TOUS CONTRE L’EXTRÊME-DROITE. Comme un seul homme !

Le Monde, 26 juin 2024 (daté du 27 juin pour la version papier)
Tribune à l’initiative d’Eliane Viennot & Joëlle Wiels

On croyait la gauche convertie à l’égalité des sexes. Et donc à son langage, qu’on dit égalitaire, ou non sexiste, ou inclusif. On l’avait vue, cet automne, batailler contre le RN à l’Assemblée nationale (12 oct.) et contre les LR au Sénat (31 oct.), pour repousser leurs ridicules propositions de loi « contre l’écriture inclusive ». Pendant la campagne des Européennes, on avait entendu des candidates et des candidats essayer de faire cet effort pour élargir leur horizon mental, et du coup réfléchir aux besoins des femmes, et même des milliers de gens qui ne sont pas des hommes – les enfants par exemple.

Il aura suffi d’une dissolution de l’Assemblée pour faire voler en éclat ce vernis, revenir au bon vieux temps du masculin qui l’emporte sur le féminin au point de le faire disparaitre, et témoigner de la validité de l’axiome aujourd’hui bien documenté : Qui parle au masculin pense au masculin.

La lecture du programme du Nouveau Front Populaire est à ce titre lumineuse. En 23 pages, 3 expressions seulement de cette parité linguistique pour laquelle on combat en France depuis les années 80, dont 2 sont situées en ouverture, comme le faisait le Général de Gaulle : « les femmes et les hommes » dans la première ligne du Préambule, « les Françaises et les Français » dans l’avant-dernière. Ensuite c’est terminé, à part un « tous et toutes » perdu dans le propos sur le service public. Il est question des députés, des agriculteurs, des auteurs, des acteurs, des magistrats, des greffiers, des agents, des policiers, des salariés, des morts, des inspecteurs, des intermittents, des travailleurs, des étudiants, des professeurs, des exilés, des migrants, etc.

Si l’on veut bien croire que « les dirigeants du Hamas » soient un groupe non mixte, ce n’est pas le cas des autres. Qui sont même parfois très féminisés, à l’image « des Français grandement paupérisés par 7 ans de macronisme et 3 ans d’inflation », qui sont en grande majorité des Françaises : des travailleuses à temps partiel, des mères de familles monoparentales, des retraitées, des salariées peinant dans les métiers les moins valorisés. Quant aux soignants libéraux, aux aides-soignants, aux professionnels du grand âge, ils sont ultra-minoritaires dans leurs professions. Un seul groupe est ici nommé au féminin, celui des Accompagnantes d’Élèves en Situation de Handicap – où il y a pourtant quelques hommes; mais c’est si féminin de s’occuper d’enfants !

Aucune logique grammaticale, c’est clair, ne sous-tend ces choix. La seule logique à l’œuvre ici, c’est l’idéologie patriarcale, qui règne dans les groupes politiques où elle devrait être combattue, et où elle ne l’est pas suffisamment. D’où l’oubli de l’éducation à l’égalité, à la sexualité, au respect de l’autre, dans la « grande loi éducation », qui devrait aussi prévoir la parité des formations, seul moyen d’éviter la concentration des femmes dans les secteurs les plus mal payés. D’où la condamnation de la haine des juifs et de la haine des musulmans, mais non de la haine des femmes, et la demande de plans interministériels pour lutter contre ces deux fléaux, mais non contre la masculinité toxique, qui produit pourtant chaque année 130 féminicides, 84% des accidents de voiture mortels, 86% des meurtres, 97% des violences sexuelles…, et qui coute à l’État 95 milliards d’euros en frais de justice, de santé, de réparation des bâtiments publics, d’entretien des prisonniers. D’où l’inscription de ce programme sous la bannière« liberté, égalité, fraternité », comme si ce dernier terme, ajouté aux premiers en 1848 par les pères du fameux « suffrage universel », ne devait pas être remplacé par le mot solidarité. D’où l’absence du mot parité, même quand on parle d’aller « Vers une 6e République », et de l’expression « égalité des sexes » dans l’ensemble du programme. D’où le silence sur l’invraisemblable protection accordée aujourd’hui aux hommes violents et aux prédateurs sexuels, dans la rubrique « Sûreté, Sécurité et Justice ».

