoluciones relevantes del Consejo de Seguridad y a todas las medidas precautorias dictadas por la Corte Internacional de Justicia.
Comunicación Institucional -195-2024 CR hace llamado a un alto al fuego inmediato, al cumplimiento de las medidas provisionales de la Corte Internacional de Justicia y a la investigación del incidente – Lunes 27 de mayo de 2024 »
.
Note 15 : Cf. par exemple, AL TAMIMI Y., Implications of the ICJ Order (South Africa v. Israel) for Third States”, EJIL-Talk, édition du 4 février 2024. Texte disponible ici ; PIETROPAOLI I., « Obligations of Third States and Corporations to Prevent and Punish Genocide in Gaza », Bristish Institute of Interntional and Comparative Law, 5 juin 2024. Texte disponible ici ; QUIGLEY J., “Legal Standard for Genocide Intent: An Uphill Climb for Israel in Gaza Suit”, EJIL Talk, édition du 14 mars 2024. Texte disponible ici. 
Note 16: Dans le rapport sur l’état de la situation élaboré au 30 décembre 2023 par les Nations Unies (voir texte), on lisait que :
« 
Between the afternoons of 29 and 30 December, 165 Palestinians were killed, and another 250 people were injured, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza. Overall, between 7 October and 7:00 on 30 December, at least 21,672 Palestinians were killed in Gaza, according to the MoH in Gaza. About 70 per cent of those killed are said to be women and children. As of then, 56,165 Palestinians have reportedly been injured. Many people are missing, presumably buried under the rubble, waiting for rescue or recovery. 
On 30 December, the Israeli military announced that one additional soldier had been killed in Gaza and one had succumbed to injuries sustained last week. Overall, since the start of the ground operation, 168 soldiers have been killed, and 955 soldiers injured in Gaza, according to the Israeli military »
.

Nicolas Boeglin

https://blogue.sqdi.org/2024/06/18/gaza-israel-a-propos-de-la-declaration-de-la-palestine-reconnaissant-la-competence-de-la-cij-et-demandant-a-intervenir-en-laffaire-afrique-du-sud-contre-israel/
https://aurdip.org/gaza-israel-a-propos-de-la-declaration-de-la-palestine-reconnaissant-la-competence-de-la-cij-et-demandant-a-intervenir-en-laffaire-afrique-du-sud-contre-israel/

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États et entreprises doivent cesser immédiatement d’envoyer des armes à Israël, au risque d’être considérés responsables de violations des droits humains, déclarent des experts de l’ONU

GENÈVE (20 juin 2024) – La livraison d’armes et de munitions à Israël peut constituer de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire et risque de manifester une complicité d’États dans des crimes internationaux incluant potentiellement le génocide, ont dit aujourd’hui des experts de l’ONU, réitérant leur demande d’arrêt immédiat des livraisons.

En phase avec de récents appels du Conseil des Droits de l’Homme et d’experts indépendants de l’ONU aux États pour qu’ils cessent de vendre, de livrer et de détourner des armes, des munitions et autres équipements militaires à Israël, des fabricants d’armes fournisseurs d’Israël – dont BAE Systems, Boeing, Caterpillar, General Dynamics, Lockheed Martin, Northrop Grumman, Oshkosh, Rheinmetall AG, Rolls-Royce Power Systems, RTX et ThyssenKrupp – devraient aussi mettre fin à leurs livraisons, même si elles sont effectuées sous des licences d’exportation existantes. 

« Ces entreprises, en envoyant des armes, des pièces, des composants et des munitions aux forces israéliennes, risquent d’être complices de graves violations des droits humains internationaux et du droit humanitaire international » ont dit les experts. Ce risque est accentué par la récente décision de la Cour Internationale de Justice ordonnant à Israël de cesser immédiatement son offensive militaire sur Rafah, ayant reconnu un risque plausible de génocide ; risque également accentué par la requête du Procureur de la Cour Pénale Internationale en vue de mandats d’arrêt contre des dirigeants israéliens soupçonnés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. « Dans ce contexte, la poursuite de livraisons d’armes à Israël peut être vue comme une aide sciemment fournie à des opérations contrevenant aux droits humains internationaux et au droit humanitaire international qui en tirent profit ».

L’arrêt des livraisons concerne aussi des transferts indirects via des pays intermédiaires, qui pourraient en fin de compte être utilisés par les forces israéliennes, en particulier dans les attaques en cours contre Gaza. Les experts de l’ONU ont dit que les entreprises d’armement doivent systématiquement et périodiquement exercer une diligence rehaussée sur les droits humains pour assurer que leurs produits ne sont pas utilisés selon des modalités qui violent les droits humains internationaux et le droit humanitaire international.

