Inceste, que de temps perdu !

Dés 1986 Eva Thomas accuse son père de l’avoir violée lors de l’émission d’Antenne 2 « Les Dossiers de l’Écran ». En 1989, Claudine accuse son père sur TF1. Il portera plaine contre elle en diffamation. Elle ne pourra rien dénoncer lors de l’audience, les faits étant prescrits. Une loi est votée alors allongeant pour la première fois les délais de prescription, notamment. Claudine s’exprime ici..

Nous étions en 1989.

Nous étions toutes les deux au Collectif féministe contre le viol. Claudine parce qu’elle avait été violée par son père, Suzy parce que sa copine avait été violée.

Le 27 mars 1989, Claudine apparaît à visage découvert sur TF1 lors de l’émission de François de Closets « Médiations ». Elle y accuse son père mais sans possibilité que celui-ci ne soit reconnu.

Celui-ci, sachant que « sa » fille n’avait plus la possibilité de porter plainte à cause des délais de prescription dépose lui-même une plainte en diffamation. Il poursuit aussi François de Closets et Patrick Le Lay, président de la chaîne. Il estime qu’il a pu être identifié par ses proches. Il trouve une oreille complaisante auprès du tribunal correctionnel de St Brieuc : c’est Claudine qui est poursuivie.

Le Collectif féministe contre le viol se mobilise pour l’audience à St Brieuc le 22 juin.

Le tribunal prévient d’emblée : il est interdit d’évoquer les faits diffamatoires qui remontent à plus de dix ans et sont donc couverts par la prescription : les dés sont pipés. Claudine est condamnée symboliquement le 13 juillet à 30 francs (moins de 5 €) d’amende avec sursis et tout de même à 5000 francs (763 €) aux dépens.

Il apparaît évident qu’il faut changer la loi sur la prescription, c’est ce que Monique Antoine, avocate de Claudine, avait dit à l’audience.

C’est ce que fera la loi du 10 juillet 1989 qui stipule : « Lorsque la victime est mineure, et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription est réouvert ou court à nouveau à son profit, pour la même durée à partir de sa majorité ».

Ce fut donc la première étape d’allongement des délais de prescription.

Mais cette loi disait beaucoup d’autres choses. L’article 3 par exemple déclare :

« Lorsqu’un mineur est victime de mauvais traitements ou lorsqu’il est présumé l’être, et qu’il est impossible d’évaluer la situation ou que la famille refuse manifestement d’accepter l’intervention du service de l’aide sociale à l’enfance, le président du conseil général avise sans délai l’autorité judiciaire et, le cas échéant, lui fait connaître les actions déjà menées auprès du mineur et de la famille concernés »

Ou encore la création du 119 :

« Un service d ’accueil téléphonique gratuit est créé à l’échelon national par l’État, les départements et des personnes morales de droit public ou privé, qui constituent à cette fin un groupement d’intérêt public. Ce service concourt à la mission de prévention des mauvais traitements et de protection des mineurs maltraités prévue à la présente section. ».

Bref, une loi est donc votée le 10 juillet 1989 qui dote la société d’un certain nombre d’outils pour protéger les enfants victimes. Imparfaits sans doute mais qui avaient le mérite d’exister….

Alors la question qui se pose maintenant avec acuité est : pourquoi y a t-il eu une nouvelle chape de plomb sur les viols incestueux et qu’il ait fallu attendre la publication de « la Familia Grande » pour dévoiler de nouveau la sordide réalité ?

Pourquoi la société qui dit protéger par dessus tout les enfants ne veut surtout pas affronter ces violences ? Pourquoi tant de temps perdu pour les victimes ? C’est bien, comme le proclame le titre du film de Carole Roussopoulos sorti en 1988, dans le quel Claudine et trois autres femmes témoignent : « L’inceste, la conspiration des oreilles bouchées ».

Il est plus que temps de sortir de cette hypocrisie.

Claudine et Suzy
https://blogs.mediapart.fr/s-rojtman/blog/201123/inceste-que-de-temps-perdu

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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