D’où enfin la relégation en page 19 – juste avant la question de la maltraitance animale – d’une rubrique à moitié consacrée aux femmes («Étendre les droits des femmes et des personnes LGBTQI»), où l’égalité des salaires est mise sur le même plan que le congé menstruel (pour toutes les femmes ?), et où la demande de « filiation par reconnaissance comme principe par défaut » ouvre toute grande la voie à la reconnaissance de la GPA.

L’absence des termes désignant les femmes dans ce programme n’est donc pas un problème de forme, ou de détail. C’est un problème politique. C’est le symptôme d’une absence de pensée sur l’égalité, que trahit l’ensemble du texte. 

Les femmes sont la moitié de l’humanité, mais une moitié qui a été discriminée par l’autre. Il devrait donc en être question dans à peu près toutes les rubriques traitant de la société, du travail, de la politique, de la culture… On pourrait également, si tant est qu’il faille promouvoir la compétition plutôt que la coopération, souhaiter « Faire de la France la championne européenne des énergies marines », plutôt que « le leader européen ». La France, c’est féminin. Et la langue française nous propose tout ce qui est nécessaire pour parler d’elle au mieux. Comme de nous, les femmes.

Allez, camarades, vous y arriverez ! Votre Proposition économique contient déjà autant de doublets en bonne et due forme que de masculins qui l’emportent : 9. Et puis vous avez adopté les « droits humains » que les féministes promeuvent depuis 150 ans. Il reste à les revendiquer, pour rompre avec ces « droits de l’homme » auxquels les autorités françaises s’accrochent virilement, comme s’il ne s’était rien passé en 1944.

Rassurez-vous donc, camarades, on votera pour vous. Mieux vaut encore pour nous un programme de vieux gauchistes qu’un programme de jeunes fachos. Mais on attend que vous changiez. Et il ne faudra pas vous étonner de nous trouver sur votre route à chaque fois que vous ferez le choix de l’idéologie patriarcale.