Les institutions financières qui investissent dans ces entreprises d’armement doivent aussi rendre des comptes. Des investisseurs tels que Alfried Krupp von Bohlen und Halbach-Stiftung, Amundi Asset Management, Bank of America, BlackRock, Capital Group, Causeway Capital Management, Citigroup, Fidelity Management & Research, INVESCO Ltd, JP Morgan Chase, Harris Associates, Morgan Stanley, Norges Bank Investment Management, Newport Group, Raven’swing Asset Management, State Farm Mutual Automobile Insurance, State Street Corporation, Union Investment Privatfonds, The Vanguard Group, Wellington et Wells Fargo & Company, sont incités à agir. Faute d’empêcher ou de modérer leurs relations d’affaires avec ces fabricants d’armes qui livrent des armes à Israël, pourrait faire passer, les concernant, des liens directs avec des violations de droits humains à des contributions à des violations, avec des répercussions pour complicité dans des crimes potentiellement atroces, ont dit les experts.

« Les armes initient, soutiennent, exacerbent et prolongent les conflits armés ainsi que d’autres formes d’oppression, aussi la mise à disposition d’armes est-elle une précondition essentielle de la commission de crimes de guerre et de violations des droits humains, y compris de la part d’entreprises privées d’armement » ont dit les experts.

Ils ont dit que les menées militaires israéliennes actuelles se caractérisent par des attaques indiscriminées et disproportionnées contre la population civile et les infrastructures, notamment par l’usage extensif d’explosifs et d’armes incendiaires dans des zones densément peuplées, de même que dans la destruction et les dégâts causés à des infrastructures essentielles pour la vie des civils qui comprennent les habitations et les abris, la santé, l’éducation, l’eau et les équipements sanitaires. Ces attaques ont causé plus de 37 000 morts à Gaza et ont blessé 84 000 personnes. Parmi ces morts et ces blessés, on estime à 70% la part de femmes et d’enfants. Aujourd’hui les enfants de Gaza sont le groupe d’enfants amputés le plus nombreux au monde du fait des graves blessures subies dans cette guerre. Ces opérations ont aussi causé de graves dommages environnementaux et climatiques.

« L’impératif d’un embargo sur les armes livrées à Israël et d’actions décisives de la part des investisseurs est plus urgent que jamais, en particulier au vu des « obligations des États et des entreprises » contenues dans la Convention de Genève, la Convention sur le Génocide, les traités internationaux sur les droits humains et les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme » ont dit les experts.

Les experts rendent hommage au travail soutenu des journalistes qui ont documenté et fait des reportages sur l’impact dévastateur de ces systèmes armés sur les civils de Gaza, et aux défenseurs et avocats des droits humains parmi d’autres parties prenantes qui se consacrent à la responsabilité d’États et d’entreprises dans les livraisons d’armes à Israël.

Ils se sont aussi adressés à des États ainsi qu’aux entreprises et investisseurs impliqués sur ces questions.

Traduction SF pour l’Aurdip
https://www.ohchr.org/en/press-releases/2024/06/states-and-companies-must-end-arms-transfers-israel-immediately-or-risk
https://aurdip.org/etats-et-entreprises-doivent-cesser-immediatement-denvoyer-des-armes-a-israel-au-risque-detre-consideres-responsables-de-violations-des-droits-humains-declarent-des-experts-de-l/

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Israël – L’effondrement du sionisme

L’attaque du Hamas du 7 octobre peut être comparée à un tremblement de terre qui frappe un vieux bâtiment. Les fissures commençaient déjà à apparaître, mais elles sont maintenant visibles au niveau des fondations elles-mêmes. Plus de 120 ans après sa création, le projet sioniste en Palestine – l’idée d’imposer un Etat juif dans un pays arabe, musulman et moyen-oriental – serait-il en passe de s’effondrer ? Historiquement, une quantité de facteurs peuvent faire capoter un État. Cela peut résulter d’attaques constantes de la part des pays voisins ou d’une guerre civile chronique. Cela peut faire suite à l’effondrement des institutions publiques, qui ne sont plus en mesure de fournir leurs services aux citoyens. Souvent, cela commence par un lent processus de désintégration qui s’accélère et qui, en peu de temps, fait s’écrouler des structures qui semblaient autrefois solides et stables.

