Les historiens contre la Commune

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Ce livre, dont le titre fait référence au fameux essai de Paul Lidsky, Les écrivains contre la Commune (réédité récemment par les éditions La Découverte), constitue une charge contre la célébration du 150e anniversaire de la Commune de Paris, en 2021, et la relecture historique de cet événement. Emmanuel Brandely entend dénoncer ce qu’il appelle la « nouvelle historiographie de la Commune » dont les deux principaux représentants seraient Robert Tombs et Quentin Deluermoz, respectivement auteurs de Paris, bivouac des révolutions. La Commune de 1871 (Libertalia, 2014) et de Commune(s) 1870-1871. Une traversée des mondes au XIXe siècle (Seuil, 2020). Certes, Brandely reconnaît qu’il ne s’agit pas d’un ensemble homogène, mais il n’en reste pas moins que ces deux historiens ont été parmi les plus visibles médiatiquement au cours de cette célébration et sont emblématiques d’une histoire à prétention objective qui veut en finir avec les grands récits, en général, et le récit marxiste (ou, plus exactement, une caricature de celui-ci), en particulier.

L’auteur commence par montrer que, loin d’être un historien objectif et distancié – le fait d’être britannique serait un avantage –, Tombs se positionne sur la droite de l’échiquier politique – il fut partisan du Brexit – et se caractérise par des positions conservatrices et même réactionnaires. Il poursuit en faisant des aller-retours entre les célébrations de la Commune à cinquante ans de distance, en mettant en avant l’asymétrie des enjeux et des contextes politiques en 1971 et en 2021. Le centenaire s’inscrivait ainsi dans le bouillonnement de l’insubordination des années 1968 et était porté par le renouvellement des études historiques menées principalement par Jacques Rougerie (sur lequel d’ailleurs Emmanuel Brandely s’appuie largement), alors que les 150 ans ont eu tendance à se muer en un « tourisme mémoriel » et une « pacification » historique.

Brandely détaille les glissements, effacements et (re)montages opérés dans les écrits de Deluermoz et, surtout, de Tombs. De leurs prises de position se dégage un biais commun consistant à minimiser, voire à nier, la participation des femmes, l’originalité de l’insurrection communarde, son caractère ouvrier, socialiste et même, en fin de compte, révolutionnaire. La mise en avant d’une lecture « dépassionnée » serait elle-même le fruit d’un « contexte politiquement apaisé » ; contexte que cette lecture conforte en retour. De la sorte, l’histoire deviendrait (enfin) scientifique et il serait possible dès lors de « sortir la Commune de ses mythes » ; ce que réaliserait justement Tombs selon Deluermoz. En réalité, il s’agit plutôt d’une opération de dépolitisation et de négation de l’antagonisme sous couvert d’une réconciliation « républicaine ».

En témoignent la sous-estimation des massacres de la Semaine sanglante qui signe la fin de la Commune de Paris en mai 1871 – on lira à ce propos la mise au point de Michèle Audin, La Semaine sanglante. Mai 1871, Légendes et comptes (Libertalia, 2021) à laquelle l’auteur fait largement référence1 – et les tentatives de réhabilitation de Thiers et des débuts de la Troisième République, qui ont écrasé la Commune. Néanmoins, selon Emmanuel Brandely, l’événement communard résiste à ces tentatives de « réhabilitation » consensuelle et garde son tranchant politique.

Frédéric Thomas

Emmanuel Brandely, Les Historiens contre la Commune. Sur le 150e anniversaire et la nouvelle historiographie de la Commune de Paris, Paris, Les nuits rouges, 15€.

1 Voir également l’excellent blog de Michèle Audin : https://macommunedeparis.com/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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