Les signataires
Maïté Albagly, militante féministe
Olympia Alberti, écrivaine
Gaëlle d’Albenas, avocate
Nicole Albert, chercheuse indépendante, directrice de la rédaction de la revue Diogène
Daphné Albertine, autrice
Isabelle Alonso, écrivaine
Marc Anglaret, enseignant, militant syndical
Sophie Antoine, artiste, militante féministe et enfantiste, activiste FEMEN
Yaëlle Antoine, artiste circassienne, pédagogue, et co-fondatrice de la collective Les Tenaces
Sylvie Avé, retraitée, vieille féministe
Agnès Avril-Conway, retraitée, militante féministe
Joëlle Ayats, correctrice
Bouchera Azzouz, réalisatrice, militante féministe
Katy Barasc, philosophe-essayiste
Marie-Noëlle Bas, présidente des Chiennes de garde
Francine Baudou, retraitée de l’Éducation nationale
Marie-Alfrède Beaudoux, psychologue clinicienne
Gabriela Belaid, présidente de Centrale Supelec au Féminin
Marthe Bernard, kinésithérapeute
Hélène Bidard, adjointe à la maire de Paris chargée de l’égalité femmes-hommes, de la jeunesse et de l’éducation populaire
Françoise Birkui, chargée de projet, IDEM question de genre
Oristelle Bonis, éditrice
Fleur Bonneau, responsable d’actions éducatives
Marie-Jo Bonnet, historienne, écrivaine, féministe
Joëlle Bouguen, retraitée
Sophie Bourrel, actrice
Danielle Bousquet, ancienne députée
Simone Bousquet, ancienne présidente de Citoyennes maintenant
Jacqueline Boutin, ancienne haute fonctionnaire, ancienne élue municipale
Anne Boyé, historienne des mathématiques
Françoise Brié, militante féministe, ex-membre du Haut Conseil à l’Égalité femmes-hommes
Geneviève Brisac, écrivaine
Maryne Bruneau, dirigeante de centre de formation, autrice
Sophie Burlier, militante féministe, professeure
Danielle Bussy Genevois, professeure émérite Université Paris8, Histoire d’Espagne et du genre
Christine Buttin, retraitée
Jeanine Camillieri, professeure de philosophie
Maria Candea, linguiste
Claudia Casper, écrivaine
Stéphane Cazes, cinéaste
Flore de Chadirac, agente polyvalente
Catherine Chadefaud, CPGE Histoire, secrétaire générale de Réussir l’Égalité Femmes-Hommes
Sylvie Chaussée, citoyenne
Christian Cools, chargé de programmes
Isabelle Côte Willems, comédienne
Marlène Coulomb prof émérite Université de Toulouse Jean Jaurès, ancienne membre du Haut Conseil à l’Égalité femmes-hommes
Geneviève Couraud, ancienne élue socialiste, membre du Conseil national du P.S., présidente d’honneur d’ECVF
Catherine Coutelle, députée 2007-2017, présidente de la Délégation droits des femmes 2012-2017
Noémie De Lattre, artiste
Monique Dental, présidente du Réseau Féministe Ruptures
Marie-Dominique De Suremain, officière de la légion d’honneur
Blandine Deverlanges, militante et activiste féministe
Laurence Dionigi-Lunati, journaliste à 50/50 le magazine de l’Égalité F-H
Latifa Drif, retraitée
Julien Dubost, libraire
Geneviève Duché, économiste
Manuela Dufour, étudiante en philosophie, militante féministe
Marie-Jeanne Dumont, historienne de l’architecture
Paulette Dumont, retraitée de l’Éducation Nationale
Sylvia Duverger, journaliste
Didier Epsztajn, animateur du blog Entre les lignes entre les mots
Michèle Eypert-Duché, retraitée
Isabelle Faillenot, Ingénieure de Recherche, Université St Etienne
Evelyne Faivre, entrepreneure
Jacqueline Farmer, réalisatrice, productrice
Jacqueline Feldman, directrice du CNRS honoraire, co-fondatrice de Féminin-Masculin-Avenir
Caroline Flepp, directrice de publication et rédactrice en cheffe de 50-50 Magazine
Nicole Fouché-Grobla, chercheuse CNRS, présidente de Réussir l’Égalité Femmes-Hommes
Geneviève Fraisse, philosophe, directrice de recherche émérite CNRS
Marie-Hélène Franjou, médecine
Margot Gallimard, éditrice
Odile Garnier, secrétaire de l’Éducation nationale
Françoise Gaspard, ancienne députée-maire
Xavière Gauthier, autrice, universitaire, journaliste féministe
Émilie Genoud, infirmière
Pierre-Yves Ginet, consultant égalité, cofondateur de Femmes ici et ailleurs
Josiane Gonthier, agrégée de Lettres
Lilou Gourdant, militante féministe, étudiante en sociologie
Marie-Pascale Grenier, comédienne
Brigitte Grésy, ancienne présidente du Haut Conseil à l’Égalité femmes-hommes
Marie Guerini, militante HF-IDF
Sylvie Guichenuy, comédienne
Léa Guilan, enseignante
Claude Halboub-Maître, enseignante
Bérénice Hamidi, professeure des universités, Lyon2
Chantal Hibon, ancienne professeure d’Histoire-Géographie
Brigitte Joseph-Jeanneney, autrice
Sonia Kanclerski, ingénieure développement, Toulouse