La difficulté consiste à en repérer les premiers indicateurs. Je soutiendrai ici que ceux-ci sont plus clairs que jamais dans le cas d’Israël. Nous sommes les témoins d’un processus historique – ou, plus exactement, des prémices d’un processus – qui pourrait bien déboucher sur la chute du sionisme. Et si mon diagnostic est exact, nous abordons également une phase particulièrement dangereuse. En effet, une fois qu’Israël aura pris conscience de l’ampleur de la crise, il déploiera une force féroce et désinhibée pour tenter de la contenir, comme l’a fait le régime d’apartheid sud-africain à ses derniers jours.

1. Un premier indicateur est la fragmentation de la société juive israélienne. Elle est actuellement composée de deux camps rivaux qui ne parviennent pas à trouver un terrain qui leur soit commun. Le clivage provient des problèmes que pose la définition du judaïsme en tant que nationalisme. Alors que l’identité juive en Israël a parfois semblé n’être guère plus qu’un sujet de débat théorique entre factions religieuses et laïques, elle est désormais devenue une lutte dont l’objet est la caractérisation de la sphère publique et de l’État lui-même. Cette lutte se déroule non seulement dans les médias, mais aussi dans la rue.

L’un des camps peut être qualifié d’« État d’Israël ». Il se compose de Juifs européens et de leurs descendants, plus laïques et libéraux, appartenant pour la plupart, mais pas exclusivement, à la classe moyenne, qui ont fortement contribué à la création de l’État en 1948 et y sont restés hégémoniques jusqu’à la fin du siècle dernier. Qu’on ne s’y trompe pas, leur défense des « valeurs démocratiques libérales » n’affecte en rien leur adhésion au système d’apartheid qui est imposé, de diverses manières, à tous les Palestiniens vivant entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Ce qu’ils souhaitent avant tout, c’est que les citoyens juifs vivent dans une société démocratique et pluraliste dont les Arabes soient exclus.

L’autre camp est celui de « l’État de Judée », qui s’est constitué parmi les colons de la Cisjordanie occupée. Il bénéficie d’un soutien croissant dans le pays et constitue la base électorale qui a assuré la victoire de Netanyahou aux élections de novembre 2022. Son influence dans les hautes sphères de l’armée et des services de sécurité croît de manière exponentielle. L’État de Judée veut qu’Israël devienne une théocratie qui s’étende sur l’ensemble de la Palestine historique. Pour ce faire, il est déterminé à réduire le nombre de Palestiniens au strict minimum et envisage la construction d’un troisième temple à la place d’al-Aqsa. Ses membres sont convaincus que cela leur permettra de renouer avec l’âge d’or des royaumes bibliques. Pour eux, les Juifs laïques sont aussi hérétiques que les Palestiniens s’ils refusent de s’associer à cette entreprise.

Les deux camps ont commencé à s’affronter violemment avant le 7 octobre. Pendant les premières semaines qui ont suivi l’attaque, ils ont semblé laisser de côté leurs divergences face à un ennemi commun. Mais ce n’était qu’une illusion. Les affrontements dans les rues ont repris et l’on voit mal ce qui pourrait permettre une réconciliation. L’issue la plus probable se dessine déjà sous nos yeux. Plus d’un demi-million d’Israéliens, membres de l’État d’Israël, ont quitté le pays depuis le mois d’octobre, signe que le pays est en train d’être englouti par l’État de Judée. Il s’agit d’un projet politique que le monde arabe, et peut-être même le monde dans son ensemble, ne tolérera pas à long terme.

2. Le deuxième indicateur est la crise économique que traverse Israël. La classe politique ne semble pas avoir de plan pour équilibrer les finances publiques dans un contexte de conflits armés perpétuels, au-delà d’une dépendance croissante à l’égard de l’aide financière américaine. Au dernier trimestre de l’année dernière, l’économie s’est effondrée de près de 20% ; depuis lors, la reprise est fragile. La promesse de 14 milliards de dollars de Washington n’est pas de nature à inverser la tendance. Au contraire, le fardeau économique ne fera que s’aggraver si Israël persiste dans son intention de faire la guerre au Hezbollah tout en intensifiant ses activités militaires en Cisjordanie, alors que certains pays – dont la Turquie et la Colombie – ont commencé à appliquer des sanctions économiques.

La crise est encore aggravée par l’incompétence du ministre des finances, Bezalel Smotrich, qui ne cesse d’acheminer de l’argent vers les colonies juives de Cisjordanie, mais qui semble par ailleurs incapable de gérer son ministère. Le conflit entre l’État d’Israël et l’État de Judée, ainsi que les événements du 7 octobre, incitent une partie de l’élite économique et financière à déplacer ses capitaux hors de l’État. Ceux qui envisagent de déplacer leurs investissements représentent une part importante des 20% d’Israéliens contribuant à hauteur de 80% aux impôts.