Dominique Lavergne, retraitée, militante associative Charentes-Maritimes
Amy Lee Lavoie, scénariste
Lucette Lebeau, administratrice de l’Amicale du Nid
Annie Léchenet, ex-maitresse de conférences en philosophie, Université Lyon1
Chloé Lederman, auto-entrepreneure
Raphaëlle Legrand, professeure de musicologie, Sorbonne Université
Élisabeth Leininger, psychanalyste
Catherine Le Magueresse, doctoresse en droit, chercheuse
Véronique Le Ru, professeure de philosophie, Université de Reims
Amélie Lescroël, libraire, chercheuse en écologie
Carine Lorenzoni, autrice, éditrice
Michèle Loup, ancienne conseillère régionale d’IDF chargée de l’Égalité Femmes/Hommes
Olive Loyer, étudiante, féministe
Éric Luter, trompettiste de jazz
Fabienne Maître, enseignante
Olivier Manceron, médecin, militant antivalidiste et antisexiste
Françoise Mariotti, psychosociologue
Lore Marsicek, commerçante, militante associative Hérault
Nathalie Masduraud, réalisatrice
Nicolas Mathevon, professeur à l’université de Saint-Etienne
Patricia Mathevon, professeuse agrégée de SVT
Blandine Métayer, actrice, autrice
Sophie Millon, comédienne
Florence Montreynaud, historienne
Vigdis Morisse-Herrera, cheffe d’entreprise
Benjamin Moron-Puech, professeur agrégé de droit privé et de sciences criminelles, Université Lyon2
Elisabeth Motsch, écrivaine, éditrice
Laure Murat, historienne, écrivaine, professeure à UCLA
Naouel Nefissi, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH), féministe
Maud Olivier, ex-députée Parti socialiste
Rémi Panossian, pianiste
Edith Payeux, agrégée de lettres, autrice, membre de Réussir l’Égalité Femmes-Hommes
Elsa Pérusin, comédienne
Évelyne Peyre, chercheuse CNRS honoraire
Lucile Peytavin, historienne, essayiste
Emmanuelle Piet, médecin, militante féministe
Catherine Piffaretti, comédienne
Pascale Platard, militante féministe
Annick Proriol, cadre de santé
Raphaëlle Rémy-Leleu, militante écoféministe, Nouveau Front Populaire
Annie Richard, présidente d’honneur de Femmes Monde
Laure Richard, militante féministe radicale et architecte
Valentine Rioufol, agente immobilière
Marie-Claude Ripert, professeure de Lettres
Brigitte Rochelandet, historienne, conférencière
Brigitte Rollet, chercheuse, enseignante, essayiste
Sonia Salami, militante féministe, bibliothécaire
Muriel Salle, enseignante-chercheuse
Cécile Schutz, médecine généraliste, militante associative Hérault
Claude Servan-Schreiber, écrivaine
Marie Siméon-Perrin, responsable décarbonation dans l’industrie métallurgique
Neige Sinno, écrivaine
Anne-Marie Sirmain, ex-directrice du CIDFF34
Aissata Soumah, militante féministe Vaucluse
Francine Sporenda, ex-maitresse de conférences, responsable du site Révolution féministe
Marie-Laure Steinbruckner, chargée d’étude et de recherche
Christelle Taraud, historienne et féministe
Estelle Teyssier, professeure de S.V.T
Edisson Tieche, président du Cercle Solidariste et Mutualiste Léon Bourgeois Les Radicaux en Commun
Marina Tomé, actrice, autrice, metteuse en scène
Victoire Tuaillon, autrice, Journaliste, podcasts Les couilles sur la table & Le cœur sur la table
Typhaine D, artiste féministe, inventrice de la féminine universelle
Valérie Urrea, réalisatrice
Léo Varnet, chercheur en psycholinguistique au CNRS
Perrine Vasque, journaliste
Michèle Vianès, présidente de Regards de Femmes
Éliane Viennot, historienne, littéraire, ancienne présidente de la Société Internationale pour l’Étude des femmes de l’Ancien Régime
Frédérique Villemur, historienne d’art
Michèle Vitrac-Pouzoulet, présidente d’ECVF, ancienne conseillère régionale d’IDF
Françoise Vouillot, universitaire, ancienne présidente de la commission « Lutte contre les stéréotypes et rôles sociaux » du Haut Conseil à l’Égalité femmes-hommes
Joëlle Wiels, biologiste, directrice de recherche au CNRS, ancienne cheffe de la Mission Parité du Ministère de la Recherche

https://www.elianeviennot.fr/Tribune-NFP.html

Francia, per la sinistra unita ma contro il suo maschilimo
Le femministe e i progressisti francesi, pur confermando il loro sostegno al NFP, ne denunciano il conservatorismo sessista. Il quotidiano Le Monde di ieri pomeriggio (26 giugno) ha pubblicato la presa di posizione con le numerose firme di sostegno.
https://andream94.wordpress.com/2024/06/27/francia-per-la-sinistra-unita-ma-contro-il-suo-maschilimo/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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