3. Le troisième indicateur est l’isolement international croissant d’Israël, qui devient progressivement un État paria. Ce phénomène a commencé avant le 7 octobre mais s’est intensifié depuis le début du génocide. Il se reflète dans les positions sans aucun précédent adoptées par la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale. Auparavant, si le mouvement mondial de solidarité avec la Palestine était capable d’inciter des gens à participer à des opérations de boycott, il ne parvenait pas à faire avancer la perspective de sanctions internationales. Dans la plupart des pays, le soutien à Israël est resté inébranlable au sein des élites politiques et économiques.

Dans ce contexte, les récentes décisions de la CIJ et de la CPI – déclarant qu’Israël est susceptible de se livrer à un génocide, qu’il doit mettre fin à son offensive à Rafah, que ses dirigeants devraient être arrêtés pour crimes de guerre – doivent être considérées comme une prise en compte des points de vue de la société civile mondiale, et non comme le simple reflet de l’opinion des élites. Les tribunaux n’ont pas permis de réduire les terribles agressions subies par les populations de Gaza et de Cisjordanie. Mais ils ont apporté leur contribution au concert croissant de critiques adressées à l’État israélien, critiques qui proviennent de plus en plus souvent aussi bien d’en haut que d’en bas.

4. Le quatrième indicateur, qui est lié au précédent, est le changement radical qui s’opère parmi les jeunes juifs du monde entier. À la suite des événements des neuf derniers mois, nombre d’entre eux semblent aujourd’hui prêts à renoncer à leurs liens avec Israël et le sionisme et à participer activement au mouvement de solidarité avec les Palestiniens. Les communautés juives, en particulier aux États-Unis, assuraient autrefois à Israël une immunité efficace contre les critiques. La perte, ou du moins la perte partielle, de ce soutien a des conséquences majeures sur la position du pays dans le monde. L’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) peut encore compter sur les sionistes chrétiens pour l’aider et renforcer ses effectifs, mais elle ne sera pas la même organisation redoutable sans un groupe d’électeurs juifs important. Le pouvoir du lobby s’érode.

5. Le cinquième indicateur est la faiblesse de l’armée israélienne. Il ne fait aucun doute que Tsahal reste une force puissante disposant d’un armement de pointe. Pourtant, ses limites ont été révélées le 7 octobre. De nombreux Israéliens estiment que l’armée a eu beaucoup de chance, car la situation aurait pu être bien pire si le Hezbollah avait été associé à une offensive coordonnée. Depuis, Israël a montré qu’il dépendait cruellement d’une coalition régionale, menée par les États-Unis, pour se défendre contre l’Iran, dont la frappe d’avertissement d’avril a vu le déploiement d’environ 170 drones et de missiles balistiques et guidés. Plus que jamais, le projet sioniste dépend de la livraison rapide d’énormes quantités de fournitures par les Américains, sans lesquelles il ne pourrait même pas combattre une petite armée de guérilla dans le sud.

L’impréparation et l’incapacité d’Israël à se défendre sont aujourd’hui largement perçues par la population juive du pays. Cela a conduit à une forte pression pour supprimer l’exemption militaire dont bénéficient les juifs ultra-orthodoxes – en place depuis 1948 – et commencer à les enrôler par milliers. Cela ne changera pas grand-chose sur le champ de bataille, mais cela reflète l’ampleur du pessimisme à l’égard de l’armée, qui a, à son tour, aggravé les divisions politiques au sein de la société israélienne.

6. Le dernier indicateur est le retour du dynamisme de la jeune génération de Palestiniens. Elle est beaucoup plus unie, plus organiquement connectée et plus claire quant à ses perspectives que l’élite politique palestinienne. Étant donné que la population de Gaza et de Cisjordanie est l’une des plus jeunes du monde, cette nouvelle composante aura une influence considérable sur le cours de la lutte de libération. Les discussions qui ont lieu au sein des jeunes groupes palestiniens montrent qu’ils sont désireux de mettre en place une organisation véritablement démocratique – soit une OLP renouvelée, soit une nouvelle organisation – qui portera une vision de l’émancipation aux antipodes de la façon dont l’Autorité palestinienne s’y prend pour se faire reconnaître en tant qu’État. Ils semblent favorables à une solution à un seul État plutôt qu’à un modèle à deux États discrédité.

Seront-ils en mesure d’élaborer une réponse efficace au déclin du sionisme ? Il est difficile de répondre à cette question. L’effondrement d’un projet d’État n’est pas toujours suivi d’une perspective plus prometteuse. Ailleurs au Moyen-Orient – en Syrie, au Yémen et en Libye – nous avons vu à quel point les suites peuvent être sanglantes et interminables. Dans ce cas, il s’agirait de décolonisation, et le siècle dernier a montré que les réalités postcoloniales ne sont pas toujours synonymes d’amélioration par rapport à la condition coloniale. Seule la mobilisation des Palestiniens peut nous faire avancer dans la bonne direction. Je pense que, tôt ou tard, une combinaison explosive de ces indicateurs aboutira à la destruction du projet sioniste en Palestine. Lorsque ce sera le cas, nous devons espérer qu’un solide mouvement de libération sera là pour combler le vide.

Pendant plus de 56 ans, ce que l’on a appelé le « processus de paix » – un processus qui n’a mené nulle part – n’était en fait qu’une série d’initiatives israélo-américaines auxquelles les Palestiniens étaient invités à répondre. Aujourd’hui, la « paix » doit être remplacée par la décolonisation et les Palestiniens doivent pouvoir exprimer leur projet pour la région, les Israéliens étant invités à réagir. Ce serait la première fois, au moins depuis de nombreuses décennies, que le mouvement palestinien prendrait l’initiative d’exposer ses propositions pour une Palestine postcoloniale et non sioniste (ou peu importe le nom de la nouvelle entité). Ce faisant, il se tournera probablement vers l’Europe (peut-être vers les cantons suisses et le modèle belge) ou, plus opportunément, vers les anciennes structures de la Méditerranée orientale, où les groupes religieux sécularisés se sont progressivement transformés en groupes ethnoculturels qui vivaient côte à côte sur le même territoire.

Que l’on se réjouisse de cette idée ou qu’on la redoute, l’effondrement d’Israël est devenu envisageable. Cette éventualité devrait inspirer la réflexion à long terme sur l’avenir de la région. Elle s’imposera au fur et à mesure que les gens réaliseront que l’opération entreprise un siècle durant, sous la houlette de la Grande-Bretagne puis des États-Unis, pour imposer un État juif dans un pays arabe, se meurt lentement à l’heure actuelle. Cette entreprise a été une réussite dans la mesure où elle a permis la création d’une société de millions de colons, dont beaucoup sont maintenant de la deuxième ou de la troisième génération. Mais leur présence dépend toujours, comme c’était le cas à leur arrivée, de leur capacité à imposer violemment leur volonté à des millions d’autochtones, qui n’ont jamais abandonné leur lutte pour l’autodétermination et la liberté sur leur terre. Dans les décennies à venir, les colons devront se défaire de cette attitude et montrer leur volonté de vivre en tant que citoyens égaux dans une Palestine libérée et décolonisée.

Ilan Pappé
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.
Source : The Collapse of Zionism. New Left Review. 21 JUIN 2024 :
https://newleftreview.org/sidecar/posts/the-collapse-of-zionism?pc=1610
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71176

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Les forces israéliennes attachent un Palestinien blessé au capot d’une jeep militaire
Une vidéo vérifiée montre un habitant de Jénine, Mujahed Azmi, à bord d’un véhicule qui dépasse deux ambulances lors d’un raid.
https://aurdip.org/les-forces-israeliennes-attachent-un-palestinien-blesse-au-capot-dune-jeep-militaire/
Des dizaines de morts dans les frappes aériennes israéliennes sur la ville de Gaza
https://aurdip.org/des-dizaines-de-morts-dans-les-frappes-aeriennes-israeliennes-sur-la-ville-de-gaza/
Gaza : quand la guerre des drones vire à l’hécatombe pour les journalistes palestiniens
Dans sa guerre contre Gaza, Israël affirme prendre les plus strictes précautions afin d’éviter les victimes civiles dans son usage des drones de combat. Mais depuis le 7 octobre, au moins 18 professionnels des médias ont été touchés. Un ensemble d’indices qui accréditent l’hypothèse d’un ciblage des journalistes par l’armée israélienne à Gaza.
https://aurdip.org/gaza-quand-la-guerre-des-drones-vire-a-lhecatombe-pour-les-journalistes-palestiniens/
Au moins 22 Palestiniens tués dans un bombardement près du bureau de la Croix Rouge de Gaza, dit l’agence
Le ministère de la Santé du territoire dit que l’attaque israélienne ciblait des tentes de personnes déplacées ; l’armée israélienne dit que le rapport est « en cours d’examen ».
https://aurdip.org/au-moins-22-palestiniens-tues-dans-un-bombardement-pres-du-bureau-de-la-croix-rouge-de-gaza-dit-lagence/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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